John Maynard Keynes (1931), Essais de persuasion

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25.06.2013 Views

John Maynard Keynes (1931), Essais de persuasion 118 de prix aux États-Unis. Cette hausse ne s'est pas encore produite 1 . Et la politique de la Banque d'Angleterre tend davantage à amener une stabilisation qu'une hausse des prix actuels aux États-Unis. Le fait que les Banques américaines peuvent placer leurs réserves à Londres à un taux d'intérêt élevé, tend à maintenir à New-York l'intérêt de l'argent plus haut qu'il ne serait autrement, et à attirer vers Londres au lieu de New-York le surplus d'or disponible sur les marchés mondiaux. Ainsi notre politique a-t-elle permis à New-York de se dégager de la pression de l'argent trop bon marché, et d'une abondance d'or qui eût autrement provoqué une hausse des prix. La différence insolite du taux de l'argent à Londres et New-York s'oppose même à ce que l'étalon-or joue conformément aux principes. La doctrine orthodoxe veut que si les prix sont trop élevés à A par rapport à B, l'or se précipite de A à B, provoquant ainsi une baisse des prix en A et une hausse en B, de sorte que la marche ascendante des prix de B, se rencontre à mi-chemin avec la marche descendante des prix de A. Pour, le moment la politique de la Banque d'Angleterre empêche ce phénomène de se produire. Je propose donc qu'elle adopte la politique contraire, qu'elle réduise le taux de l'escompte et cesse de restreindre les crédits. Si alors, la « mauvaise » monnaie américaine qui constitue actuellement une menace pour le marché de Londres se remet à affluer, remboursons-la en or, ou s'il le faut, en nous servant des crédits en dollars dont disposent à New-York la Trésorerie et la Banque d'Angleterre. Il vaudrait mieux payer en or parce que cela reviendrait meilleur marché et parce qu'un afflux d'or véritable agirait davantage sur le niveau des prix en Amérique. Si nous écartions les règles qui, en l'état actuel, condamnent à l'inutilité les trois quarts de nos réserves d'or, nous pourrions, en toute sérénité, laisser partir ailleurs £ 60.000.000 ou 70.000.000 de livres d'or qui auraient une action notable sur la situation. Cela ne rime à rien de payer un intérêt de 4 1/2 % sur de l'argent américain qu'on peut nous reprendre d'un moment à l'autre, afin d'employer cet argent à acheter et à retenir de l'or immobilisé et improductif. L'or ne pourrait s'écouler de la sorte que si la Banque d'Angleterre renonçait en même temps à ses restrictions de crédit et remplaçait le métal par quelque autre garantie – par exemple des Bons du Trésor. Il faudrait donc que la Banque renonce à provoquer « les ajustements fondamentaux » au moyen d'une pression économique et d'un accroissement prémédité du chômage. On peut reprocher à cette politique de trop spéculer sur la hausse éventuelle des prix en Amérique. Donc si l’on veut faire mieux, je propose que Mr. Baldwin traite franchement et sincèrement avec les chefs des Trade Union sur les bases suivantes. Tant que les membres du Gouvernement actuel continueront à prétendre que la tendance actuelle à réduire les salaires n'a rien à voir avec la valeur de la monnaie, il est naturel que la classe ouvrière la considère comme une atteinte qu'on veut porter à ses salaires effectifs. S'il est vrai, comme le soutient le 1 À mon avis, il ne faut pas encore abandonner pareille hypothèse, la tendance des prix en Amérique indique une hausse plutôt qu'une baisse, et il suffirait d'une allumette pour mettre le feu aux possibilités d'inflation qui sommeillent aux États-Unis. En cette possibilité résident encore les meilleures raisons de ne pas être trop pessimiste.

