John Maynard Keynes (1931), Essais de persuasion
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John Maynard Keynes (1931), Essais de persuasion 110 Ses experts commirent, à mon avis, deux fautes sérieuses. Tout d'abord je soupçonne qu'ils méconnurent à quel point les valeurs de la monnaie se trouveraient affectées par le retour de la livre à sa parité or d'avant-guerre parce qu'ils considérèrent des indices des prix qui n'étaient pas ceux qu'il fallait retenir. Si vous voulez savoir si les prix en sterling peuvent s'adapter à une amélioration du change, il est vain de se reporter, par exemple, au prix du coton brut à Liverpool. Il faut que celui-ci suive les mouvements des changes car dans le cas d'une matière brute, la parité avec les valeurs internationales s'établit pour ainsi dire d'heure en heure. Mais il n'est pas raisonnable de déduire de ceci que le montant des salaires des dockers ou des femmes de ménage, et le coût des transports par chemin de fer ou par la poste s'adapte également d'heure en heure aux échanges internationaux. Pourtant, c'est, je pense, ce qu'a dû faire la Trésorerie. Ses experts ont comparé les indices généraux des prix de gros dans ce pays et en Amérique. Or les matières premières qui font l'objet d'un commerce international et dont les prix s'adaptent forcément aux changes rentrent pour une part de 2/3 dans le calcul de cet index ; nos experts ont donc évalué à une partie seulement de sa valeur réelle la disparité des prix intérieurs. Ce qui les a conduits à croire que la brèche à combler était de 2 ou 3 % au lieu de 10 à 12 %, chiffre qui ressort des index du coût de la vie, du niveau des salaires, et du prix de nos objets d'exportation manufacturés, index qui représentent des guides plus précieux et plus certains en cette matière surtout s'ils concordent ensemble, que l'index des prix de gros. Mais je crois de plus que les experts de M. Churchill n'ont pas compris et sous-estimé les difficultés techniques, que comporte une diminution générale de la valeur de la monnaie à l'intérieur. Lorsque nous laissons monter, la livre de 10 %, nous faisons passer environ £ 1.000.000.000 de nos poches dans celles des rentiers et nous grevons la dette nationale d'un poids d'environ £ 750.000,000 (détruisant ainsi tous les avantages péniblement acquis par notre Caisse d'Amortissement depuis la guerre). Tout ceci qui est assez grave en soi est inévitable. Mais les conséquences néfastes s'arrêteraient là s'il était possible de trouver un moyen de réduire simultanément de 10 % le taux des autres paiements effectués en argent; ainsi chacun de nous se trouverait-il à la fin du compte avoir environ les mêmes revenus qu'auparavant. Je suppose que l'esprit des conseillers de la Trésorerie habite encore un monde imaginaire et académique, peuplé d'éditeurs de la Cité, de membres de la Commission Cunliffe et des Commissions Monétaires et hoc genus omne où les ajustements nécessaires découlent « automatiquement » d'une « saine » politique de la Banque d'Angleterre. La théorie veut que le ralentissement des industries d'exportation (les premières atteintes en principe), renforcé s'il le faut par la cherté de l'argent et une restriction des crédits, atteigne de façon égale et assez rapidement la communauté tout entière. Mais ceux qui professent cette théorie ne nous disent pas en langage clair comment se produit cette diffusion. Mr. Churchill demanda, à la Commission de la Trésorerie chargée des problèmes de la monnaie de l'éclairer sur ce point. Il déclara dans le discours qu'il prononça à l'occasion du Budget, que le rapport « contient un exposé raisonnable des arguments qui ont convaincu le Gouvernement de Sa Majesté ». Ces arguments – si l'on peut appeler ainsi des propos vagues et
John Maynard Keynes (1931), Essais de persuasion 111 sans consistance – peuvent être consultés par qui cela intéresse. Ce qu'auraient dû dire les experts mais qu'ils n'ont pas dit, peut se résumer ainsi : « Le montant des salaires, le coût de la vie et les prix que nous demandons pour nos exportations n'ont pas suivi l’amélioration des changes, provoquée par l'expectative d'une restauration de l'étalon-or que faisaient prévoir vos nombreuses déclarations. Ils sont environ de 10 % trop élevés. Ainsi, si vous fixez le taux du change à sa parité or, il vous faut ou bien tabler sur une hausse des prix or à l'étranger, qui incite les étrangers à payer davantage en or pour nos exportations, ou vous condamner à pratiquer autant qu'il le faudra une politique de diminution des salaires et du coût de la vie. « Nous avons le devoir de vous prévenir que pareille politique n'est pas aisée et qu'elle mène fatalement au chômage et aux conflits industriels. Si, comme certains le pensent, les salaires étaient déjà trop élevés il y a un an, ce n'en est que plus grave, car la réduction des salaires portera sur une somme d'argent encore plus grande. « Il se peut que la première hypothèse d'une hausse des prix or à l'étranger se réalise. Mais cela n'a rien de certain, et il faut que vous soyez prêts à l'autre éventualité. Si vous croyez que les avantages que procurera l'étalon-or sont à ce point importants qu'ils valent la peine de risquer de vous rendre excessivement impopulaires et qu'ils méritent qu'on prenne des mesures d'administration draconienne pour se les assurer, voici probablement comment les choses se passeront : « Pour commencer, les industries d'exportation marqueront un gros ralentissement. En soi, ce