Les Mystère de Paris par Eugène Sue
Les Mystère de Paris par Eugène Sue Les Mystère de Paris par Eugène Sue
Les mystères de Paris (Tome I) - Eugène Sue XIII Sir Walter Murph et l'abbé Polidori. Rodolphe, pendant son enfance, avait été d'une complexion très-frêle. Son père fit ce raisonnement, bizarre en apparence, au fond très-sensé: «Les gentilshommes campagnards anglais sont généralement remarquables par une santé robuste. Ces avantages tiennent beaucoup à leur éducation physique: simple, rude, agreste, elle développe leur vigueur. Rodolphe va sortir des mains des femmes; son tempérament est délicat; peut-être, en habituant cet enfant à vivre comme le fils d'un fermier anglais (sauf quelques ménagements), fortifierai-je sa constitution.» Le grand-duc fit chercher en Angleterre un homme digne et capable de diriger cette sorte d'éducation physique: sir Walter Murph, athlétique spécimen du gentilhomme campagnard du Yorkshire, fut chargé de ce soin important. La direction qu'il donna au jeune prince répondit parfaitement aux vues du grandduc. Murph et son élève habitèrent pendant plusieurs années une charmante ferme située au milieu des champs et des bois, à quelques lieues de la ville de Gerolstein, dans la position la plus pittoresque et la plus salubre. Rodolphe, libre de toute étiquette, s'occupant avec Murph de travaux agricoles proportionnés à son âge, vécut donc de la vie sobre, mâle et régulière des champs, ayant pour plaisirs et pour distractions des exercices violents, la lutte, le pugilat, l'équitation, la chasse. Au milieu de l'air pur des prés, des bois et des montagnes, le jeune prince sembla se transformer, poussa vigoureux comme un jeune chêne; sa pâleur un peu maladive fit place aux brillantes couleurs de la santé: quoique toujours svelte et nerveux, il sortit victorieux des plus rudes fatigues; l'adresse, l'énergie, le courage suppléant à ce qui lui manquait de puissance musculaire, il put bientôt lutter avec avantage contre des jeunes gens beaucoup plus âgés que lui; il avait alors environ quinze ou seize ans. Son éducation scientifique s'était nécessairement ressentie de la préférence donnée à l'éducation physique: Rodolphe savait fort peu de chose; mais le grand-duc pensait sagement que, pour demander beaucoup à l'esprit, il faut que l'esprit soit soutenu par une forte organisation physique; alors, quoique tardivement fécondées par l'instruction, les facultés intellectuelles offrent de 296
prompts résultats. Les mystères de Paris (Tome I) - Eugène Sue Le bon Walter Murph n'était pas savant; il ne put donner à Rodolphe que quelques connaissances premières; mais personne mieux que lui ne pouvait inspirer à son élève la conscience de ce qui était juste, loyal, généreux; l'horreur de ce qui était bas, lâche, misérable. Ces haines, ces admirations énergiques et salutaires s'enracinèrent pour toujours dans l'âme de Rodolphe; plus tard ces principes furent violemment ébranlés par les orages des passions, mais jamais ils ne furent arrachés de son cœur. La foudre frappe, sillonne et brise un arbre solidement et profondément planté, mais la sève bout toujours dans ses racines, mille verts rameaux rejaillissent bientôt de ce tronc qui paraissait desséché. Murph donna donc à Rodolphe, si cela peut se dire, la santé du corps et celle de l'âme; il le rendit robuste, agile et hardi, sympathique à ce qui était bon et bien, antipathique à ce qui était méchant et mauvais. Sa tâche ainsi admirablement remplie, le squire, appelé en Angleterre par de graves intérêts, quitta l'Allemagne pour quelque temps, au grand chagrin de Rodolphe, qui l'aimait tendrement. Murph devait revenir se fixer définitivement à Gerolstein avec sa famille, lorsque quelques affaires fort importantes pour lui seraient terminées. Il espérait que son absence durerait au plus une année. Rassuré sur la santé de son fils, le grand-duc songea sérieusement à l'instruction de cet enfant chéri. Un certain abbé César Polidori, philosophe