John Maynard Keynes (1931), Essais de persuasion

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25.06.2013 Views

John Maynard Keynes (1931), Essais de persuasion 54 circulation monétaire et le cours du change aux environs de, leur niveau actuel, et de permettre, avec le temps, aux prix intérieurs de s'élever d'une manière correspondante. Qu'est-ce qui explique le niveau actuel si peu élevé des prix en francs ? C'est, je crois : 1° le facteur temps – les prix intérieurs se modifient lentement, mais se modifieront comme il faut avec le temps: 2° la thésaurisation sur une échelle encore plus grande que dans le temps des billets de banque, qui amène un ralentissement de la circulation de la monnaie disponible; 3° un excès de placements à l'étranger effectués par les Français, qu'explique le manque de confiance, et qui ramène les changes au-dessous du taux qui convient aux affaires; et enfin 4° les restrictions légales qui frappent les loyers. On doit pouvoir remédier au facteur 1 uniquement en laissant faire le temps, et aux facteurs 2 et 3 en rétablissant la confiance à l'intérieur. La bonne tactique consiste donc à restaurer d'abord la confiance, puis à attendre. Et le bon moyen de ramener la confiance n'est certes pas de créer des quantités de nouveaux impôts, mais de stabiliser le cours du franc et les changes aux environs du cours actuel, de façon à les mettre à l'abri de toute incertitude et de toute critique. Comment stabiliser le franc et le change ? Ce n'est pas si difficile qu'on le prétend. La balance commerciale de la France est nettement favorable. Le niveau actuel des prix intérieurs aide les exportations et nuit aux importations. La réserve métallique de la Banque de France équivaut (au cours actuel des changes) à près de 40 % de la, circulation en billets. Il suffit donc, je pense, que la Banque de France déclare que pour au moins deux ans, elle est prête à échanger des dollars contre des francs, en quantité illimitée, à des conditions qui n'excèdent pas un taux défini, et que la Banque soit disposée, si c'est utile, à se servir pour cela de son or. Le taux à fixer devra se rapprocher de 25 francs par dollar, ou de 30 francs par dollar, et mieux vaudrait choisir ce dernier chiffre pour commencer, tout en gardant en vue le premier comme but à atteindre 1 . Il suffit qu'on ait confiance dans l'entreprise de la Banque pour qu'elle réussisse. Cette stabilité acquise, vous pouvez emprunter assez pour traverser la période de transition sans avoir à nouveau recours à l'Inflation. Pour le reste, fiez-vous au temps. Au fur et à mesure que s'élèvera le niveau des prix intérieurs et qu'il rejoindra la balance des changes, que s'améliorera la perception des impôts, vos recettes budgétaires augmenteront de mois en mois jusqu'à ce qu'elles suffisent à couvrir les dépenses. Il faudra naturellement élever les droits établis en francs et non ad valorem, « pari passu », au fur et à mesure de la hausse des prix. Il y a deux points sur lesquels il faut que le Gouvernement français fasse preuve d'une volonté de fer – fixer un minimum au cours du franc, même si cela doit lui coûter beaucoup d'or, et percevoir entièrement l'impôt. Ce sont là mesures indispensables. Ce serait faire fausse route, au point où nous en 1 J'avais bien deviné puisque le chiffre exact adopté deux ans plus tard fut celui de 25,5 par dollar.

John Maynard Keynes (1931), Essais de persuasion 55 sommes, et aller au-devant d'un échec, que de tenter des efforts héroïques pour élever le taux des impôts. Quelles sont les objections qu'on pourrait faire à ces propositions ? Elles sont purement d'ordre politique. Une politique qui ne peut réussir qu'en faisant monter les prix, s'expose à l'impopularité générale qui s'attache à la vie chère. Une politique qui consiste à ramener un équilibre entre les prix intérieurs et les prix extérieurs doit porter atteinte aux intérêts des exportateurs qui bénéficient du déséquilibre. Il ne suffit peut-être pas de leur répondre qu'on ne peut de toute façon éviter la première hypothèse, à moins que le contribuable ne veuille se sacrifier entièrement en faveur du rentier, et que la seconde doit se produire tôt ou tard à moins que le franc ne continue éternellement à tomber. Mais il y a des considérations d'ordre politique qui peuvent peser avec un certain poids dans l'autre plateau de la balance. Une hausse, des prix sur les produits agricoles ne déplairait pas aux agriculteurs et aux fermiers qui ont vendu jusqu'à présent leurs produits bien trop bon marché. D'autre part, il faut que le Gouvernement indique que les salaires et les traitements des fonctionnaires ne sauraient être atteints et qu'il fasse adopter, s'il le faut, une loi prévoyant un relèvement automatique des salaires et des traitements tous les trimestres au cours des deux prochaines années, pour répondre à chaque augmentation du coût de la vie. Je vous offre ces réflexions pour ce qu'elles valent. Que vous veuillez bien les prendre en considération ou non, je suis sûr que les questions suivantes sont celles auxquelles il vous faudra répondre : 1° Une hausse du niveau intérieur des prix résoudra-t-elle vos difficultés ? 2° Pouvez-vous les résoudre sans que se produise une hausse des prix ? 3° N'est-il pas impossible, de toute façon, d'éviter à la longue, une hausse de prix? 4° En ce cas, ne vaut-il pas mieux faciliter une hausse régulière, et mettre le facteur temps dans son jeu ? 5° Que vous choisissiez cette voie ou une autre, y a-t-il des objections suffisamment sérieuses qui s'opposent à l'emploi de l'or de la Banque de France pour fixer définitivement le cours du franc? Je demeure votre fidèle serviteur. J. M. KEYNES.

