Les Mystère de Paris par Eugène Sue

Les Mystère de Paris par Eugène Sue Les Mystère de Paris par Eugène Sue

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25.06.2013 Views

—Tu as raison; je t'écoute. Les mystères de Paris (Tome I) - Eugène Sue —Vous savez qu'hier soir vous m'avez dit, en revenant de la campagne, où vous étiez allé avec la pauvre Goualeuse: «Tâche de trouver le Maître d'école dans la Cité; tu lui diras que tu sais un bon coup à faire, que tu ne veux pas en être; mais que s'il veut ta place il n'a qu'à se trouver demain (c'était ce matin) à la barrière de Bercy, au Panier-Fleuri, et que là il verrait celui qui a nourri le poupard 79 .» —Très-bien! —En vous quittant, je trotte à la Cité... Je vas chez l'ogresse: pas de Maître d'école; je fais la rue Saint-Éloi, la rue aux Fèves, la rue de la Vieille- Draperie... personne... Enfin je l'empaume avec cette limace de Chouette au parvis Notre-Dame, chez un petit tailleur, revendeur, receleur et voleur; ils voulaient flamber avec l'argent volé du grand monsieur en deuil qui voulait vous faire quelque chose; ils achetaient des défroques d'hasard. La Chouette marchandait un châle rouge... Vieux monstre!... Je dévide mon chapelet au Maître d'école: il me dit que ça lui va, et qu'il sera au rendez-vous. Bon! Ce matin, selon vos ordres d'hier, j'accours ici vous rendre la réponse... Vous me dites: «Mon garçon, reviens demain matin avant le jour, tu passeras la journée dans la maison, et le soir... tu verras quelque chose qui en vaut la peine...» Vous ne m'en jaspinez pas plus; mais j'en comprends d'avantage. Je me dis: «C'est un coup monté pour faire une farce au Maître d'école demain, en l'amorçant pour une affaire. C'est un vrai scélérat... Il a assassiné le marchand de bœufs... J'en suis...» —Et mon tort a été de ne pas tout te dire, mon garçon... Cet affreux malheur ne serait peut-être pas arrivé. —Ça vous regardait, monsieur Rodolphe; ce qui me regardait, moi, c'était de vous servir... parce qu'enfin... je ne sais comment ça se fait, je vous l'ai déjà dit, je me sens comme votre bouledogue; enfin... suffit... Je dis donc: «C'est demain la noce, aujourd'hui j'ai congé, M. Rodolphe m'a payé les deux journées que j'ai perdues, et deux autres d'avance, car voilà trois jours que je ne parais pas chez mon maître débardeur, et, n'étant pas millionnaire, le travail... c'est mon pain.» Je m'ajoute: «Tiens, au fait, M. Rodolphe me paye mon temps, mon temps lui appartient, je vas l'employer pour lui.» Ça me donne l'idée que voilà: «Le Maître d'école est malin, il doit craindre une 79 Qui a préparé le vol. 170

Les mystères de Paris (Tome I) - Eugène Sue souricière. M. Rodolphe lui proposera la chose pour demain, c'est vrai; mais le gueux est capable de venir dans la journée flâner par ici pour reconnaître les alentours et, s'il se défie de M. Rodolphe, d'amener un autre grinche, ou bien encore de dire: À demain, et de faire le coup pour son compte aujourd'hui.» —Tu as deviné juste... c'est ce qui est arrivé... Et la Providence a voulu que je te doive la vie! —C'est étonnant, monsieur Rodolphe, comme depuis que je vous connais il m'aboule des choses qui ont l'air de se manigancer là-haut! Et puis j'ai des idées que je n'avais jamais eues, depuis que vous m'avez dit: «Mon garçon, il y a en toi du cœur et de l'honneur.» Du cœur! de l'honneur! tonnerre! ces mots-là vous remuent quelque chose dans le ventre. Allez, monsieur Rodolphe, quand on est habitué à s'entendre crier au loup, au chien enragé! quand on veut seulement approcher des honnêtes gens... —Ainsi, tu as depuis quelques jours des pensées nouvelles pour toi? —Bien sûr, monsieur Rodolphe. Tenez, je me disais encore: Maintenant, je connaîtrais quelqu'un qui aurait fait un mauvais coup... la boisson, la colère... enfin... n'importe quoi... je lui dirais: «Mon homme, tu as fait un mauvais coup, c'est bon... Mais c'est pas tout ça; ce n'est pas pour le roi de Prusse que le bon Dieu compose les gens qui se noient, qui rôtissent ou qui crèvent de faim; tu vas me faire l'amitié, si tu gagnes quarante sous, d'en donner vingt à des pauvres vieux, ou à des petits enfants; enfin à ceux qui, plus malheureux que toi, n'ont ni pain ni force... et surtout n'oublie pas, mon homme, que s'il y a quelqu'un à sauver en risquant sa peau à coup sûr, c'est actuellement ton négoce! Moyennant ça, et que tu ne recommences pas tes bêtises, tu me trouveras toujours...» Mais, pardon, monsieur Rodolphe, je bavarde... et vous êtes curieux... —Non; j'aime à entendre parler ainsi. Et puis je ne saurai que trop tôt comment est arrivé l'horrible malheur dont mon pauvre Murph a été la victime... Je me croyais certain de ne pas quitter le Maître d'école d'un pas, d'une minute, durant cette dangereuse entreprise... Alors il m'eût tué mille fois... avant que de toucher à Murph. Hélas! le sort en a décidé autrement... Continue, mon garçon. —Voulant donc employer mon temps pour vous, monsieur Rodolphe, je me dis: «Faut aller m'embosser quelque part d'où je puisse voir les murs, la porte du jardin, il n'y a que cette entrée-là... Si je trouve un bon coin... il pleut, j'y 171

