Journal d'une mission militaire en Perse, 1839-1840, par le ...
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JOURNAL<br />
D'UNE<br />
MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
(i83-x84o)<br />
<strong>par</strong> <strong>le</strong> lieut<strong>en</strong>ant fil<strong>le</strong>s Pichon<br />
En <strong>1839</strong>, la diplomatie Persane, qui, depuis Napoléon 1er, ne<br />
s'était guère soucié de la politique de la Fronce, voulut se rapprocher<br />
d'el<strong>le</strong>. Mébemet-Chh, qui règnait alors, <strong>en</strong>voya au roi Louis-<br />
Philippe un ambassadeur extraordinaire, Hussein-Khân, dont la<br />
<strong>mission</strong> était de r<strong>en</strong>ouer des relations diplomatiques interrompues<br />
depuis jusW tr<strong>en</strong>te ans, depuis que <strong>le</strong> généra) Gardanne, ambassadeur<br />
de France, avait quitté la <strong>Perse</strong> <strong>en</strong> 1809. Aucun rapport<br />
diplomatique n'avait existé depuis lors <strong>en</strong>tre <strong>le</strong>s deux pays, et <strong>le</strong><br />
Châh espérait bi<strong>en</strong>, <strong>en</strong> faisant cesser cet état de choses, <strong>en</strong> tirer<br />
quelque profit. Le souverain ne se trompait pas, et, outre <strong>le</strong>s<br />
prés<strong>en</strong>ts d'usage que son <strong>en</strong>voyé emportait, lorsqu'il quitta la<br />
Fronce, <strong>en</strong> septembre <strong>1839</strong>, et qui, dans ce cas étai<strong>en</strong>t magnifiques,<br />
il am<strong>en</strong>ait avec lui un groupe d'officiers français chargés d'al<strong>le</strong>r<br />
instruire <strong>le</strong>s soldats de l'empire <strong>Perse</strong>.<br />
Paris avait réservé à Hussein-Khân l'accueil qu'il fait d'ordinaire<br />
aux <strong>en</strong>voyés exotiques et cette <strong>mission</strong> avait été ferti<strong>le</strong> <strong>en</strong><br />
incid<strong>en</strong>ts. Nous n'<strong>en</strong> rappel<strong>le</strong>rons qu'un seul, qui semb<strong>le</strong>rait futi<strong>le</strong>,<br />
si <strong>le</strong> Moniteur Universel lui-même n'avait cru devoir l'<strong>en</strong>registrer.<br />
Sur <strong>le</strong> chemin du retour, à Montargis, un maréchal-ferrant fit<br />
remarquer que la voiture de l'ambassadeur manquait de quelques<br />
ferrures nécessaires. On <strong>le</strong> chargea de <strong>le</strong>s y mettre et, la besogne<br />
1.<br />
- Docum<strong>en</strong>t - - - L<br />
II 111111 11111 iIIII!I II 11111111<br />
0000005568185<br />
/
6 '<br />
s<br />
JOURNAL 1)'IJNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
achevée, il prés<strong>en</strong>ta sa note. Pour une besogne <strong>d'une</strong> dizaine de<br />
francs, l'ouvrier demandait 120 francs. Hussein fit in moue, mais<br />
paya et se remit <strong>en</strong> route. Encouragé sans doute <strong>par</strong> ]e succès de<br />
sa demande, <strong>le</strong> maréchal-ferrant pr<strong>en</strong>d lacourse derrière la vol-<br />
Lure et <strong>par</strong>vi<strong>en</strong>t à détacher <strong>en</strong>core <strong>en</strong> chemin quelques nouvel<strong>le</strong>s<br />
ferrures, dont l'abs<strong>en</strong>ce cause bi<strong>en</strong> vite une avarie. Nouvel arrêt.<br />
L'ouvrier propose <strong>en</strong>core ses services. Mais cette fois-ci, il avait<br />
compté sans son hôte: plainte futportéede ce procédé au procureur<br />
du roi qui fit arrêter <strong>le</strong> délinquant. e Avis donc, ajoute <strong>le</strong> Moniteur<br />
<strong>en</strong> guise de mora<strong>le</strong>, aux personnes qui cour<strong>en</strong>t la poste de se<br />
défier toujours
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN 1'JItSE<br />
drogman de l'ambassade de Constantinop<strong>le</strong>, et Biberstein de Kasimil'sIci,<br />
bi<strong>en</strong> connu pour ses travaux déjti nombreux sur la littérature<br />
de la <strong>Perse</strong>. C'était donc un personnel d'élite, bi<strong>en</strong> propre<br />
à faire impression sur des imaginations ori<strong>en</strong>ta<strong>le</strong>s. Ajoutons<br />
<strong>en</strong>core qu'un médecin, <strong>le</strong> docteur Lachèze, et qu'un aumônier,<br />
l'abbé Scafi, ccmpldtai<strong>en</strong>t l'<strong>en</strong>semb<strong>le</strong>, auquel deux artistes avai<strong>en</strong>t<br />
été adjoints <strong>par</strong> l'institut: un architecte, Pascal Caste, et un peintre,<br />
Eugène Flandin, pour rechercher et étudier, chemin faisant, tout<br />
ce qui pouvait intéresser l'archéologie.<br />
Cc dernier, <strong>le</strong> peintre Eugéne Flandin, e conté, de concert avec<br />
son compagnon Coste, <strong>le</strong>s incid<strong>en</strong>ts de cc Voyage <strong>en</strong> <strong>Perse</strong><br />
(Paris, 1851,2 volumes in-8). Tout <strong>le</strong> côté pittoresque de l'av<strong>en</strong>ture,<br />
la nouveauté du pays et de ses habitants, est noté <strong>d'une</strong> plume<br />
agréab<strong>le</strong>. Mais <strong>le</strong>s pages qui vont suivre ne saurai<strong>en</strong>t faire doub<strong>le</strong><br />
emploi avec <strong>le</strong> récit déjà connu. Outre que <strong>le</strong> changem<strong>en</strong>t da narrateur<br />
pourrait à lui seul donner de l'intérêt à un nouveau journal<br />
d'impressions de voyages durant la même expédition, la <strong>mission</strong><br />
d'instructeurs <strong>militaire</strong>s emm<strong>en</strong>ée de France <strong>par</strong> Hussein-Khân<br />
n'était pus id<strong>en</strong>tiques à l'ambassade extraordinaire <strong>en</strong>voyée <strong>en</strong><br />
<strong>Perse</strong> <strong>par</strong> Louis-Philippe; son itinéraire, comme ses av<strong>en</strong>tures de<br />
séjour, eu diflèreut s<strong>en</strong>sib<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t, et énumérer <strong>le</strong>s unes n'est pas<br />
<strong>le</strong> moins du monde déflorer lés autres. La <strong>mission</strong> d'instructeurs,<br />
placée sous la direction du commandant l3oissier, se composait de<br />
dix lieut<strong>en</strong>ants d'infanterie, d'artil<strong>le</strong>rie et de cava<strong>le</strong>rie : Boucherat,<br />
Chauvet, Vita rd, C!iapt, Delamarre, Ferrier, Bussière, Vergne,<br />
Delacroix et Pichon, dont la fonction devait être d'instruire <strong>le</strong>s<br />
soldats persans au maniem<strong>en</strong>t des armes achetées <strong>en</strong> France.<br />
Choisis dans <strong>le</strong>urs corps respectifs <strong>en</strong> vue de ce but <strong>par</strong>ticulier,<br />
ces officiers n'étai<strong>en</strong>t que temporairem<strong>en</strong>t détachés au service du<br />
Cliûh et conservai<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> France, dans <strong>le</strong>urs armes spécia<strong>le</strong>s, la<br />
position à laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong>urs services pouvai<strong>en</strong>t <strong>le</strong>ur donner droit.<br />
C'est l'un deux, <strong>le</strong> lieut<strong>en</strong>ant Ju<strong>le</strong>s Pichon, qui e tracé <strong>le</strong> récit<br />
que nous reproduisons ci-dessous. Nous ne savons pas grand<br />
chose de la carrière de cet officier, <strong>en</strong> dehors de ce qu'il va nous<br />
<strong>en</strong> dire lui-même. Quant à son caractère, il se dégage trop nettem<strong>en</strong>t<br />
du récit lui-même pour qu'il soit besoin de s'y arrêter ici.<br />
Séduit <strong>par</strong> la nouveauté dne <strong>en</strong>treprise qui pouvait <strong>par</strong>aitre uti<strong>le</strong><br />
et profitab<strong>le</strong>, <strong>le</strong>jeune homme s'était embarqué p<strong>le</strong>in d'espoir pour
S<br />
JOURNAL D'UNE MISSION nilLlTAIRE EN PERSE<br />
la <strong>Perse</strong>, mais mil<strong>le</strong> inconvéni<strong>en</strong>ts auxquels ils se vir<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong>-<br />
Lût <strong>en</strong> butte: ses compagnons tt lui, ne tardèr<strong>en</strong>t pas à <strong>le</strong>ur faire<br />
compr<strong>en</strong>dre combi<strong>en</strong> <strong>le</strong>ur espoir avait été téméraire. Seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t,<br />
comme il se piquait de littérature, Ju<strong>le</strong>s Pichon avait voulu retracer<br />
ses déboires pour que <strong>le</strong> souv<strong>en</strong>ir ne s'<strong>en</strong> perdit pas. On<br />
trouvera aussi des traces de cette désillusion dans un petit volume<br />
devers publié <strong>par</strong> lui <strong>en</strong> 1844 sous <strong>le</strong> titre suivant: Les cyprès de<br />
('Iran, suivis <strong>d'une</strong> épisode sar <strong>le</strong>s chevaliers de Rhodes (Paris, foyer,<br />
in-16). C'est un recueil de poèmes ori<strong>en</strong>taux dont quelques-uns<br />
sont dédiésà des camarades du poète, notamm<strong>en</strong>t Delacroix et<br />
Vergue. Ce sont des impressions de voyages d'un tour mélancolique<br />
et désabusé, des morceaux <strong>d'une</strong> inspiration assez triste,<br />
d'un acc<strong>en</strong>t mystique . et religieux. L'expéri<strong>en</strong>ce avait passé sur <strong>le</strong>s<br />
rêves du jeune homme.<br />
Quant au récit proprem<strong>en</strong>t dit du voyage, il n'a pas <strong>en</strong>core vu<br />
<strong>le</strong> jour. C'est à M. Camil<strong>le</strong> Coudcrc, sous-bibliothécaire à la Bibliothèque<br />
nationa<strong>le</strong>, que revi<strong>en</strong>t <strong>le</strong> mérite d'<strong>en</strong> avoir découvert <strong>le</strong><br />
manuscrit, dans une boite des quais, et c'est lui qui a bi<strong>en</strong> voulu <strong>le</strong><br />
mettre à notre dioiîn avec une amica<strong>le</strong> bonne grâce, avant<br />
&*1n u la conservation duquel il est attaché.<br />
Par malheur, cc récit n'est pas comp<strong>le</strong>t et la fin manque. Si<br />
nous savons que Ju<strong>le</strong>s Pichon demanda, comme la plu<strong>par</strong>t de ses<br />
compagnons, à r<strong>en</strong>trer <strong>en</strong> France vers <strong>le</strong> mois de mai 1842, après<br />
plus de deux ans d'exil et d'<strong>en</strong>nui, nous n'avons pas, retracé <strong>par</strong><br />
lui-même, Je récit de la conclusion de cette <strong>en</strong>treprise inuti<strong>le</strong>. Au<br />
risque d'anticiper sur <strong>le</strong>s événem<strong>en</strong>ts, nous emprunterons ii un<br />
autre et nous reproduirons ici un passage qui appr<strong>en</strong>dra comm<strong>en</strong>t<br />
<strong>le</strong>s choses se passèr<strong>en</strong>t.<br />
« Nous trouvâmes à Téhéran, dis<strong>en</strong>t Flandin et Coste, dans<br />
<strong>le</strong>ur Voyage <strong>en</strong> <strong>Perse</strong> (t. il, p. 439), réunis dans <strong>le</strong> même local, et<br />
dans <strong>le</strong> même désoeuvrem<strong>en</strong>t, tous <strong>le</strong>s officiers instructeurs dont<br />
j'ai déjà <strong>par</strong>lé. lis étai<strong>en</strong>t sans emploi, et presque sans arg<strong>en</strong>t;<br />
c'est-à-dire que ces malheureux jeunes g<strong>en</strong>s étai<strong>en</strong>t obligés, pour<br />
toucbr <strong>le</strong>s appointem<strong>en</strong>ts qu'on s'était <strong>en</strong>gagé à <strong>le</strong>ur payer chaque<br />
mois, de solliciter sans relâche. Ils passai<strong>en</strong>t quinze jours sur<br />
tr<strong>en</strong>te à réclamer <strong>le</strong>ur solde, et ce n'était qu'à force d'importunité<br />
qu'ils <strong>par</strong>v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t à la recevoir. Nous <strong>le</strong>s revîmes très découragés<br />
et n'espérant plus ri<strong>en</strong> des Persans. Ils nous racontèr<strong>en</strong>t toutes
't<br />
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 9<br />
<strong>le</strong>s manoeuvres auxquel<strong>le</strong>s on avait eu recours pour persuader au<br />
roi de ne pas <strong>le</strong>s employer. Ri<strong>en</strong> ne dpnne mieux l'idée du caractère<br />
des Persans et do <strong>le</strong>ur insouciance que <strong>le</strong> fait de ces douze ou<br />
quinze talimdjts auxquels ils payai<strong>en</strong>t des émolum<strong>en</strong>ts é<strong>le</strong>vés, (lui<br />
étai<strong>en</strong>t une charge pour l'Etat, dont ils ne voulai<strong>en</strong>t point utiliser<br />
<strong>le</strong>s connaissances, bi<strong>en</strong> qu'ils <strong>le</strong>s euss<strong>en</strong>t, à grands frais, fait<br />
v<strong>en</strong>ir de Franco, et qu'ils ne pouvai<strong>en</strong>t cep<strong>en</strong>dant pr<strong>en</strong>dre sur eux<br />
de congédier. Au reste, ces jeunes g<strong>en</strong>s, découragés, perdant <strong>le</strong>ur<br />
carrière <strong>en</strong> France, ne voyant aucun av<strong>en</strong>ir (Levant eux <strong>en</strong> Asie,<br />
avai<strong>en</strong>t., à défaut (<strong>le</strong> l'initiative du CIIàh et de son vizir, pris la<br />
résolution de quitter prochainem<strong>en</strong>t la <strong>Perse</strong>. C'est ce qu'ils fir<strong>en</strong>t,<br />
<strong>en</strong> effet, quelques mois plus tard, après avoir passé plus de trois<br />
années dans ce pays, sans pouvoir dire, A <strong>le</strong>ur retour, qu'ils euss<strong>en</strong>t<br />
fait porter <strong>le</strong>s armes à un seul des serbûs de <strong>Perse</strong>. »<br />
Ainsi s'acheva lam<strong>en</strong>tab<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t une <strong>en</strong>treprise comm<strong>en</strong>cée sous<br />
des auspices plus heureux.<br />
« Partis de Marseil<strong>le</strong> <strong>le</strong> 21 septembre 1889, sur <strong>le</strong> bateaû à<br />
vapeur <strong>le</strong> M<strong>en</strong>tor, nous arrivâmes â Malte <strong>le</strong> 25 du même<br />
mois dans l'après-midi ; ri<strong>en</strong> de bi<strong>en</strong> <strong>par</strong>ticulier n'ayant<br />
signalé cette courte traversée que nous finies, aidés d'un bon<br />
v<strong>en</strong>t que nous eûmes dès <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain de notre dé<strong>par</strong>t seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t;<br />
car la veil<strong>le</strong>, au mom<strong>en</strong>t de quitter <strong>le</strong> port, nous eûmes<br />
un orage que j'aurai occasion de relater plus loin, je passerai<br />
sous sil<strong>en</strong>ce <strong>le</strong>s légers détails que je pourrais <strong>en</strong> donner.<br />
Arrivés â Malte, d'après <strong>le</strong>s ordres que nous reçûmes, nous<br />
ne desc<strong>en</strong>dîmes dans l'î<strong>le</strong> que <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain, accompagnés<br />
dans <strong>le</strong> débarquem<strong>en</strong>t <strong>d'une</strong>.salve d'artil<strong>le</strong>rie <strong>en</strong> l'honneur<br />
de Hussein Khân, ambassadeur du Cbâh de <strong>Perse</strong>; ce fut<br />
dans ce mom<strong>en</strong>t que nous ress<strong>en</strong>tîmes <strong>le</strong>s premières impressions<br />
qu'une imm<strong>en</strong>se population <strong>en</strong>tassée sur un quai<br />
étranger, et sur <strong>le</strong>s plates-formes des maisons placées <strong>en</strong><br />
