John Maynard Keynes (1931), Essais de persuasion
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John Maynard Keynes (1931), Essais de persuasion 124 classes. Il semble donc qu'une politique de restriction suffisamment sévère pour être suivie d'effets, soit impraticable. Cependant les reproches adressés au remède expansionniste, instabilité de notre situation au point de vue international, état du budget et manque de confiance, ne peuvent être écartés si facilement. Il y a deux ans, il n'y avait pas lieu de s'inquiéter; aujourd'hui c'est une autre affaire. Il ne serait pas intelligent d'effaroucher les pingouins et de laisser ces froides créatures polaires s'envoler avec leurs œufs d'or loin de nos rivages. Une politique d'expansion suffisamment ferme pour être efficace nous obligerait peut-être à abandonner l'étalonor. De plus, il y a deux ans, le problème était presque entièrement un problème anglais, aujourd'hui il est essentiellement international. Aucun remède intérieur ne peut aujourd'hui suffire à lui tout seul. Un remède international s'impose, et la façon la plus sûre d'écarter une débâcle internationale serait pour la Grande-Bretagne de prendre une initiative. Mais pour que la Grande- Bretagne se mette à la tête du mouvement, il faut qu'elle soit forte et qu'on la croie forte. Il est donc de la plus haute importance de donner confiance au marché de Londres, je ne crois pas que cela soit bien difficile; car la véritable puissance de Londres a été sous-estimée par l'opinion étrangère et nous sommes sur le point d'assister à ce sujet à un brusque revirement de sentiment. C'est pour ces raisons que moi qui étais hostile à un retour à l'étalon-or, et puis malheureusement prétendre que mes prédictions de Cassandre se sont partiellement réalisées, j'estime que nous devrions aujourd'hui défendre de toutes nos forces le change de notre monnaie afin de reprendre – et c'est là l'essentiel – la tête du marché financier mondial. Aucun autre État ne peut en effet prétendre occuper avec autant d'expérience et de sens des affaires publiques ce rôle, si nous nous y présentons à nouveau avec une puissance reconnue et non avec faiblesse. Avant de préconiser une politique d'expansion afin de remédier au chômage, il faut y réfléchir à deux fois. J'y ai réfléchi à deux fois : et voici quelles sont mes conclusions. Je suis d'avis qu'une politique d'expansion, bien que désirable, ne peut être appliquée aujourd'hui avec sécurité, si elle ne s'accompagne pas d'autres mesures qui en neutralisent les dangers. Permettez-moi de vous rappeler en quoi consistent ces dangers. Ils consistent à alourdir d'un nouveau fardeau notre balance commerciale, d'un nouveau fardeau notre Budget et à porter atteinte à la confiance. Si la politique d'expansion se justifiait un jour par un accroissement marqué du taux des bénéfices, et par une reprise de la maind'œuvre, elle finirait par exercer une influence favorable, peut-être même des plus favorables, sur le Budget et la confiance. Mais tels ne seraient pas ses premiers effets. Quelles sont donc les mesures que l'on peut prendre pour neutraliser les dangers que j'ai indiqués? Corriger les graves abus auxquels donnent lieu les indemnités de chômage et écarter actuellement toutes dépenses sociales nouvelles dans le Budget, afin de consacrer toutes les ressources disponibles à une reprise de la main-d'œuvre, cela est fort bien et je ne puis que le conseiller. Mais la principale décision qui selon moi s'impose aujourd'hui à tout sage Chancelier de l'Échiquier, quelles que soient ses idées sur le protectionnisme, est l'introduction d'un sérieux tarif douanier. Il est certain qu'il n'y a pas d'autre
