25.06.2013 Views

Les Mystère de Paris par Eugène Sue

Les Mystère de Paris par Eugène Sue

Les Mystère de Paris par Eugène Sue

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

misère n'avait pas absolument perdu.<br />

<strong>Les</strong> mystères <strong>de</strong> <strong>Paris</strong> (Tome I) - <strong>Eugène</strong> <strong>Sue</strong><br />

Le Chourineur regarda son amphitryon avec étonnement, presque avec respect;<br />

à peine il osa toucher la main qu'on lui offrait. Il pressentit qu'entre lui et<br />

Rodolphe il y avait un abîme.<br />

—Bien, bien! lui dit Rodolphe, tu as encore du cœur et <strong>de</strong> l'honneur...<br />

—Ma foi! je n'en sais rien, dit le Chourineur tout ému; mais ce que vous me<br />

dites là... voyez-vous... jamais je n'avais rien senti <strong>de</strong> <strong>par</strong>eil... Ce qu'il y a <strong>de</strong><br />

sûr, c'est que ça... et les coups <strong>de</strong> poing <strong>de</strong> la fin <strong>de</strong> ma raclée... qui étaient si<br />

bien festonnés, et qui auraient pu ne finir que <strong>de</strong>main, tandis qu'au contraire<br />

vous me payez à souper... et vous me dites <strong>de</strong>s choses... Enfin suffit, c'est à la<br />

vie et à la mort, vous pouvez compter sur le Chourineur.<br />

Rodolphe reprit plus froi<strong>de</strong>ment, ne voulant pas laisser <strong>de</strong>viner l'émotion qu'il<br />

ressentait:<br />

—Es-tu resté longtemps ai<strong>de</strong>-équarisseur?<br />

—Je crois bien... D'abord ça avait commencé <strong>par</strong> m'écœurer d'égorger ces<br />

pauvres vieilles bêtes... après, ça m'avait amusé; mais quand j'ai eu dans les<br />

environs <strong>de</strong> seize ans et que ma voix a mué, est-ce que ça n'est pas <strong>de</strong>venu<br />

pour moi une rage, une passion que <strong>de</strong> chouriner! J'en perdais le boire et le<br />

manger... je ne pensais qu'à ça!... Il fallait me voir au milieu <strong>de</strong> l'ouvrage: à<br />

<strong>par</strong>t un vieux pantalon <strong>de</strong> toile, j'étais tout nu. Quand, mon grand couteau bien<br />

aiguisé à la main, j'avais autour <strong>de</strong> moi (je ne me vante pas) jusqu'à quinze et<br />

vingt chevaux qui faisaient queue pour attendre leur tour... tonnerre! quand je<br />

me mettais à les égorger, je ne sais pas ce qui me prenait... c'était comme une<br />

furie; les oreilles me bourdonnaient! je voyais rouge, tout rouge, et je<br />

chourinais... et je chourinais... et je chourinais jusqu'à ce que le couteau me fût<br />

tombé <strong>de</strong>s mains! Tonnerre! c'était une jouissance! J'aurais été millionnaire<br />

que j'aurais payé pour faire ce métier-là...<br />

—C'est ce qui t'aura donné l'habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> chouriner, dit Rodolphe.<br />

—Ça se peut bien; mais, quand j'ai eu seize ans, cette rage-là a fini <strong>par</strong> <strong>de</strong>venir<br />

si forte qu'une fois en train <strong>de</strong> chouriner je <strong>de</strong>venais comme fou, et je gâtais<br />

l'ouvrage... Oui, j'abîmais les peaux à force d'y donner <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> couteau à<br />

tort et à travers. Finalement, on m'a mis à la porte du charnier. J'ai voulu<br />

m'employer chez les bouchers: j'ai toujours eu du goût pour cet état-là... Ah<br />

48

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!