amphithéâtre, faisait naître dans nos coeurs ; quel<strong>le</strong>s douces<br />
émotions n'éprouvions-nous pas à la vue des musici<strong>en</strong>s qui<br />
nous suivai<strong>en</strong>t sur <strong>le</strong>urs chaloupes, jouant la Marseillaise, la<br />
Parisi<strong>en</strong>ne et plusieurs airs patriotiques 1 Oui, nous <strong>le</strong> disons
10 JOURNAL D 'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
ici, el<strong>le</strong>s fur<strong>en</strong>t heureuses, ces émotions, â ces airs surtout si<br />
profondém<strong>en</strong>t gravés dans nos âmes; quel<strong>le</strong>s voix alors<br />
n'essayèr<strong>en</strong>t pas d'accompagner ces chants de joie et de<br />
ralliem<strong>en</strong>t que nous avions cru voir fuir comme notre patrie,<br />
derrière la poupe du M<strong>en</strong>tor. Nos âmes seu<strong>le</strong>s <strong>en</strong> avai<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s<br />
souv<strong>en</strong>irs éternels, et el<strong>le</strong>s se compr<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t assez. .Aussi tout<br />
ce qui devait é<strong>le</strong>ver <strong>le</strong> coeur d'un Français avait un écho et<br />
une place dans <strong>le</strong>s nôtres, et el<strong>le</strong>s fur<strong>en</strong>t émues à ces acc<strong>en</strong>ts<br />
prononcés <strong>par</strong> des bouches étrangères. O souv<strong>en</strong>irs de France,<br />
ils devai<strong>en</strong>t sans doute être bi<strong>en</strong> chers â des Maltais qui<br />
ne voulai<strong>en</strong>t d'autres maîtres que nous .....P<strong>en</strong>dant <strong>le</strong>s 24<br />
heures que nous y passâmes, nous visitâmes <strong>le</strong>s fortifications<br />
qui excitèr<strong>en</strong>t vivem<strong>en</strong>t notre admiration dans la bonne<br />
déf<strong>en</strong>se et l'abri qu'el<strong>le</strong>s prés<strong>en</strong>tai<strong>en</strong>t à ses différ<strong>en</strong>ts ports.<br />
Tout, dans cette malheureuse î<strong>le</strong> maint<strong>en</strong>ant sous la domination<br />
des Anglais, contribuAit à des souv<strong>en</strong>irs qu'on éprouve à<br />
la vue de la, construction des maisons et des personnes au type<br />
ori<strong>en</strong>tal, au teint hâlé et à la grande misère que peignait tout<br />
<strong>le</strong>ur être.<br />
MM. <strong>le</strong>s officiers du M<strong>en</strong>tor, qui nous avai<strong>en</strong>t témoigné la<br />
plus grande bi<strong>en</strong>veillance, reçur<strong>en</strong>t de nous aussi <strong>le</strong>s marques<br />
de notre amitié, (lue nous essayâmes de <strong>le</strong>ur faire<br />
compr<strong>en</strong>dre <strong>par</strong> l'expression de coeur <strong>le</strong> plus dévoué, dans<br />
• un repas que nous <strong>le</strong>ur donnâmes, plusieurs toasts fur<strong>en</strong>t<br />
- .. portés â toutes <strong>le</strong>s armes de France qui étai<strong>en</strong>t représ<strong>en</strong>tées<br />
là <strong>par</strong> un de ses membres, et <strong>le</strong>s poignées de main <strong>le</strong>s plus<br />
amica<strong>le</strong>s fur<strong>en</strong>t données, et on se sé<strong>par</strong>a, devant se revoir au<br />
bout de nos huit années.<br />
Le 27 au matin, nous nous embarquâmes sur <strong>le</strong> paquebot<br />
<strong>le</strong>sésostvis, nous passâmes successivem<strong>en</strong>t devant <strong>le</strong>s côtes<br />
de la Sici<strong>le</strong>, de, la Ces dernièrds surtout nous p<strong>par</strong>aissai<strong>en</strong>t<br />
sèches et arides; notre imagination fui déçue dans la<br />
beauté qu'el<strong>le</strong> s'<strong>en</strong> était promise aux récits de nos auteurs<br />
sur l'Ori<strong>en</strong>t. Nous aperçûmes même de loin <strong>le</strong>s côtes d'Afrique:<br />
<strong>le</strong> temps était beau, il nous fut assez faci<strong>le</strong> de <strong>le</strong>s voir;<br />
1..
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE Ii<br />
<strong>le</strong> Sésostris relâcha devant Syra, î<strong>le</strong> de l'archipel. P<strong>en</strong>dant<br />
<strong>le</strong>s deux heures que <strong>le</strong> capitaine du bâtim<strong>en</strong>t nous dit devoir<br />
y rester, nous visitâmes Syra, î<strong>le</strong> sa<strong>le</strong> et dégoûtante, mais<br />
d'un commerce assez ét<strong>en</strong>du; nous fûmes surtout visiter fa<br />
haLite vil<strong>le</strong>, appelée nouveau Syra. C'est une hauteur qui<br />
domine bi<strong>en</strong> loin. Depuis quelque temps on bâtit sur cette<br />
colline, et l'aspect <strong>en</strong> est agréab<strong>le</strong>; nous nous r<strong>en</strong>dîmes pour<br />
l'heure indiquée sur <strong>le</strong> Sésosiris; on <strong>par</strong>tit <strong>par</strong> un bon v<strong>en</strong>t.<br />
A la nuit tombante, tin orage s'é<strong>le</strong>va; il nous fit certes plus<br />
souffrir que <strong>le</strong> bâtim<strong>en</strong>t qui, sain et sauf, jeta l'ancre <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain<br />
devant Smyrne.<br />
P<strong>en</strong>dant <strong>le</strong>s quelques instants qu'on resta devant Smyrne,<br />
nous fûmes visiter la patrie d'Homère; bi<strong>en</strong> des choses nous<br />
étonnèr<strong>en</strong>t, <strong>en</strong>tr'autres <strong>le</strong>s bazars, <strong>le</strong>s premiers que nous<br />
voyions semblab<strong>le</strong>s â ceux qui exist<strong>en</strong>t dans <strong>le</strong>s principa<strong>le</strong>s<br />
vil<strong>le</strong>s d'Ori<strong>en</strong>t. Cont<strong>en</strong>ts de notre excursion, nous nous disposions<br />
d'al<strong>le</strong>r à bord, quand, au détour <strong>d'une</strong> rue, flous<br />
aperçI3mes une basse-cour, et, â son <strong>en</strong>trée, une jeune<br />
négresse nous t<strong>en</strong>dant la main pour recevoir quelques aumônes,<br />
nous faisant signe <strong>en</strong> même temps d'<strong>en</strong>trer pour voir un<br />
spectac<strong>le</strong> qu'el<strong>le</strong> croyait pour nous de grand intérêt. Nous<br />
<strong>en</strong>trâmes et vîmes, sous un figuier, un grand nombre d'esclaves<br />
comme el<strong>le</strong>, dans l'attitude la plus misérab<strong>le</strong>; dès<br />
qu'el<strong>le</strong>s nous vir<strong>en</strong>t, el<strong>le</strong>s se groupèr<strong>en</strong>t et, placées ainsi <strong>le</strong>s<br />
unes contre <strong>le</strong>s autres, el<strong>le</strong>s <strong>par</strong>aissai<strong>en</strong>t surprises <strong>d'une</strong><br />
tel<strong>le</strong> visite et plus <strong>en</strong>core de nos costumes français. El<strong>le</strong>s nous<br />
t<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t <strong>le</strong>urs mains noires; chacun se hâta d'y mettre la.<br />
monnaie de sa poche. C'était toutefois un horrib<strong>le</strong> coup d'oeil<br />
que de voir ces figuressouffrantes, habituées à la tristesse et<br />
à la plus affreuse misère, feindre même la joie que <strong>le</strong>ur<br />
recommandait <strong>le</strong>ur maître, lorsque quelques visiteurs se<br />
prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t; d'autres, véritab<strong>le</strong>s femmes de la nature, dont<br />
<strong>le</strong>s traits sonttoujours <strong>le</strong>s mêmes, peignai<strong>en</strong>t la plus affreuse<br />
détresse; quelques autres <strong>en</strong>core avai<strong>en</strong>t je ne sais quoi de<br />
diabolique qui, pour mon compte, je l'avoue, me faisait<br />
BlBt.lO ÎNEQIJF<br />
)1
12 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
frissonner. Pauvres femmes pauvres esclaves I nées sous<br />
l'arbre de l'infortune, ses branches ne <strong>le</strong>s mettront jamais à<br />
l'abri du malheur, el<strong>le</strong>s souffr<strong>en</strong>t. Pauvres âmes souffrantes,<br />
que doit-il se prés<strong>en</strong>ter à <strong>le</strong>ur imagination, quand vous<br />
voyez tant de g<strong>en</strong>s heureux? Oh I combi<strong>en</strong> vous devez<br />
accuser toutes <strong>le</strong>s justices humaines et divines. J'avoue que<br />
ce tab<strong>le</strong>au me laissa de tristes souv<strong>en</strong>irs et me fit faire de<br />
tristes réf<strong>le</strong>xions sur ces choses que j'ignorais tota<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t.<br />
Nous nous r<strong>en</strong>dîmes sur <strong>le</strong> Sésostris <strong>en</strong>suite, et bi<strong>en</strong>tôt<br />
Smyrne fuyait derrière nous, mais nonsans ses impressions. Le<br />
temps était superbe. Bi<strong>en</strong>tôt, un officier de bord nous montra<br />
de loin une î<strong>le</strong>: C'est là, Messieurs, nous dit-il, l'î<strong>le</strong> Ténédos;<br />
je me rappelai alors mes vi<strong>en</strong>xauteurs latins, surtout Virgi<strong>le</strong>,<br />
qui cacha dans son sein <strong>le</strong>s Grecs perfides. Je réfléchissais<br />
ainsi et nous touchions presque l'î<strong>le</strong>; je voyais cette terre, <strong>en</strong><br />
face de vastes champs quelque peu ferti<strong>le</strong>s, terminée non<br />
loin de là <strong>par</strong> des collines. Là, nous dit-il <strong>en</strong>core, s'é<strong>le</strong>vait jadis<br />
Troie. Pauvre Troie, voilà donc ce qui reste de ta puissance:<br />
pas une pierre ne témoigne ta grandeur; etje voyais alors<br />
ces terres où mon imagination plaçait <strong>en</strong>core quelques<br />
hommes. Oh I que je me serais cru heureux, bi<strong>en</strong> jeune<br />
<strong>en</strong>core, quand mes auteurs classiques me <strong>par</strong>lai<strong>en</strong>t de Troie,<br />
de voir au moins ces restes que j'avais alors sous mes yeux.<br />
Bi<strong>en</strong>tôt nous étions à l'<strong>en</strong>trée des Dardanel<strong>le</strong>s où étai<strong>en</strong>t 1e<br />
flottes française et anglaise; nous y.fîmes la station habituel<strong>le</strong><br />
pour la correspondanée, et nous <strong>par</strong>tîmes <strong>en</strong>suite. Nous admirions<strong>le</strong>ssites<br />
remarquab<strong>le</strong>s qu'on découvraitsur<strong>le</strong>s deux rivages<br />
où des forts étai<strong>en</strong>t construits de distance <strong>en</strong> distance pour<br />
garder ce détroit. Tityre, ce pâtre de Virgi<strong>le</strong> se fut <strong>en</strong>core<br />
arrêté sur ces superbes paysages, et aurait, à l'ombre de<br />
quelque cyprès, fait <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre <strong>le</strong>s sons harmonieux de son<br />
chalumeau. Je me montrai grand admirateur de cette nature<br />
et j'éprouvai <strong>le</strong>s vives s<strong>en</strong>sations qui quelques années au<strong>par</strong>avant<br />
naissai<strong>en</strong>t chez moi dans nos vallées du pays basque<br />
et <strong>le</strong> mont Tradoy. La nuit vint peu à peu assombrir tout <strong>le</strong>
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 13<br />
brillant de ces campagnes; nous la passâmes <strong>en</strong> <strong>par</strong>tie sur <strong>le</strong><br />
pont, â raconter différ<strong>en</strong>tes av<strong>en</strong>tures. Enfin, refroidis <strong>par</strong>ia<br />
brise, nous nous r<strong>en</strong>dîmes dans nos cabines, où nous passâmes<br />
<strong>le</strong> reste de la nuit, <strong>en</strong>dormis <strong>par</strong> un léger roulis.<br />
Le l<strong>en</strong>demain matin, au réveil, nous montâmes sur <strong>le</strong> pont<br />
et apprîmes que depuis quelques heures nous étions <strong>en</strong>trés<br />
dans la mer de Marmara. Bi<strong>en</strong>tôt poussés <strong>par</strong> un v<strong>en</strong>t qui<br />
nous pr<strong>en</strong>ait <strong>en</strong> poupe, nous aperçûmes au loin un amas<br />
considérab<strong>le</strong> de maisons surmontées de flèches très é<strong>le</strong>vées:<br />
C'était Constantinop<strong>le</strong>. De plus près nous fûmes â même de<br />
remarquer <strong>le</strong>s riches mosquées; nous débarquâmes â la suite<br />
dé Hussein-J(hân qui fut salué comme de coutume <strong>par</strong> 17<br />
coups de Canon. Arrivés â terre, <strong>le</strong> palais de l'ambassadeur<br />
étant loin de là, au fond de Stamboul, nous montâmes sur<br />
quelques chevaux efflanqués, â l'exception toutefois des<br />
Persans, et ï la tombée de la nuit nous prîmes, <strong>le</strong> 4 octobre,<br />
possession de notre salon décoré â l'ori<strong>en</strong>ta<strong>le</strong> ; des divans<br />
placés tout autour devai<strong>en</strong>t nous servir de couche, ce qui nous<br />
fit grand plaisir, puisque nous étions, <strong>par</strong> cette disposition,<br />
réunis p<strong>en</strong>dant <strong>le</strong>s quelques jours que nous devions passer â<br />
Constantinop<strong>le</strong>. De notre chambre on arrivait de p<strong>le</strong>in pied<br />
dans un jardin qui pouvait au besoin nous distraire des <strong>en</strong>nuis<br />
que nous aurions pu avoir dans une vil<strong>le</strong> inconnue, surtout<br />
dans <strong>le</strong> quartier où nous étions qui était un quartier turc<br />
nous ne pouvions avoir la distraction de la conversation des<br />
dames de ce pays, <strong>le</strong>ur religion s'opposant à toute espèce de<br />
relations avec des chréti<strong>en</strong>s.<br />
Les premiers jours de notre arrivée, nous<strong>par</strong>courions tous<br />
<strong>le</strong>s quartiers de la vil<strong>le</strong>, principa<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t ceux de Péra, <strong>par</strong>tie<br />
de la vil<strong>le</strong> occupée <strong>par</strong> tous <strong>le</strong>s Français qui sont dans <strong>le</strong> pays.<br />
On apprit bi<strong>en</strong>tôt que nous étions aussi Français, attachés au<br />
service de la Perèe <strong>en</strong> qualité de lieut<strong>en</strong>ants pour instruire<br />
<strong>le</strong>s troupes de ce pays; aussi bi<strong>en</strong>tôt, â une excursion que<br />
nous fîmes au quartier français, on se rangeait de toutes<br />
<strong>par</strong>ts aux f<strong>en</strong>êtres, et toutes <strong>le</strong>s figures que nous voyions
14<br />
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
<strong>par</strong>aissai<strong>en</strong>t cont<strong>en</strong>tes rie revoir des <strong>militaire</strong>s français. Pourtant,<br />
à cette époque <strong>en</strong>core, nous n'avions aucun but. Nous<br />
courions çà et là pour tuer l'<strong>en</strong>nui qui nous obsédait <strong>par</strong>fois;<br />
un étranger <strong>par</strong>lant néanmoins la langue française et voyant<br />
notre course vagabonde, nous accosta et nous dit que <strong>le</strong> fils<br />
deMahmoud, (Ahdul .Medjid),Sultan delaTurquie, allaitpasser<br />
près de l'<strong>en</strong>droit où nous étions, sortant rie sa mosquée; nous<br />
y fûmes, et la haie formée de bi<strong>en</strong> loin nous assura la vérité<br />
de notre interlocuteur. Curieux à notre tour de voir ce jeune<br />
sultan, nous prîmes place. Ils aperçur<strong>en</strong>t hi<strong>en</strong>tôt <strong>le</strong>s costumes<br />
brillants français, et cela ne tarda pas à nous r<strong>en</strong>dre suspects<br />
aux yeux des officiers gardi<strong>en</strong>s du Sultan, car, àtroié reprises<br />
