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Un droit dans la guerre? Volume I : présentation du droit ... - ICRC

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Partie I – Chapitre 2 7<br />

États, « monstres froids » et sans âme, font <strong>la</strong> sourde oreille à <strong>la</strong> voix <strong>du</strong> « <strong>droit</strong> »,<br />

n’obéissant qu’à des motivations de « pouvoir » et de « force ». C’est <strong>la</strong> thèse que<br />

les « réalistes » proc<strong>la</strong>ment à tout bout de champ ; et ce<strong>la</strong> les amène à regarder<br />

avec une ironie in<strong>du</strong>lgente toute recherche sur l’incidence que peuvent avoir<br />

les impératifs moraux et juridiques sur le comportement des États <strong>dans</strong> des<br />

matières qui concernent leurs intérêts vitaux. D’après moi cette thèse est fausse.<br />

Tout bien considéré, il n’est pas vrai que les États, lorsque leurs intérêts militaires,<br />

économiques et politiques les plus essentiels sont en jeu, se moquent des « tables<br />

de <strong>la</strong> loi ». Leur stratégie est moins grossière que <strong>la</strong> simple transgression des<br />

« commandements » juridiques, et consiste à empêcher leur cristallisation, ou –<br />

quand l’opinion publique internationale ou l’opinion publique interne réc<strong>la</strong>ment<br />

à cor et à cri <strong>la</strong> présence de ces commandements – à les rendre le plus possible<br />

ambigus. De cette manière ils peuvent ensuite les interpréter comme ils veulent,<br />

les adaptant aux exigences <strong>du</strong> moment et les pliant à leurs intérêts contingents. Si<br />

l’on parcourt les annales des quarante ou cinquante dernières années, il apparaît<br />

c<strong>la</strong>irement qu’aucun État, petit ou grand soit-il, n’a jamais admis d’avoir enfreint<br />

les préceptes juridiques communément acceptés (par exemple, l’interdiction<br />

d’employer des armes chimiques ou des armes qui provoquent des souffrances<br />

superflues ; l’interdiction d’attaquer sans discrimination des villes non défen<strong>du</strong>es ;<br />

ou bien, passant à des problèmes plus graves, l’interdiction de <strong>guerre</strong>s d’agression,<br />

l’interdiction d’actes de génocide, et ainsi de suite). Lorsqu’on les accuse de<br />

fouler au pied ces règles internationales, et d’autres tout aussi importantes, les<br />

États nient les faits, ou invoquent des circonstances exceptionnelles qui, à leur<br />

avis, leur donnaient le <strong>droit</strong> de se comporter d’une certaine manière, ou bien<br />

ils font observer qu’en réalité les normes internationales n’interdisaient pas le<br />

comportement qu’ils ont tenu, mais des comportements différents. (…)<br />

Avec le temps, le rôle de l’opinion publique n’a fait que grandir. De sorte que<br />

le juriste ang<strong>la</strong>is Brierly observait justement en 1931 que, au sein des États, <strong>la</strong><br />

transgression d’une norme peut passer inaperçue et, de toute façon, lorsqu’on<br />

<strong>la</strong> remarque, le transgresseur peut rester indifférent au « jugement social » ; au<br />

contraire, <strong>dans</strong> <strong>la</strong> communauté internationale, il est pratiquement impossible<br />

que de graves vio<strong>la</strong>tions aux règles de comportement, perpétrées par les États,<br />

échappent à l’opinion publique, et de plus les États sont forcément très sensibles<br />

à <strong>la</strong> « réprobation sociale ». Actuellement le poids croissant de <strong>la</strong> presse et des<br />

instruments de communication de masse a intensifié encore davantage le rôle<br />

de l’opinion publique, surtout <strong>dans</strong> les pays démocratiques. Mais même les États<br />

<strong>dans</strong> lesquels cette dernière est manipulée par les autorités ne peuvent ignorer<br />

les répercussions que leurs actions politiques, militaires et économiques ont<br />

sur l’opinion des dirigeants d’autres pays, rapidement avertis par des canaux<br />

d’information en grande partie occidentaux.<br />

C’est donc en misant sur toutes ces forces, de même que sur les différentes<br />

organisations non gouvernementales – toujours plus engagées et plus combatives<br />

– que l’on peut espérer obtenir quelque chose. Et c’est en intervenant aussi <strong>dans</strong><br />

les aires « crépuscu<strong>la</strong>ires » où <strong>la</strong> violence l’emporte et où le <strong>droit</strong> semble devenir<br />

évanescent, que les juristes et tous ceux qui s’occupent <strong>du</strong> comportement des<br />

États, peuvent accomplir une fonction utile pour les forces de <strong>la</strong> dissension<br />

auxquelles je viens de faire allusion et, surtout, pour ceux qui ont subi ou qui<br />

pourront subir <strong>la</strong> violence.<br />

[Source : CASSESE Antonio, Violence et <strong>droit</strong> <strong>dans</strong> un monde divisé, Paris, PUF, 1990, pp. 11-16, les notes de bas<br />

de page ne sont pas repro<strong>du</strong>ites.]

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