John Maynard Keynes (1931), Essais de persuasion

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25.06.2013 Views

John Maynard Keynes (1931), Essais de persuasion 108 qu'elles consomment et que leurs employés consomment toutes sortes d'articles fabriqués dans le pays même, il leur est impossible dé réduire leurs prix de 10 % à moins que les salaires et les frais de notre propre industrie intérieure ne baissent de 10 %. En attendant, les industries d'exportation les plus faibles en sont réduites à un état de misère. Faute d'une diminution de la valeur de l'or lui-même, rien ne peut rétablir leur situation, si ce n'est une baisse générale de tous les prix intérieurs et des salaires. Ainsi la politique de M. Churchill qui consiste à faire monter la livre de 10 % est une politique qui aboutit tôt ou tard à réduire les salaires de tous les travailleurs de 2 shillings par livre. Qui veut la fin veut les moyens. Le Gouvernement se trouve à présent devant la tâche délicate d'appliquer ses propres décisions aussi dangereuses qu'inutiles. C'est en octobre dernier (1924) que commença à se dessiner une rupture qui s'est développée selon une progression parallèle à la hausse du change – déclenchée d'abord par la prévision d'un retour à l'étalon-or, puis due au fait lui-même, et non à une amélioration de la valeur intrinsèque de la livre 1 . Le ministre, du Commerce a déclaré à la Chambre des Communes que les effets du rétablissement de l'étalon-or sur notre commerce d'exportation « ont été en tous points satisfaisants ». Le ministre des Finances a estimé que le retour à l'étalon-or n'était pas plus responsable de la situation de l'industrie minière que le Gulf Stream. Ces déclarations ont la consistance du vent. C'est le droit des Ministres de soutenir que le rétablissement de l'étalon-or vaut un sacrifice et que ce sacrifice n'est que momentané. Ils peuvent également prétendre, avec raison, que les industries les plus atteintes sont celles qui souffrent déjà d'une crise particulière lorsqu'un mal général se fait sentir, et que ce sont celles qui sont faibles pour d'autres raisons qui sont emportées. Mais parce qu'une épidémie de grippe emporte uniquement ceux qui ont le cœur trop faible, il n'est pas permis de dire que la grippe est « en tout point satisfaisante » ou qu'elle n'a pas plus à voir avec la mortalité que le Gulf Stream. Les effets ont été d'autant plus terribles que nous étions déjà dans une situation difficile. Alors qu'à cette date les salaires en livres et le coût de la vie en livres concordaient avec les chiffres des États-Unis, ils étaient déjà trop élevés par rapport à ceux d'autres pays européens. Il semble également que certaines de nos industries d'exportations disposaient déjà de plus de matériel et de main-d'œuvre qu'elles ne pouvaient en utiliser et qu'il était devenu indispensable de détourner une partie des hommes et des capitaux vers les industries travaillant en vue de la consommation intérieure. Aussi nous trouvionsnous déjà en présence d'un problème gênant et l'une des objections à l'élévation du taux international de la livre était d'aggraver considérablement au lieu de l'atténuer, une inégalité existant entre les prix intérieurs et extérieurs. En nous plongeant dans une période de Déflation, on retardait forcément toute reprise importante d'expansion intérieure susceptible de faciliter le 1 Cette opinion fut partagée par le Comité de la Trésorerie chargé d'étudier la Monnaie qui dans son rapport nota que la hausse du change de l'automne et du printemps dernier ne pourrait être maintenue si nous ne rétablissions pas l'étalon-or; en d'autres termes, la hausse du change antérieure au rétablissement de l'étalon-or provenait d'une prévision spéculative de cet événement et d'un mouvement de capitaux, et non pas d'une hausse intrinsèque de la valeur de la livre.