différ<strong>en</strong>tes, des émissaires étonnés v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t près de flous, et<br />
nous faisai<strong>en</strong>t demander, <strong>par</strong> notre cirogman, qui nous étions,<br />
ce que nous faisions à Constantinop<strong>le</strong>, et pourquoi nous étions<br />
lâ. A latin, <strong>en</strong>nuyésde tout cela, nous allions <strong>par</strong>tir, lorsqu'un<br />
officier turc, <strong>en</strong>voyé du Sultan, instruit rie nos dernaxides et<br />
de nos réponses, nous fit prier de l'att<strong>en</strong>dre à son passage<br />
désirant voir des Français. Nous ycons<strong>en</strong>times; alors, sousla<br />
protection de <strong>le</strong>urs gardes, on fitrecu<strong>le</strong>r <strong>le</strong> monde, et on nous<br />
fit une place au premier rang.<br />
Peud'instantsaprès, un mornesil<strong>en</strong>ce rêgna; chacun courba<br />
et son corps et sa tête, et <strong>le</strong> Sultan monté sur un joli cheval,<br />
précédé de son élite d'officiers marchani, sur cieux rangs,<br />
recevait ainsi <strong>le</strong>s hommages de son peup<strong>le</strong>. Bi<strong>en</strong>tôt, il arriva<br />
devant nous, et nous fixant réciproquem<strong>en</strong>t, nous <strong>le</strong> saluâmes<br />
portantla main à nos coiffures <strong>militaire</strong>s. Il y répondit, etnous<br />
poursuivîmes notre prom<strong>en</strong>ade, nous arrêtant et examinant<br />
tout; des g<strong>en</strong>s de nos provinces, arrivés sur nos remarquab<strong>le</strong>s<br />
bou<strong>le</strong>vards, n'étai<strong>en</strong>t pas plus étonnésque nous l'étions devant<br />
quelques habitudes ori<strong>en</strong>ta<strong>le</strong>s. Nous fûmes obligés de quitter<br />
cette aimab<strong>le</strong> Péra de bi<strong>en</strong> bonne heure, â cause des communications<br />
qui sont interceptées au coucher du so<strong>le</strong>il <strong>en</strong>tre <strong>le</strong>s<br />
musulmans et <strong>le</strong>s catholiques, et comme je j'ai déjàdit, notre<br />
ambassade, où nous demeurions, étant dans <strong>le</strong> quartier
JOURNAL D'UNE MiSSION MILITAIRE EN PERSE 15<br />
musulman, nous dûmes nous dépêcher pour ne pas <strong>en</strong>courir<br />
<strong>le</strong>s risques d'être obligés de coucher à Péra, ce qui ne nous<br />
aurait nul<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t amusés, n'y ayant, jusqu'alors, aucune<br />
connaissance. Cont<strong>en</strong>ts de notre journée, nous gagnâmes<br />
donc notre demeure; <strong>le</strong>s jours suivants nous reçûmes<br />
plusieurs visites qui toutes nous témoignèr<strong>en</strong>t l'amitié de nos<br />
compatriotes, car ces personnes étai<strong>en</strong>t presque toutes françaises<br />
ou avai<strong>en</strong>t habité longtemps la France. Quel que soit <strong>le</strong><br />
titre despersonnesqui v<strong>en</strong>aiéntnous voir, el<strong>le</strong>s noushonorai<strong>en</strong>t<br />
beaucoup, et el<strong>le</strong>s étai<strong>en</strong>t accueil lies âbras ouverts. Un couvert<br />
â notre tab<strong>le</strong> était mis pour el<strong>le</strong>s de bon coeur.<br />
Les jours suivants nous reçûmes plusieurs invitations, et<br />
bi<strong>en</strong>tôt notre société s'accrut tel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t, que, dans toutes nos<br />
réunions, nous étions toujours de 25 à 30 personnes, société<br />
nombreuse à 600 lieues de laFrance, où nous étions déjà.<br />
Quelquefois <strong>en</strong>core, <strong>par</strong>mi el<strong>le</strong>s, se trouvai<strong>en</strong>t des officiers<br />
turcs qui éprouvai<strong>en</strong>t â se mettre <strong>en</strong> rapport avec nous <strong>le</strong><br />
même plaisir que nous avions de trouver des amis chez des<br />
chefs <strong>d'une</strong> puissance éloignée de la nôtre. Parmi eux, je<br />
citerai Hussein Eff<strong>en</strong>di, capitaine des troupes ottomanes,<br />
jeune homme qui n'avait pas de peine â se faire remarquer,<br />
même <strong>par</strong>mi <strong>le</strong>s officiers supérieurs de son armée. Nous<br />
crûmes qu'il était de notre devoir, étant stationnés dans cette<br />
vil<strong>le</strong>, de faire quelques visites aux pachas â la tête de tous <strong>le</strong>s<br />
ministères; ils nous accueillir<strong>en</strong>t tous avec une bi<strong>en</strong>veillance<br />
et une bonté sans éga<strong>le</strong>. Ils nous assurèr<strong>en</strong>t de <strong>le</strong>urs bons<br />
s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts pour nous. L'un d'eux, Reschid Pacha, ministre<br />
des Affaires étrangères, qui, tout récemm<strong>en</strong>t, était arrivé .de<br />
France, nous témoigna une <strong>par</strong>ticulière bi<strong>en</strong>veillance, et eut<br />
l'extrême obligeance de nous faire délivrer ut' firman qui<br />
nous servit à visiter <strong>le</strong>s mosquées <strong>le</strong>s plus remarquab<strong>le</strong>s.<br />
Nous passâmes, <strong>en</strong> coMpagnie de toutes ces personnes, des<br />
journées très agréab<strong>le</strong>s. Je ne crois pas devoir passer sous<br />
sil<strong>en</strong>ce <strong>le</strong>s bontés qu'eut pour nous M. Soulié, directeur<br />
du Cirque, â Constantinop<strong>le</strong>. Ri<strong>en</strong> ne fut négligé de la
16 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
<strong>par</strong>t de cet aimab<strong>le</strong> com$triote pour ajouter à la société<br />
de quelques personnes aimab<strong>le</strong>s comme lui, tous <strong>le</strong>s agrém<strong>en</strong>ts<br />
qu'il était à même de nous procurer. M. Soulié, dans<br />
toutes ses représ<strong>en</strong>tations, réservait, pour nous autres ses<br />
compatriotes, une loge d'honneur, où <strong>le</strong> Sultan et <strong>le</strong>s premiers<br />
ministres de la Turquie pouvai<strong>en</strong>t seuls <strong>en</strong>trer. Soit, <strong>en</strong>suite,<br />
pour nous amuser davantage, soit pour essayer d'approcher,<br />
dans ses manoeuvres, de celte que nous avions été<br />
i même de voir <strong>en</strong> France, ri<strong>en</strong> n'était négligé <strong>par</strong> M. Soulié<br />
et ses premiers écuyers. Nous nous réunissions ainsi très<br />
souv<strong>en</strong>t au quartier français. Un jour, ces messieurs nous<br />
fir<strong>en</strong>t l'honneur de se r<strong>en</strong>dre à l'invitation que nous <strong>le</strong>ur<br />
avions faite de déjeûner avec nous è Péra. M. Soulié nous<br />
invita à son tour, après <strong>le</strong> déjeâner, à faire une cavalcade<br />
aux Eaux Douces, ce fut généra<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t accepté avec<br />
plaisir. On se r<strong>en</strong>dit au Cirque immédiatem<strong>en</strong>t après <strong>le</strong><br />
déjeûner, et nous trouvâmes <strong>le</strong>s chevaux sellés prêts à être<br />
montés, et lorsque <strong>le</strong>s quelques derniers cavaliers se fur<strong>en</strong>t<br />
r<strong>en</strong>dus maîtres de <strong>le</strong>urs chevaux <strong>en</strong> <strong>le</strong>s t<strong>en</strong>ant <strong>en</strong> bride, nous<br />
déifiâmes, <strong>par</strong> deux: la journée était charmante, la route<br />
assez bel<strong>le</strong>. Les plus adroits cavaliers, à l'instar de M. Soulié,<br />
se plaisai<strong>en</strong>t à faire caraco<strong>le</strong>r <strong>le</strong>urs chevaux. Nous aperçûmes,<br />
après I heure 1/2 de prom<strong>en</strong>ade, un bas-fond<br />
charmant; toutes <strong>le</strong>s terres étai<strong>en</strong>t recouvertes de mousse et<br />
autres herbes; au milieu passait la rivière; de chaque côté,<br />
deux prom<strong>en</strong>ades bordes d'arbres se prolongeai<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong><br />
loin suivant <strong>le</strong>s différ<strong>en</strong>ts contours rie la rivière. Nous eûmes<br />
occasion de voir la demeure agréab<strong>le</strong> du Sultan qui, à la<br />
bel<strong>le</strong> saison, y va passer quelques jours. Un peu plus loin<br />
était une prairie; nous nous y lançâmes au galop. Tout près<br />
de là étai<strong>en</strong>t deux maisons d'où sortir<strong>en</strong>t, à notre arrivée,<br />
plusieurs hommes. Nous <strong>le</strong>ur conflâmes nos chevaux et nous<br />
visitâmes <strong>le</strong>s <strong>en</strong>virons. Nous vîmes au détour d'un petit pont<br />
un poste de soldatsturcs; un poste dans un <strong>en</strong>droit aussi loin<br />
de la vil<strong>le</strong> et aussi désert nous surprit beaucoup, et nous
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
apprîmes <strong>en</strong>suite de ces messieurs qu'il était là pour fermer<br />
la barre de la maison de plaiswnce du Sultan. Après cette<br />
petite excursion â travers champs, nous nous r<strong>en</strong>dîmes â nos<br />
deux maisonnettes, où étai<strong>en</strong>t nos chevaux. Nous aperçûmes<br />
sous <strong>le</strong> hangar de l'une d'el<strong>le</strong>s des tabourets p1cés pour<br />
nous, et un Turc qui nous invitait ànousasseoir, nous offrant<br />
des chéhoucks (longues pipes turques) et du café. Nous<br />
fûmes tous décidés à accepter, ne fût-ce même que pour jouir<br />
plus longtemps de cette bel<strong>le</strong> campagne. Enfin <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il se<br />
cachait. Nous dûmes, pour éviter <strong>le</strong>s mouvem<strong>en</strong>ts que j'ai<br />
relatésci-dessus nous r<strong>en</strong>dre immédiâtem<strong>en</strong>tâconstantinop<strong>le</strong>.<br />
Nous montâmes à cheval bi<strong>en</strong> cont<strong>en</strong>ts; nous marchâmes<br />
tous <strong>le</strong>s uns près des autres pour <strong>le</strong> retour. Au haut de la<br />
colline <strong>par</strong>aissait une plaine assez vaste ou s'y r<strong>en</strong>dit au<br />
galop. Arrivés à l'extrémité, nous nous plaçâmes <strong>en</strong> batail<strong>le</strong>.<br />
Là, d'après <strong>le</strong> cons<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t de tous, M. Deia.marre, officier<br />
instructeur pour la cava<strong>le</strong>rie persane, prit <strong>le</strong> commandem<strong>en</strong>t<br />
des fantassins même, puisque montés à cheval, ils devai<strong>en</strong>t<br />
être, pour <strong>le</strong>s manoeuvres du mom<strong>en</strong>t, considérés, ma foi,<br />
pour de bons cavaliers.<br />
Quoiqu'il <strong>en</strong> soit, M. Delamarre, dont <strong>le</strong> caractère était assez<br />
gai et comique, surtout au sortir d'un bon repas, fit rompre<br />
<strong>par</strong> deux, <strong>par</strong> quatre, et <strong>le</strong> tout s'exécutait au commandem<strong>en</strong>t<br />
<strong>d'une</strong> grosse voix de dragon; et tout <strong>en</strong> marchant, il répétait<br />
<strong>le</strong>s observations de sa théorie, <strong>en</strong> faisait faire l'application<br />
<strong>par</strong> tout son petit détachem<strong>en</strong>t, et je prie de croire tous mes<br />
<strong>le</strong>cteurs que souv<strong>en</strong>t sa voix s'é<strong>le</strong>vait plus forte que jamais<br />
pour faire ses observations aux fantassins ; et comme je<br />
l'étais, je dus me résigner à <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre mot <strong>par</strong> mot toutes <strong>le</strong>s<br />
phrases de sa théorie. Ainsi, la route se fit très agréab<strong>le</strong>, et<br />
l'on ne tarda pas à découvrir Constantinop<strong>le</strong>. Plus sil<strong>en</strong>cieux<br />
que jamais, nous nous serrâmes sur deux rangs et nous<br />
<strong>en</strong>trâmes <strong>en</strong> vil<strong>le</strong> <strong>en</strong> ayant sur nous tous <strong>le</strong>s regards, attirés<br />
surtout <strong>par</strong> <strong>le</strong> brillant de nos costumes français. Nous<br />
<strong>en</strong>trâmes au Cirque où des écuyers se hâtèr<strong>en</strong>t de pr<strong>en</strong>dre
iS 3OURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
nos chevaux. Nous nous r<strong>en</strong>dîmes <strong>en</strong>suite au calé, nous<br />
prîmes <strong>en</strong> cette bonne comphgnie, un punch, et nous nous<br />
sé<strong>par</strong>âmes <strong>en</strong>suite, devant nous revoir <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain. Ce jourta<br />
s'écoula donc très agréab<strong>le</strong>. Le soir, nous nous mîmes un<br />
peu <strong>en</strong> retard, et, après avoir dépassé <strong>le</strong> pônt pour r<strong>en</strong>trer à<br />
Constantinop<strong>le</strong>, nous n'avions d'inquiétude que <strong>par</strong> rapport<br />
aux maudits chi<strong>en</strong>s qui se trouv<strong>en</strong>t dans <strong>le</strong>s rues, et nous<br />
faisai<strong>en</strong>t une guerre ouverte. Sur toute la route, nous avions<br />
donc à nous t<strong>en</strong>ir sur nos gardes, el<strong>le</strong> chi<strong>en</strong> téméraire devait,<br />
sans att<strong>en</strong>dre longtemps pour ne pas compromettre nos<br />
intérêts, recevoir quelques coups de gourdin. Nous remarquions<br />
surtout trois <strong>en</strong>droits où <strong>le</strong>s chi<strong>en</strong>s se portai<strong>en</strong>t <strong>en</strong><br />
grand nombre quand ils avai<strong>en</strong>t àattaquerun certain nombre<br />
de passants.. C'est , contre nous, Français, ou • mieux contre nos<br />
uniformes, que ces malheureuses bêtes se déchaînai<strong>en</strong>t.<br />
Plusieurs fois nous fûmes obligés de mettre sabre <strong>en</strong> main;<br />
cela dans <strong>le</strong>s dernierstemps était d'autant plus nécessaire et<br />
urg<strong>en</strong>t que <strong>le</strong>s Turcs, comme on <strong>le</strong>s saittoujours <strong>en</strong>nemis des<br />
chréti<strong>en</strong>s, <strong>le</strong>s excitai<strong>en</strong>t, <strong>le</strong>s agaçai<strong>en</strong>t à notre insu. Un de nos<br />
camarades, M. Delamarre, fut attaqué <strong>par</strong> quelques chi<strong>en</strong>s.<br />
Il criafort, nous appela à son secours; nous étions à une<br />
c<strong>en</strong>taine de pas <strong>en</strong> avant. A ces mots de secours nous nous<br />
arrêtâmes un instant et nous y volâmes. Lorsque nous eûmes<br />
découvert notre ami, couché sur son dos, faisant al<strong>le</strong>r ses<br />
jambes pour se déf<strong>en</strong>dre, il râclait la terre de son sabre, et<br />
faisait tous ces mouvem<strong>en</strong>ts avec, d'autant plus de vivacité<br />
qu'il nous voyait près de lui. Enfin nous approchâmes et<br />
<strong>par</strong>vînmes à chasser ces chi<strong>en</strong>s. Nous ne pmes nous empêcher<br />
de rire <strong>en</strong> voyant une figure rouge de tout l'embarras<br />
que lui occasionnait cette pénib<strong>le</strong> position. Nous l'aidâmes à<br />
se re<strong>le</strong>ver « Nom d'un Dieu, nous dit-il, <strong>en</strong> nous montrant<br />
te son mol<strong>le</strong>t et son pantalon, qui avai<strong>en</strong>t essuyés de grandes<br />
avaries, quel <strong>le</strong>attaqiïe 1 »; etil allaitsemettreà<strong>le</strong>urpoursuite<br />
• s'il n'ett eu à s'occuper de son pantalon et du plumet de son<br />
casque; p<strong>en</strong>dant ces quelques instants, sa colère se passa.