—Tu as raison; je t'écoute.<br />

<strong>Les</strong> mystères <strong>de</strong> <strong>Paris</strong> (Tome I) - <strong>Eugène</strong> <strong>Sue</strong><br />

—Vous savez qu'hier soir vous m'avez dit, en revenant <strong>de</strong> la campagne, où<br />

vous étiez allé avec la pauvre Goualeuse: «Tâche <strong>de</strong> trouver le Maître d'école<br />

dans la Cité; tu lui diras que tu sais un bon coup à faire, que tu ne veux pas en<br />

être; mais que s'il veut ta place il n'a qu'à se trouver <strong>de</strong>main (c'était ce matin) à<br />

la barrière <strong>de</strong> Bercy, au Panier-Fleuri, et que là il verrait celui qui a nourri le<br />

pou<strong>par</strong>d 79 .»<br />

—Très-bien!<br />

—En vous quittant, je trotte à la Cité... Je vas chez l'ogresse: pas <strong>de</strong> Maître<br />

d'école; je fais la rue Saint-Éloi, la rue aux Fèves, la rue <strong>de</strong> la Vieille-<br />

Draperie... personne... Enfin je l'empaume avec cette limace <strong>de</strong> Chouette au<br />

<strong>par</strong>vis Notre-Dame, chez un petit tailleur, reven<strong>de</strong>ur, receleur et voleur; ils<br />

voulaient flamber avec l'argent volé du grand monsieur en <strong>de</strong>uil qui voulait<br />

vous faire quelque chose; ils achetaient <strong>de</strong>s défroques d'hasard. La Chouette<br />

marchandait un châle rouge... Vieux monstre!... Je dévi<strong>de</strong> mon chapelet au<br />

Maître d'école: il me dit que ça lui va, et qu'il sera au ren<strong>de</strong>z-vous. Bon! Ce<br />

matin, selon vos ordres d'hier, j'accours ici vous rendre la réponse... Vous me<br />

dites: «Mon garçon, reviens <strong>de</strong>main matin avant le jour, tu passeras la journée<br />

dans la maison, et le soir... tu verras quelque chose qui en vaut la peine...»<br />

Vous ne m'en jaspinez pas plus; mais j'en comprends d'avantage. Je me dis:<br />

«C'est un coup monté pour faire une farce au Maître d'école <strong>de</strong>main, en<br />

l'amorçant pour une affaire. C'est un vrai scélérat... Il a assassiné le marchand<br />

<strong>de</strong> bœufs... J'en suis...»<br />

—Et mon tort a été <strong>de</strong> ne pas tout te dire, mon garçon... Cet affreux malheur ne<br />

serait peut-être pas arrivé.<br />

—Ça vous regardait, monsieur Rodolphe; ce qui me regardait, moi, c'était <strong>de</strong><br />

vous servir... <strong>par</strong>ce qu'enfin... je ne sais comment ça se fait, je vous l'ai déjà<br />

dit, je me sens comme votre bouledogue; enfin... suffit... Je dis donc: «C'est<br />

<strong>de</strong>main la noce, aujourd'hui j'ai congé, M. Rodolphe m'a payé les <strong>de</strong>ux<br />

journées que j'ai perdues, et <strong>de</strong>ux autres d'avance, car voilà trois jours que je<br />

ne <strong>par</strong>ais pas chez mon maître débar<strong>de</strong>ur, et, n'étant pas millionnaire, le<br />

travail... c'est mon pain.» Je m'ajoute: «Tiens, au fait, M. Rodolphe me paye<br />

mon temps, mon temps lui ap<strong>par</strong>tient, je vas l'employer pour lui.» Ça me<br />

donne l'idée que voilà: «Le Maître d'école est malin, il doit craindre une<br />

79 Qui a pré<strong>par</strong>é le vol.<br />

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