John Maynard Keynes (1931), Essais de persuasion

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25.06.2013 Views

John Maynard Keynes (1931), Essais de persuasion 144 chose. Et s'il y a seulement une chance ce qui se passe en Russie acquiert plus d'importance que ce qui se passe (mettons) aux États-Unis d'Amérique. Je crois qu'il est permis jusqu'à certain degré d'avoir peur de ce qui se passe en Russie, comme le font les gentlemen qui écrivent au Times. Mais si la Russie doit jouer un rôle au-dede ses frontières, ce ne sera pas grâce à l'argent de M. Zinovieff. La Russie n'agira jamais sérieusement sur nos destinées, si, ce n'est par sa force morale. Donc, puisque à présent les dés sont jetés et qu'on ne peut revenir en arrière, je voudrais laisser la Russie courir sa chance, l'aider et ne pas lui créer d'obstacles. Car tout compte fait, combien je préfèrerais, si j'étais Russe, mettre mon activité au service de la Russie des Soviets. qu'au service de la Russie des Tsars. Je ne pourrais davantage avoir foi dans le nouveau dogme que dans l'ancien. Je détesterais autant les crimes des nouveaux tyrans que ceux des anciens. Mais j'aurais l'impression de fixer mon regard vers les possibilités futures au lieu de l'en détourner, je me dirais qu'alors qu'il n'y avait rien à tirer de la cruauté et de la bêtise de la vieille Russie, il se peut que sous la cruauté et la bêtise de la Russie nouvelle se cache un atome d'idéal.

IV Considérations politiques II La fin du « laissez-faire » (1926). Retour à la table des matières John Maynard Keynes (1931), Essais de persuasion 145 Débarrassons-nous tout de suite des principes métaphysiques et des principes généraux invoqués par moments pour justifier, le « Laissez-faire ». Il n'est pas vrai que les individus possèdent un droit imprescriptible à une « liberté absolue » dans leur activité économique. Il n'existe aucune convention accordant un privilège éternel à ceux qui possèdent ou à ceux qui acquièrent des biens. Le monde n'est pas ainsi fait, les forces divines qui le mènent ne veillent pas à ce que l’intérêt particulier coïncide toujours avec l'intérêt général. Les forces humaines qui y règnent, n'assurent pas davantage que ces intérêts coïncident toujours en pratique et on ne peut déduire avec raison d'aucun des principes d'économie politique que l'intérêt privé, même lorsqu'il est bien compris, assure toujours l'intérêt général. Pas plus qu'il n'est exact de dire que l'intérêt privé soit généralement bien compris; la plupart du temps les individus qui agissent isolément pour parvenir à leurs propres fins, sont trop ignorants ou trop faibles pour y réussir. Et d'après l'expérience, rien ne prouve que les individus rassemblés en un groupement social, soient toujours moins clairvoyants que lorsqu'ils agissent séparément.

<strong>John</strong> <strong>Maynard</strong> <strong>Keynes</strong> (<strong>1931</strong>), <strong>Essais</strong> <strong>de</strong> <strong>persuasion</strong> 144<br />

chose. Et s'il y a seulement une chance ce qui se passe en Russie acquiert plus<br />

d'importance que ce qui se passe (mettons) aux États-Unis d'Amérique.<br />

Je crois qu'il est permis jusqu'à certain <strong>de</strong>gré d'avoir peur <strong>de</strong> ce qui se<br />

passe en Russie, comme le font les gentlemen qui écrivent au Times. Mais si<br />

la Russie doit jouer un rôle au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> ses frontières, ce ne sera pas grâce à<br />

l'argent <strong>de</strong> M. Zinovieff. La Russie n'agira jamais sérieusement sur nos<br />

<strong>de</strong>stinées, si, ce n'est par sa force morale. Donc, puisque à présent les dés sont<br />

jetés et qu'on ne peut revenir en arrière, je voudrais laisser la Russie courir sa<br />

chance, l'ai<strong>de</strong>r et ne pas lui créer d'obstacles. Car tout compte fait, combien je<br />

préfèrerais, si j'étais Russe, mettre mon activité au service <strong>de</strong> la Russie <strong>de</strong>s<br />

Soviets. qu'au service <strong>de</strong> la Russie <strong>de</strong>s Tsars. Je ne pourrais davantage avoir<br />

foi dans le nouveau dogme que dans l'ancien. Je détesterais autant les crimes<br />

<strong>de</strong>s nouveaux tyrans que ceux <strong>de</strong>s anciens. Mais j'aurais l'impression <strong>de</strong> fixer<br />

mon regard vers les possibilités futures au lieu <strong>de</strong> l'en détourner, je me dirais<br />

qu'alors qu'il n'y avait rien à tirer <strong>de</strong> la cruauté et <strong>de</strong> la bêtise <strong>de</strong> la vieille<br />

Russie, il se peut que sous la cruauté et la bêtise <strong>de</strong> la Russie nouvelle se<br />

cache un atome d'idéal.

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