John Maynard Keynes (1931), Essais de persuasion 109 détournement de la main-d'œuvre vers la production du marché intérieur. Les salaires anglais, calculés en or, sont de 10 % plus élevés actuellement qu'ils ne l'étaient il y a un an. Le coût de la vie calculé en or en Angleterre est tellement élevé actuellement par rapport à la Belgique, à la France, à l'Italie et à l'Allemagne, que les travailleurs de ces pays peuvent se contenter, d'un salaire or inférieur de 30 % à celui de nos travailleurs, sans que soit affecté le montant de leur salaire réel. Quoi d'étonnant à ce que nos exportations soient atteintes. Nos industries d'exportation sont atteintes parce qu'elles sont les premières auxquelles on impose une réduction de 10 %. Si tout le monde subissait une telle réduction, le prix de la vie baisserait, de sorte qu'un salaire moins élevé en chiffres, représenterait presque le même salaire effectif qu'antérieurement. Mais, en fait, il n'existe pas de mécanisme qui puisse déclencher une réduction simultanée. Provoquer délibérément une hausse de la, livre en Angleterre implique donc des conflits pour chaque groupe de production sans qu'on puisse garantir que l'issue de la lutte donne un résultat équitable et que les groupes les plus forts ne s'enrichiront pas aux dépens des plus faibles. On ne peut pas attendre des classes ouvrières qu'elles comprennent mieux que ne le font les Ministres ce qui se passe. Celles qui sont les premières atteintes voient leurs moyens d'existence réduits, car le coût de la vie ne diminuera pas avant que les autres n'aient été également atteintes dans leurs salaires. Elles ont donc raison de se défendre. Et on ne peut même pas prétendre que les classes qui subissent les premières une réduction de salaire trouveront une compensation dans un abaissement correspondant du coût de la vie, qui ne profitera peut-être qu'à d'autres classes. Il est donc normal que ces classes résistent tant qu'elles le peuvent; et c'est forcément la guerre jusqu'à ce que succombent ceux qui sont économiquement les plus faibles. Il n'y a pas là une conséquence inévitable d'une moindre capacité à produire des richesses. Je ne vois pas de raison à une diminution effective des salaires dans leur ensemble, si les affaires publiques étaient mieux menées. Tout ceci est la conséquence d'une politique monétaire erronée. Mes objections ne s'appliquent pas à l'étalon-or lui-même. C'est là un autre problème que je n'aborderai pas ici. Mes objections portent sur le rétablissement de l'or dans des circonstances qui réclamaient un réajustement sérieux de toutes nos valeurs monétaires. Si Mr. Churchill avait rétabli l'étalon-or en fixant la parité au-dessous des chiffres d'avant-guerre ou s'il eût attendu que nos valeurs monétaires se soient réajustées à la parité d'avant-guerre, alors mes objections n'auraient pas de raison d'être. Mais en faisant ce qu'il a fait, dans les conditions où nous nous trouvions au printemps dernier, il allait audevant de toutes les difficultés. Car il se mettait dans l'obligation de réduire les salaires, et les valeurs monétaires, sans savoir le moins du monde comment il y parviendrait. Pourquoi a-t-il fait pareille bêtise ? D'une part, peut-être, parce qu'il ne possède pas ce sens instinctif qui l'empêche de commettre des fautes; d'autre part parce que manquant de ce sens instinctif, il a prêté l'oreille aux rumeurs bruyantes de la Finance conventionnelle; et surtout parce qu'il fut gravement induit en erreur par ses experts.

<strong>John</strong> <strong>Maynard</strong> <strong>Keynes</strong> (<strong>1931</strong>), <strong>Essais</strong> <strong>de</strong> <strong>persuasion</strong> 109<br />

détournement <strong>de</strong> la main-d'œuvre vers la production du marché intérieur. Les<br />

salaires anglais, calculés en or, sont <strong>de</strong> 10 % plus élevés actuellement qu'ils ne<br />

l'étaient il y a un an. Le coût <strong>de</strong> la vie calculé en or en Angleterre est tellement<br />

élevé actuellement par rapport à la Belgique, à la France, à l'Italie et à<br />

l'Allemagne, que les travailleurs <strong>de</strong> ces pays peuvent se contenter, d'un salaire<br />

or inférieur <strong>de</strong> 30 % à celui <strong>de</strong> nos travailleurs, sans que soit affecté le montant<br />

