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John Maynard Keynes (1931), Essais de persuasion

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<strong>John</strong> <strong>Maynard</strong> <strong>Keynes</strong> (<strong>1931</strong>), <strong>Essais</strong> <strong>de</strong> <strong>persuasion</strong> 57<br />

été fait. Trois autres arguments d'ordre pratique sont probablement ceux qui<br />

ont entraîné la décision <strong>de</strong> M. Poincaré. Choisir une valeur plus élevée pour le<br />

franc pouvait détruire l'équilibre budgétaire si péniblement réalisé. C'eût été<br />

également gêner les industriels exportateurs – qui savent se servir <strong>de</strong> leur<br />

influence politique. Et, raison plus tangible que toutes les autres – c'eût été<br />

exposer la Banque <strong>de</strong> France à une perte aux changes d'environ £ 300.000.000<br />

sur les valeurs achetées pour le compte du Gouvernement aux taux actuels.<br />

Stabiliser la livre à 100 francs, par exemple, eût pu coûter £ 60.000.000 à la<br />

Banque <strong>de</strong> France, dont une bonne part eût été à <strong>de</strong>s étrangers. Ce sont là <strong>de</strong>s<br />

arguments que M. Poincaré et n'importe quel Français sont capables <strong>de</strong><br />

comprendre.<br />

Ainsi le sort en est jeté. Puisque ainsi disparaît un élément d'incertitu<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>s marchés financiers, et <strong>de</strong>s Bourses du mon<strong>de</strong>, et puisque les importateurs<br />

et les fabricants français n'auront plus dorénavant d'hésitation à avoir, il se<br />

peut que se trouve en partie restauré un pouvoir d'achat qui se trouvait <strong>de</strong>puis<br />

longtemps paralysé. M. Poincaré a donc accompli quelque chose – pour la<br />

première fois, peut-être au cours <strong>de</strong> sa carrière – dont nous pouvons tous nous<br />

réjouir.<br />

Il est intéressant <strong>de</strong> rapprocher les différents <strong>de</strong>stins <strong>de</strong> la France et <strong>de</strong> la<br />

Gran<strong>de</strong>-Bretagne dans la pério<strong>de</strong> d'après-guerre. Les autorités anglaises n'ont<br />

jamais prononcé autant <strong>de</strong> paroles à tort et à travers que leur collègue français<br />

ni transgressé à un tel point les principes financiers les plus sains. Mais la<br />

Gran<strong>de</strong>-Bretagne sort <strong>de</strong> cette pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> transition, avec sa <strong>de</strong>tte <strong>de</strong> guerre<br />

alourdie, ses obligations envers les États-Unis non diminuées et une déflation<br />

financière qui continue à s'accentuer. Elle supporte les impôts qu'entraînent les<br />

premières et le million <strong>de</strong> chômeurs qui sont la conséquence <strong>de</strong> la secon<strong>de</strong>. La<br />

France, au contraire, a réduit sa <strong>de</strong>tte intérieure <strong>de</strong>s quatre cinquièmes et a<br />

obtenu <strong>de</strong> ses Alliés une remise <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> la moitié <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>tte extérieure; et<br />

en ce moment elle évite les sacrifices qu'entraîne la Déflation. Cependant elle<br />

a achevé tout ceci sans perdre quoi que ce soit <strong>de</strong> sa réputation financière et<br />

sans porter atteinte à ses principes capitalistes et conservateurs. La Banque <strong>de</strong><br />

France en sort bien plus forte que la Banque d'Angleterre, et tout le mon<strong>de</strong> a<br />

encore l'impression que la. France constitue la <strong>de</strong>rnière forteresse <strong>de</strong>, l'épargne<br />

laborieuse et <strong>de</strong> la mentalité rentière. Certes, cela ne rapporte point d'être<br />

vertueux.<br />

Peut-être méritons-nous ce qui nous arrive. La France a renoncé à la fois à<br />

ses principes et à tout esprit <strong>de</strong> suite, mais elle s'est toujours refusée à <strong>de</strong>s<br />

sacrifices que l'on pouvait éviter et s'est rangée finalement aux leçons <strong>de</strong><br />

l'expérience. Nous, en Angleterre, n'avons voulu cé<strong>de</strong>r ni aux avertissements<br />

<strong>de</strong> principe ni à la pression <strong>de</strong>s faits, nous contentant d'obéir obstinément aux<br />

conventions et à la tradition.

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