John Maynard Keynes (1931), Essais de persuasion

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25.06.2013 Views

John Maynard Keynes (1931), Essais de persuasion 80 Essayons donc de rédiger les paragraphes qui manquent à ce rapport et de prévoir les conséquences probables d'une réduction du pouvoir d'achat du genre proposé. Pour une part cette réduction du pouvoir d'achat peut avoir pour conséquence une diminution des achats de marchandises étrangères, c'est-à-dire que si on réduit les indemnités des chômeurs, ceux-ci devront serrer leur ceinture d'un cran et manger moins de produits importés. En ce sens se trouvera réalisé un léger progrès. Une part des économies proviendra d'une réduction de l'épargne, c'est-à-dire que si les traitements des professeurs sont réduits, les professeurs feront moins d'économie ou même entameront leurs économies passées s'ils doivent conserver le train de vie auquel ils sont habitués. Mais à côté de cela, les producteurs anglais verront leurs recettes provenant des dépenses des consommateurs (agents de police, professeurs, chômeurs indemnisés, etc.) réduites de mettons £ 70.000.000 par an. Ils ne peuvent supporter ces pertes, sans réduire eux-mêmes leurs frais généraux, ou sans renvoyer certains de leurs employés, ou l'un et l'autre; il leur faudra imiter le Gouvernement, ce qui entraînera les mêmes conséquences et ainsi de suite. Le résultat qui ne peut manquer de se produire, ce sera un accroissement marqué du nombre de chômeurs touchant des indemnités et une diminution de revenus de l'impôt, par suite de la diminution des revenus et des bénéfices. En fait, les conséquences immédiates qu'entraînerait une réduction de la part du Gouvernement de son déficit, seraient diamétralement opposées aux conséquences qui résulteraient de subventions accordées par le Gouvernement aux travaux publics, et que lui fournirait l'emprunt. On ne peut évaluer exactement le montant des chiffres auxquels s'élèverait l'une ou l'autre de ces dépenses, mais ils doivent être à peu près identiques. Plusieurs des recommandations du Comité, en particulier celles ayant trait à la construction d'habitations, de routes, de travaux forestiers, laissent entendre que la théorie même qui préconise des travaux publics pour remédier au chômage est fausse, et ses membres réclament une politique qui s'écarte délibérément de pareils principes. Mais ils ne prennent pas la peine de les examiner de plus près et de les discuter. Je suppose que ce Comité se compose d'hommes si simples que les avantages de ne pas dépenser d'argent leur semblent évidents. Ils sont même peut-être tellement simples qu'ils ne se doutent même pas de l'existence du problème que je viens d'indiquer. Mais ils s'exposent ainsi à heurter de front l'opinion publique. Car ce sont surtout les difficultés pratiques qu'il y a à s'entendre sur un programme raisonnable, qui s'opposent à ce que l'on ait recours, aux travaux publics pour remédier à la crise. Le principe lui-même ne rencontre que peu d'opposition. En proposant d'abandonner les mesures déjà prises pour que les travaux reçoivent un commencement d'exécution, on s'en prend aux principes en même temps qu'à leurs possibilités d'application. Je voudrais, ne serait-ce qu'à titre d'exemple et bien que ce ne puisse être que d'une façon tout approximative, me hasarder à indiquer quelles peuvent être selon moi les conséquences les plus immédiates de la réalisation d'économies de £ 100.000.000 conformes à celles que préconise le Comité. Ce serait : 1° Une augmentation de 250.000 à 400.000 du nombre des chômeurs ;