<strong>de</strong> leur salaire réel. Quoi d'étonnant à ce que nos exportations soient<br />

atteintes.<br />

Nos industries d'exportation sont atteintes parce qu'elles sont les premières<br />

auxquelles on impose une réduction <strong>de</strong> 10 %. Si tout le mon<strong>de</strong> subissait une<br />

telle réduction, le prix <strong>de</strong> la vie baisserait, <strong>de</strong> sorte qu'un salaire moins élevé<br />

en chiffres, représenterait presque le même salaire effectif qu'antérieurement.<br />

Mais, en fait, il n'existe pas <strong>de</strong> mécanisme qui puisse déclencher une réduction<br />

simultanée. Provoquer délibérément une hausse <strong>de</strong> la, livre en Angleterre<br />

implique donc <strong>de</strong>s conflits pour chaque groupe <strong>de</strong> production sans qu'on<br />

puisse garantir que l'issue <strong>de</strong> la lutte donne un résultat équitable et que les<br />

groupes les plus forts ne s'enrichiront pas aux dépens <strong>de</strong>s plus faibles.<br />

On ne peut pas attendre <strong>de</strong>s classes ouvrières qu'elles comprennent mieux<br />

que ne le font les Ministres ce qui se passe. Celles qui sont les premières<br />

atteintes voient leurs moyens d'existence réduits, car le coût <strong>de</strong> la vie ne<br />

diminuera pas avant que les autres n'aient été également atteintes dans leurs<br />

salaires. Elles ont donc raison <strong>de</strong> se défendre. Et on ne peut même pas<br />

prétendre que les classes qui subissent les premières une réduction <strong>de</strong> salaire<br />

trouveront une compensation dans un abaissement correspondant du coût <strong>de</strong> la<br />

vie, qui ne profitera peut-être qu'à d'autres classes. Il est donc normal que ces<br />

classes résistent tant qu'elles le peuvent; et c'est forcément la guerre jusqu'à ce<br />

que succombent ceux qui sont économiquement les plus faibles.<br />

Il n'y a pas là une conséquence inévitable d'une moindre capacité à<br />

produire <strong>de</strong>s richesses. Je ne vois pas <strong>de</strong> raison à une diminution effective <strong>de</strong>s<br />

salaires dans leur ensemble, si les affaires publiques étaient mieux menées.<br />

Tout ceci est la conséquence d'une politique monétaire erronée.<br />

Mes objections ne s'appliquent pas à l'étalon-or lui-même. C'est là un autre<br />

problème que je n'abor<strong>de</strong>rai pas ici. Mes objections portent sur le rétablissement<br />

<strong>de</strong> l'or dans <strong>de</strong>s circonstances qui réclamaient un réajustement sérieux<br />

<strong>de</strong> toutes nos valeurs monétaires. Si Mr. Churchill avait rétabli l'étalon-or en<br />

fixant la parité au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong>s chiffres d'avant-guerre ou s'il eût attendu que<br />

nos valeurs monétaires se soient réajustées à la parité d'avant-guerre, alors<br />

mes objections n'auraient pas <strong>de</strong> raison d'être. Mais en faisant ce qu'il a fait,<br />

dans les conditions où nous nous trouvions au printemps <strong>de</strong>rnier, il allait au<strong>de</strong>vant<br />

<strong>de</strong> toutes les difficultés. Car il se mettait dans l'obligation <strong>de</strong> réduire<br />

les salaires, et les valeurs monétaires, sans savoir le moins du mon<strong>de</strong> comment<br />

il y parviendrait. Pourquoi a-t-il fait pareille bêtise ?<br />

D'une part, peut-être, parce qu'il ne possè<strong>de</strong> pas ce sens instinctif qui<br />

l'empêche <strong>de</strong> commettre <strong>de</strong>s fautes; d'autre part parce que manquant <strong>de</strong> ce<br />

sens instinctif, il a prêté l'oreille aux rumeurs bruyantes <strong>de</strong> la Finance conventionnelle;<br />

et surtout parce qu'il fut gravement induit en erreur par ses experts.

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