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 19<br />
On conçoit., d'après cet incid<strong>en</strong>t et cette très désagréab<strong>le</strong> plaisanterie,<br />
que nous devions pins que jamais nous t<strong>en</strong>ir sur nos<br />
gardes. 11 est aussi, d'après <strong>le</strong> dit-on, souv<strong>en</strong>t d'autres plus<br />
grands malheurs â déplorer. 0e sont <strong>le</strong>s personnes qui<br />
devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t victimes de ces animaux, et <strong>le</strong> passant isolé, qui,<br />
la nuit, se laisse abattre <strong>par</strong> <strong>le</strong> nombre et <strong>le</strong>ur aboiem<strong>en</strong>t, ne<br />
tarde pas, s'il n'estsecouru,â être disséqué etdévoré<strong>par</strong>eux.<br />
Que p<strong>en</strong>ser pourtant de tant d'abus, si on ne voit <strong>en</strong>core là<br />
une p<strong>en</strong>sée déplorab<strong>le</strong> des Musulmans qui, tout <strong>en</strong> <strong>le</strong>s regardant<br />
comme animaux impurs, s'oppos<strong>en</strong>t à ce qu'on <strong>le</strong>s tue,<br />
et <strong>le</strong>ur jett<strong>en</strong>t à des heures indiquées de grands morceaux de<br />
viande. Malheureuse vil<strong>le</strong>, tout vi<strong>en</strong>t contribuer â la r<strong>en</strong>verser,<br />
et une nouvel<strong>le</strong> Cons tantinop<strong>le</strong>,.d'ici à quelques années,<br />
vi<strong>en</strong>dra s'<strong>en</strong>ter sur de déplorab<strong>le</strong>s -ruines.<br />
Le 15 octobre, un inc<strong>en</strong>die horfib<strong>le</strong> éclata <strong>en</strong>core et de nombreux<br />
ma]heureuxeur<strong>en</strong>tàsejoindre à ceux dont Iesdemeures<br />
étai<strong>en</strong>t dev<strong>en</strong>ues la proie des flammes, à péra, deux mois <strong>en</strong>viron<br />
avant notre arrivée, etoû <strong>le</strong>s débris f minai <strong>en</strong>t<strong>en</strong>core un mois<br />
après l'inc<strong>en</strong>die. L'inc<strong>en</strong>die dont nous fûmes témoilis, <strong>le</strong> 15 octobre,<br />
éclata près de nos <strong>par</strong>ages. D'abord des cris, des hourras<br />
nous fir<strong>en</strong>t abandonner notre tab<strong>le</strong>. Que] fut notre étonnem<strong>en</strong>t<br />
de voirie ciel refléterd'épouvantab<strong>le</strong>s flammes qui, jusqu'àun<br />
quart de lieue, nous éclairai<strong>en</strong>t assez pour que chacun put<br />
voir dans la figure de son camarade, la stupeur. « Allons-y »,<br />
dit un de nous, et-, dominés du désir de <strong>le</strong>ur être uti<strong>le</strong>s, et un<br />
peu de la curiosité, nous prîmes nos armes et nous nous<br />
dirigeâmes vers <strong>le</strong> sinistre; <strong>par</strong>tout on voyait des.Musulmans<br />
s'y r<strong>en</strong>dant <strong>en</strong> courant. Une fois sur <strong>le</strong> lieu de l'inc<strong>en</strong>die, quel<br />
fut notre étorniem<strong>en</strong>tde voir <strong>le</strong> feu gagner de toutes <strong>par</strong>ts et<br />
de voir <strong>en</strong> même temps <strong>le</strong>s émin<strong>en</strong>ces voisines couvertes de<br />
spectateurs. Nous nous avançâmes plus près <strong>en</strong> passant dans<br />
an jardin déjà pillé et <strong>en</strong>vahi. Nous examinâmes un instant<br />
ces malheureuses demeures, tombant avec bruit et fracas.<br />
Nous vîmes <strong>en</strong> même temps quelques soldats armés de<br />
haches, longues perches et cordes. Nous, consci<strong>en</strong>cieux,
20 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
quoique n'ap<strong>par</strong>t<strong>en</strong>ant pas â la Turquie, de nous adresser au<br />
chef de ces hommes et de lui conseil<strong>le</strong>r d'abattre, sans délai,<br />
une maison qui, sans cela, hâterait l'inc<strong>en</strong>die; il nous écouta<br />
d'abord, et <strong>en</strong> un instant tous ces travail<strong>le</strong>urs mir<strong>en</strong>t la main<br />
à l'oeuvre; mais <strong>en</strong> même temps, d'autres lui observèr<strong>en</strong>t que<br />
dans cette maison il yavait un puits et la besogne cessa. Cette<br />
considération aurait pu être mise <strong>en</strong> balance avec cette<br />
maison à abattre pour arrêter tout progrès, si l'eau avait<br />
manqué, mais la mer était tout près. Pauvres g<strong>en</strong>s I pauvre<br />
vil<strong>le</strong> I!... Nous changeâmes alors de direction. Pour lors, <strong>le</strong>s<br />
secours v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t de toutes<strong>par</strong>ts; il y avait de la frénésie chez<br />
ces hommes, courant çàetlaet porteurs de pompes, et n'ayant<br />
point de garde de fou<strong>le</strong>r à <strong>le</strong>urs pieds ceux qui ne se<br />
rangeai<strong>en</strong>t pas assez tôt pour <strong>le</strong>ur faire place. A côté, on<br />
voyaitdes pachas, que <strong>le</strong>ur devoir avaitattiré vers cet <strong>en</strong>droit,<br />
fumer <strong>le</strong>ur chebouck avec la posture la plus tranquil<strong>le</strong>, et<br />
donnai<strong>en</strong>t ainsi <strong>le</strong>urs ordres.. Nous <strong>par</strong>courûmes plusieurs<br />
quartiers, tous alors différ<strong>en</strong>ts-théâtres de l'inc<strong>en</strong>die, et nous<br />
nous arrêtâmes au bord de la mer. Daprès notre précéd<strong>en</strong>t<br />
désappointem<strong>en</strong>t, nous donnions quelques conseils, mais sans<br />
beaucoup d'empressem<strong>en</strong>t. Là cep<strong>en</strong>dant, on nous écouta et<br />
nos conseils fur<strong>en</strong>t suivis. Nous remarquâmes cep<strong>en</strong>dant que<br />
tous<strong>le</strong>s secours, toutes<strong>le</strong>urs forces seportai<strong>en</strong>td'un seul côté,<br />
tandis qu'une longue fi<strong>le</strong> de maisons vers la mer restait sans<br />
secours et dev<strong>en</strong>ait de plus <strong>en</strong> plus la proie des flammes. Nous<br />
<strong>en</strong> demandâmes l'explication â un turc qui se trouvait là.<br />
« C'est, nous répondit-ii avecsa tranquillité habituel<strong>le</strong>, que ce<br />
quartier est celui des Musulmans, tandis que celui-là est aux<br />
chréti<strong>en</strong>s Arméni<strong>en</strong>s. Leur demeure peutbrû<strong>le</strong>r. » Nous nous<br />
retournâmes vers <strong>le</strong> quartier de ces malheureux Arméni<strong>en</strong>s<br />
et nous <strong>le</strong>s voyons <strong>le</strong>s larmes aux yeux III L'inc<strong>en</strong>die fut<br />
effroyab<strong>le</strong> et <strong>le</strong> doigt de Mahomet avait désigné bon nombre<br />
de maisons dont ]es habitants ne se doutai<strong>en</strong>t pas alors d'être<br />
réduits à être <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain sans aucunasi<strong>le</strong>. Nousremontâmes<br />
à notre position première, et la maison que nous avions voulu
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 21<br />
faire abattre n'était pins et avait occasionné des flammes<br />
é<strong>le</strong>vées plus loin <strong>en</strong>core sur <strong>le</strong>s faites des maisons qui<br />
craquai<strong>en</strong>t â nos pieds. Pour .lôrs tous <strong>le</strong>s passages étai<strong>en</strong>t<br />
obstrués, et nous eûmes toute la peine du monde â nous<br />
frayer un passage. Enfin, après de longues peines, nous nous<br />
<strong>en</strong> éloignâmes, grâce à notre uniforme qui invitait <strong>le</strong>s cavas<br />
â faire recu<strong>le</strong>r <strong>le</strong> monde, autant toutefois que la fou<strong>le</strong> <strong>le</strong><br />
permettait. Nous eussions été bi<strong>en</strong> â plaindre, si nous ne<br />
nous étions prémunis de nos uniformes. Certes, dès lors, flous<br />
eussions s<strong>en</strong>ti plus <strong>d'une</strong> fois <strong>le</strong>s bâtons des cavas s'appesantir<br />
sur nos reins, comme cela arriva à monsieur Delamarre, qui<br />
avait <strong>par</strong>dessus mis une blouse. Il fut sans doute arrêté, à<br />
notre dé<strong>par</strong>t de France, que tous <strong>le</strong>s incid<strong>en</strong>ts un peu<br />
comiques aurai<strong>en</strong>t eu lieu pour ce cher camarade. Enfin nous<br />
nous r<strong>en</strong>dîmes à l'ambassade persane. Le l<strong>en</strong>demain, au<br />
matin, nous voulûmes être témoins du sinistre; nous nous<br />
r<strong>en</strong>dimes au heu de l'inc<strong>en</strong>die; ri<strong>en</strong> n'étaitplus déplorab<strong>le</strong> et<br />
plus triste que ces raines qu'on apercevait de toutes <strong>par</strong>ts.<br />
Oh combi<strong>en</strong> nous eûmes à nous apitoyer sur <strong>le</strong> sort trop<br />
malheureux de tant de victimes. Des minarets s'é<strong>le</strong>vai<strong>en</strong>t de<br />
distance <strong>en</strong> distance; eux seuls tout de pierres et de<br />
briques étai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> <strong>par</strong>tie debout, comme pour être témoins<br />
d'un tel désastre. Un morne sil<strong>en</strong>ce régnait dans tous <strong>le</strong>s<br />
quartiers que nous <strong>par</strong>courions, et il n'était troublé que <strong>par</strong><br />
<strong>le</strong>s restes d'un édifice miné <strong>par</strong> l'horrib<strong>le</strong> élém<strong>en</strong>t et qui<br />
s'écroulait sous nos yeux. Plus loin, quelques décombres<br />
laissai<strong>en</strong>t échapper <strong>par</strong> <strong>le</strong>s crevasses une fumée étouffée.<br />
Ici, était un chi<strong>en</strong> tout ha<strong>le</strong>tant de la cha<strong>le</strong>ur qu'il éprouvait,<br />
et couché â l'<strong>en</strong>droit ou naguère habitai<strong>en</strong>t ses maîtres. Là<br />
était une fil<strong>le</strong>, la figure voilée, sil<strong>en</strong>cieuse, qui <strong>par</strong> mom<strong>en</strong>t<br />
priait sur <strong>le</strong>s c<strong>en</strong>dres qui peut-être r<strong>en</strong>fermai<strong>en</strong>t cel<strong>le</strong>s d'un<br />
père, <strong>d'une</strong> mère. A coté était l'imm<strong>en</strong>se mer fière d'être au<br />
niveau de tant de ruines. Plus loin, on apercevait un jeune<br />
<strong>en</strong>fant courant, çà et là, implorant la pitié d'un chacun et <strong>par</strong><br />
contraste horrib<strong>le</strong> étai<strong>en</strong>t quelques personnes victimes peut-<br />
2<br />
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JOURNAL DUNE MISSION MtL1TÀ1IIE IN PERSJ<br />
être indiffér<strong>en</strong>tes â. ce spectac<strong>le</strong>. Pour mon compte, j'avoue<br />
que jamais je n'éprouvai de si vives et pénib<strong>le</strong>s s<strong>en</strong>sations<br />
qu'a la vue de tant d'infortunes réunies. 3tmais je ne fis de<br />
plus justes réf<strong>le</strong>xions sur l'exist<strong>en</strong>ce humaine, frê<strong>le</strong> nacel<strong>le</strong><br />
se perdant au moindre orage. Nous quittâmes ce lieu vers <strong>le</strong>s<br />
9 heures du matin. Les flammes n'existai<strong>en</strong>t plus, <strong>le</strong> feu seul<br />
fumait <strong>en</strong>core; mais tout devait s'arrêter là, et à notre retour<br />
on lisait sur une planche dressée sur <strong>le</strong>s débris de la maison<br />
d'un boulanger « Ici a pris <strong>le</strong> feu ; 1,500 maisons ont été<br />
brûlées.<br />
Le 16 au soir, un autre inc<strong>en</strong>die éclâta aux <strong>en</strong>virons de<br />
notre demeure; nous <strong>en</strong> ftïmes avertis <strong>par</strong><strong>le</strong>s aboiem<strong>en</strong>ts des<br />
chi<strong>en</strong>s et <strong>par</strong> <strong>le</strong>s cris de la nombreuse populace se r<strong>en</strong>dant<br />
au lieu du sinistre. Nous y fûmes aussi, et malgré la fou<strong>le</strong><br />
qui s'y trouvait., nous <strong>par</strong>vînmes à nous frayer un chemin.<br />
Pour nous r<strong>en</strong>dre au théâtre de l'inc<strong>en</strong>die, nous dûmes<br />
passer sous une porte <strong>en</strong> <strong>par</strong>tie embrasée, qui donnait sur<br />
une grande cour, où jouai<strong>en</strong>t plusieurs pompes. Enfin après<br />
quelques secours mieux combinés, <strong>le</strong> feu s'éteignit., et<br />
on n'eut à déplorer que 300 maisons qui fur<strong>en</strong>t perdues et<br />
brûlées.<br />
Voilà donc cette malheureuse capita<strong>le</strong> de laTurquie, accourant<br />
à grands pas vers sa ruine. Oh I je me rappel<strong>le</strong> <strong>en</strong>core<br />
la grandeur de <strong>le</strong>ur empire et de <strong>le</strong>ur nom dans <strong>le</strong>s têtes des<br />
jeunes g<strong>en</strong>s, dont l'imagination est imprégnée des contes de<br />
la veillée et de différ<strong>en</strong>ts auteurs. Combi<strong>en</strong> de fois, moi-même,<br />
ai-je lu et relu ces vieux récits de <strong>le</strong>urs pères, ces batail<strong>le</strong>s<br />
d'où, vainqueurs, ils se retirai<strong>en</strong>t toujours; alors mon imagination<br />
d'<strong>en</strong>fant <strong>le</strong>s grandissait <strong>en</strong>core, et maint<strong>en</strong>ant je<br />
<strong>le</strong>s vois <strong>en</strong>core bi<strong>en</strong> pâ<strong>le</strong>s et bi<strong>en</strong>s petits <strong>le</strong>urs rejetons; cette<br />
race d'hommes que jadis on nous dépeignait si courageuse,<br />
si belliqueuse n'existe plus hélas t A la place de ces fiers<br />
Musulmans, on ne voit plus qu'une race chétive, et <strong>le</strong> plus<br />
souv<strong>en</strong>t on voit des jeunes g<strong>en</strong>s de l'âge de 13, 14, 15 ans,<br />
sans aucune force, sans aucune corpul<strong>en</strong>ce, armés d'un fusil,
JOURNAL D 'UNE M15S10t4 )IILftAIRE EN PERSE<br />
se t<strong>en</strong>ant près de ces guérites, 0(1 pourtant devrai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core se<br />
trouver de forts soldats. Et ces jeunes g<strong>en</strong>s peuv<strong>en</strong>t-il servir!<br />
Je <strong>le</strong> demande aux gouverneurs de la Turquie, lorsque<br />
