Les Mystère de Paris par Eugène Sue

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ancien élève. Les mystères de Paris (Tome I) - Eugène Sue Au bout de quelques jours, sans pouvoir pénétrer la raison d'un changement qui l'affligeait profondément, le digne squire trouva Rodolphe froid, contraint envers lui, et presque ironique lorsqu'il lui rappela leur vie rude et agreste. Certain de la bonté naturelle du cœur du jeune prince, averti par un secret pressentiment, Murph le crut momentanément perverti par la pernicieuse influence de l'abbé Polidori qu'il détestait d'instinct, et qu'il se promettait d'observer attentivement. De son côté, le prêtre, vivement contrarié du retour de Murph, dont il redoutait la franchise, le bon sens et la pénétration, n'eut qu'une seule pensée, celle de perdre le gentilhomme dans l'esprit de Rodolphe. C'est à cette époque que Tom et Sarah furent présentés et accueillis à la cour de Gerolstein avec la plus extrême distinction. Quelque temps avant leur arrivée, Rodolphe était parti avec un aide de camp et Murph pour inspecter les troupes de quelques garnisons. Cette excursion étant toute militaire, le grand-duc avait jugé convenable que l'abbé ne fût pas de ce voyage. Le prêtre, à son grand regret, vif Murph reprendre pour quelques jours ses anciennes fonctions auprès du jeune prince. Le squire comptait beaucoup sur cette occasion de s'éclairer tout à fait sur la cause du refroidissement de Rodolphe. Malheureusement celui-ci, déjà savant dans l'art de dissimuler, et croyant dangereux de laisser pénétrer ses projets d'avenir par son ancien mentor, fut pour lui d'une cordialité charmante, feignit de regretter beaucoup le temps de sa première jeunesse et ses rustiques plaisirs, et le rassura presque complètement. Nous disons presque, car certains dévouements sont doués d'un admirable instinct. Malgré les témoignages d'affection que lui donnait le jeune prince, Murph pressentait vaguement qu'il y avait un secret entre eux deux; en vain il voulut éclaircir ses soupçons, ses tentatives échouèrent devant la précoce duplicité de Rodolphe. Pendant ce voyage, l'abbé n'était pas resté oisif. Les intrigants se devinent ou se reconnaissent à certains signes mystérieux qui leur permettent de s'observer jusqu'à ce que leur intérêt les décide à une 302

alliance ou à une hostilité déclarée. Les mystères de Paris (Tome I) - Eugène Sue Quelques jours après l'établissement de Sarah et de son frère à la cour du grand-duc, Tom était particulièrement lié avec l'abbé Polidori. Ce prêtre s'avouait à lui-même, avec un odieux cynisme, qu'il avait une affinité naturelle, presque involontaire, pour les fourbes et pour les méchants; ainsi, disait-il, sans deviner positivement le but où tendaient Tom et Sarah, il s'était trouvé attiré vers eux par une sympathie trop vive pour ne pas leur supposer quelque dessein diabolique. Quelques questions de Tom Seyton sur le caractère et les antécédents de Rodolphe, questions sans portée pour un homme moins en éveil que l'abbé, l'éclairèrent tout à coup sur les tendances du frère et de la sœur; seulement il ne crut pas à la jeune Écossaise des vues à la fois si honnêtes et si ambitieuses. La venue de cette charmante fille parut à l'abbé un coup du sort. Rodolphe avait l'imagination enflammée d'amoureuses chimères; Sarah devait être la réalité ravissante qui remplacerait tant de songes charmants; car, pensait l'abbé, avant d'arriver au choix dans le plaisir et à la variété dans la volupté, on commence presque toujours par un attachement unique et romanesque. Louis XIV et Louis XV n'ont été peut-être fidèles qu'à Marie Mancini et à Rosette d'Arey. Selon l'abbé, il en serait ainsi de Rodolphe et de la belle Écossaise. Celle-ci prendrait sans doute une immense influence sur un cœur soumis au charme enchanteur d'un premier amour. Diriger, exploiter cette influence et s'en servir pour perdre Murph à jamais, tel fut le plan de l'abbé. En homme habile, il fit parfaitement entendre aux deux ambitieux qu'il faudrait compter avec lui, étant seul responsable auprès du grand-duc de la vie privée du jeune prince. Ce n'était pas tout, il fallait se défier d'un ancien précepteur de ce dernier qui l'accompagnait alors dans une inspection militaire; cet homme rude, grossier, hérissé de préjugés absurdes, avait eu autrefois une grande autorité sur l'esprit de Rodolphe et pouvait devenir un surveillant dangereux; et, loin d'excuser ou de tolérer les folles et charmantes erreurs de la jeunesse, il se regarderait comme obligé de les dénoncer à la sévère morale du grand-duc. Tom et Sarah comprirent à demi-mot, quoiqu'ils n'eussent en rien instruit 303