renommé, médecin distingué, historien érudit, savant versé dans l'étude des sciences exactes et physiques, fut chargé de cultiver, de féconder le sol riche mais vierge, si parfaitement préparé par Murph. Cette fois le choix du grand-duc fut bien malheureux, ou plutôt sa religion fut cruellement trompée par la personne qui lui présenta l'abbé et le lui fit accepter, lui prêtre catholique, comme précepteur d'un prince protestant. Cette innovation parut à beaucoup de gens une énormité, et généralement d'un funeste présage pour l'éducation de Rodolphe. Le hasard ou plutôt l'abominable caractère de l'abbé réalisa une partie de ces 297
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<strong>Les</strong> mystères <strong>de</strong> <strong>Paris</strong> (Tome I) - <strong>Eugène</strong> <strong>Sue</strong><br />
XIII Sir Walter Murph et l'abbé Polidori.<br />
Rodolphe, pendant son enfance, avait été d'une complexion très-frêle. Son père<br />
fit ce raisonnement, bizarre en ap<strong>par</strong>ence, au fond très-sensé:<br />
«<strong>Les</strong> gentilshommes campagnards anglais sont généralement remarquables <strong>par</strong><br />
une santé robuste. Ces avantages tiennent beaucoup à leur éducation physique:<br />
simple, ru<strong>de</strong>, agreste, elle développe leur vigueur. Rodolphe va sortir <strong>de</strong>s<br />
mains <strong>de</strong>s femmes; son tempérament est délicat; peut-être, en habituant cet<br />
enfant à vivre comme le fils d'un fermier anglais (sauf quelques<br />
ménagements), fortifierai-je sa constitution.»<br />
Le grand-duc fit chercher en Angleterre un homme digne et capable <strong>de</strong> diriger<br />
cette sorte d'éducation physique: sir Walter Murph, athlétique spécimen du<br />
gentilhomme campagnard du Yorkshire, fut chargé <strong>de</strong> ce soin important. La<br />
direction qu'il donna au jeune prince répondit <strong>par</strong>faitement aux vues du grandduc.<br />
Murph et son élève habitèrent pendant plusieurs années une charmante ferme<br />
située au milieu <strong>de</strong>s champs et <strong>de</strong>s bois, à quelques lieues <strong>de</strong> la ville <strong>de</strong><br />
Gerolstein, dans la position la plus pittoresque et la plus salubre.<br />
Rodolphe, libre <strong>de</strong> toute étiquette, s'occupant avec Murph <strong>de</strong> travaux agricoles<br />
proportionnés à son âge, vécut donc <strong>de</strong> la vie sobre, mâle et régulière <strong>de</strong>s<br />
champs, ayant pour plaisirs et pour distractions <strong>de</strong>s exercices violents, la lutte,<br />
le pugilat, l'équitation, la chasse.<br />
Au milieu <strong>de</strong> l'air pur <strong>de</strong>s prés, <strong>de</strong>s bois et <strong>de</strong>s montagnes, le jeune prince<br />
sembla se transformer, poussa vigoureux comme un jeune chêne; sa pâleur un<br />
peu maladive fit place aux brillantes couleurs <strong>de</strong> la santé: quoique toujours<br />
svelte et nerveux, il sortit victorieux <strong>de</strong>s plus ru<strong>de</strong>s fatigues; l'adresse,<br />
l'énergie, le courage suppléant à ce qui lui manquait <strong>de</strong> puissance musculaire,<br />
il put bientôt lutter avec avantage contre <strong>de</strong>s jeunes gens beaucoup plus âgés<br />
que lui; il avait alors environ quinze ou seize ans.<br />
Son éducation scientifique s'était nécessairement ressentie <strong>de</strong> la préférence<br />
donnée à l'éducation physique: Rodolphe savait fort peu <strong>de</strong> chose; mais le<br />
grand-duc pensait sagement que, pour <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r beaucoup à l'esprit, il faut que<br />
l'esprit soit soutenu <strong>par</strong> une forte organisation physique; alors, quoique<br />
tardivement fécondées <strong>par</strong> l'instruction, les facultés intellectuelles offrent <strong>de</strong><br />
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