John Maynard Keynes (1931), Essais de persuasion 125 mesure qui puisse, avoir à la fois autant de conséquences immédiates avantageuses et pratiques. Le tarif auquel je songe ne comporterait pas de droits protecteurs distincts mais s'appliquerait à des catégories de marchandises aussi vastes que possible, qu'il frapperait selon un taux uniforme ou peut-être deux taux. Des abattements seraient prévus, pour les matières d'importations rentrant dans la fabrication des exportations; et certaines matières premières. qui figurent pour une large part dans les chiffres de nos exportations, telles que la laine et le coton, seraient exemptées de tout droit. Le revenu des droits devrait s'élever à un minimum de £ 50.000.000 et si possible atteindre £ 75.000.000. On pourrait par exemple appliquer un droit de 15 % sur tout produit manufacturé ou à demi manufacturé sans exemption, et un droit de 5 % sur tous produits alimentaires et sur certaines matières premières, d'autres de celles-ci demeurant exemptes de tout droit 1 . Je prétends que les répercussions de pareils droits sur le coût de la vie, seraient insignifiantes et pas plus sensibles que les fluctuations qui se produisent actuellement d'un mois à l'autre sur le marché. De plus, n'importe quel remède contre le chômage ne peut qu'entraîner une hausse des prix. D'autre part, les répercussions de ce même tarif sur le coût de nos produits d'exportation, si l'on tient compte des abattements calculés sur une base très simple et très large, seraient minimes. Les partis fidèles au libre échange qui se rallieraient à ce plan, devraient s'engager à supprimer ces droits au cas où les prix mondiaux atteindraient à nouveau le niveau de 1929. Comparée à toute autre alternative qui s'offre à nous, pareille mesure a l'avantage d'être la seule qui puisse à la fois soulager notre budget et restaurer la confiance dans les affaires. Je ne pense pas qu'on puisse établir un budget sain et prudemment équilibré aujourd'hui sans avoir recours à un tarif douanier. Mais là n'est pas l'unique avantage. En substituant à des marchandises importées des marchandises fabriquées chez nous, on accroîtra le volume de la main-d'œuvre dans notre pays. En même temps, en favorisant notre balance commerciale, on créera une marge nécessaire pour couvrir les frais qu'occasionnent les importations nouvelles destinées à alimenter une politique d'expansion et les emprunts nouveaux qu'accordera l'Angleterre à des pays débiteurs paralysés. De la sorte, nous restituerons d'une main au reste du monde la puissance d'achat que nous lui enlevons de l'autre, en restreignant nos importations. Certains fanatiques du Libre Échange soutiendront peut-être que l'effet des droits d'importations sur nos exportations, viendra en neutraliser les avantages; mais cela n'est pas vrai. Les Libres Échangistes peuvent sans manquer à leur doctrine, considérer un tarif douanier comme un rideau de fer dont on ne doit se servir qu'en cas de danger. Le danger est venu. À l'abri du répit qui nous serait ainsi accordé et avec les forces financières disponibles, nous pourrions élaborer une politique et un plan à la fois intérieur et international, nous permettant de triompher de l'esprit de restriction et de la peur. 1 Dans un article que j'ai publié par la suite, j'ai reconnu que ces droits ne pourraient rapporter un revenu aussi important que celui que j'indique ci-dessus et que le chiffre de 40.000.000 de livres correspond mieux à la réalité.
