John Maynard Keynes (1931), Essais de persuasion

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25.06.2013 Views

John Maynard Keynes (1931), Essais de persuasion 26 Révolution, la lutte finale devant laquelle s'effaceront les horreurs de la dernière guerre et qui détruira, quel que soit le vainqueur, la civilisation et le progrès de notre temps. Même si ce résultat nous trompe, ne devons-nous pas rechercher quelque chose de mieux, penser que la prospérité et le bonheur d'un État créent le bonheur et la prospérité des autres, que la solidarité des hommes n'est pas une fiction et que les nations doivent toujours traiter les autres nations comme leurs semblables? Les modifications que nous avons présentées plus haut pourraient permettre aux populations industrielles de l'Europe de continuer à gagner leur vie. Mais elles ne sont pas suffisantes. La France, en particulier, y perdrait, en principe (en principe seulement, car elle ne pourra jamais obtenir satisfaction de ses réclamations actuelles) et il faut lui trouver d'autres moyens d'échapper à ses difficultés. Par conséquent, nous émettons à présent des propositions relatives au règlement des dettes des Alliés et de l'Amérique entre eux et à la création d'un crédit suffisant pour permettre à l'Europe de rétablir son stock de capital circulant. II. Le règlement des dettes interalliées. Retour à la table des matières Nous avons considéré les clauses du chapitre des réparations, en proposant leur révision, par rapport seulement à l'Allemagne. Mais l'honnêteté exige qu'une telle réduction soit accompagnée d'une réadaptation de la répartition des frais entre les Alliés eux-mêmes. Toutes les déclarations publiques de nos hommes d'État durant la guerre, combinées avec d'autres considérations, demandent incontestablement que les régions dévastées par l'invasion aient le droit, d'être indemnisées les premières. Tandis que c'était là un des objets pour lesquels nous déclarions combattre, le recouvrement des allocations n'a jamais été compris dans nos buts de guerre. Nous proposons, par conséquent, que, par nos actes, nous nous montrions sincères et de bonne foi et que la Grande- Bretagne abandonne toutes ses réclamations relatives à un paiement en argent, en faveur de la Belgique, de la Serbie et de la France. L'intégralité des versements accomplis par l'Allemagne serait donc affectée en premier lieu à la réparation des dommages causés àux nations et aux provinces qui ont souffert de l'invasion ennemie. Nous pensons que la somme de £ 1.500.000.000 ainsi utilisable suffirait à payer complètement les frais réels de la reconstruction. En outre, c'est seulement en mettant de côté ses propres revendications que la Grande-Bretagne peut demander, les mains nettes, la révision du traité, et laver son honneur de la violation de foi dont elle porte la principale responsabilité, par suite de la politique dans laquelle les élections générales de 1918 ont engagé ses représentants. Le problème des Réparations ainsi liquidé, il est possible d'étudier de meilleure grâce et avec de plus grandes chances de succès deux autres propo-

John Maynard Keynes (1931), Essais de persuasion 27 sitions financières qui comportent toutes deux un appel à la générosité des États-Unis. La première tend à l'annulation complète de la dette interalliée (c'est-à-dire de la dette des Gouvernements des Puissances alliées et associées), contractée en vue de la poursuite de la guerre. Cette proposition, déjà exposée dans certains milieux, est une de celles que nous considérons comme essentielles à la prospérité future du monde. Ce serait un acte de prévoyance politique pour le Royaume-Uni et les États-Unis, les deux puissances principalement intéressées, de l'adopter. Les sommes comprises sont approximativement indiquées dans le tableau suivant 1 : Ainsi, le volume total de la dette interalliée, à supposer que les prêts consentis par un allié ne soient pas compensés par les emprunts faits à un autre, se monte à près de 4 milliards de livres sterling. Les États-Unis n'ont été que prêteurs. Le Royaume-Uni a prêté environ deux fois plus qu'il n'a emprunté. La France a emprunté environ trois fois plus qu'elle n'a prêté. Les autres alliés n'ont été qu'emprunteurs. Prêts consentis Par les États-Unis Par le Roayaume- Uni Par la France Total £ £ £ £ Au Royaume-Uni 842.000.000 — — 842.000.000 À la France 550.000.000. 508.000.000 — 1.058.000.000 À l’Italie 325.000.000 467.000.000 35.000.000 827.000.000 À la Russie 38.000.000 568.000.000 160.000.000 766.000.000 À la Belgique 80.000.000 98.000.000 2 90.000.000 268.000.000 À la Serbie et à la Yugo-Slavie 20.000.000 20.000.000 20.000.000 60.000.000 Aux autres alliés 35.000.000 79.000.000 50.000.000 164.000.000 Total 1.900.000.000 1.740.000.000 335.000.000 3.995.000.000 Si toute la dette interalliée était réciproquement annulée, le résultat net sur le papier (c'est-à-dire en supposant que tous ces emprunts soient bons) serait l'abandon par les États-Unis de £ 2 milliards et par le Royaume-Uni de £ 900.000.000 environ. La France gagnerait £ 700.000.000 et l'Italie £ 800.000.000. Mais ces chiffres exagèrent la perte du Royaume-Uni et atténuent le gain de la France, car une large part des prêts consentis par ces pays ont été accordés à la Russie et par nul effort d'imagination ils ne peuvent être considérés comme valables. Si l'on considérait que les prêts faits par le Royaume-Uni à ses alliés, valent 50% de leur valeur entière (c'est une supposition arbitraire mais plausible que le Chancelier de l'Échiquier a considérée plus d'une fois comme aussi bonne qu'une autre en vue du règlement du solde national), l'opération ne causerait ait pays ni gain ni perte. Mais dans quelque sens que se traduise le résultat sur le papier, le soulagement que causerait une 1 Les chiffres figurant dans ce tableau ne sont sans doute pas absolument exacts dans le détail, mais ils suffisent à notre argumentation.

