John Maynard Keynes (1931), Essais de persuasion

John Maynard Keynes (1931), Essais de persuasion John Maynard Keynes (1931), Essais de persuasion

25.06.2013 Views

John Maynard Keynes (1931), Essais de persuasion 116 première mais non la dernière – à moins que nous ne soyons très fortunés – des conséquences économiques de la politique de Mr. Churchill. La vérité, c'est que nous nous trouvons partagés entre deux théories économiques. La première veut que le montant des salaires soit fixé en tenant compte d'un principe de justice et de convenance pour chaque classe. L'autre, celle du Moloch économique, que le montant des salaires soit fixé par une dépression économique, également appelée « nécessité » et que notre lourde machine poursuive sa route, en ne se préoccupant que de son équilibre, sans tenir compte des accidents qui peuvent survenir en cours de route pour chaque groupe particulier. L'étalon-or, tel qu'il est, s'abandonnant au hasard, confiant en un ajustement automatique, et indifférent à toutes les contingences sociales, est le pur emblème et l'idole de ceux qui se trouvent tout en haut au volant de la machine. J'estime qu'ils font preuve d'une extrême imprudence en se montrant négligents, vaguement optimistes et convaincus à bon compte qu'il n'arrivera jamais rien de vraiment grave. Neuf fois sur dix, il ne se produira rien de très grave, rien qu'un peu de misère pour certains individus et certains groupes. Mais nous nous exposons à un risque la dixième fois (et faisons en plus preuve de bêtise) en continuant à appliquer des principes d'économie politique faits pour jouer dans une atmosphère de laissez-faire et de libre concurrence à une société qui s'en écarte plus sensiblement tous les jours. 3. – Y a-t-il un remède ? Retour à la table des matières La politique monétaire inaugurée. par le Budget (de 1925) étant à l'origine de tous nos maux, l'on ne peut préconiser de remèdes vraiment satisfaisants en dehors de l'abandon de pareille politique. Néanmoins parmi les alternatives qui s'offrent encore au Gouvernement, il en existe de meilleures que d'autres. L'une consiste à poursuivre avec vigueur cette politique qu'on dénomme « saine » afin d'obtenir les « ajustements fondamentaux » grâce à la méthode orthodoxe : restriction de crédits, élévation du taux de la Banque s'il le faut, en automne prochain, entraînant un accroissement de chômage, emploi de tout autre instrument dont nous disposons pour réduire le montant des salaires, tout cela dans l'espoir. ferme que le cycle parcouru, le coût de la vie aura baissé également, et rendu en fait aux salaires moyens leur valeur primitive. Si l'on peut appliquer strictement ce plan, il peut comporter quelques résultats, mais il donnera naissance à de nombreuses injustices du fait des répercussions inégales sur les différents groupes : les plus puissants s'enrichissant aux dépens des plus faibles. Car la. pression économique, se faisant davantage sentir, dans les industries les plus faibles, où les salaires sont déjà relativement

John Maynard Keynes (1931), Essais de persuasion 117 bas, tend à accentuer les écarts existant entre le montant des salaires des différentes branches d'industrie. Il reste à savoir jusqu'à quel point l'opinion publique tolérera ce plan. Il y aurait impossibilité. politique pour le Gouvernement à admettre qu'il recherche de propos délibéré à accroître le chômage. Et cela quand bien même les membres de la Commission Monétaire lui fourniraient des arguments sur ce point. Par contre, il peut arriver que la Déflation produise son effet sans qu'on s'en aperçoive. La Déflation, une fois arrêtée, se développe selon un rythme progressif. Si un pessimisme général s'abat sur le marché des affaires, le ralentissement de la circulation monétaire, qui doit s'ensuivre, peut mener très loin sur le chemin de la Déflation, sans que la Banque ait à élever le taux de l'escompte ou à réduire ses dépôts. Et étant donné que le public aperçoit toujours mieux les causes particulières que la cause générale, il attribuera la dépression aux conflits industriels qui ne peuvent manquer de l'accompagner, au plan Dawes, à la Chine, aux conséquences inévitables de la guerre, aux barrières douanières, aux impôts trop élevés, à tout sauf à la politique monétaire qui aura tout déclenché. D'autre part, le Gouvernement peut très bien ne pas poursuivre sa politique trop ouvertement. Une furtive restriction de crédits pratiquée par la Banque d'Angleterre peut s'accompagner de vagues commentaires de Mr. Baldwin (qui a pris dans nos cœurs la place qu'occupait autrefois la reine Victoria) sur l'opportunité d'accorder à la bienfaisance sociale toute une série illogique de subsides, qui viendraient neutraliser l'action de la Banque. Le bon cœur de la reine Baldwin veillera à apaiser nos colères pendant que la vraie pièce se jouera dans les coulisses, Mais la situation budgétaire ne permettra pas des subsides suffisamment importants pour atténuer les choses d'une façon sensible. Et finalement, à moins qu'entre temps ne se produise un soulèvement social, nous en arriverons aux « ajustements fondamentaux ». Il y a peut-être des gens qui envisagent ce projet avec sérénité. Pas moi. Il comporte dans son application de grosses pertes de revenus sociaux et laissera subsister, une fois achevé, de grosses injustices sociales. Le mieux, et à vrai dire la seule chose qu'on puisse espérer, dans un monde où il est si difficile de prévoir, c'est qu'il arrive quelque chose d'inattendu – et ceci m'amène à la seconde alternative : Ne pouvons-nous faciliter l'avènement de ce quelque chose d'inattendu ? Il y a tout juste deux éléments de la situation qui peuvent tourner en notre faveur : l'un est d'ordre financier – si la valeur de l'or diminuait à l'extérieur, nous n'aurions plus besoin de modifier d'une façon sérieuse le niveau de nos salaires. Le second est d'ordre industriel – si le coût de la vie baissait le premier, nous pourrions en toute liberté de conscience exiger des travailleurs qu'ils acceptent un chiffre de salaires plus bas, étant donné qu'il serait alors clair qu'une telle réduction ne ferait pas partie d'un plan destiné à réduire les salaires effectifs. Lors de l'annonce d'un retour à l'étalon-or, de nombreuses personnalités compétentes furent d'accord pour estimer que nous spéculions sur une hausse