fait vous servira, car il créera une atmosphère favorable à une réduction des salaires; le coût de la vie baissera quelque peu. Ceci vous servira également, vous fournissant un excellent argument en faveur d'une réduction des salaires. Néanmoins, le coût de la vie ne baissera pas suffisamment pour que les industries d'exportation réduisent suffisamment leurs prix avant que tous les salaires n'aient baissé dans les industries bénéficiant d'un protectionnisme. Or les salaires ne tomberont pas dans ces industries uniquement du fait qu'il existera du chômage dans les industries non protégées, donc il faudra veiller à ce qu'il se produise du chômage également dans les industries protégées. Le moyen à employer, c'est la restriction du crédit. En restreignant les crédits de la Banque d'Angleterre, vous pouvez, selon votre volonté, accroître le chômage jusqu'au point où les salaires seront obligés de tomber. À ce point, le coût de la vie sera également tombé, et avec un peu de chance, nous nous retrouverons à notre point de départ. « Nous estimons aussi devoir vous prévenir, bien que peut-être nous sortions là de nos attributions propres, qu'il ne sera pas prudent, d'un point de vue politique, de reconnaître ouvertement que vous cherchez délibérément à accroître le chômage pour réduire les salaires. Aussi vous faudra-t-il attribuer ce qui se passe à toutes sortes de causes sauf la vraie. Nous estimons qu'il faudra compter environ deux ans avant que vous ne puissiez prononcer en public un seul mot conforme à la vérité. D'ici là, ou bien vous ne serez plus au pouvoir, ou bien l'ajustement aura eu lieu d'une façon ou d'une autre. »
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<strong>John</strong> <strong>Maynard</strong> <strong>Keynes</strong> (<strong>1931</strong>), <strong>Essais</strong> <strong>de</strong> <strong>persuasion</strong> 111<br />
sans consistance – peuvent être consultés par qui cela intéresse. Ce qu'auraient<br />
dû dire les experts mais qu'ils n'ont pas dit, peut se résumer ainsi :<br />
« Le montant <strong>de</strong>s salaires, le coût <strong>de</strong> la vie et les prix que nous <strong>de</strong>mandons<br />
pour nos exportations n'ont pas suivi l’amélioration <strong>de</strong>s changes, provoquée<br />
par l'expectative d'une restauration <strong>de</strong> l'étalon-or que faisaient prévoir vos<br />
nombreuses déclarations. Ils sont environ <strong>de</strong> 10 % trop élevés. Ainsi, si vous<br />
fixez le taux du change à sa parité or, il vous faut ou bien tabler sur une hausse<br />
<strong>de</strong>s prix or à l'étranger, qui incite les étrangers à payer davantage en or pour<br />
nos exportations, ou vous condamner à pratiquer autant qu'il le faudra une<br />
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« Nous avons le <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> vous prévenir que pareille politique n'est pas<br />
aisée et qu'elle mène fatalement au chômage et aux conflits industriels. Si,<br />
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n'en est que plus grave, car la réduction <strong>de</strong>s salaires portera sur une somme<br />
d'argent encore plus gran<strong>de</strong>.<br />
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éventualité. Si vous croyez que les avantages que procurera l'étalon-or sont à<br />
ce point importants qu'ils valent la peine <strong>de</strong> risquer <strong>de</strong> vous rendre excessivement<br />
impopulaires et qu'ils méritent qu'on prenne <strong>de</strong>s mesures d'administration<br />
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« Pour commencer, les industries d'exportation marqueront un gros ralentissement.<br />
En soi, ce fait vous servira, car il créera une atmosphère favorable à<br />
une réduction <strong>de</strong>s salaires; le coût <strong>de</strong> la vie baissera quelque peu. Ceci vous<br />
servira également, vous fournissant un excellent argument en faveur d'une<br />
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pour que les industries d'exportation réduisent suffisamment leurs<br />
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d'un protectionnisme. Or les salaires ne tomberont pas dans ces industries<br />
uniquement du fait qu'il existera du chômage dans les industries non protégées,<br />
donc il faudra veiller à ce qu'il se produise du chômage également dans<br />
les industries protégées. Le moyen à employer, c'est la restriction du crédit. En<br />
restreignant les crédits <strong>de</strong> la Banque d'Angleterre, vous pouvez, selon votre<br />
volonté, accroître le chômage jusqu'au point où les salaires seront obligés <strong>de</strong><br />
tomber. À ce point, le coût <strong>de</strong> la vie sera également tombé, et avec un peu <strong>de</strong><br />
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« Nous estimons aussi <strong>de</strong>voir vous prévenir, bien que peut-être nous<br />
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vue politique, <strong>de</strong> reconnaître ouvertement que vous cherchez délibérément à<br />
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ce qui se passe à toutes sortes <strong>de</strong> causes sauf la vraie. Nous estimons qu'il<br />
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public un seul mot conforme à la vérité. D'ici là, ou bien vous ne serez plus au<br />
pouvoir, ou bien l'ajustement aura eu lieu d'une façon ou d'une autre. »