John Maynard Keynes (1931), Essais de persuasion 119 Chancelier de l'Échiquier, que sa politique monétaire n'intervient pas plus en cette histoire que le Gulf Stream, alors il faut bien voir dans le mouvement actuel en faveur d'une réduction des salaires, une atteinte aux conditions d'existence de la classe ouvrière. Ce n'est qu'après avoir admis les faits que j'ai indiqués plus haut que le Gouvernement pourra inviter les représentants des Trade Union à collaborer avec lui sur des bases logiques et équitables. Dès que le Gouvernement admet qu'il s'agit avant tout d'un problème monétaire, il peut dire aux travailleurs : « Il n'est pas question de porter atteinte aux salaires effectifs. Nous avons augmenté de 10% la valeur de la livre. Il faut-donc que le montant des salaires baisse de 10 %. Mais il faut aussi, lorsque leur ajustement se sera fait, que le coût de la vie baisse de 10 1%. »En ce cas, il n'y aura pas eu de diminution à proprement parler de salaires effectifs. Il y a deux moyens d'assurer une baisse du montant des salaires, l'un est d'avoir recours à la pression des faits économiques et d'accroître le chômage en restreignant les crédits jusqu'à ce que les salaires se trouvent diminués de force. C'est là une méthode détestable et désastreuse parce qu'elle aura des répercussions inégales sur les différents groupes de la production, selon qu'ils seront faibles ou puissants, et parce que son application comporte de nombreuses pertes économiques et sociales. L'autre moyen est de pratiquer, grâce à un accord, une réduction uniforme des salaires, étant entendu que pareille mesure ne doit pas constituer à la longue une diminution effective des salaires par rapport au montant de ceux-ci pendant le premier trimestre de cette année, La difficulté en pratique provient de ce que les salaires et les prix de la vie sont interdépendants. Le coût de la vie ne peut baisser qu'après qu'aura baissé le montant des salaires. Il faut que le montant des salaires baisse le premier pour permettre au coût de la vie de baisser. Ne pouvonsnous donc nous entendre pour appliquer une réduction uniforme des salaires pour tous les emplois y compris les fonctions gouvernementales et municipales, de mettons 5 %, qui ne sera maintenue qu'à condition de se trouver compensée au bout d'un certain laps de temps, par une diminution équivalente du coût de la vie. Si Mr. Baldwin leur faisait une proposition de ce genre, les représentants des Trade Union lui demanderaient probablement ce qu'il compte faire en ce qui concerne les revenus autres que les salaires : loyers, bénéfices et intérêts. En ce qui concerne les loyers et les bénéfices, il pourrait répondre que ceux-ci ne représentent pas des sommes fixes d'argent et diminueront donc de chiffres en suivant la courbe des prix. Le plus gênant, dans cette réponse, c'est que les loyers et les bénéfices sont comme les salaires, bien accrochés, et ne baisseront peut-être pas assez vite pour apporter un concours efficace au mouvement de transition, En ce qui concerne les intérêts des bons et des actions, et en particulier les intérêts de la dette nationale, il ne pourra rien répondre. Car un des caractères inhérents à toute politique destinée à amener une baisse des prix, est de favoriser les porteurs de rente et d'intérêts, aux dépens du reste de la communauté ; ce résultat de la Déflation fait partie intégrante de notre système de placement. Je ne vois donc pas sur ce point quelle satisfaction donner aux travailleurs à moins d'avoir recours à l'expédient suivant, un peu grossier : percevoir 1 s. par livre d'impôt supplémentaire sur le revenu pour tout revenu provenant d'une autre source que d'un emploi, mesure qu'on

<strong>John</strong> <strong>Maynard</strong> <strong>Keynes</strong> (<strong>1931</strong>), <strong>Essais</strong> <strong>de</strong> <strong>persuasion</strong> 119<br />

Chancelier <strong>de</strong> l'Échiquier, que sa politique monétaire n'intervient pas plus en<br />

cette histoire que le Gulf Stream, alors il faut bien voir dans le mouvement<br />

actuel en faveur d'une réduction <strong>de</strong>s salaires, une atteinte aux conditions<br />

d'existence <strong>de</strong> la classe ouvrière. Ce n'est qu'après avoir admis les faits que j'ai<br />

indiqués plus haut que le Gouvernement pourra inviter les représentants <strong>de</strong>s<br />

Tra<strong>de</strong> Union à collaborer avec lui sur <strong>de</strong>s bases logiques et équitables.<br />

