John Maynard Keynes (1931), Essais de persuasion

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25.06.2013 Views

John Maynard Keynes (1931), Essais de persuasion 62 volume des crédits, à une période où, du fait du ralentissement des affaires à l'intérieur, on ne pourrait compter sur l'absorption des crédits nouveaux par nos nationaux au taux existant de l'intérêt, cela pourrait arriver. Si le taux de l'intérêt baissait sur le marché, une grosse partie des nouveaux crédits irait à des emprunteurs étrangers, ce qui aurait pour conséquence de démunir d'or la Banque. Il n'est donc pas prudent pour la Banque d'étendre ses crédits avant d'être sûre qu'il y ait des emprunteurs dans le pays, prêts à les absorber au taux existant de l'intérêt. Mais le projet des libéraux répond parfaitement à la situation actuelle. Celle-ci présente les conditions requises pour qu'il n'y ait pas de risque à développer les crédits. Il est naturellement indispensable que la Banque d'Angleterre collabore loyalement au programme gouvernemental d'outillage national et fasse tout son possible pour le faire aboutir. Car, malheureusement, si elle devait pratiquer une politique de déflation, en vue d'arrêter tout développement des crédits bancaires, la Banque d'Angleterre parviendrait facilement à faire échouer les projets les plus soigneusement étudiés et à faire en sorte que les travaux subventionnés par la Trésorerie, le fussent aux dépens d'autres travaux ressortissant de l'industrie privée. Nous acceptons donc le point de vue de Mr. Mc Kenna qui veut qu'une extension de crédits constitue la clef du problème. Mais si nous ne faisions que développer les crédits sans leur assurer un emploi défini à l'intérieur, nous redouterions qu'une trop grande part de ces crédits supplémentaires n'aille à des étrangers et ne nous arrache notre or. Notre conclusion est donc que si un développement du volume des crédits bancaires est vraisemblablement une condition sine qua non d'une reprise de la main-d'œuvre, un programme comportant des placements à l'intérieur qui absorbent l'excédent de ce volume est une condition sine qua non d'une sûre extension des crédits. La troisième source d'où l'on peut tirer les fonds nécessaires à l'application du projet libéral, c'est une réduction du montant net, de nos placements à l’étranger. Une large part de nos économies trouve actuellement un débouché dans les emprunts étrangers. En admettant qu'un vaste projet de développement national ne puisse être uniquement financé par les caisses actuelles de chômage, et par les réserves de capitaux qui actuellement se perdent, en admettant que des emprunts de l'État privent d'autres emprunteurs de ressources qu'ils réclament, pourquoi faut-il admettre que ces autres emprunteurs doivent être des hommes d'affaires anglais ? Le fonctionnement technique du marché des capitaux laisse au contraire supposer qu'il y a infiniment plus de chances, que ce soient des Gouvernements ou des Municipalités du continent ayant bénéficié ces derniers temps sur une large échelle des crédits anglais. C'est le marché des obligations qui serait surtout atteint par un emprunt du Gouvernement anglais. Or la Banque d'Angleterre ne pourrait qu'applaudir, à l'heure actuelle, à son propre point de vue, à tout ce qui contribuerait à réduire le volume des emprunts étrangers. La situation des changes est difficile et précaire; la

John Maynard Keynes (1931), Essais de persuasion 63 récente hausse de l'escompte en est la prouve. Une diminution des emprunts étrangers soulagerait la tension des changes. Songez qu'il y a à peine un ou deux ans, la Banque d'Angleterre, dans ce but, maintenait une demi-interdiction sur les emprunts étrangers. L'interdiction constituait un instrument grossier, susceptible simplement d'application temporaire, et nous ne proposons pas son rétablissement. Mais le besoin auquel répondait cette mesure demeure, même si son caractère s'est atténué. Par rapport à notre balance commerciale peu favorable, nous faisons trop de placements à l'étranger; il y a là un danger qui provient en partie du fait que nous ne trouvons pas chez nous assez de débouchés pour nos réserves de capitaux. Il s'ensuit par conséquent qu'un projet d'outillage national s'il parvenait à faire davantage que de réduire le mouvement de Déflation, servirait surtout à ramener à des travaux d'aménagements intérieurs, des capitaux qui pour l'instant s'en vont à l'étranger, et qu'il y aurait là un résultat des plus favorables aux intérêts de la Banque d'Angleterre. On a objecté que si nous prêtions moins à l'étranger, nos exportations diminueraient. Je ne vois pas de raison pour faire pareille déduction. Comme je viens de le dire, une réduction du montant net de nos placements soulagerait aussitôt l'encaisse or de la Banque d'Angleterre. Et par la suite, elle aurait pour effet essentiel, non de réduire nos exportations, mais d'augmenter nos importations. Car les nouveaux projets d'outillage nécessiteraient l'emploi d'une certaine quantité de matières premières, et d'autre part, ceux qui se trouvent aujourd'hui sans travail consommeraient davantage d'aliments importés, lorsqu'ils toucheraient à nouveau des salaires normaux. Voici donc ce que nous pouvons répondre. Les réserves qui serviraient à faire face aux projets de M. Lloyd George, ne seraient pas détournées du financement d'autres travaux, mais proviendraient en partie des caisses de chômage. Elles seraient tirées de réserves qui actuellement se perdent, faute de trouver des crédits suffisants. Enfin, il faut compter également sur la prospérité même qu'engendrerait l'application de ce projet. Et l'on compléterait l'équilibre en réduisant les prêts à l'étranger. Tout le travail des chômeurs est prêt à accroître la richesse nationale. Ce serait folie de croire que nous nous ruinerons financièrement, en essayant de l'employer et que « Sécurité » d'abord consiste à continuer à laisser des hommes dans l'oisiveté. C'est justement à l'aide de nos ressources productives inemployées, que nous ferons de nouveaux placements. Nous sommes en présence d'une proposition claire, simple, et assurément avantageuse. Quelles que puissent être les difficultés qu'il y ait à trouver de nouveau du travail pour nos chômeurs, on ne saurait prétendre qu'on s'expose ce faisant à priver de ressources d'autres entreprises employant déjà de la main-d'œuvre.

