Les Mystère de Paris par Eugène Sue
Les Mystère de Paris par Eugène Sue Les Mystère de Paris par Eugène Sue
Les mystères de Paris (Tome I) - Eugène Sue aux insolentes et ignobles railleries des gens de cette maison! Ainsi, le lendemain, poussée par une fatale influence, mais sentant l'immensité de sa faute, n'ayant pour se soutenir au milieu de ses terribles angoisses que sa foi aveugle dans la discrétion, dans l'honneur de l'homme à qui elle donne plus que sa vie, cette malheureuse jeune femme viendrait à ce rendez-vous, palpitante, éperdue; et il lui faudrait supporter les regards curieux et effrontés de quelques misérables, peut-être entendre leurs plaisanteries immondes. Quelle honte! Quelle leçon! Quel réveil pour une femme égarée, qui jusqu'alors n'aurait vécu que des plus charmantes, des plus poétiques illusions de l'amour! Et l'homme pour qui elle affronte tant d'opprobre, tant de périls, sera-t-il au moins touché des déchirantes anxiétés qu'il cause? Non... Pauvre femme! La passion l'aveugle et la jette une dernière fois au bord de l'abîme. Un courageux effort de vertu la sauve encore. Que ressentira cet homme à la pensée de cette lutte douloureuse et sainte? Il ressentira du dépit, de la colère, de la rage, en songeant qu'il s'est dérangé trois fois pour rien, et que sa sotte fatuité est gravement compromise... aux yeux de son portier... Enfin, dernier trait d'insigne et grossière maladresse: cet homme parle de telle sorte, s'habille de telle sorte pour cette première entrevue, qu'il doit faire mourir de confusion et de honte une femme déjà écrasée sous le poids de la confusion et de la honte! «Oh! pensait Rodolphe, quel terrible enseignement si cette femme (qui m'est inconnue, je l'espère) avait pu entendre dans quels termes hideux on parlait d'une démarche coupable sans doute, mais qui lui coûtait tant d'amour, tant de larmes, tant de terreurs, tant de remords!» Et puis, en songeant que la marquise d'Harville pouvait être la triste héroïne de cette aventure, Rodolphe se demandait par quelle aberration, par quelle fatalité M. d'Harville, jeune, spirituel, dévoué, généreux et surtout tendrement épris de sa femme, pouvait être sacrifié à un autre nécessairement niais, avare, égoïste et ridicule. La marquise s'était-elle donc seulement éprise de la figure de cet 262
homme, que l'on disait très-beau? Les mystères de Paris (Tome I) - Eugène Sue Rodolphe connaissait cependant M me d'Harville pour une femme de cœur, d'esprit et de goût, d'un caractère plein d'élévation; jamais le moindre propos n'avait effleuré sa réputation. Où avait-elle connu cet homme? Rodolphe la voyait assez fréquemment, et il ne se souvenait pas d'avoir rencontré personne à l'hôtel d'Harville qui lui rappelât le commandant. Après de mûres réflexions, il finit presque par se persuader qu'il ne s'agissait pas de la marquise. M me Pipelet, ayant accompli ses devoirs culinaires, reprit son entretien avec Rodolphe. —Qui habite le second? demanda-t-il à la portière. —C'est la mère Burette, une fière femme pour les cartes. Elle lit dans votre main comme dans un livre. Il y a des personnes très-comme il faut qui viennent chez elle pour se faire dire la bonne aventure... et elle gagne plus d'argent qu'elle n'est grosse. Et pourtant ce n'est qu'un de ses métiers, d'être devineresse. —Que fait-elle donc encore? —Elle tient comme qui dirait un petit mont 87 bourgeois. —Comment! —Je vous dis ça parce que vous êtes jeune homme, et que ça ne peut que vous fortifier dans l'idée de devenir notre locataire. —Pourquoi donc? —Une supposition: nous voilà bientôt dans les jours gras, la saison où poussent les pierrettes et les débardeurs, les turcs et les sauvages; dans cette saison-là les plus calés sont quelquefois gênés... Eh bien! c'est toujours commode d'avoir une ressource dans sa maison, au lieu d'être obligé de courir chez ma tante, où c'est bien plus humiliant, car on y va au vu et au su de tout le gouvernement. —Chez votre tante? Elle prête donc sur gages? 87 Mont de piété. 263
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homme, que l'on disait très-beau?<br />
<strong>Les</strong> mystères <strong>de</strong> <strong>Paris</strong> (Tome I) - <strong>Eugène</strong> <strong>Sue</strong><br />
Rodolphe connaissait cependant M me d'Harville pour une femme <strong>de</strong> cœur,<br />
d'esprit et <strong>de</strong> goût, d'un caractère plein d'élévation; jamais le moindre propos<br />
n'avait effleuré sa réputation. Où avait-elle connu cet homme? Rodolphe la<br />
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M me Pipelet, ayant accompli ses <strong>de</strong>voirs culinaires, reprit son entretien avec<br />
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—Qui habite le second? <strong>de</strong>manda-t-il à la portière.<br />
—C'est la mère Burette, une fière femme pour les cartes. Elle lit dans votre<br />
main comme dans un livre. Il y a <strong>de</strong>s personnes très-comme il faut qui<br />
viennent chez elle pour se faire dire la bonne aventure... et elle gagne plus<br />
d'argent qu'elle n'est grosse. Et pourtant ce n'est qu'un <strong>de</strong> ses métiers, d'être<br />
<strong>de</strong>vineresse.<br />
—Que fait-elle donc encore?<br />
—Elle tient comme qui dirait un petit mont 87 bourgeois.<br />
—Comment!<br />
—Je vous dis ça <strong>par</strong>ce que vous êtes jeune homme, et que ça ne peut que vous<br />
fortifier dans l'idée <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir notre locataire.<br />
—Pourquoi donc?<br />
—Une supposition: nous voilà bientôt dans les jours gras, la saison où<br />
poussent les pierrettes et les débar<strong>de</strong>urs, les turcs et les sauvages; dans cette<br />
saison-là les plus calés sont quelquefois gênés... Eh bien! c'est toujours<br />
commo<strong>de</strong> d'avoir une ressource dans sa maison, au lieu d'être obligé <strong>de</strong> courir<br />
chez ma tante, où c'est bien plus humiliant, car on y va au vu et au su <strong>de</strong> tout le<br />
gouvernement.<br />
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