Dès que le Gouvernement admet qu'il s'agit avant tout d'un problème<br />

monétaire, il peut dire aux travailleurs : « Il n'est pas question <strong>de</strong> porter atteinte<br />

aux salaires effectifs. Nous avons augmenté <strong>de</strong> 10% la valeur <strong>de</strong> la livre. Il<br />

faut-donc que le montant <strong>de</strong>s salaires baisse <strong>de</strong> 10 %. Mais il faut aussi,<br />

lorsque leur ajustement se sera fait, que le coût <strong>de</strong> la vie baisse <strong>de</strong> 10 1%. »En<br />

ce cas, il n'y aura pas eu <strong>de</strong> diminution à proprement parler <strong>de</strong> salaires<br />

effectifs. Il y a <strong>de</strong>ux moyens d'assurer une baisse du montant <strong>de</strong>s salaires, l'un<br />

est d'avoir recours à la pression <strong>de</strong>s faits économiques et d'accroître le<br />

chômage en restreignant les crédits jusqu'à ce que les salaires se trouvent<br />

diminués <strong>de</strong> force. C'est là une métho<strong>de</strong> détestable et désastreuse parce qu'elle<br />

aura <strong>de</strong>s répercussions inégales sur les différents groupes <strong>de</strong> la production,<br />

selon qu'ils seront faibles ou puissants, et parce que son application comporte<br />

<strong>de</strong> nombreuses pertes économiques et sociales. L'autre moyen est <strong>de</strong> pratiquer,<br />

grâce à un accord, une réduction uniforme <strong>de</strong>s salaires, étant entendu que<br />

pareille mesure ne doit pas constituer à la longue une diminution effective <strong>de</strong>s<br />

salaires par rapport au montant <strong>de</strong> ceux-ci pendant le premier trimestre <strong>de</strong><br />

cette année, La difficulté en pratique provient <strong>de</strong> ce que les salaires et les prix<br />

<strong>de</strong> la vie sont interdépendants. Le coût <strong>de</strong> la vie ne peut baisser qu'après<br />

qu'aura baissé le montant <strong>de</strong>s salaires. Il faut que le montant <strong>de</strong>s salaires<br />

baisse le premier pour permettre au coût <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong> baisser. Ne pouvonsnous<br />

donc nous entendre pour appliquer une réduction uniforme <strong>de</strong>s salaires<br />

pour tous les emplois y compris les fonctions gouvernementales et municipales,<br />

<strong>de</strong> mettons 5 %, qui ne sera maintenue qu'à condition <strong>de</strong> se trouver<br />

compensée au bout d'un certain laps <strong>de</strong> temps, par une diminution équivalente<br />

du coût <strong>de</strong> la vie.<br />

Si Mr. Baldwin leur faisait une proposition <strong>de</strong> ce genre, les représentants<br />

<strong>de</strong>s Tra<strong>de</strong> Union lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>raient probablement ce qu'il compte faire en ce<br />

qui concerne les revenus autres que les salaires : loyers, bénéfices et intérêts.<br />

En ce qui concerne les loyers et les bénéfices, il pourrait répondre que ceux-ci<br />

ne représentent pas <strong>de</strong>s sommes fixes d'argent et diminueront donc <strong>de</strong> chiffres<br />

en suivant la courbe <strong>de</strong>s prix. Le plus gênant, dans cette réponse, c'est que les<br />

loyers et les bénéfices sont comme les salaires, bien accrochés, et ne baisseront<br />

peut-être pas assez vite pour apporter un concours efficace au mouvement<br />

<strong>de</strong> transition, En ce qui concerne les intérêts <strong>de</strong>s bons et <strong>de</strong>s actions, et en<br />

particulier les intérêts <strong>de</strong> la <strong>de</strong>tte nationale, il ne pourra rien répondre. Car un<br />

<strong>de</strong>s caractères inhérents à toute politique <strong>de</strong>stinée à amener une baisse <strong>de</strong>s<br />

prix, est <strong>de</strong> favoriser les porteurs <strong>de</strong> rente et d'intérêts, aux dépens du reste <strong>de</strong><br />

la communauté ; ce résultat <strong>de</strong> la Déflation fait partie intégrante <strong>de</strong> notre<br />

système <strong>de</strong> placement. Je ne vois donc pas sur ce point quelle satisfaction<br />

donner aux travailleurs à moins d'avoir recours à l'expédient suivant, un peu<br />

grossier : percevoir 1 s. par livre d'impôt supplémentaire sur le revenu pour<br />

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