<strong>John</strong> <strong>Maynard</strong> <strong>Keynes</strong> (<strong>1931</strong>), <strong>Essais</strong> <strong>de</strong> <strong>persuasion</strong> 26<br />

Révolution, la lutte finale <strong>de</strong>vant laquelle s'effaceront les horreurs <strong>de</strong> la <strong>de</strong>rnière<br />

guerre et qui détruira, quel que soit le vainqueur, la civilisation et le<br />

progrès <strong>de</strong> notre temps. Même si ce résultat nous trompe, ne <strong>de</strong>vons-nous pas<br />

rechercher quelque chose <strong>de</strong> mieux, penser que la prospérité et le bonheur<br />

d'un État créent le bonheur et la prospérité <strong>de</strong>s autres, que la solidarité <strong>de</strong>s<br />

hommes n'est pas une fiction et que les nations doivent toujours traiter les<br />

autres nations comme leurs semblables?<br />

Les modifications que nous avons présentées plus haut pourraient permettre<br />

aux populations industrielles <strong>de</strong> l'Europe <strong>de</strong> continuer à gagner leur<br />

vie. Mais elles ne sont pas suffisantes. La France, en particulier, y perdrait, en<br />

principe (en principe seulement, car elle ne pourra jamais obtenir satisfaction<br />

<strong>de</strong> ses réclamations actuelles) et il faut lui trouver d'autres moyens d'échapper<br />

à ses difficultés. Par conséquent, nous émettons à présent <strong>de</strong>s propositions<br />

relatives au règlement <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ttes <strong>de</strong>s Alliés et <strong>de</strong> l'Amérique entre eux et à la<br />

création d'un crédit suffisant pour permettre à l'Europe <strong>de</strong> rétablir son stock <strong>de</strong><br />

capital circulant.<br />

II. Le règlement <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ttes interalliées.<br />

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Nous avons considéré les clauses du chapitre <strong>de</strong>s réparations, en proposant<br />

leur révision, par rapport seulement à l'Allemagne. Mais l'honnêteté exige<br />

qu'une telle réduction soit accompagnée d'une réadaptation <strong>de</strong> la répartition<br />

<strong>de</strong>s frais entre les Alliés eux-mêmes. Toutes les déclarations publiques <strong>de</strong> nos<br />

hommes d'État durant la guerre, combinées avec d'autres considérations,<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt incontestablement que les régions dévastées par l'invasion aient le<br />

droit, d'être in<strong>de</strong>mnisées les premières. Tandis que c'était là un <strong>de</strong>s objets pour<br />

lesquels nous déclarions combattre, le recouvrement <strong>de</strong>s allocations n'a jamais<br />

été compris dans nos buts <strong>de</strong> guerre. Nous proposons, par conséquent, que, par<br />

nos actes, nous nous montrions sincères et <strong>de</strong> bonne foi et que la Gran<strong>de</strong>-<br />

Bretagne abandonne toutes ses réclamations relatives à un paiement en argent,<br />

en faveur <strong>de</strong> la Belgique, <strong>de</strong> la Serbie et <strong>de</strong> la France. L'intégralité <strong>de</strong>s versements<br />

accomplis par l'Allemagne serait donc affectée en premier lieu à la<br />

réparation <strong>de</strong>s dommages causés àux nations et aux provinces qui ont souffert<br />

<strong>de</strong> l'invasion ennemie. Nous pensons que la somme <strong>de</strong> £ 1.500.000.000 ainsi<br />

utilisable suffirait à payer complètement les frais réels <strong>de</strong> la reconstruction. En<br />

outre, c'est seulement en mettant <strong>de</strong> côté ses propres revendications que la<br />

Gran<strong>de</strong>-Bretagne peut <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r, les mains nettes, la révision du traité, et<br />

laver son honneur <strong>de</strong> la violation <strong>de</strong> foi dont elle porte la principale responsabilité,<br />

par suite <strong>de</strong> la politique dans laquelle les élections générales <strong>de</strong> 1918<br />

ont engagé ses représentants.<br />

Le problème <strong>de</strong>s Réparations ainsi liquidé, il est possible d'étudier <strong>de</strong><br />

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