surtout ils sont sans vêtem<strong>en</strong>ts, sans chaussures. Ouvrirontils<br />
<strong>en</strong>fin <strong>le</strong>s yeux pour voir que <strong>le</strong>ur race jadis si florissante<br />
n'existe plus, et que, dépérissant de jour <strong>en</strong> jour, ils ne<br />
laisseront de <strong>le</strong>ur anci<strong>en</strong>ne puissance que l'ombre de toute<br />
<strong>le</strong>ur grandeur?<br />
L'Egypte est <strong>en</strong>core, comme dans l'anci<strong>en</strong> temps, un<br />
gr<strong>en</strong>ier, et c'est là que la Turquie vi<strong>en</strong>t, dernièrem<strong>en</strong>t, de se<br />
faire expédier différ<strong>en</strong>ts grains; je <strong>le</strong>ur demanderai <strong>en</strong>core si<br />
un <strong>le</strong>i état de choses peut exister, si ils att<strong>en</strong>dront que la<br />
plus affreuse disette ne se mette dans <strong>le</strong>ur vil<strong>le</strong>, si <strong>le</strong><br />
peup<strong>le</strong> att<strong>en</strong>dra <strong>en</strong>core une heure à la porte du boulanger<br />
pour avoir un morceau de pain, quelquefois <strong>en</strong>core se<br />
retirant sans avoir l'espérance même d'assouvir sa faim ce<br />
jour même, et si un tel état de choses, dis-je, existeetcontin.ue;<br />
je <strong>le</strong>ur demanderai quels sont ceux qu'ils doiv<strong>en</strong>t accuser et<br />
condamner, et quels sont ceux <strong>en</strong>fin qui se trouveront au<br />
dernier jour pour re<strong>le</strong>ver <strong>le</strong>ur pouvoir et <strong>le</strong>ur nom?<br />
Nous fûmes aussi reçus très amica<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t <strong>par</strong> plusieurs<br />
prêtres qui étai<strong>en</strong>t à Constantinop<strong>le</strong>, dans <strong>le</strong> but d'instruire<br />
la jeunesse. Ils nous témoignèr<strong>en</strong>t la plus grande bi<strong>en</strong>veillance<br />
; qu'ils nous permett<strong>en</strong>t ici de conserver d'eux un bon<br />
souv<strong>en</strong>ir.<br />
Avant d'<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>dre <strong>le</strong> récit de la suite de notre voyage,<br />
je vais essayer de décrire un peu loT position de Constantinop<strong>le</strong><br />
et de son intérieur. Cette vil<strong>le</strong> offre un coup d'oeil<br />
agréab<strong>le</strong> lorsqu'on se cont<strong>en</strong>te de prom<strong>en</strong>er dessus son<br />
regard, et lorsque seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t on l'arrête <strong>en</strong>core sur <strong>le</strong>s nombreuses<br />
flèches s'é<strong>le</strong>vant à une hauteur prodigieuse et sur<br />
<strong>le</strong>s dômes des mosquées. De près, on admire <strong>le</strong>ur élégance et<br />
<strong>le</strong>ur hardiesse et d'un peu loin on admire non seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t <strong>le</strong><br />
coup d'oeil bi<strong>en</strong>-varié de cette vil<strong>le</strong>, mais <strong>en</strong>core ces mêmes<br />
flèches et ces mêmes dômes offrant un aspect imposant;
24 JOURNAL D'UNE TIISSI0NM1LITAIRE EN PERSE<br />
maïs aussi que tout se borne là, qu'on ne recherche pas <strong>le</strong><br />
détail, qu'on n'examine pas scrupu<strong>le</strong>usem<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s différ<strong>en</strong>tes<br />
constructions des maisons, que <strong>le</strong>s réf<strong>le</strong>xions qui <strong>en</strong> naîtront<br />
cess<strong>en</strong>t et s'arrêt<strong>en</strong>t, que de plus piteuses <strong>en</strong>core ne vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />
vous occuper sur la malpropreté et la sa<strong>le</strong>té des rues, car<br />
alors tombant de déception <strong>en</strong> déception, tout <strong>le</strong> beau dis<strong>par</strong>aîtra,<br />
et réel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t on s'apitoira sur cette malheureuse vil<strong>le</strong><br />
qui n'a même pas la moindre police ap<strong>par</strong><strong>en</strong>te. --<br />
Le fer novembre, nous <strong>par</strong>tîmes de Constantinop<strong>le</strong> sur <strong>le</strong><br />
bateau à vapeur <strong>le</strong> Metternich. Le temps était beau et vers <strong>le</strong>s<br />
une heure, nous quittions <strong>le</strong> port de cette vil<strong>le</strong>. Nous suivions<br />
<strong>le</strong> Bosphore dans la direction de la mer Noire. Le temps était<br />
un peu orageux, de légers nuages couvrai<strong>en</strong>t <strong>le</strong> ciel, et pourtant<br />
un so<strong>le</strong>il de la saison dorait <strong>le</strong>s collines voisines du<br />
Bosphore. Ri<strong>en</strong> n'était, si beau, si agréab<strong>le</strong> à voir que <strong>le</strong>s<br />
maisons de campagne placées sur ces hauteurs, et tous ces<br />
verdoyants jardins. Nous pouvions admirer <strong>le</strong>s deux rives<br />
très rapprochées surtout <strong>en</strong> bi<strong>en</strong> des <strong>en</strong>droits. C'est du<br />
Bosphore principa<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t que cette Constantinop<strong>le</strong> que nous<br />
v<strong>en</strong>ions de quitter nous ap<strong>par</strong>aissait grande et bel<strong>le</strong>. Quel<strong>le</strong><br />
vil<strong>le</strong> agréab<strong>le</strong> l'imagination ne voit-el<strong>le</strong> pas de cette distance,<br />
et je faisais qùelques réf<strong>le</strong>xions <strong>en</strong>core sur ce peup<strong>le</strong> indol<strong>en</strong>t<br />
qui vivait sur une terre tant favorisée de la nature; je fis face<br />
à la proue du navire et nous apercevions la mer Noire.<br />
Vers <strong>le</strong>s5 heures nous y <strong>en</strong>trâmes. Tout dis<strong>par</strong>aissait peu à<br />
peu à notre vue. Ce fut alors que tous tournés vers Constantinop<strong>le</strong>,<br />
cette vil<strong>le</strong> que nous v<strong>en</strong>ions de quitter. Constantinop<strong>le</strong><br />
dis-je, qui, quoique bi<strong>en</strong> loin de France, avait quelque attrait<br />
quelque agrém<strong>en</strong>t pour nous, Français, puisque des compatriotes,<br />
qui y étai<strong>en</strong>t, nous rappelai<strong>en</strong>t de chers souv<strong>en</strong>irs, vers<br />
el<strong>le</strong>, dis-je, <strong>en</strong>core nous nous retournions, et subitem<strong>en</strong>t une<br />
tristesse que nous ne pines vaincre s'em<strong>par</strong>a de nous. El<strong>le</strong><br />
se peignait sur nos physionomies. C'est que nous nous éloignions<br />
pour 8 ans c'est (lue, dès cet instant, nos relatibns<br />
cessai<strong>en</strong>t avec tout état français. Le v<strong>en</strong>t devint alors un peu
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 25<br />
favorab<strong>le</strong>; il <strong>en</strong>flait <strong>le</strong>s minces voi<strong>le</strong>s du bateau â vapeur autrichi<strong>en</strong>.<br />
Nous n'avions plus qu'un souv<strong>en</strong>ir du Bosphore. Tout<br />
avait dis<strong>par</strong>u à nos yeux. Nous voguions déjà <strong>en</strong> p<strong>le</strong>ine mer.<br />
Alors nous nous assîmes tous sur <strong>le</strong> tillac du bâtim<strong>en</strong>t<br />
où étai<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s premières, nous regardions de M tout <strong>le</strong> pont<br />
recouvert de passagers turcs, pê<strong>le</strong>-mê<strong>le</strong>. Ainsi, nous dit un<br />
officier du bord, vont rester p<strong>en</strong>dant toute la traversée qui<br />
dure ordinairem<strong>en</strong>t 4 à 5 jours, ces g<strong>en</strong>s qui ne se dérang<strong>en</strong>t<br />
que pour un seul besoin qu'exige la salubrité généra<strong>le</strong>. Nous<br />
observâmes <strong>en</strong>suite, <strong>par</strong> exception aux autres bateaux â<br />
vapeur, une balustrade divisant aux trois-quarts <strong>le</strong> pont dans<br />
sa longueur, et un petit coin surtout, que ce même officier<br />
nous dit r<strong>en</strong>fermer <strong>le</strong>s pestiférés quand, <strong>par</strong> malheur, se<br />
déclar<strong>en</strong>t ces maladies. Après quelques instants de marche,<br />
quoique <strong>le</strong> temps fut beau, nous filmes, <strong>en</strong> général indisposés<br />
du mal de cette mer <strong>le</strong> plus souv<strong>en</strong>t orageuse. Je ne pus résister<br />
davantage sur <strong>le</strong> pont; je desc<strong>en</strong>dis et je restai couché<br />
plus de 24 heures sans pouvoir ri<strong>en</strong> pr<strong>en</strong>dre, ne s<strong>en</strong>tant et<br />
ne mangeant que du citron ; <strong>le</strong> temps se calma, sur cette<br />
maudite mer, ou mieux <strong>le</strong>s vagues n'étant plus si é<strong>le</strong>vées<br />
et <strong>le</strong> roulis n'étant plus fort, je montai sur <strong>le</strong> pont et att<strong>en</strong>dis<br />
avec impati<strong>en</strong>ce <strong>le</strong> signal du déjeûner. -<br />
Nous relachâmes devant<strong>le</strong>s petites vil<strong>le</strong>s de Sinope, patriede<br />
Diogène, et Semson, qui n'offre ri<strong>en</strong> de remarquab<strong>le</strong>, si ce n'est<br />
quelques antiques fortifications que nouspmes remarquerdu<br />
bâtim<strong>en</strong>t. Nous quittâmes <strong>le</strong> petit port de Semson vers <strong>le</strong>s 2<br />
heuresdu4novembre. Pour lors nousétions tous rev<strong>en</strong>usd<strong>en</strong>os<br />
souffrances et chacun fumait â son tour <strong>le</strong> chéhouck après<br />
son dîner, se prom<strong>en</strong>ant amica<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t avec son compagnon<br />
dans l'étroit espace du pont que l'on avait réservé pour <strong>le</strong>s<br />
premières. Le ciel était étoilé, <strong>le</strong> temps calme. Que pouvait-on<br />
désirer de plus? Nous passâmes une <strong>par</strong>tie de la nuit, et <strong>le</strong>s<br />
différ<strong>en</strong>tes barcarol<strong>le</strong>s ne manquèr<strong>en</strong>t pas de se faire <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre<br />
et de se joindre à nos chansons de France ; on se<br />
r<strong>en</strong>dit à sa cabine pour y pr<strong>en</strong>dre quelque repos. Vers <strong>le</strong>s
26<br />
IOURNAt D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
• 3 heures 1/2 du matin, un coup de canon se fit <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre; il<br />
<strong>par</strong>tait du bord et annonçait aux habitants de Trébizonde<br />
• l'arrivée du bateau à vapeur. Nous débarquâmes <strong>le</strong> 5 vers <strong>le</strong>s<br />
iO heures. Hussein-Khân y fut, comme de coutume, accompagné<br />
<strong>d'une</strong> salve d'artil<strong>le</strong>rie du bord â laquel<strong>le</strong> répondit,<br />
d'un même nombre, cel<strong>le</strong> Ottomane. Nous abordâmes donc â<br />
Trébizonde sur la terre d'Asie, <strong>le</strong> 5 novembre à 10 heures.<br />
D'ici dat<strong>en</strong>t quelques-uns de nos malheurs. Les craintes que<br />
Hussein-Khân avaiteues sur la désertion qu'il supposait,â cause<br />
des vexations que nous avions éprouvées jusqu'à ce jour,<br />
dis<strong>par</strong>ur<strong>en</strong>t alors, je p<strong>en</strong>se, chez cet homme, car toute sa conduite<br />
nous <strong>le</strong> prouvait. Tout manquait, vivres et logem<strong>en</strong>ts,<br />
et même jusqu'à celte considération et ce respect auquel est<br />
habitué <strong>le</strong> <strong>militaire</strong> et Hussein-Khân dès lors comm<strong>en</strong>ça à<br />
nous confondre avec .es domestiques, et cet état de choses,<br />
que nous avions cru conséqu<strong>en</strong>ce des circonstances, nous<br />
confirma la mauvaise volonté de cet homme, d'après ses procédés<br />
<strong>en</strong> cette vil<strong>le</strong>. Nous étions souv<strong>en</strong>t <strong>le</strong> jouet de sa va<strong>le</strong>tail<strong>le</strong>;<br />
ils nous injuriai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> <strong>le</strong>ur langage, et aux rapports<br />
qu'on <strong>en</strong> faisait à Hussein, il promettait ré<strong>par</strong>ation, et que<br />
cela n'arriverait plus. Malheureusem<strong>en</strong>t ces promesses<br />
étai<strong>en</strong>t vaines, et ses injures se r<strong>en</strong>ouvelai<strong>en</strong>t sans cesse. Que<br />
devions-nous p<strong>en</strong>ser de cet ambassadeur? Ses craintes sur<br />
notre désertion dis<strong>par</strong>ur<strong>en</strong>t donc, car déjà nous étions bi<strong>en</strong><br />
loin des confins de l'Europe. La mer Noire que nous v<strong>en</strong>ions<br />
de traverser était une barrière insurmontab<strong>le</strong> pour ceux, qui,<br />
pour de nouveaux maltraite nie lits, se serai<strong>en</strong>t cru <strong>le</strong> droit, au<br />
- souv<strong>en</strong>ir de la liberté, de déserter ce peup<strong>le</strong> perfide; et pourtant,<br />
quoique des propositions avantageuses avai<strong>en</strong>t été faites<br />
à quelques-uns d'<strong>en</strong>tre nous pour servir â titre d'instructeur<br />
dans l'armée Ottomane, aucun de ceux-là ne conçut <strong>le</strong> projet<br />
de fausser sa <strong>par</strong>o<strong>le</strong> et son contrat; nous avions un <strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t,<br />
nous étions Français et <strong>en</strong>voyés <strong>par</strong> <strong>le</strong> gouvernem<strong>en</strong>t<br />
nous devions donc tout souffrir, sans proférer à l'av<strong>en</strong>ir une<br />
seu<strong>le</strong> <strong>par</strong>o<strong>le</strong>, et suivre jusqu'au bout la tâche qu'on nous avait
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN 1'E11E<br />
imposée. Ce fut là que chacun fit de mûres réf<strong>le</strong>xions, ce fut<br />
<strong>en</strong>core là que Hussein-Khân jeta <strong>le</strong> voi<strong>le</strong> qui cachait et son<br />
naturel cruel, et son caractère de vrai Persan, et que nous<br />