<strong>John</strong> <strong>Maynard</strong> <strong>Keynes</strong> (<strong>1931</strong>), <strong>Essais</strong> <strong>de</strong> <strong>persuasion</strong> 117<br />

bas, tend à accentuer les écarts existant entre le montant <strong>de</strong>s salaires <strong>de</strong>s<br />

différentes branches d'industrie.<br />

Il reste à savoir jusqu'à quel point l'opinion publique tolérera ce plan. Il y<br />

aurait impossibilité. politique pour le Gouvernement à admettre qu'il recherche<br />

<strong>de</strong> propos délibéré à accroître le chômage. Et cela quand bien même les<br />

membres <strong>de</strong> la Commission Monétaire lui fourniraient <strong>de</strong>s arguments sur ce<br />

point. Par contre, il peut arriver que la Déflation produise son effet sans qu'on<br />

s'en aperçoive. La Déflation, une fois arrêtée, se développe selon un rythme<br />

progressif. Si un pessimisme général s'abat sur le marché <strong>de</strong>s affaires, le<br />

ralentissement <strong>de</strong> la circulation monétaire, qui doit s'ensuivre, peut mener très<br />

loin sur le chemin <strong>de</strong> la Déflation, sans que la Banque ait à élever le taux <strong>de</strong><br />

l'escompte ou à réduire ses dépôts. Et étant donné que le public aperçoit<br />

toujours mieux les causes particulières que la cause générale, il attribuera la<br />

dépression aux conflits industriels qui ne peuvent manquer <strong>de</strong> l'accompagner,<br />

au plan Dawes, à la Chine, aux conséquences inévitables <strong>de</strong> la guerre, aux<br />

barrières douanières, aux impôts trop élevés, à tout sauf à la politique<br />

monétaire qui aura tout déclenché.<br />

D'autre part, le Gouvernement peut très bien ne pas poursuivre sa politique<br />

trop ouvertement. Une furtive restriction <strong>de</strong> crédits pratiquée par la Banque<br />

d'Angleterre peut s'accompagner <strong>de</strong> vagues commentaires <strong>de</strong> Mr. Baldwin<br />

(qui a pris dans nos cœurs la place qu'occupait autrefois la reine Victoria) sur<br />

l'opportunité d'accor<strong>de</strong>r à la bienfaisance sociale toute une série illogique <strong>de</strong><br />

subsi<strong>de</strong>s, qui viendraient neutraliser l'action <strong>de</strong> la Banque. Le bon cœur <strong>de</strong> la<br />

reine Baldwin veillera à apaiser nos colères pendant que la vraie pièce se<br />

jouera dans les coulisses, Mais la situation budgétaire ne permettra pas <strong>de</strong>s<br />

subsi<strong>de</strong>s suffisamment importants pour atténuer les choses d'une façon<br />

sensible. Et finalement, à moins qu'entre temps ne se produise un soulèvement<br />

social, nous en arriverons aux « ajustements fondamentaux ».<br />

Il y a peut-être <strong>de</strong>s gens qui envisagent ce projet avec sérénité. Pas moi. Il<br />

comporte dans son application <strong>de</strong> grosses pertes <strong>de</strong> revenus sociaux et laissera<br />

subsister, une fois achevé, <strong>de</strong> grosses injustices sociales. Le mieux, et à vrai<br />

dire la seule chose qu'on puisse espérer, dans un mon<strong>de</strong> où il est si difficile <strong>de</strong><br />

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secon<strong>de</strong> alternative : Ne pouvons-nous faciliter l'avènement <strong>de</strong> ce quelque<br />

chose d'inattendu ?<br />

Il y a tout juste <strong>de</strong>ux éléments <strong>de</strong> la situation qui peuvent tourner en notre<br />

faveur : l'un est d'ordre financier – si la valeur <strong>de</strong> l'or diminuait à l'extérieur,<br />

nous n'aurions plus besoin <strong>de</strong> modifier d'une façon sérieuse le niveau <strong>de</strong> nos<br />

salaires. Le second est d'ordre industriel – si le coût <strong>de</strong> la vie baissait le<br />

premier, nous pourrions en toute liberté <strong>de</strong> conscience exiger <strong>de</strong>s travailleurs<br />

qu'ils acceptent un chiffre <strong>de</strong> salaires plus bas, étant donné qu'il serait alors<br />

clair qu'une telle réduction ne ferait pas partie d'un plan <strong>de</strong>stiné à réduire les<br />

salaires effectifs.<br />

Lors <strong>de</strong> l'annonce d'un retour à l'étalon-or, <strong>de</strong> nombreuses personnalités<br />

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