<strong>John</strong> <strong>Maynard</strong> <strong>Keynes</strong> (<strong>1931</strong>), <strong>Essais</strong> <strong>de</strong> <strong>persuasion</strong> 62<br />

volume <strong>de</strong>s crédits, à une pério<strong>de</strong> où, du fait du ralentissement <strong>de</strong>s affaires à<br />

l'intérieur, on ne pourrait compter sur l'absorption <strong>de</strong>s crédits nouveaux par<br />

nos nationaux au taux existant <strong>de</strong> l'intérêt, cela pourrait arriver. Si le taux <strong>de</strong><br />

l'intérêt baissait sur le marché, une grosse partie <strong>de</strong>s nouveaux crédits irait à<br />

<strong>de</strong>s emprunteurs étrangers, ce qui aurait pour conséquence <strong>de</strong> démunir d'or la<br />

Banque. Il n'est donc pas pru<strong>de</strong>nt pour la Banque d'étendre ses crédits avant<br />

d'être sûre qu'il y ait <strong>de</strong>s emprunteurs dans le pays, prêts à les absorber au taux<br />

existant <strong>de</strong> l'intérêt.<br />

Mais le projet <strong>de</strong>s libéraux répond parfaitement à la situation actuelle.<br />

Celle-ci présente les conditions requises pour qu'il n'y ait pas <strong>de</strong> risque à<br />

développer les crédits.<br />

Il est naturellement indispensable que la Banque d'Angleterre collabore<br />

loyalement au programme gouvernemental d'outillage national et fasse tout<br />

son possible pour le faire aboutir. Car, malheureusement, si elle <strong>de</strong>vait pratiquer<br />

une politique <strong>de</strong> déflation, en vue d'arrêter tout développement <strong>de</strong>s crédits<br />

bancaires, la Banque d'Angleterre parviendrait facilement à faire échouer<br />

les projets les plus soigneusement étudiés et à faire en sorte que les travaux<br />

subventionnés par la Trésorerie, le fussent aux dépens d'autres travaux<br />

ressortissant <strong>de</strong> l'industrie privée.<br />

Nous acceptons donc le point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> Mr. Mc Kenna qui veut qu'une<br />

extension <strong>de</strong> crédits constitue la clef du problème. Mais si nous ne faisions<br />

que développer les crédits sans leur assurer un emploi défini à l'intérieur, nous<br />

redouterions qu'une trop gran<strong>de</strong> part <strong>de</strong> ces crédits supplémentaires n'aille à<br />

<strong>de</strong>s étrangers et ne nous arrache notre or. Notre conclusion est donc que si un<br />

développement du volume <strong>de</strong>s crédits bancaires est vraisemblablement une<br />

condition sine qua non d'une reprise <strong>de</strong> la main-d'œuvre, un programme comportant<br />

<strong>de</strong>s placements à l'intérieur qui absorbent l'excé<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> ce volume est<br />

une condition sine qua non d'une sûre extension <strong>de</strong>s crédits.<br />

La troisième source d'où l'on peut tirer les fonds nécessaires à l'application<br />

du projet libéral, c'est une réduction du montant net, <strong>de</strong> nos placements à<br />

l’étranger.<br />

Une large part <strong>de</strong> nos économies trouve actuellement un débouché dans<br />

les emprunts étrangers. En admettant qu'un vaste projet <strong>de</strong> développement<br />

national ne puisse être uniquement financé par les caisses actuelles <strong>de</strong> chômage,<br />

et par les réserves <strong>de</strong> capitaux qui actuellement se per<strong>de</strong>nt, en admettant<br />

que <strong>de</strong>s emprunts <strong>de</strong> l'État privent d'autres emprunteurs <strong>de</strong> ressources qu'ils<br />

réclament, pourquoi faut-il admettre que ces autres emprunteurs doivent être<br />

<strong>de</strong>s hommes d'affaires anglais ? Le fonctionnement technique du marché <strong>de</strong>s<br />

capitaux laisse au contraire supposer qu'il y a infiniment plus <strong>de</strong> chances, que<br />

ce soient <strong>de</strong>s Gouvernements ou <strong>de</strong>s Municipalités du continent ayant bénéficié<br />

ces <strong>de</strong>rniers temps sur une large échelle <strong>de</strong>s crédits anglais. C'est le<br />

marché <strong>de</strong>s obligations qui serait surtout atteint par un emprunt du Gouvernement<br />

anglais.<br />

Or la Banque d'Angleterre ne pourrait qu'applaudir, à l'heure actuelle, à<br />

son propre point <strong>de</strong> vue, à tout ce qui contribuerait à réduire le volume <strong>de</strong>s<br />

emprunts étrangers. La situation <strong>de</strong>s changes est difficile et précaire; la

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