pûmes voir â découvert toute sa fourberie, et jeter â notre<br />
tour un triste regard vers <strong>le</strong> ciel qui couvrait notre patrie, et<br />
sur cette mer Noire ou peu de jours <strong>en</strong>core au<strong>par</strong>avant,<br />
naissait <strong>par</strong>fois dans notre âme une lueur, sinon de bonheur,<br />
du moins d'espérance. Nous devions <strong>en</strong>core espérer pourtant,<br />
et nous nous prîmes tous de bonne philosophie: ainsi nous<br />
vivions.<br />
Nous eûmes, p<strong>en</strong>dant notre séjour à Trébizonde, occasion<br />
de voir monsieur Outrey, consul français et nouspûmesnous<br />
convaincre de la vérité pour tous <strong>le</strong>s éloges qu'on nous avait<br />
faits de cet honorab<strong>le</strong> consul. Nous fûmes amica<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t reçus<br />
<strong>par</strong> lui et toute sa famil<strong>le</strong>. Nous passions <strong>en</strong>semb<strong>le</strong> des soirées<br />
charmantes et nous éprouvions un gram] regret, de pàrt et<br />
d'autre, à l'idée de notre sé<strong>par</strong>ation. Nous nous rappelions<br />
quelques bel<strong>le</strong>s journées que nous passions <strong>en</strong> France <strong>en</strong><br />
société de nos amis, nous abandonnant à toute la gaîté et la<br />
joie avec cette aimab<strong>le</strong> famil<strong>le</strong>.<br />
- Le l<strong>en</strong>demain de notre première visite, nous eûmes cel<strong>le</strong><br />
des fils de monsieur Outrey, avec <strong>le</strong>squels, après quelques<br />
instants d'<strong>en</strong>treti<strong>en</strong> dans notre modique salon, nous fûmes<br />
faire une prom<strong>en</strong>ade à la campagne. Nous nous dirigeâmes<br />
vers la colline, contre laquel<strong>le</strong> est adossée la vil<strong>le</strong>.Nous aperçûmes<br />
à mi-côte un vieux château, d'après <strong>le</strong> dire de ces<br />
messieurs, car à l'extérieur, ce n'était plus qu'un amas de<br />
ruines; nous y <strong>en</strong>trâmes et aperçûmes quelque prêtres grecs<br />
qui y font <strong>le</strong>ur séjour. Nous fûmes aussi voir la petite chapel<strong>le</strong>;<br />
<strong>le</strong> lieu où <strong>le</strong> prêtre fait son office est caché aux<br />
regards des personnes qui y vont faire <strong>le</strong>urs prières, <strong>par</strong> une<br />
faib<strong>le</strong> cloison; une source d'eau fraîche et excessivem<strong>en</strong>t<br />
limpide, tombe dans un bassin creusé dans cette chapel<strong>le</strong>.<br />
Nous montâmes <strong>en</strong>suite sur la plate-ferme, surmontée d'an<br />
mur tombant <strong>en</strong> lambeaux, mais nous pûmes, à l'aide de<br />
27
28 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
quelques créneaux qui y sont pratiqués, jouir d'un agréab<strong>le</strong><br />
coup d'oeil de la mer, de la vil<strong>le</strong> et des <strong>en</strong>virons, Après quoi,<br />
la nuit s'approchant, nous nous r<strong>en</strong>dîmes chacun chez nous,<br />
avec promesse de se revoir <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain. Que monsieur<br />
Outrey, sa dame et ses <strong>en</strong>fants, soi<strong>en</strong>t convaincus des bons<br />
souv<strong>en</strong>irs que mes camarades et moi conservons d'eux<br />
<strong>le</strong>urs bontés pour nous, <strong>le</strong>ur cordialité resteront pour toujours<br />
gravées dans nos coeurs, qui désir<strong>en</strong>t pouvoir trouver pour<br />
expression de <strong>le</strong>urs bons s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts la poignée de main qui<br />
se donne loin de sa patrie.<br />
Trébizonde n'est peinture vil<strong>le</strong> désagréab<strong>le</strong> au coup d'oeil;<br />
<strong>le</strong>s rues, quoiqu'étroites et sa<strong>le</strong>s, sont plus propres et plus<br />
commodes que la majeure <strong>par</strong>tie des rues de Constantinop<strong>le</strong>;<br />
la campagne y est ferti<strong>le</strong>, et <strong>le</strong> coteau dont j'ai déjà <strong>par</strong>lé produit<br />
toutes espèces de fruits, notamm<strong>en</strong>t des citrons. A l'est,<br />
cette vil<strong>le</strong> est abritée <strong>par</strong> <strong>le</strong> mont Taurus, qui se prolonge à<br />
travers toute l'Arménie; <strong>le</strong>s communications quoique <strong>par</strong>fois<br />
très diffici<strong>le</strong>s, lui permett<strong>en</strong>t pourtant <strong>le</strong> commerce avecconstantinop<strong>le</strong>,<br />
Erzeroum, la Grimée, Odessa, l'intérieur de l'Asie<br />
Mineure et de la <strong>Perse</strong>. P<strong>en</strong>dant <strong>le</strong> peu de jours que nous y<br />
passâmes, je passai rarem<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s matinées sans faire ma prom<strong>en</strong>ade<br />
favorite an sommet de cette colline qui domine<br />
Trébizonde. J'aimais â y respirer l'air frais et pur, j'aimais à<br />
voir la p<strong>le</strong>ine végétation de la campagne, surtout sur quelques<br />
montagnes, sur la gauche de cette vil<strong>le</strong>, et qui se perd<strong>en</strong>t<br />
dans l'horizon de la mer ; j'aimais aussi à voir cette mer<br />
calme <strong>par</strong>fois et, au loin, un bâtim<strong>en</strong>t, m'apportant peut-être<br />
une <strong>le</strong>ttre de France. Là, sur ce même plateau je voyais avec<br />
plaisir une vieil<strong>le</strong> chapel<strong>le</strong> que l'on me dit être des Arméni<strong>en</strong>S<br />
catholiques, et maint<strong>en</strong>ant quelques pierres s'élèv<strong>en</strong>t â<br />
peine au-dessus des ruines qui y sont <strong>en</strong>tassées. Je ne puis<br />
m'empêcher de m'apitoyer sur <strong>le</strong> sort de cette malheureuse<br />
vil<strong>le</strong> bâtie plus de '700 ans avant l'ère chréti<strong>en</strong>ne. Florissante<br />
alors, el<strong>le</strong> s'était gouvernée el<strong>le</strong>-même; plus tard, el<strong>le</strong><br />
passa successivem<strong>en</strong>t sous la domination des rois du Pont, de
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 29<br />
POlé[non, des empereurs d'Ori<strong>en</strong>t et <strong>en</strong>fin des Ottomans. El<strong>le</strong><br />
échappera peut-être bi<strong>en</strong>tôt des mains de ses derniers gouverneurs,<br />
car <strong>le</strong>ur pouvoir est sapé jusqu'aux fondem<strong>en</strong>ts <strong>par</strong><br />
<strong>le</strong>s victoires que <strong>le</strong>s Russes ont remportées sur <strong>le</strong> Croissant,<br />
et qui sembl<strong>en</strong>t annoncer <strong>le</strong>ur ruine et <strong>le</strong>ur destruction.<br />
Cette malheureuse vil<strong>le</strong> se divise <strong>en</strong> deux <strong>par</strong>ties, la <strong>par</strong>tie<br />
<strong>en</strong>vironnée de murs, ou mauvaise fortification, qu'habit<strong>en</strong>t<br />
exclusivem<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s Turcs, et la deuxième <strong>par</strong>tie n'ayant pas<br />
de limites, habitée <strong>par</strong> <strong>le</strong>s Grecs et <strong>le</strong>s Arméni<strong>en</strong>s. Cette cité<br />
est <strong>en</strong> proie, <strong>par</strong> an, à une ou deux pestes, etje crois, sans avoir<br />
égard à toutes <strong>le</strong>s considérations qui font naître ce fléau, la<br />
proprté est <strong>en</strong>core une des choses principa<strong>le</strong>s, ce qui n'a<br />
nul<strong>le</strong>m<strong>en</strong>tlieu, carun jour que je me prom<strong>en</strong>aissur <strong>le</strong>s bords<br />
de la mer, je vis ét<strong>en</strong>du sur <strong>le</strong> sab<strong>le</strong>, plus <strong>d'une</strong> tr<strong>en</strong>taine de<br />
chi<strong>en</strong>s, et qui répandai<strong>en</strong>t à une grande distance, une odeur<br />
infecte. li me semb<strong>le</strong> pourtant que cette vil<strong>le</strong> est déjà assez<br />
exposée à des maladies, <strong>par</strong> des bâtim<strong>en</strong>ts qui vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />
relâcher devant, pour que <strong>le</strong>s autorités ottomanes se dérangeass<strong>en</strong>t<br />
un instant de <strong>le</strong>ur harem, pour lui éviter de plus<br />
grandes calamités; mais il <strong>par</strong>ait que <strong>le</strong> doigt de Mahomet<br />
s'est arrêté sur el<strong>le</strong>, pour lui jeter toutes ses malédictions.<br />
Le 11, nous étions réunis dans notre chambre, lorsqu'on<br />
vint nous annoncer l'arrivée d'un bateau â vapeur autrichi<strong>en</strong>.<br />
Nous nous r<strong>en</strong>dîmes tous au bord de la mer, et nous aperçûmes<br />
bi<strong>en</strong>tôt <strong>le</strong> pavillon autrichi<strong>en</strong> et <strong>le</strong> drapeau français sur<br />
un des mâts. Nous savions déjà depuis quelques jours que <strong>le</strong><br />
prince de Joinvil<strong>le</strong> et <strong>le</strong> comte de Serèey devai<strong>en</strong>t débarquer<br />
Trébizonde, <strong>le</strong> premier pour y faire une prom<strong>en</strong>ade,<br />
et Monsieur de Sercey pour poursuivre sa <strong>mission</strong> <strong>en</strong> l'erse.<br />
Nous ne doutâmes donc pas un seul instant que ce ne fut l'un<br />
de ces messieurs...; nous att<strong>en</strong>dîmes avec anxiété que <strong>le</strong><br />
salut de rigueurpour de semblab<strong>le</strong>s personnages, se fit. Arrivés<br />
une foisâ la hauteur du pavillon de cettevil<strong>le</strong> del'Asie-M meure,<br />
la salve d'artil<strong>le</strong>rie comm<strong>en</strong>ça donc, comme cela devait être,<br />
et sur mer du bateau à vapeur autrichi<strong>en</strong>. â l'<strong>en</strong>droit
Eà<br />
30<br />
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
que d'avance nous fixions sans grande certitude. Arrivé au<br />
dix-septième coup, chacun de nous répéta hautem<strong>en</strong>t C'est<br />
monsieur <strong>le</strong> comte de Sercey. On <strong>en</strong> était déjà presque<br />
persuadé lorsque la salve continua et <strong>le</strong> vingt-unième coup<br />
nous donna la certitude de l'arrivée de monsieur <strong>le</strong> Prince.<br />
Nous <strong>le</strong> vîmes débarquer avec son état-major; nous <strong>le</strong>s saluâmes;<br />
il y répondit avec <strong>le</strong> sourire, que veut bi<strong>en</strong> laisser, une<br />
seconde sur ses lèvres, un prince du gouvernem<strong>en</strong>t et de la<br />
couronne de 1880- Quoiqu'il <strong>en</strong> soit nous fûmes tous cont<strong>en</strong>ts<br />
de son arrivée; un compatriote sur une terre étrangère<br />
éveil<strong>le</strong> toujours un souv<strong>en</strong>ir cher frun coeur de Français<br />
tel, pour won compte, je considérais monsieur <strong>le</strong> Prinde.<br />
Reçu à son débarquem<strong>en</strong>t <strong>par</strong> monsieur <strong>le</strong> consul français<br />
Outrey, il se r<strong>en</strong>dit chez lui; et nous, après avoir donné une<br />
poignée de main â. ceux de. son état-major, que nous avions<br />
connus sur <strong>le</strong> bateau â vapeur <strong>le</strong> Sésostris, lorsque ces<br />
messieurs ap<strong>par</strong>t<strong>en</strong>ant à la flotte desPardanel<strong>le</strong>s se r<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t<br />
à Constantinop<strong>le</strong>, nous nous r<strong>en</strong>dtmes à l'ambassade Persane,<br />
où nous étions logés. --<br />
Nous finies nos dernières dispositions, pour <strong>le</strong> dé<strong>par</strong>t du<br />
l<strong>en</strong>demain. Avant de ' nous <strong>en</strong>gager sur <strong>le</strong>s longues montagnes<br />
de l'Arménie, je crois devoir dire quelques mots sur la<br />
position d'un de nos camarades. -<br />
Monsieur V:itard sorti, comme ses camarades <strong>le</strong>s fantassins,<br />
du 140 régim<strong>en</strong>t de ligne, loisque l'ordre de <strong>par</strong>tir nous fut<br />
intimé, quoiqu'indisposé et à la veil<strong>le</strong> de faire une grave maladie,<br />
voulut <strong>par</strong>tir ainsi qu'il <strong>en</strong> avait contracté l'<strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t,<br />
et pourtant sa maladie aurait dû lui faire appréh<strong>en</strong>der un<br />
voyage si long, surtout avec la saison rigoureuse, qui allait<br />
comm<strong>en</strong>cer. Vaines étai<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s observations que nous pouvions<br />
lui faire et qui t<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t â lui faire r<strong>en</strong>oncerà un projet<br />
que son pauvre corps ne pouvait <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>dre. Le<br />
voyage de Paris ïMarseilIe, que nous ftmes <strong>en</strong> dilig<strong>en</strong>ce <strong>le</strong><br />
fatigua beaucoup. Nous nous aperçûmes alors que <strong>le</strong>s<br />
forces <strong>le</strong> quit!ai<strong>en</strong>t peu t peu. Arrivés â Marseil<strong>le</strong>, ses
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 31<br />
traits étai<strong>en</strong>t vivem<strong>en</strong>t altérés, et nous éprouvâmes une vive<br />
peine d'appr<strong>en</strong>dre que ce même jour, nous devions tous nous<br />
embarquer. Ce dé<strong>par</strong>t précipité nous fit regretter de ne pas<br />
faire séjour dans cette vil<strong>le</strong> pour que notre camarade put<br />
pr<strong>en</strong>dre quelques forces, et se pré<strong>par</strong>er â une route si longue<br />
et si pénib<strong>le</strong>, que cel<strong>le</strong> que nous allions <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>dre. J'éprouvai<br />
aussi une vive peine des quelques heures que nous<br />
restâmes seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t à Marseil<strong>le</strong>, car ma mère que je n'avais<br />
pas vue depuis quelque temps s'y était r<strong>en</strong>due pour me voir.<br />
Je me r<strong>en</strong>dis â 5011 hôtel, et dépêchâmes notre intime conversation,<br />
