John Maynard Keynes (1931), Essais de persuasion

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25.06.2013 Views

John Maynard Keynes (1931), Essais de persuasion 42 sement de vos emprunts. Retournez chez vous, et consacrez les ressources que je vous laisse à soulager la misère des malheureux. » Ce qu'il y aurait de mieux dans cette petite scène, c'est que la dernière réplique devrait paraître complètement inattendue. Mais le monde est si méchant! ce n'est pas dams les affaires internationales que nous trouverons les satisfactions sentimentales que tous nous aimons tant. Seuls les individus sont bons. Toutes les nations sont malhonnêtes, cruelles et sournoises. Et, tandis que les premiers ministres télégraphieront les phrases qu'auront rédigées leurs secrétaires, pour prouver que l'Amérique vient d'accomplir le geste le plus important de l'histoire du monde et que les Américains sont les plus nobles créatures qu'il soit, les États-Unis ne devront pas espérer recevoir des remerciements sincères et appropriés. 2. - La note Balfour (1925). Retour à la table des matières La note Balfour demande que ce que nous recevrons de l'Allemagne plus ce que nous recevrons de nos Alliés égale nos paiements à l'Amérique. Lorsque la note fut écrite sa portée était encore indéterminée. Nous ignorions quel serait le chiffre que la France aurait ainsi à payer et quelle part des paiements allemands à la France ce chiffre représenterait. Maintenant nous pouvons nous livrer à une estimation approximative de ces deux chiffres. Nos paiements aux États-Unis s'élèvent à environ £ 35.000.000 par an, ne dépassant en aucun cas £ 40.000.000. Le plan Dawes, en pleine application, déduction faite de dépenses antérieures, rapportera environ £ 1000.000.000 par an. La part de la France, s’élèvera environ à £ 54.000.000, celle de l'Italie à £ 10.000.00- (au moins au début) et la nôtre à £ 24.000.000 (je ne fais pas mention ici des autres Alliés, car cela ferait compliquer les calculs, sans en modifier le résultat). Il s'ensuit que la note Balfour demande que la France et l'Italie paient à la Grande-Bretagne une somme de £ 16.000.000 par an. Étant donné que les dettes réunies de ces deux puissances envers nous et envers les États-Unis sont environ pareilles (notre part de la dette italienne étant plus élevée et celle de la dette française envers nous étant inférieure), il nous faut admettre que les États-Unis n'accepteront pas de recevoir moins que nous ne recevons. L'Italie devrait donc consacrer toute sa part de réparation au service de sa dette, et la France une somme de £ 522.000.000. En ce cas les accords sur les dettes et le plan Dawes auraient pour résultats finaux de répartir de la façon suivante les versements de l'Allemagne :

John Maynard Keynes (1931), Essais de persuasion 43 Royaume Uni Néant Italie - France £ 32.000.000 États-Unis 1 £ 58.000.000 On a plus vite fait de décréter des mesures invraisemblables que de les appliquer. Qui peut croire que celles-ci seront jamais appliquées? Mais nous n'en sommes pas encore à mon principal grief envers la note Balfour. Je viens de parler de ce qui arriverait au cas où le plan Dawes recevrait une application parfaite. Au cas où il ne serait suivi que d'une application partielle, selon le principe que pose la note Balfour, il incomberait à la France de combler le déficit vis-à-vis de nous et des États-Unis. Par exemple, si le plan Dawes rapporte seulement la moitié des sommes totales qui sont prévues, ce qui serait déjà au dire des gens les plus compétents, un résultat merveilleux, la France ne toucherait presque rien, et plus de la totalité des paiements de l'Allemagne reviendrait aux États-Unis. La France verrait en fait ses droits reportés à la troisième tranche du plan Dawes, au cas où le plan recevrait une pleine application, et se verrait responsable des paiements allemands au cas où cela irait moins bien. N'est-ce pas faire preuve de bêtise que de penser que les choses puissent se passer ainsi? Il est clair que la France n'acceptera jamais pareil accord. Mais admettons, pour un moment, aussi invraisemblable que cela soit, qu'elle accepte. En ce cas, la Grande-Bretagne et les États-Unis n'auraient plus théoriquement aucun intérêt à l'application et au rendement du plan Dawes. La France deviendrait le seul parti intéressé – intéressé non seulement en tant que créditeur, mais encore en tant que garant, responsable du déficit de ce plan. C'est là une grande objection que soulève la note Balfour. Le caractère même de cette note veut que moins l'Allemagne paiera, plus la France devra payer – c'est-à-dire que moins la France sera en état de payer, plus il lui faudra payer. D'un point de vue diplomatique autant que d'un point de vue financier, tout cela ne tient pas debout. Cela ne nous rapporterait jamais le moindre argent et nous priverait des avantages que nous tirons de notre situation diplomatique d'arbitre entre la France et l'Allemagne. Les Affaires Étrangères auraient vendu leur influence pour un plat de lentilles auquel la trésorerie ne toucherait jamais. La note Balfour ne vaut donc rien en son principe. Il ne peut y avoir d'accord qui joue si ce n'est sur le principe exactement opposé, à savoir, que moins l'Allemagne paiera, moins la France paiera. Le montant des paiements de la France doit varier dans le même sens que celui des paiements allemands, non dans le sens opposé. Tel était le principe de la proposition que je formulais dernièrement, selon laquelle les paiements de la France devaient s'élever à une fraction de ce qu'elle recevrait de l'Allemagne. Il paraîtrait que la France elle-même a formulé le même principe par la bouche de M. Clémentel. J'ai proposé une proportion d'un tiers. L'offre de M. Clémentel 1 En tenant compte de leur part propre.

