John Maynard Keynes (1931), Essais de persuasion
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<strong>John</strong> <strong>Maynard</strong> <strong>Keynes</strong> (<strong>1931</strong>), <strong>Essais</strong> <strong>de</strong> <strong>persuasion</strong> 122<br />
travaille dans toute autre partie du mon<strong>de</strong> – tout ceci avec un quart <strong>de</strong> notre<br />
outillage industriel immobilisé et un quart <strong>de</strong> nos ouvriers en chômage ? Ce ne<br />
serait pas seulement un paradoxe mais une impossibilité, si notre capacité <strong>de</strong><br />
produire <strong>de</strong> la richesse n'était pas beaucoup plus considérable qu'auparavant.<br />
Mais l'accroissement <strong>de</strong> cette capacité est un fait. Il tient essentiellement à<br />
trois causes : 1° Le ren<strong>de</strong>ment sans cesse croissant <strong>de</strong> notre industrie dû à <strong>de</strong>s<br />
perfectionnements techniques (j'estime que la production par tête est <strong>de</strong> 10 %,<br />
supérieure à celle <strong>de</strong> 1924 seulement); 2° la part considérable <strong>de</strong>s femmes<br />
dans la production et l'accroissement <strong>de</strong> cette part <strong>de</strong> la population qui est en<br />
état <strong>de</strong> travailler; 3° la baisse <strong>de</strong> nos importations par rapport à nos exportations.<br />
Le résultat, c'est qu'avec les trois quarts <strong>de</strong> notre potentiel industriel,<br />
nous pouvons à présent produire autant <strong>de</strong> richesses que nous le pouvions<br />
avec le tout il y a quelques années. Mais comme nous serions riches, si<br />
seulement nous parvenions à employer les quatre quarts <strong>de</strong> notre potentiel<br />
actuel !<br />
La crise vient donc, non pas d'un manque <strong>de</strong> moyens matériels susceptibles<br />
d'assurer à chacun l'abondance et <strong>de</strong> faciles conditions d'existence, mais<br />
d'une rupture du système et du mécanisme qui comman<strong>de</strong>nt nos ventes et nos<br />
achats réciproques.<br />
Il y a <strong>de</strong>ux attitu<strong>de</strong>s à prendre en présence <strong>de</strong> pareille rupture. Nous<br />
adoptons l'une ou l'autre selon notre tempérament. L'une s'inspire <strong>de</strong> la<br />
volonté <strong>de</strong> maintenir au même niveau les conditions <strong>de</strong> l'existence et cherche<br />
à récupérer les forces inemployées – c'est-à-dire à se développer en faisant<br />
abstraction <strong>de</strong> tout sentiment <strong>de</strong> crainte et même parfois <strong>de</strong> pru<strong>de</strong>nce. L'autre<br />
repose sur une psychologie <strong>de</strong> la peur et se traduit par une tendance à se<br />
restreindre. Jusqu'à quel point est-il sage d'avoir peur?<br />
Nous vivons dans une société où l'activité <strong>de</strong> la production est conditionnée<br />
par les bénéfices normaux qu'escompte l'homme d'affaires, ou tout au<br />
moins par son désir d'éviter toute perte. La marge nécessaire pour l'inciter à<br />
produire ne constitue qu'une toute petite fraction <strong>de</strong> la valeur totale du produit.<br />
Mais qu'elle vienne à disparaître, toute la production s'écroule, C'est cela<br />
malheureusement qui est arrivé. Les prix trop faibles par rapport au coût <strong>de</strong> la<br />
production et l'effet moral désastreux <strong>de</strong> contributions trop élevées a fait<br />
disparaître le stimulant indispensable à toute production. Voilà ce qui est à la<br />
base du désordre actuel. Il est donc peut-être impru<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> tourmenter ou<br />
d'effrayer l'homme d'affaires davantage. Une politique par trop hardie courrait<br />
ce risque. Car raisonnant par fausse analogie en tenant compte <strong>de</strong> ce que la<br />
pru<strong>de</strong>nce comman<strong>de</strong> à un individu qui découvre tout à coup qu'il vit au <strong>de</strong>là<br />
<strong>de</strong> ses moyens, le commerçant, lorsque ses nerfs ont été éprouvés, <strong>de</strong>vient<br />
généralement partisan <strong>de</strong> restrictions nationales qui, à la longue, ne peuvent<br />
s'exercer qu'à son désavantage et à ses dépens.<br />
Il y encore une raison <strong>de</strong> s'alarmer. Nous souffrons d'une instabilité internationale.<br />
Nos exportations sont manifestement ralenties, et ne peuvent lutter<br />
que plus difficilement avec la concurrence, du fait du niveau trop élevé du<br />
prix <strong>de</strong> la vie. Tandis que l'absence <strong>de</strong> bénéfices suffisants sur le marché intérieur,<br />
incite le spéculateur, à placer son argent à l'étranger, les impôts élevés<br />
viennent renforcer cette tendance néfaste. Par-<strong>de</strong>ssus tout, la difficulté<br />
qu'éprouvent les autres pays créanciers à accor<strong>de</strong>r <strong>de</strong> nouveaux prêts (source