puisque, quelques instants après, je devais la quitter,<br />
pour ne plus la revoir peut-être. Je fis tous mes efforts pour<br />
l'empêcher de m'accompagner au port, où certe& devait dis<strong>par</strong>aître,<br />
à notre sé<strong>par</strong>ation, tout <strong>le</strong> courage et la fermeté de<br />
coeur qu'el<strong>le</strong> deùit avoir; ma pauvre mère, el<strong>le</strong>, voulait <strong>par</strong><br />
cela seul chercher à ne pas faire naître chez moi grande<br />
peine, voulant garder toute l'amertume pour el<strong>le</strong>.<br />
Nous n'avions pas <strong>en</strong>core fini de dîner qu'il fallut <strong>par</strong>tir<br />
et se r<strong>en</strong>dre au lieu du dé<strong>par</strong>t. P<strong>en</strong>dant la route, j'assurai<br />
ma mère, que, <strong>par</strong> toutes <strong>le</strong>s occasions que j'aurais, <strong>le</strong> ne<br />
manquerais jamais de lui donner de mes nouvel<strong>le</strong>s et que, du<br />
reste, laposition avec laquel<strong>le</strong> j'allais chez ces peup<strong>le</strong>s barbares<br />
devait la conso<strong>le</strong>r, et lui faire éloigner toutes ses craintes.<br />
Je la regardais tout <strong>en</strong> marchant et lui disant cela, et je la vis<br />
verser quelques larmes. Je <strong>le</strong>s essuyai, la suppliant de chasser<br />
son chagrin, el<strong>le</strong> me remit alors un portefeuil<strong>le</strong> où se<br />
trouvai<strong>en</strong>t consignés ses conseils et ses adieux, el<strong>le</strong> inc dicta<strong>en</strong><br />
bonne mère toute ma conduite, el<strong>le</strong> n'avait pas <strong>en</strong>core terminé<br />
que <strong>le</strong> canot qui devait nous am<strong>en</strong>er à bord allait <strong>par</strong>tir, il<br />
fallait se sé<strong>par</strong>er, ma mère répandit de chaudes larmes. J'eus<br />
beaucoup depeine,nousnousembrassâmes, etjem'embarquai.<br />
Je suivis aussi loin que je <strong>le</strong> pus ma mère qui, comme el<strong>le</strong><br />
me l'avait dit, se r<strong>en</strong>dait â la grande tour pour voir tous<br />
<strong>le</strong>s pré<strong>par</strong>atifs du dé<strong>par</strong>t et soulager sa dou<strong>le</strong>ur <strong>en</strong> versant<br />
quelques larmes, <strong>en</strong> prés<strong>en</strong>ce du bâtim<strong>en</strong>t qui devait me
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
porter siloin. Bi<strong>en</strong>tôt après, notre canot nous déposa à bord,<br />
et une fois l'appel de tous <strong>le</strong>s voyageurs fait, on allait <strong>par</strong>tir<br />
lorsqu'un viol<strong>en</strong>t orage nous surprit et retarda notre voyage.<br />
Déjà la nuit était bi<strong>en</strong> sombre, lorsqu'après avoir évité<br />
quelques dangers au port nous <strong>en</strong>trâmes <strong>en</strong> p<strong>le</strong>ine mer.<br />
Ma mère au haut de la tour était témoin de ce triste<br />
spectac<strong>le</strong>, je suis sûr que malgré l'orage el<strong>le</strong> sera restée â la<br />
tour, et qu'el<strong>le</strong> aura accompagné <strong>le</strong> M<strong>en</strong>tor bi<strong>en</strong> au loin<br />
dans la mer autant que <strong>le</strong> falot que l'on place assez ordinairem<strong>en</strong>t<br />
sur <strong>le</strong>s bâtim<strong>en</strong>ts, la nuit, pouvait <strong>le</strong> lui permettre.<br />
Pour rev<strong>en</strong>ir à monsieur Vitard, je dirai que <strong>le</strong> passage<br />
de la mer Noire <strong>le</strong> fatigua tel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t, que sa maladie devint<br />
plus grave, et d'après <strong>le</strong>s conseils que nous lui donnâmes, il se<br />
résolut de rester à Trébizonde pour se rétablir définitivem<strong>en</strong>t,<br />
avant d'<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>dre un voyage, et <strong>par</strong> terre, sans que <strong>le</strong>s<br />
moy<strong>en</strong>s de transport soi<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> faci<strong>le</strong>s, cominecelui que nous<br />
allons faire.<br />
Le 12 novembre, on nous conduisit des chevaux maigres et<br />
décharnés, quelques-uns avai<strong>en</strong>t des sel<strong>le</strong>s qui se composai<strong>en</strong>t<br />
de morceaux de bois joints et placés bi<strong>en</strong> haut sur <strong>le</strong> cheval,<br />
et recouvertes d'un morceau de cuir seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t, bi<strong>en</strong> peu<br />
d'<strong>en</strong>tre el<strong>le</strong>s étai<strong>en</strong>t garnies de coussins. Ainsi montés nous<br />
nous mîmes <strong>en</strong> marche. Nous eûmes à notre première journée<br />
assez mauvais temps, principa<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s deux ou trois<br />
premières heures, <strong>le</strong>s s<strong>en</strong>tiers <strong>par</strong> <strong>le</strong>squels nous passions<br />
étai<strong>en</strong>t quelquefois presque à pic taillés dans <strong>le</strong>s rocs.<br />
lYautres fois: <strong>le</strong>s chemins creusés, <strong>en</strong> certains <strong>en</strong>droits,<br />
<strong>par</strong> la mauvaise saison, nous faisai<strong>en</strong>t craindre que notre<br />
cheval ne s'abattit, et certes, tout autre cheval que ceux de<br />
la caravane, habitués â ces trajets, nous euss<strong>en</strong>t exposés<br />
bi<strong>en</strong> souv<strong>en</strong>t.<br />
Arrivés au sommet de la premièré montagne,' <strong>en</strong> <strong>par</strong>tant<br />
de Trébizonde, nous aperçûmes sur la gauche, une vallée<br />
charmait@.;l'ai quelquefois <strong>par</strong>couru des pays remarquab<strong>le</strong>s<br />
<strong>par</strong> <strong>le</strong>urs sites, et habitant desmontégnes, j'ai vu quelquefois
JOURNAL D 'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 33<br />
une bel<strong>le</strong> nature, de riants coteaux, mais jamais un où <strong>le</strong> coup<br />
d'oeil fut plus varié, plus piti.oresque <strong>par</strong> <strong>le</strong> subit contraste du<br />
coteau voisin, ,sec et aride. C'étai<strong>en</strong>t des terres labourées au<br />
• pied de la colline, d'énormes cyprès et autres arbres de<br />
différ<strong>en</strong>tes espèces s'é<strong>le</strong>vai<strong>en</strong>t dans <strong>le</strong> taillis qui <strong>en</strong> faisait la<br />
lisière. Plus haut s'offrai<strong>en</strong>t assez souv<strong>en</strong>t de petites platesformes<br />
où quelques Musulmans avai<strong>en</strong>t placé <strong>le</strong>urs cabanes.<br />
A côté, un troupeau se nourrissait de pâturages rafraîchis <strong>par</strong><br />
l'eau de quelques cascades,et une voix que] emurmure des eaux<br />
permettait d'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dreâpeine étaiLsans doute cel<strong>le</strong> du berger.<br />
Le sommet doit étre d'un diffici<strong>le</strong> accès, je dirai mêmequ'il nie<br />
<strong>par</strong>aissait impossib<strong>le</strong>. L'OurdarnBour& arrose cette vallée, il<br />
pr<strong>en</strong>d sa source, d'après ce que dis<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s g<strong>en</strong>s du pays, dans<br />
<strong>le</strong>s monts d'Arménie, et va se perdre dans la mer Noire ; et<br />
tandis que j'examinai sur nia droite, tout près d'un si riant -<br />
paysage, <strong>le</strong>s terres incultes et <strong>le</strong>s monts arides, nous aperçûmes<br />
plusieurs de nos compatriotes: c'était <strong>le</strong> prince de Joinvil<strong>le</strong><br />
et toute sa suite, arrivé de la veil<strong>le</strong> â Trébizonde et qui<br />
fut faire une prom<strong>en</strong>ade à travers champs; nous <strong>le</strong>s saluâmes,<br />
et <strong>en</strong> nous r<strong>en</strong>dant notre salut, nous reçûmes du prince ses<br />
souhaits pour notre bon voyage. Nous voyageâmes <strong>en</strong>core<br />
quelques instants, et la nuit allait nous surpr<strong>en</strong>dre lorsque<br />
nous arrivâmes au m<strong>en</strong>ril à Djevizelick.<br />
Nous fûmestous témoins, cette journée, du peu de soins qu'avait<br />
Hussein-Khân pour ses officiers, car non cont<strong>en</strong>t de nous<br />
voir si mal montés pour un semblab<strong>le</strong> voyage, .ilnousfltloger<br />
tous <strong>en</strong>semb<strong>le</strong>, dans une très petite chambre, exposésàtousies<br />
v<strong>en</strong>ts; <strong>le</strong>s t.apis,ornem<strong>en</strong>ts etmeab<strong>le</strong>s dans<strong>le</strong> pays manquai<strong>en</strong>t:<br />
force nous fut donc faite d'ét<strong>en</strong>dre une modeste et mince couverte<br />
et d'arranger ainsi sa couche. Ce soir aucun des nombreux<br />
va<strong>le</strong>ts de l'ambassadeur ne vinr<strong>en</strong>t s'informer de notre<br />
position et nous apporter <strong>le</strong>s vivres nécessaires. Il était bi<strong>en</strong><br />
tard, et n'avions <strong>en</strong>core ri<strong>en</strong> pris. Je me décidai à faire<br />
sel<strong>le</strong>r deux chevaux, et <strong>par</strong>tis pour faire une réclamation à<br />
Hussein-Khân, qui demeurait un peu plus haut dans la
34<br />
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
montagne. Nous y arrivâmes bi<strong>en</strong>tôt avec assez de peine, à<br />
l'aide <strong>d'une</strong> lanterne que je fis pr<strong>en</strong>dre k mon drogman. Je<br />
demandai k être prés<strong>en</strong>té à hussein-Khân; l'audi<strong>en</strong>ce-me fut<br />
accordée. Il était avec <strong>le</strong>s premiers g<strong>en</strong>s de sa suite, autour<br />
d'un énorme brasier, fumant son chébouch et assis sur des<br />
tapis. Je lui fis prés<strong>en</strong>ter mes respects. Il s'informa - de la<br />
santé de mes camarades et dela mi<strong>en</strong>ne, puis il m'<strong>en</strong>gagea k<br />
m'asseoir. Je me plaignis amèrem<strong>en</strong>t; du logemént qu'il<br />
nous avait fait donner, du peu de soins qu'il pr<strong>en</strong>ait de nous,<br />
et <strong>en</strong>fin dumanque de vivres de la journée, etc., et?. Je<br />
terminai <strong>par</strong> lui dire qu'une tel<strong>le</strong> conduite était insupportab<strong>le</strong>,<br />
presqu'i .ndigne, et qu'il eût dorénavant à pr<strong>en</strong>dre de meil<strong>le</strong>ures<br />
dispositions et mesures. Hussein-Khân me fitrépondre<br />
qu'il n'était pas coupab<strong>le</strong>, qu'il avait donné (<strong>le</strong>s ordres sévères,<br />
qu'il n'avait pas été obéi. Il fit alors mander son premier<br />
cuisinier; il lui dit que dorénavant il eût k s'occuper de notre<br />
nourriture avant la si<strong>en</strong>ne, et qu'il nous donnait p<strong>le</strong>in droit<br />
- de lui demander tout ce que nous voudrions, et qu'au<br />
moindre rapport que nous lui ferions, il recevrait deux c<strong>en</strong>ts<br />
coups de bâton. Quant aux chevaux, dit-ii, incessamm<strong>en</strong>t, je<br />
vous <strong>en</strong> ferai donner de bons pour votre route.<br />
- Nous verrons plus tard, lui dis-je, ce que devi<strong>en</strong>dront<br />
toutes ces bel<strong>le</strong>s promesses. -- Nous nous saluâmes, et <strong>par</strong>tîmes<br />
après être passés à la 'cuisine, donner l'ordre de lions<br />
<strong>en</strong>voyer immédiatem<strong>en</strong>t quelques morceaux de viande que<br />
je choisis dans lacuisine de ces carnassiers. J'annonçai à mes<br />
camarades, d'abord, que <strong>le</strong> souper allait v<strong>en</strong>ir, puis tout ce<br />
que v<strong>en</strong>ait de dire notre ambassadeur. M<strong>en</strong>songes et fausses<br />
promesses, dir<strong>en</strong>t-ils-tous; un seul qui se trouvait alors au<br />
coin de l'humb<strong>le</strong> foyer, pr<strong>en</strong>ant quelques tasses de café, dit<br />
après avoir soufflé pour <strong>le</strong> refroidir Espérance. Quelques<br />
instants se passèr<strong>en</strong>t ainsi, lorsque <strong>en</strong>fin arriva un large<br />
plateau avec <strong>le</strong>s mets demandés ; chacun <strong>en</strong> prit sa bonne<br />
<strong>par</strong>t, fuma son chébouck, et se coucha désirant ardemm<strong>en</strong>t <strong>le</strong><br />
sommeil, pour oublier, au moins un instant, tant de misère, et
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
pourtant au comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t de notre voyage <strong>par</strong> terre. Le<br />
l<strong>en</strong>demain matin, nous <strong>par</strong>tîmes d'assez bonne heure. Les<br />
chemins étai<strong>en</strong>t détestab<strong>le</strong>s, et nous Mmes coucher au<br />
sommet du mont Zingana, recouvert de neige, où se trouvai<strong>en</strong>t<br />
deux cabanes occupées <strong>par</strong> deux viei]lardsqui,d'aprÉs<br />
ce qu'ils nous dir<strong>en</strong>t, n'avai<strong>en</strong>t desc<strong>en</strong>du <strong>le</strong>montquedeiïxou<br />
trois fois.<br />
Il serait inuti<strong>le</strong> de détail<strong>le</strong>r, jour <strong>par</strong> jour, nos marches<br />
l<strong>en</strong>tes et pénib<strong>le</strong>s, la monotonie d'un voyage se représ<strong>en</strong>tant<br />
<strong>par</strong>tout et tous <strong>le</strong>s jours; je ne m'arrêterai que sur ce<br />
qui a pu nous <strong>en</strong> retirer <strong>par</strong> <strong>le</strong>s quelques diverses s<strong>en</strong>sations<br />
qu'on éprouve <strong>par</strong> <strong>le</strong>s circonstances imprévues qui <strong>le</strong>s<br />
occasionn<strong>en</strong>t.<br />
Pourquoi me faire suivre pas à pas <strong>par</strong> mon <strong>le</strong>cteur sur<br />
des terrains dont <strong>le</strong>s accid<strong>en</strong>ts se produis<strong>en</strong>t sans cesse? Il<br />
lui suffira de savoir que nous n'avions qu'à tourner, contourner,<br />
gravir, desc<strong>en</strong>dre des montagnes, où bi<strong>en</strong> soilv<strong>en</strong>t nous<br />
courions <strong>le</strong>s dangers de nous perdre, car <strong>le</strong>s traces de ceux<br />