John Maynard Keynes (1931), Essais de persuasion 81 2° Une diminution de mettons 20.000.000 de livres de l'excès de nos importations sur nos exportations; 3° Une diminution de mettons £ 10.000.000 à 5.000.000 de l'épargne privée; 4° Une diminution de 20.000.000 à 30.000.000 de livres des bénéfices commerciaux; 5° Une diminution de 10.000.000 à 15.000.000 de livres sur, les dépenses privées des hommes d'affaires et de tous ceux qui vivent de bénéfices commerciaux, du fait de la diminution de ces bénéfices; 6° Une diminution de 5.000.000 à 10.000.000 de livres sur la, formation de capitaux servant à financer les travaux importants de reconstruction entrepris par l'industrie privée, du fait de la réduction des bénéfices commerciaux même en tenant compte de facteurs psychologiques favorables tels que la confiance pouvant résulter de l'adoption des projets du Comité; 7° Une réduction nette du déficit gouvernemental qui ne dépasserait pas 50.000.000 de livres du fait que l'économie budgétaire de £ 100.000.000 se trouverait largement amputée par la diminution des recettes de l'impôt et du coût qu'entraînerait l'augmentation du chômage. Les chiffres que j'indique sont bien entendu hypothétiques. Mais (2) + (3) + (4) - (5) – (6) = (7) alors que (7) représente la réduction nette du déficit du Gouvernement. Il y a là une vérité aussi absolue que dans 2 + 2 = 4. Cette donnée n'a rien de discutable si ce n'est le montant proportionnel des différents facteurs de cette équation. Certains pourraient en effet prétendre que le (6) marquerait une augmentation au lieu d'une diminution; et si ce facteur marquait une grosse augmentation – ce qui à mon avis ne se défend pas – cela changerait du tout au tout l'opportunité et la portée de ce projet politique. Actuellement tous les Gouvernements ont de gros déficits. L'emprunt sous une forme ou sous une autre est le remède naturel des Gouvernements, pour éviter que les pertes commerciales, surtout au cours d'une crise aussi sévère, paralysent du fait de leur ampleur complètement la production. Il vaut mieux, sous tous les rapports, que l'emprunt serve à financer des travaux d'outillage national, tant que ceux-ci présentent la moindre utilité, qu'à payer les indemnités de chômage (ou les pensions des retraités). Mais tant que la crise se prolongera dans son ampleur actuelle, c'est le seul choix qui nous reste, et l’on ne peut, pour ainsi dire, pas éviter que le Gouvernement emprunte pour une raison ou une autre (on puise à la Caisse d'amortissement, ce qui revient au même). Car il y a là un cas, heureusement peut-être, où la faiblesse de la nature humaine viendra au secours de l'erreur humaine. Ceci ne veut pas dire qu'il n'y ait point d'autre moyen pour nous de nous aider nous-mêmes. Je n'ai pas à examiner, ici les avantages que peuvent présenter par exemple, un tarif douanier ou la dévalorisation ou un accord national en vue d'une réduction de tous les revenus en argent. Je ne fais qu'analyser les résultats qu'on peut attendre des recommandations du Comité chargé d'étudier des économies possibles en vue de réduire le déficit bud-

<strong>John</strong> <strong>Maynard</strong> <strong>Keynes</strong> (<strong>1931</strong>), <strong>Essais</strong> <strong>de</strong> <strong>persuasion</strong> 80<br />

Essayons donc <strong>de</strong> rédiger les paragraphes qui manquent à ce rapport et <strong>de</strong><br />

prévoir les conséquences probables d'une réduction du pouvoir d'achat du<br />

genre proposé.<br />

Pour une part cette réduction du pouvoir d'achat peut avoir pour conséquence<br />

une diminution <strong>de</strong>s achats <strong>de</strong> marchandises étrangères, c'est-à-dire que<br />

si on réduit les in<strong>de</strong>mnités <strong>de</strong>s chômeurs, ceux-ci <strong>de</strong>vront serrer leur ceinture<br />

d'un cran et manger moins <strong>de</strong> produits importés. En ce sens se trouvera réalisé<br />

un léger progrès. Une part <strong>de</strong>s économies proviendra d'une réduction <strong>de</strong><br />

l'épargne, c'est-à-dire que si les traitements <strong>de</strong>s professeurs sont réduits, les<br />

professeurs feront moins d'économie ou même entameront leurs économies<br />

passées s'ils doivent conserver le train <strong>de</strong> vie auquel ils sont habitués. Mais à<br />

côté <strong>de</strong> cela, les producteurs anglais verront leurs recettes provenant <strong>de</strong>s dépenses<br />