<strong>John</strong> <strong>Maynard</strong> <strong>Keynes</strong> (<strong>1931</strong>), <strong>Essais</strong> <strong>de</strong> <strong>persuasion</strong> 54<br />

circulation monétaire et le cours du change aux environs <strong>de</strong>, leur niveau<br />

actuel, et <strong>de</strong> permettre, avec le temps, aux prix intérieurs <strong>de</strong> s'élever d'une<br />

manière correspondante.<br />

Qu'est-ce qui explique le niveau actuel si peu élevé <strong>de</strong>s prix en francs ?<br />

C'est, je crois : 1° le facteur temps – les prix intérieurs se modifient lentement,<br />

mais se modifieront comme il faut avec le temps: 2° la thésaurisation sur une<br />

échelle encore plus gran<strong>de</strong> que dans le temps <strong>de</strong>s billets <strong>de</strong> banque, qui amène<br />

un ralentissement <strong>de</strong> la circulation <strong>de</strong> la monnaie disponible; 3° un excès <strong>de</strong><br />

placements à l'étranger effectués par les Français, qu'explique le manque <strong>de</strong><br />

confiance, et qui ramène les changes au-<strong>de</strong>ssous du taux qui convient aux<br />

affaires; et enfin 4° les restrictions légales qui frappent les loyers.<br />

On doit pouvoir remédier au facteur 1 uniquement en laissant faire le<br />

temps, et aux facteurs 2 et 3 en rétablissant la confiance à l'intérieur. La bonne<br />

tactique consiste donc à restaurer d'abord la confiance, puis à attendre. Et le<br />

bon moyen <strong>de</strong> ramener la confiance n'est certes pas <strong>de</strong> créer <strong>de</strong>s quantités <strong>de</strong><br />

nouveaux impôts, mais <strong>de</strong> stabiliser le cours du franc et les changes aux<br />

environs du cours actuel, <strong>de</strong> façon à les mettre à l'abri <strong>de</strong> toute incertitu<strong>de</strong> et<br />

<strong>de</strong> toute critique.<br />

Comment stabiliser le franc et le change ? Ce n'est pas si difficile qu'on le<br />

prétend. La balance commerciale <strong>de</strong> la France est nettement favorable. Le<br />

niveau actuel <strong>de</strong>s prix intérieurs ai<strong>de</strong> les exportations et nuit aux importations.<br />

La réserve métallique <strong>de</strong> la Banque <strong>de</strong> France équivaut (au cours actuel <strong>de</strong>s<br />

changes) à près <strong>de</strong> 40 % <strong>de</strong> la, circulation en billets. Il suffit donc, je pense,<br />

que la Banque <strong>de</strong> France déclare que pour au moins <strong>de</strong>ux ans, elle est prête à<br />

échanger <strong>de</strong>s dollars contre <strong>de</strong>s francs, en quantité illimitée, à <strong>de</strong>s conditions<br />

qui n'excè<strong>de</strong>nt pas un taux défini, et que la Banque soit disposée, si c'est utile,<br />

à se servir pour cela <strong>de</strong> son or. Le taux à fixer <strong>de</strong>vra se rapprocher <strong>de</strong> 25<br />

francs par dollar, ou <strong>de</strong> 30 francs par dollar, et mieux vaudrait choisir ce<br />

<strong>de</strong>rnier chiffre pour commencer, tout en gardant en vue le premier comme but<br />

à atteindre 1 .<br />

Il suffit qu'on ait confiance dans l'entreprise <strong>de</strong> la Banque pour qu'elle<br />

réussisse. Cette stabilité acquise, vous pouvez emprunter assez pour traverser<br />

la pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> transition sans avoir à nouveau recours à l'Inflation.<br />

Pour le reste, fiez-vous au temps. Au fur et à mesure que s'élèvera le<br />

niveau <strong>de</strong>s prix intérieurs et qu'il rejoindra la balance <strong>de</strong>s changes, que s'améliorera<br />

la perception <strong>de</strong>s impôts, vos recettes budgétaires augmenteront <strong>de</strong><br />

mois en mois jusqu'à ce qu'elles suffisent à couvrir les dépenses. Il faudra<br />

naturellement élever les droits établis en francs et non ad valorem, « pari<br />

passu », au fur et à mesure <strong>de</strong> la hausse <strong>de</strong>s prix.<br />

Il y a <strong>de</strong>ux points sur lesquels il faut que le Gouvernement français fasse<br />

preuve d'une volonté <strong>de</strong> fer – fixer un minimum au cours du franc, même si<br />

cela doit lui coûter beaucoup d'or, et percevoir entièrement l'impôt. Ce sont là<br />

mesures indispensables. Ce serait faire fausse route, au point où nous en<br />

1 J'avais bien <strong>de</strong>viné puisque le chiffre exact adopté <strong>de</strong>ux ans plus tard fut celui <strong>de</strong> 25,5 par<br />

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