alliance ou à une hostilité déclarée.<br />

<strong>Les</strong> mystères <strong>de</strong> <strong>Paris</strong> (Tome I) - <strong>Eugène</strong> <strong>Sue</strong><br />

Quelques jours après l'établissement <strong>de</strong> Sarah et <strong>de</strong> son frère à la cour du<br />

grand-duc, Tom était <strong>par</strong>ticulièrement lié avec l'abbé Polidori.<br />

Ce prêtre s'avouait à lui-même, avec un odieux cynisme, qu'il avait une affinité<br />

naturelle, presque involontaire, pour les fourbes et pour les méchants; ainsi,<br />

disait-il, sans <strong>de</strong>viner positivement le but où tendaient Tom et Sarah, il s'était<br />

trouvé attiré vers eux <strong>par</strong> une sympathie trop vive pour ne pas leur supposer<br />

quelque <strong>de</strong>ssein diabolique.<br />

Quelques questions <strong>de</strong> Tom Seyton sur le caractère et les antécé<strong>de</strong>nts <strong>de</strong><br />

Rodolphe, questions sans portée pour un homme moins en éveil que l'abbé,<br />

l'éclairèrent tout à coup sur les tendances du frère et <strong>de</strong> la sœur; seulement il ne<br />

crut pas à la jeune Écossaise <strong>de</strong>s vues à la fois si honnêtes et si ambitieuses.<br />

La venue <strong>de</strong> cette charmante fille <strong>par</strong>ut à l'abbé un coup du sort. Rodolphe<br />

avait l'imagination enflammée d'amoureuses chimères; Sarah <strong>de</strong>vait être la<br />

réalité ravissante qui remplacerait tant <strong>de</strong> songes charmants; car, pensait<br />

l'abbé, avant d'arriver au choix dans le plaisir et à la variété dans la volupté, on<br />

commence presque toujours <strong>par</strong> un attachement unique et romanesque. Louis<br />

XIV et Louis XV n'ont été peut-être fidèles qu'à Marie Mancini et à Rosette<br />

d'Arey.<br />

Selon l'abbé, il en serait ainsi <strong>de</strong> Rodolphe et <strong>de</strong> la belle Écossaise. Celle-ci<br />

prendrait sans doute une immense influence sur un cœur soumis au charme<br />

enchanteur d'un premier amour. Diriger, exploiter cette influence et s'en servir<br />

pour perdre Murph à jamais, tel fut le plan <strong>de</strong> l'abbé.<br />

En homme habile, il fit <strong>par</strong>faitement entendre aux <strong>de</strong>ux ambitieux qu'il<br />

faudrait compter avec lui, étant seul responsable auprès du grand-duc <strong>de</strong> la vie<br />

privée du jeune prince.<br />

Ce n'était pas tout, il fallait se défier d'un ancien précepteur <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier qui<br />

l'accompagnait alors dans une inspection militaire; cet homme ru<strong>de</strong>, grossier,<br />

hérissé <strong>de</strong> préjugés absur<strong>de</strong>s, avait eu autrefois une gran<strong>de</strong> autorité sur l'esprit<br />

<strong>de</strong> Rodolphe et pouvait <strong>de</strong>venir un surveillant dangereux; et, loin d'excuser ou<br />

<strong>de</strong> tolérer les folles et charmantes erreurs <strong>de</strong> la jeunesse, il se regar<strong>de</strong>rait<br />

comme obligé <strong>de</strong> les dénoncer à la sévère morale du grand-duc.<br />

Tom et Sarah comprirent à <strong>de</strong>mi-mot, quoiqu'ils n'eussent en rien instruit<br />

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