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PERSPECTIVES DE L’EXTÉRIEUR : dismay’d? » (a-t-on vu un seul homme consterné?), suivie par la réponse du soldat, qui ne saurait contester les ordres et doit obéir sans réserve, même en sachant que quelqu’un haut placé dans une chaîne de commandement impersonnelle avait commis une erreur. À l’époque victorienne en Angleterre, où la société anglaise était très hiérarchisée, beaucoup étaient conscients des sentiments que l’on éprouve quand on reçoit l’ordre d’accomplir des actions injustifiées ou dangereuses. Il en résulte d’emblée de la sympathie pour les militaires contraints d’obéir aux ordres, y compris celui-ci de toute évidence stupide et aux conséquences fatales; l’unité du texte étant assurée par la triple répétition qui opère une distinction entre les civils et les soldats « Their’s not to make reply / Their’s not to reason why / Their’s but to do and die. » : (Ils ne doivent pas répliquer/Ils ne doivent pas chercher des raisons/Ils doivent agir et mourir). Tout le poème retentit au rythme des mots que Tennyson a fait rimer avec « blunder’d » (gaffer) — « onward », « hundred », « thunder’d » « wonder’d », « sunder’d », termes qu’il a fait ressortir par un agencement typographique consistant à les mettre à la fin des vers délibérément décalés, afin d’établir un lien évident entre l’ordre stupide et ses conséquences pour les troupes. Russell et l’éditorialiste de The Times étaient conscients d’avoir là une bonne histoire à sensation à raconter, et matière à critiquer. Mais aux plans poétique, rhétorique, verbal, sémantique et visuel, Tennyson a par ce texte surclassé les journalistes pour ce qui est du sensationnalisme. Il a qualifié son poème de ballade pour souligner les affinités folkloriques et populaires évidentes. Le texte donne à cet événement médiatique une immédiateté accrue, qui le rend très vivant et évocateur, si bien que les lecteurs et auditeurs ne pouvaient s’empêcher de réagir émotivement puis de réfléchir sur le sujet. Tennyson a avoué que c’est son patriotisme et son appel à honorer les nobles six cents dans la dernière strophe qui l’ont convaincu d’accepter la demande d’un aumônier sur le front de Crimée et d’envoyer aux troupes 3 000 exemplaires de son oeuvre. L’illustre poète a ajouté au texte une note signée dans l’espoir que les soldats « ne seront pas mécontents de recevoir de moi-même ces exemplaires de la ballade, et sauront ainsi que les gens au pays les aiment et les honorent ». Mais il était en même temps furieux, comme en témoigne une remarque adressée à un APPENDICE D Opinions de journalistes et d’analystes de la Défense sur le leadership militaire au Canada 293

294 APPENDICE D PERSPECTIVES DE L’EXTÉRIEUR : correspondant anonyme : « Mon coeur brûle d’indignation à l’idée de cette gestion néfaste de notre noble petite armée, ces hommes d’élite » 11 . Les hommages accordés aux troupes au front se sont mêlés à de l’indignation quand les gens en Angleterre ont appris que les commandants et les politiciens avaient aussi mal dirigé la guerre. Cette combinaison très efficace s’observe encore dans la couverture médiatique des actions militaires et dans les réactions consécutives des citoyens face aux militaires. On peut également discerner un schème répété de réactions médiatiques lorsque la nouvelle d’une quelconque « bévue épouvantable » se répercute d’autres manières au plan culturel. En voici un exemple. Le 3 octobre 1993, une centaine de soldats américains ont tenté de capturer un seigneur de guerre somalien à Mogadishu, mais la mission, qui devait durer 30 minutes, a vite dégénéré : deux hélicoptères de l’armée américaine ont d’abord été abattus, puis la population a profané publiquement les dépouilles de soldats américains; deux membres d’une équipe de tireurs d’élite se sont mérité des médailles d’honneur du Congrès pour leur esprit de sacrifice, et 19 soldats américains ont été tués. La nouvelle a été diffusée tous azimuts et presque instantanément, avec de nombreuses images diffusées à la télévision par câble, et les citoyens américains furieux ont vu la scène en même temps que leurs leaders politiques et militaires, et ont immédiatement réclamé une enquête sur les causes de cet échec retentissant. En 1999, le journaliste Mark Bowden a publié un livre intitulé Black Hawk Down qui a obtenu un franc succès. Les réseaux PBS et History Channel ont tous deux présenté des documentaires sur le sujet, le premier avant, et le second après que le cinéaste récipiendaire d’un Oscar, Ridley Scott, eut réalisé en 2001 un film hollywoodien inspiré de ce livre. En 2003, on pouvait acheter un coffret DVD comprenant le film, les documentaires télévisés et d’autres « suppléments » à visionner chez soi. Une mission en temps de guerre, dans laquelle quelqu’un a commis une erreur, a ainsi évolué à partir des bulletins de nouvelles pour prendre la forme de divers produits commerciaux, au même titre que la charge de la brigade légère au temps de Tennyson. Ce ne sont pas toutes les bévues militaires qui intéressent autant les foules ou qui font courir les médias. Mais tous les cas d’erreurs militaires notables rejoignent beaucoup de lecteurs, font augmenter les cotes d’é- Opinions de journalistes et d’analystes de la Défense sur le leadership militaire au Canada

