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John Maynard Keynes (1931), Essais de persuasion

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<strong>John</strong> <strong>Maynard</strong> <strong>Keynes</strong> (<strong>1931</strong>), <strong>Essais</strong> <strong>de</strong> <strong>persuasion</strong> 41<br />

leurs compatriotes qui pensent autrement sont si nombreux qu'une telle<br />

proposition est à présent en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> toute possibilité politique pratique. Ils<br />

pensent donc qu'il est trop tôt pour la discuter. À l'heure actuelle, disent-ils,<br />

l'Amérique doit prétendre qu'elle va <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à être remboursée, et les États<br />

européens doivent affirmer qu'ils vont payer. Somme toute, la question est à<br />

peu près la même que celle qui se posait en Angleterre, en 1921, à propos <strong>de</strong>s<br />

réparations <strong>de</strong> l'Allemagne. Sans aucun doute, mes informateurs ne se trompent<br />

pas au sujet <strong>de</strong> l'opinion publique, cette mystérieuse entité qui doit être la<br />

même chose que la Volonté générale dont parle Rousseau. Néanmoins je<br />

n'attache pas trop d'importance à ce qu'ils me disent. Aux États-Unis l'opinion<br />

publique change quelquefois en bloc.<br />

Si, en effet, l'opinion publique restait invariable, il serait inutile <strong>de</strong> discuter<br />

les questions d'intérêt général. Bien que la tâche principale <strong>de</strong>s politiciens et<br />

<strong>de</strong>s journalistes doive être <strong>de</strong> tenir compte <strong>de</strong> ces caractères temporaires,<br />

l'écrivain est libre <strong>de</strong> s'occuper plutôt <strong>de</strong> ce que l'opinion <strong>de</strong>vrait être. Je répète<br />

ce lieu commun, parce que beaucoup d'Américains expriment l'opinion qu'il<br />

est réellement inconvenant <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s propositions que n'approuve pas l'opinion<br />

publique. En Amérique, on attribue aussitôt quelques causes malhonnêtes<br />

à un acte <strong>de</strong> ce genre et les critiques se manifestent sous la forme d'une<br />

enquête touchant au caractère personnel et aux antécé<strong>de</strong>nts du prévenu.<br />

Malgré cela, examinons un peu plus complètement les sentiments qui<br />

dominent la politique <strong>de</strong>s États-Unis relativement aux <strong>de</strong>ttes européennes.<br />

L'Amérique veut être généreuse vis-à-vis <strong>de</strong> l'Europe, autant parce qu'elle est<br />

animée <strong>de</strong> bons sentiments, que parce qu'elle soupçonne que toute autre<br />

politique détruirait son propre équilibre. Mais, elle ne veut pas « être jouée ».<br />

Elle ne vent pas que l'on puisse dire encore que les vieux politiciens cyniques<br />

<strong>de</strong> l'Europe ont été trop nombreux et trop adroits pour elle. La moisson a été<br />

mauvaise. Les impôts sont écrasants; beaucoup <strong>de</strong> régions <strong>de</strong>s États-Unis ne<br />

se trouvent pas, à l'heure actuelle, assez riches pour favoriser l'abandon <strong>de</strong> cet<br />

actif, à la légère. En outre, les Américains rapprochent, beaucoup plus que<br />

nous ne le faisons d'habitu<strong>de</strong>, ces arrangements entre nations ayant combattu<br />

ensemble, <strong>de</strong>s transactions commerciales ordinaires entre individus. C'est,<br />

disent-ils, comme si une banque, ayant fait à un client en qui elle a confiance<br />

une avarice sans garantie, à un moment où <strong>de</strong>s difficultés lui rendaient cette<br />

avance indispensable, ce client se refusait à la rembourser. Permettre <strong>de</strong><br />

pareilles choses serait porter atteinte aux principes élémentaires <strong>de</strong> l'honneur<br />

commercial.<br />

L'Américain moyen, j'imagine, aimerait voir les nations européennes<br />

s'approcher <strong>de</strong> lui avec dans les yeux un regard ému, dans la main <strong>de</strong> l'argent,<br />

et sur les lèvres, ces mots : « Amérique! nous te <strong>de</strong>vons notre liberté et notre<br />

vie. Nous t'apportons, avec toute notre reconnaissance, <strong>de</strong> l'argent que <strong>de</strong>s<br />

impôts sévères n'ont point arraché à la veuve et à l'orphelin, <strong>de</strong> l'argent que<br />

nous avons économisé, – c'est là le meilleur fruit <strong>de</strong> la victoire, – en abolissant<br />

les armements, le militarisme, l'autocratie, les rivalités internationales, résultat<br />

auquel nous ne sommes parvenus que grâce au concours que tu nous as<br />

donné. » Et alors l'Américain moyen répondrait : « J'honore votre honnêteté,<br />

je n'en attendais pas moins <strong>de</strong> vous. Mais je ne suis pas entré dans la guerre<br />

pour réaliser <strong>de</strong>s bénéfices, ou trouver <strong>de</strong> bons placements pour mes capitaux.<br />

Les mots que vous avez prononcés ont suffi à me payer. J'annule le rembour-

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