Les Mystère de Paris par Eugène Sue
Les Mystère de Paris par Eugène Sue Les Mystère de Paris par Eugène Sue
Les mystères de Paris (Tome I) - Eugène Sue C'était un prince dans l'idéalité poétique du mot. Rodolphe porte la tête haute et fière; ses cheveux châtains, naturellement bouclés, encadrent son front large, noble et ouvert; son regard est empli de douceur et de dignité; s'il parle à quelqu'un avec la spirituelle bienveillance qui lui est naturelle, son sourire, plein de charme et de finesse, laisse voir des dents d'émail que la teinte foncée de sa légère moustache rend plus éblouissantes encore; ses favoris bruns, encadrant l'ovale parfait de son visage pâle, descendent jusqu'au bas de son menton à fossette et un peu saillant. Rodolphe est vêtu très-simplement. Sa cravate et son gilet sont blancs; un habit bleu boutonné très-haut, et au côté gauche duquel brille une plaque de diamants, dessine sa taille, aussi fine qu'élégante et souple; enfin quelque chose de mâle, de résolu dans son attitude, corrige ce qu'il y a peut-être de trop agréable dans ce gracieux ensemble. Rodolphe allait si peu dans le monde, il avait l'air si prince, que son arrivée produisit une certaine sensation; tous les regards s'arrêtèrent sur lui lorsqu'il parut dans le premier salon de l'ambassade, accompagné de Murph et du baron de Graün, qui se tenaient à quelques pas derrière lui! Un attaché, chargé de surveiller sa venue, alla aussitôt en avertir la comtesse ***; celle-ci, ainsi que son mari, s'avança au-devant de Rodolphe en lui disant: —Je ne sais comment exprimer à Votre Altesse toute ma reconnaissance pour la faveur dont elle daigne nous honorer aujourd'hui. —Vous savez, madame l'ambassadrice, que je suis toujours très-empressé de vous faire ma cour, et très-heureux de pouvoir dire à M. l'ambassadeur combien je lui suis affectionné; car nous sommes d'anciennes connaissances, monsieur le comte. —Votre Altesse est trop bonne de vouloir bien se le rappeler, et de me donner un nouveau motif de ne jamais oublier ses bontés. —Je vous assure, monsieur le comte, que ce n'est pas ma faute si certains souvenirs me sont toujours présents; j'ai le bonheur de ne garder la mémoire que de ce qui m'a été très-agréable. —Mais Votre Altesse est merveilleusement douée, dit en souriant la comtesse de ***. 316
Les mystères de Paris (Tome I) - Eugène Sue —N'est-ce pas, madame? Ainsi, dans bien des années, j'aurai, je l'espère, le plaisir de vous rappeler ce jour, et le goût, l'élégance extrêmes qui président à ce bal... Car, franchement, je puis vous dire cela tout bas, il n'y a que vous qui sachiez donner des fêtes. —Monseigneur...! —Et ce n'est pas tout; dites-moi donc, monsieur l'ambassadeur, pourquoi les femmes me paraissent toujours plus jolies ici qu'ailleurs. —C'est que Votre Altesse étend jusqu'à elles la bienveillance dont elle nous comble. —Permettez-moi de ne pas être de votre avis, monsieur le comte; je crois que cela dépend absolument de madame l'ambassadrice. —Votre Altesse voudrait-elle avoir la bonté de m'expliquer ce prodige? dit la comtesse en souriant. —Mais c'est tout simple, madame: vous savez accueillir toutes ces belles dames avec une urbanité si parfaite, avec une grâce si exquise, vous leur dites à chacune un mot si charmant et si flatteur, que celles qui ne méritent pas tout à fait... tout à fait cette louange si aimable, dit Rodolphe en souriant avec malice, sont d'autant plus radieuses d'être distinguées par vous, tandis que celles qui la méritent sont non moins radieuses d'être appréciées par vous. Ces innocentes satisfactions épanouissent toutes les physionomies; le bonheur rend attrayantes les moins agréables, et voilà pourquoi, madame la comtesse, les femmes semblent toujours plus jolies chez vous qu'ailleurs. Je suis sûr que M. l'ambassadeur dira comme moi. —Votre Altesse me donne de trop bonnes raisons de penser comme elle pour que je ne m'y rende pas. —Et moi, monseigneur, dit la comtesse de ***, au risque de devenir aussi jolie que les belles dames qui ne méritent pas tout à fait... tout à fait les louanges qu'on leur donne, j'accepte la flatteuse explication de Votre Altesse avec autant de reconnaissance et de plaisir que si c'était une vérité. —Pour vous convaincre, madame, que rien n'est plus réel, faisons quelques observations à propos des effets de la louange sur la physionomie. 317
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—N'est-ce pas, madame? Ainsi, dans bien <strong>de</strong>s années, j'aurai, je l'espère, le<br />
plaisir <strong>de</strong> vous rappeler ce jour, et le goût, l'élégance extrêmes qui prési<strong>de</strong>nt à<br />
ce bal... Car, franchement, je puis vous dire cela tout bas, il n'y a que vous qui<br />
sachiez donner <strong>de</strong>s fêtes.<br />
—Monseigneur...!<br />
—Et ce n'est pas tout; dites-moi donc, monsieur l'ambassa<strong>de</strong>ur, pourquoi les<br />
femmes me <strong>par</strong>aissent toujours plus jolies ici qu'ailleurs.<br />
—C'est que Votre Altesse étend jusqu'à elles la bienveillance dont elle nous<br />
comble.<br />
—Permettez-moi <strong>de</strong> ne pas être <strong>de</strong> votre avis, monsieur le comte; je crois que<br />
cela dépend absolument <strong>de</strong> madame l'ambassadrice.<br />
—Votre Altesse voudrait-elle avoir la bonté <strong>de</strong> m'expliquer ce prodige? dit la<br />
comtesse en souriant.<br />
—Mais c'est tout simple, madame: vous savez accueillir toutes ces belles<br />
dames avec une urbanité si <strong>par</strong>faite, avec une grâce si exquise, vous leur dites<br />
à chacune un mot si charmant et si flatteur, que celles qui ne méritent pas tout<br />
à fait... tout à fait cette louange si aimable, dit Rodolphe en souriant avec<br />
malice, sont d'autant plus radieuses d'être distinguées <strong>par</strong> vous, tandis que<br />
celles qui la méritent sont non moins radieuses d'être appréciées <strong>par</strong> vous. Ces<br />
innocentes satisfactions épanouissent toutes les physionomies; le bonheur rend<br />
attrayantes les moins agréables, et voilà pourquoi, madame la comtesse, les<br />
femmes semblent toujours plus jolies chez vous qu'ailleurs. Je suis sûr que M.<br />
l'ambassa<strong>de</strong>ur dira comme moi.<br />
—Votre Altesse me donne <strong>de</strong> trop bonnes raisons <strong>de</strong> penser comme elle pour<br />
que je ne m'y ren<strong>de</strong> pas.<br />
—Et moi, monseigneur, dit la comtesse <strong>de</strong> ***, au risque <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir aussi jolie<br />
que les belles dames qui ne méritent pas tout à fait... tout à fait les louanges<br />
qu'on leur donne, j'accepte la flatteuse explication <strong>de</strong> Votre Altesse avec autant<br />
<strong>de</strong> reconnaissance et <strong>de</strong> plaisir que si c'était une vérité.<br />
—Pour vous convaincre, madame, que rien n'est plus réel, faisons quelques<br />
observations à propos <strong>de</strong>s effets <strong>de</strong> la louange sur la physionomie.<br />
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