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APPENDICE D<br />

PERSPECTIVES DE L’EXTÉRIEUR :<br />

correspondant anonyme : « Mon coeur brûle d’indignation à l’idée<br />

de cette gestion néfaste de notre noble petite armée, ces hommes<br />

d’élite » 11 .<br />

Les hommages accordés aux troupes au front se sont mêlés à de<br />

l’indignation quand les gens en Angleterre ont appris que les commandants<br />

et les politiciens avaient aussi mal dirigé la guerre. Cette<br />

combinaison très efficace s’observe encore dans la couverture médiatique<br />

des actions militaires et dans les réactions consécutives des<br />

citoyens face aux militaires. On peut également discerner un schème<br />

répété de réactions médiatiques lorsque la nouvelle d’une quelconque<br />

« bévue épouvantable » se répercute d’autres manières au plan culturel.<br />

En voici un exemple. Le 3 octobre 1993, une centaine de soldats<br />

américains ont tenté de capturer un seigneur de guerre somalien à<br />

Mogadishu, mais la mission, qui devait <strong>du</strong>rer 30 minutes, a vite<br />

dégénéré : deux hélicoptères de l’armée américaine ont d’abord été<br />

abattus, puis la population a profané publiquement les dépouilles de<br />

soldats américains; deux membres d’une équipe de tireurs d’élite se sont<br />

mérité des médailles d’honneur <strong>du</strong> Congrès pour leur esprit de sacrifice,<br />

et 19 soldats américains ont été tués. La nouvelle a été diffusée tous<br />

azimuts et presque instantanément, avec de nombreuses images diffusées<br />

à la télévision par câble, et les citoyens américains furieux ont vu la<br />

scène en même temps que leurs leaders politiques et militaires, et ont<br />

immédiatement réclamé une enquête sur les causes de cet échec<br />

retentissant. En 1999, le journaliste Mark Bowden a publié un livre<br />

intitulé Black Hawk Down qui a obtenu un <strong>fra</strong>nc succès. Les réseaux PBS<br />

et History Channel ont tous deux présenté des documentaires sur le<br />

sujet, le premier avant, et le second après que le cinéaste récipiendaire<br />

d’un Oscar, Ridley Scott, eut réalisé en 2001 un film hollywoodien<br />

inspiré de ce livre. En 2003, on pouvait acheter un coffret DVD comprenant<br />

le film, les documentaires télévisés et d’autres « suppléments »<br />

à visionner chez soi. Une mission en temps de guerre, dans laquelle<br />

quelqu’un a commis une erreur, a ainsi évolué à partir des bulletins de<br />

nouvelles pour prendre la forme de divers pro<strong>du</strong>its commerciaux, au<br />

même titre que la charge de la brigade légère au temps de Tennyson.<br />

Ce ne sont pas toutes les bévues militaires qui intéressent autant les<br />

foules ou qui font courir les médias. Mais tous les cas d’erreurs militaires<br />

notables rejoignent beaucoup de lecteurs, font augmenter les cotes d’é-<br />

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militaire au <strong>Canada</strong>

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