<strong>de</strong>s consommateurs (agents <strong>de</strong> police, professeurs, chômeurs in<strong>de</strong>mnisés,<br />

etc.) réduites <strong>de</strong> mettons £ 70.000.000 par an. Ils ne peuvent supporter<br />

ces pertes, sans réduire eux-mêmes leurs frais généraux, ou sans renvoyer<br />

certains <strong>de</strong> leurs employés, ou l'un et l'autre; il leur faudra imiter le Gouvernement,<br />

ce qui entraînera les mêmes conséquences et ainsi <strong>de</strong> suite.<br />

Le résultat qui ne peut manquer <strong>de</strong> se produire, ce sera un accroissement<br />

marqué du nombre <strong>de</strong> chômeurs touchant <strong>de</strong>s in<strong>de</strong>mnités et une diminution <strong>de</strong><br />

revenus <strong>de</strong> l'impôt, par suite <strong>de</strong> la diminution <strong>de</strong>s revenus et <strong>de</strong>s bénéfices. En<br />

fait, les conséquences immédiates qu'entraînerait une réduction <strong>de</strong> la part du<br />

Gouvernement <strong>de</strong> son déficit, seraient diamétralement opposées aux conséquences<br />

qui résulteraient <strong>de</strong> subventions accordées par le Gouvernement aux<br />

travaux publics, et que lui fournirait l'emprunt. On ne peut évaluer exactement<br />

le montant <strong>de</strong>s chiffres auxquels s'élèverait l'une ou l'autre <strong>de</strong> ces dépenses,<br />

mais ils doivent être à peu près i<strong>de</strong>ntiques. Plusieurs <strong>de</strong>s recommandations du<br />

Comité, en particulier celles ayant trait à la construction d'habitations, <strong>de</strong><br />

routes, <strong>de</strong> travaux forestiers, laissent entendre que la théorie même qui préconise<br />

<strong>de</strong>s travaux publics pour remédier au chômage est fausse, et ses membres<br />

réclament une politique qui s'écarte délibérément <strong>de</strong> pareils principes. Mais ils<br />

ne prennent pas la peine <strong>de</strong> les examiner <strong>de</strong> plus près et <strong>de</strong> les discuter. Je<br />

suppose que ce Comité se compose d'hommes si simples que les avantages <strong>de</strong><br />

ne pas dépenser d'argent leur semblent évi<strong>de</strong>nts. Ils sont même peut-être<br />

tellement simples qu'ils ne se doutent même pas <strong>de</strong> l'existence du problème<br />

que je viens d'indiquer. Mais ils s'exposent ainsi à heurter <strong>de</strong> front l'opinion<br />

publique. Car ce sont surtout les difficultés pratiques qu'il y a à s'entendre sur<br />

un programme raisonnable, qui s'opposent à ce que l'on ait recours, aux travaux<br />

publics pour remédier à la crise. Le principe lui-même ne rencontre que<br />

peu d'opposition. En proposant d'abandonner les mesures déjà prises pour que<br />

les travaux reçoivent un commencement d'exécution, on s'en prend aux<br />

principes en même temps qu'à leurs possibilités d'application.<br />

Je voudrais, ne serait-ce qu'à titre d'exemple et bien que ce ne puisse être<br />

que d'une façon tout approximative, me hasar<strong>de</strong>r à indiquer quelles peuvent<br />

être selon moi les conséquences les plus immédiates <strong>de</strong> la réalisation d'économies<br />

<strong>de</strong> £ 100.000.000 conformes à celles que préconise le Comité. Ce serait :<br />

1° Une augmentation <strong>de</strong> 250.000 à 400.000 du nombre <strong>de</strong>s chômeurs ;

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