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<strong>John</strong> <strong>Maynard</strong> <strong>Keynes</strong> (<strong>1931</strong>), <strong>Essais</strong> <strong>de</strong> <strong>persuasion</strong> 125<br />
mesure qui puisse, avoir à la fois autant <strong>de</strong> conséquences immédiates avantageuses<br />
et pratiques.<br />
Le tarif auquel je songe ne comporterait pas <strong>de</strong> droits protecteurs distincts<br />
mais s'appliquerait à <strong>de</strong>s catégories <strong>de</strong> marchandises aussi vastes que possible,<br />
qu'il frapperait selon un taux uniforme ou peut-être <strong>de</strong>ux taux. Des abattements<br />
seraient prévus, pour les matières d'importations rentrant dans la<br />
fabrication <strong>de</strong>s exportations; et certaines matières premières. qui figurent pour<br />
une large part dans les chiffres <strong>de</strong> nos exportations, telles que la laine et le<br />
coton, seraient exemptées <strong>de</strong> tout droit. Le revenu <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong>vrait s'élever à<br />
un minimum <strong>de</strong> £ 50.000.000 et si possible atteindre £ 75.000.000. On<br />
pourrait par exemple appliquer un droit <strong>de</strong> 15 % sur tout produit manufacturé<br />
ou à <strong>de</strong>mi manufacturé sans exemption, et un droit <strong>de</strong> 5 % sur tous produits<br />
alimentaires et sur certaines matières premières, d'autres <strong>de</strong> celles-ci <strong>de</strong>meurant<br />
exemptes <strong>de</strong> tout droit 1 . Je prétends que les répercussions <strong>de</strong> pareils<br />
droits sur le coût <strong>de</strong> la vie, seraient insignifiantes et pas plus sensibles que les<br />
fluctuations qui se produisent actuellement d'un mois à l'autre sur le marché.<br />
De plus, n'importe quel remè<strong>de</strong> contre le chômage ne peut qu'entraîner une<br />
hausse <strong>de</strong>s prix. D'autre part, les répercussions <strong>de</strong> ce même tarif sur le coût <strong>de</strong><br />
nos produits d'exportation, si l'on tient compte <strong>de</strong>s abattements calculés sur<br />
une base très simple et très large, seraient minimes. Les partis fidèles au libre<br />
échange qui se rallieraient à ce plan, <strong>de</strong>vraient s'engager à supprimer ces<br />
droits au cas où les prix mondiaux atteindraient à nouveau le niveau <strong>de</strong> 1929.<br />
Comparée à toute autre alternative qui s'offre à nous, pareille mesure a<br />
l'avantage d'être la seule qui puisse à la fois soulager notre budget et restaurer<br />
la confiance dans les affaires. Je ne pense pas qu'on puisse établir un budget<br />
sain et pru<strong>de</strong>mment équilibré aujourd'hui sans avoir recours à un tarif douanier.<br />
Mais là n'est pas l'unique avantage. En substituant à <strong>de</strong>s marchandises<br />
importées <strong>de</strong>s marchandises fabriquées chez nous, on accroîtra le volume <strong>de</strong> la<br />
main-d'œuvre dans notre pays. En même temps, en favorisant notre balance<br />
commerciale, on créera une marge nécessaire pour couvrir les frais qu'occasionnent<br />
les importations nouvelles <strong>de</strong>stinées à alimenter une politique<br />
d'expansion et les emprunts nouveaux qu'accor<strong>de</strong>ra l'Angleterre à <strong>de</strong>s pays<br />
débiteurs paralysés. De la sorte, nous restituerons d'une main au reste du<br />
mon<strong>de</strong> la puissance d'achat que nous lui enlevons <strong>de</strong> l'autre, en restreignant<br />
nos importations. Certains fanatiques du Libre Échange soutiendront peut-être<br />
que l'effet <strong>de</strong>s droits d'importations sur nos exportations, viendra en neutraliser<br />
les avantages; mais cela n'est pas vrai.<br />
Les Libres Échangistes peuvent sans manquer à leur doctrine, considérer<br />
un tarif douanier comme un ri<strong>de</strong>au <strong>de</strong> fer dont on ne doit se servir qu'en cas <strong>de</strong><br />
danger. Le danger est venu. À l'abri du répit qui nous serait ainsi accordé et<br />
avec les forces financières disponibles, nous pourrions élaborer une politique<br />
et un plan à la fois intérieur et international, nous permettant <strong>de</strong> triompher <strong>de</strong><br />
l'esprit <strong>de</strong> restriction et <strong>de</strong> la peur.<br />
1 Dans un article que j'ai publié par la suite, j'ai reconnu que ces droits ne pourraient<br />
rapporter un revenu aussi important que celui que j'indique ci-<strong>de</strong>ssus et que le chiffre <strong>de</strong><br />
40.000.000 <strong>de</strong> livres correspond mieux à la réalité.