<strong>John</strong> <strong>Maynard</strong> <strong>Keynes</strong> (<strong>1931</strong>), <strong>Essais</strong> <strong>de</strong> <strong>persuasion</strong> 42<br />

sement <strong>de</strong> vos emprunts. Retournez chez vous, et consacrez les ressources que<br />

je vous laisse à soulager la misère <strong>de</strong>s malheureux. » Ce qu'il y aurait <strong>de</strong><br />

mieux dans cette petite scène, c'est que la <strong>de</strong>rnière réplique <strong>de</strong>vrait paraître<br />

complètement inattendue.<br />

Mais le mon<strong>de</strong> est si méchant! ce n'est pas dams les affaires internationales<br />

que nous trouverons les satisfactions sentimentales que tous nous<br />

aimons tant. Seuls les individus sont bons. Toutes les nations sont malhonnêtes,<br />

cruelles et sournoises. Et, tandis que les premiers ministres télégraphieront<br />

les phrases qu'auront rédigées leurs secrétaires, pour prouver que<br />

l'Amérique vient d'accomplir le geste le plus important <strong>de</strong> l'histoire du mon<strong>de</strong><br />

et que les Américains sont les plus nobles créatures qu'il soit, les États-Unis<br />

ne <strong>de</strong>vront pas espérer recevoir <strong>de</strong>s remerciements sincères et appropriés.<br />

2. - La note Balfour (1925).<br />

Retour à la table <strong>de</strong>s matières<br />

La note Balfour <strong>de</strong>man<strong>de</strong> que ce que nous recevrons <strong>de</strong> l'Allemagne plus<br />

ce que nous recevrons <strong>de</strong> nos Alliés égale nos paiements à l'Amérique.<br />

Lorsque la note fut écrite sa portée était encore indéterminée. Nous ignorions<br />

quel serait le chiffre que la France aurait ainsi à payer et quelle part <strong>de</strong>s<br />

paiements allemands à la France ce chiffre représenterait. Maintenant nous<br />

pouvons nous livrer à une estimation approximative <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux chiffres.<br />

Nos paiements aux États-Unis s'élèvent à environ £ 35.000.000 par an, ne<br />

dépassant en aucun cas £ 40.000.000. Le plan Dawes, en pleine application,<br />

déduction faite <strong>de</strong> dépenses antérieures, rapportera environ £ 1000.000.000<br />

par an. La part <strong>de</strong> la France, s’élèvera environ à £ 54.000.000, celle <strong>de</strong> l'Italie<br />

à £ 10.000.00- (au moins au début) et la nôtre à £ 24.000.000 (je ne fais pas<br />

mention ici <strong>de</strong>s autres Alliés, car cela ferait compliquer les calculs, sans en<br />

modifier le résultat). Il s'ensuit que la note Balfour <strong>de</strong>man<strong>de</strong> que la France et<br />

l'Italie paient à la Gran<strong>de</strong>-Bretagne une somme <strong>de</strong> £ 16.000.000 par an. Étant<br />

donné que les <strong>de</strong>ttes réunies <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux puissances envers nous et envers les<br />

États-Unis sont environ pareilles (notre part <strong>de</strong> la <strong>de</strong>tte italienne étant plus<br />

élevée et celle <strong>de</strong> la <strong>de</strong>tte française envers nous étant inférieure), il nous faut<br />

admettre que les États-Unis n'accepteront pas <strong>de</strong> recevoir moins que nous ne<br />

recevons. L'Italie <strong>de</strong>vrait donc consacrer toute sa part <strong>de</strong> réparation au service<br />

<strong>de</strong> sa <strong>de</strong>tte, et la France une somme <strong>de</strong> £ 522.000.000. En ce cas les accords<br />

sur les <strong>de</strong>ttes et le plan Dawes auraient pour résultats finaux <strong>de</strong> répartir <strong>de</strong> la<br />

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