qui nous précédai<strong>en</strong>t de quelques pas étai<strong>en</strong>t effacées immédiatem<strong>en</strong>t;<br />
de tomber dans des précipices qui se trouvai<strong>en</strong>t<br />
devant nous et à nos côtés; d'avoir quelquefois à tomber au<br />
milieu de peup<strong>le</strong>s brigands et dépravés, qui n'euss<strong>en</strong>tpoint<br />
balancé de vous sacrifier â <strong>le</strong>ur inimitié; de desc<strong>en</strong>dre quelquefois<br />
et même <strong>le</strong> plus souv<strong>en</strong>t dans des villages, exposés,<br />
dans la rigoureuse saison, à coucher dans des écuries<br />
ouvertes à tous<strong>le</strong>s v<strong>en</strong>ts, ne point y trouver de couvertures,<br />
de vivres ; monter sur des chevaux qui nous laissai<strong>en</strong>t â miroute,<br />
après s'être abattus bon nombre de fois; trouver<br />
quelquefois, mais bi<strong>en</strong> rarem<strong>en</strong>t, des plaines, et <strong>le</strong> même<br />
soir, ne pas avoir <strong>le</strong> plus souv<strong>en</strong>t un gîte, tel<strong>le</strong>s sont <strong>le</strong>s choses<br />
et <strong>le</strong>s dangers auxquels nous étions habitués, et au<br />
milieu desquels nous voyagions avec monotonie et résignation.<br />
Mais tout <strong>en</strong> passant si <strong>le</strong>stem<strong>en</strong>t je ne manquerai<br />
jamais de m'appesantir sur <strong>le</strong>s incid<strong>en</strong>ts qui aurai<strong>en</strong>t<br />
pu nous arriver et <strong>le</strong>s choses qui nous ont <strong>le</strong> plus frappé.<br />
35
36 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
Le mont Zingana, où nous fîmes notre deuxième gîte, r<strong>en</strong>ferme<br />
plusieurs sources délicieuses qui roul<strong>en</strong>t avec fracas;<br />
<strong>le</strong> torr<strong>en</strong>t. Tchorgo formé de toutes ces sources, roulant<br />
et se grossissant de rochers <strong>en</strong> rochers, sont des choses<br />
qui nous attristèr<strong>en</strong>t, s'y joignant au pied une terre aride<br />
et sans culture.<br />
Le troisième jour, â Mad<strong>en</strong>]erg, situé sur la droite de la<br />
route etoi l'on arrive <strong>en</strong> tirant des bordées sur <strong>le</strong>s flancs de<br />
la montagne, car <strong>le</strong>s s<strong>en</strong>tiers n'y sont pas frayés, je remarquai<br />
une fonderie assez mal conditionnée, et ou travaillai<strong>en</strong>t<br />
quelques ouvriers à la fabrication de quelques lingots<br />
de plomb r<strong>en</strong>fermant,. d'après <strong>le</strong> dire de ces hommes, une<br />
certaine quantité d'or et d'arg<strong>en</strong>t, qu'on exploitait <strong>en</strong> <strong>par</strong>tie<br />
de Constantinop<strong>le</strong>, <strong>par</strong> Trébizonde, et <strong>en</strong> <strong>par</strong>tie d'Erzeroum,<br />
<strong>le</strong> pacha de cette vil<strong>le</strong> devant toutefois <strong>en</strong> r<strong>en</strong>dre bon<br />
compte â ses chefs à Constantinop<strong>le</strong>.<br />
A Balakor, gîte qui précède celui de Beïhoiit,ùous eilmes une<br />
fausse a<strong>le</strong>rte; <strong>le</strong>s g<strong>en</strong>s dela suite deHussein-Khan se montrèr<strong>en</strong>t<br />
très exigeants, non cont<strong>en</strong>ts de pr<strong>en</strong>dre sans payer tout ce<br />
qui était nécessaire à <strong>le</strong>ur subsistance, frappèr<strong>en</strong>t injustem<strong>en</strong>t<br />
<strong>le</strong>s maîtres des maisons qui étai<strong>en</strong>t trop l<strong>en</strong>ts â porter <strong>le</strong>ur<br />
tribut. Les habitants de Balakor se révoltèr<strong>en</strong>t, etdepuis quelques<br />
instants, des pierres énormes roulai<strong>en</strong>t de <strong>par</strong>t et<br />
d'autre, et des coups d'énormes gourdins s'administrai<strong>en</strong>t â<br />
merveil<strong>le</strong>, orsqu'on vint nous prév<strong>en</strong>ir dans notre chambre,<br />
qu'on assassinait un de nos camarades. Alors chacun prit ses<br />
pisto<strong>le</strong>ts et son sabre, et se hâta d'al<strong>le</strong>r au théâtre de<br />
cette guerre. Lorsque <strong>le</strong>s habitants nous vir<strong>en</strong>t déboucher,<br />
ils abandonnèr<strong>en</strong>t la <strong>par</strong>tie et se réfugièr<strong>en</strong>t sur la montagne<br />
contre laquel<strong>le</strong> est situé <strong>le</strong> village. Exaspérés que nous<br />
étions de voir, non un de nos camarades assassiné, car,<br />
après nous être appelés mutuel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t, chacun répondit, mais<br />
après avoir vu un Persan couché à terre et assommé <strong>par</strong> un<br />
coup de pierre, un de nous <strong>le</strong>ur tira un coup de pisto<strong>le</strong>t. U<br />
n'atteignit personne, mais il <strong>le</strong>s fit courir plus fort que
JOURNAL D'UNE D'UNE MISSION NILITÂU1F, EN PERSE<br />
jamais. Rev<strong>en</strong>us un peu de cette agitation, nous allions nous<br />
informer des causes de la dispute, lorsqu'avant de nous <strong>le</strong><br />
dire, on nous montra un Turc qui avait <strong>le</strong>s deux bras cassésa<br />
coup de bâton; et on ajouta que <strong>le</strong> mai comm<strong>en</strong>ça <strong>par</strong> là, et<br />
que ce fut avec justice, ce qui r<strong>en</strong>dit la cause généra<strong>le</strong>. Nous<br />
donnâmes tort aux Persans; mais p<strong>en</strong>dant ce temps, des<br />
femmes, placées sur <strong>le</strong>s terrasses de Balakor, invoquai<strong>en</strong>t<br />
Mahomet, nous exécrai<strong>en</strong>t et lui demandai<strong>en</strong>t de nous exterminer,<br />
â l'instant même, nous autres chréti<strong>en</strong>s. Partout et<br />
prononcé <strong>par</strong> des voix différ<strong>en</strong>tes, on n'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dait que <strong>le</strong> mot<br />
d'Allah, des p<strong>le</strong>urs, des sanglots, au milieu de mil<strong>le</strong> mains de<br />
femmes, cherchant à fixer sur el<strong>le</strong>s Mahomet.<br />
Nous eussions volontiers donné à tous <strong>le</strong>s diab<strong>le</strong>s ces femmes<br />
qui aurai<strong>en</strong>t très bi<strong>en</strong> pli exciter contre nous tous ces<br />
musulmans; mais force nous fut, faite de nous taire, car<br />
d'abord el<strong>le</strong>s étai<strong>en</strong>t femmes et <strong>en</strong>suite femmes musulmanes.<br />
Quel sujet, n'est-ce pas, de haine et guerre à mort contre <strong>le</strong>s<br />
fils de chi<strong>en</strong> qui se fuss<strong>en</strong>t avisés de <strong>le</strong>s frapper?<br />
Hussein-Khan arriva sur ces <strong>en</strong>trefaites, et soit que <strong>le</strong>s<br />
torts vinss<strong>en</strong>t de ses g<strong>en</strong>s ou lion, c'était beaucoup de s'être<br />
révoltés, et surtout de n'avoir ri<strong>en</strong> dit lorsque <strong>le</strong>s femmes<br />
nous insultai<strong>en</strong>t. Aussi donna-t-il l'ordre de s'em<strong>par</strong>er immédiatem<strong>en</strong>t<br />
de l'aga du village, et <strong>le</strong> cavas, pour n'avoir pas<br />
prévu et empêché cette scène, devait être mis aussitôt à<br />
mort. Peu d'instants après, on <strong>le</strong>s conduisit poings liés; •ces<br />
hommes p<strong>le</strong>urai<strong>en</strong>t à chaudes larmes, et sans doute n'étai<strong>en</strong>tils<br />
pas coupab<strong>le</strong>s. Hussein-Khan pourtant avant d'ordonner<br />
l'exécution nous <strong>le</strong>s <strong>en</strong>voya, laissant <strong>le</strong>ur sort <strong>en</strong>tre nos<br />
mains, pour n'avoir pas évité ce qui v<strong>en</strong>ait de se passer et<br />
qui nous avait attiré des insultes; nous <strong>le</strong>s fimes mettre <strong>en</strong><br />
liberté, et <strong>le</strong>s <strong>en</strong>gageâmes de faire dire aux habitants de<br />
Balakor, réfugiés <strong>en</strong> haut de la montagne, de desc<strong>en</strong>dre dans<br />
<strong>le</strong>urs habitations, qu'ils n'avai<strong>en</strong>t ri<strong>en</strong> â craindre, Ces g<strong>en</strong>s<br />
nous bénir<strong>en</strong>t mil<strong>le</strong> fois et <strong>en</strong>voyèr<strong>en</strong>t de suite prév<strong>en</strong>ir <strong>le</strong>s<br />
réfugiés de desc<strong>en</strong>dre. Ils ne <strong>le</strong> voulur<strong>en</strong>t pas. Le l<strong>en</strong>demain,.<br />
3
38<br />
JOURNAL DUNE M:IssioN MILITA1I&E EN PERSE<br />
au mom<strong>en</strong>t d<strong>en</strong> otre dé<strong>par</strong>t, nous <strong>le</strong>s aperçûmes couronnant un<br />
rocher, situé au haut de la montagne, et s'échapper dans <strong>le</strong>s<br />
airs la fumée du foyer qui <strong>le</strong>s avait réchauffés p<strong>en</strong>dant la nuit.<br />
Beïhout, que l'on ne découvre que lorsqu'on est presque<br />
dessus, est une vil<strong>le</strong> dont <strong>le</strong> coup d'oeil est agréab<strong>le</strong>; quelques<br />
peupliers plantés dans la vil<strong>le</strong>, de distance <strong>en</strong> distance. complais<strong>en</strong>t<br />
beaucoup. Les habitants y sont bons, hospitaliers; <strong>le</strong>s<br />
rues sont assez propres, <strong>le</strong>s maisons, quoique <strong>en</strong> terre, sont<br />
assez régulièrem<strong>en</strong>t bâties; la vil<strong>le</strong> est <strong>en</strong>vironnée de montagnes<br />
qui ne sont pas sans agrém<strong>en</strong>t. En y <strong>en</strong>trant du côté de<br />
Trébizonde, on remarque un fort <strong>en</strong> ruine maint<strong>en</strong>ant, <strong>en</strong><br />
forme de pyramide et dominant sur toute la gorge. Les Russes,<br />
à <strong>le</strong>ur dernière invasion, non cont<strong>en</strong>ts de <strong>le</strong> détruire presque<br />
<strong>en</strong> <strong>en</strong>tier, brâlèr<strong>en</strong>t tout ce quise trouvait à son pied, et <strong>le</strong>s<br />
ruines de plus de deux c<strong>en</strong>ts maisons attest<strong>en</strong>t un tel abus du<br />
droit du vainqueur.<br />
Erzeroum. - Erzeroum, situé au pied <strong>d'une</strong> montagne, est<br />
à l'extrémité <strong>d'une</strong> plaine imm<strong>en</strong>se et s'aperçoit à plus de 5<br />
ou 6 lieues. Vers <strong>le</strong> milieu de cette plaine, nous remarquâmes<br />
une source d'eau chaude <strong>en</strong>tourée de murs de à mètres<br />
d'élévation; un conduit s'y trouvait pratiqué et donnait cours<br />
à cette source, qui <strong>par</strong>aît stagnante <strong>en</strong> plusieurs <strong>en</strong>droits et<br />
où chacun va pr<strong>en</strong>dre un bain, selon <strong>le</strong> degré de cha<strong>le</strong>ur<br />
qu'il veut. Quand nous y passâmes, un troupeau de buff<strong>le</strong>s se<br />
baignait au 3 0 bassin, et avait de l'eau aux deux tiers de sa<br />
hauteur. Je fis <strong>par</strong>tie des curieux qui voulur<strong>en</strong>t desc<strong>en</strong>dre<br />
de cheval pour pouvoir juger de cette eau therma<strong>le</strong>. Nous<br />
avançant successivem<strong>en</strong>t sur une dal<strong>le</strong> d'où l'on pouvait faci<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t<br />
y mettre la main, je remarquai qu'el<strong>le</strong> était bouillante<br />
et qu'on ne pouvait y laisser la main plus <strong>d'une</strong> ou deux<br />
secondes. Je la goûtai <strong>en</strong>suite; el<strong>le</strong> a <strong>le</strong> goût de flQS eaux<br />
sulfureuses, ses propriétés principa<strong>le</strong>s et <strong>par</strong>ticulières ne<br />
pur<strong>en</strong>t nous être données, seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s fiévreux convalésé<strong>en</strong>ts<br />
<strong>en</strong> font un grand usage; <strong>en</strong> boisson surtout. Les habitants<br />
d'Erzeroum et des <strong>en</strong>virons, de <strong>le</strong>ur propre chef, sans
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE ÉN PEkSE<br />
doute, s'<strong>en</strong> serv<strong>en</strong>t pour toute espèce de maladie ; <strong>en</strong>suite<br />
<strong>le</strong>s personnes bi<strong>en</strong> portantes, comme el<strong>le</strong> n'est qu'à deux<br />
lieues et demi de la vil<strong>le</strong>, y vont <strong>en</strong> <strong>par</strong>tie de plaisir, s'y bai-<br />
gn<strong>en</strong>t quelques fois, et <strong>en</strong> boiv<strong>en</strong>t même.<br />
Comme la fou<strong>le</strong> qui accompagnait ilussein-Khan s'était<br />
<strong>en</strong>core grossie <strong>par</strong> bon nombre de Persans habitant cette<br />
vil<strong>le</strong>, nous crûmes devoir, pour notre r<strong>en</strong>trée, resterquelques<br />
pas <strong>en</strong> arrière. Néanmoins, nous découvrions faci<strong>le</strong>m<strong>en</strong>itous<br />
es cavaliers honoraires, v<strong>en</strong>us à la r<strong>en</strong>contre de l'ambassadeur<br />
pour célébrer son <strong>en</strong>trée, s'écarter <strong>par</strong> deux et <strong>par</strong><br />
trois de chaque côté de la route, puis obliquem<strong>en</strong>t rejoindre<br />
<strong>en</strong> avant la route, faisant quelque décharge d'armes à feu<br />
<strong>en</strong> l'honneur d'Hussein-Khan, simu<strong>le</strong>r une lutte, une petite<br />
guerre. J'avoue que nous n'étions pas indiffér<strong>en</strong>is à ces<br />
fêtes et à ces jeux qui ont quelque chose de sauvage. A.<br />
l'<strong>en</strong>trée d'Erzeroum, un piquet de c<strong>en</strong>t hommes turcs<br />
r<strong>en</strong>dir<strong>en</strong>t à l'ambassadeur <strong>le</strong>s honneurs <strong>militaire</strong>s, et après<br />
avo ir prés<strong>en</strong>té <strong>le</strong>s armes quand il passait devant eux, ils se<br />
retirèr<strong>en</strong>t vers <strong>le</strong>urs casernes; bi<strong>en</strong>tôt après, on comm<strong>en</strong>ça la<br />
salve d'artil<strong>le</strong>rie, el<strong>le</strong> n'était pas <strong>en</strong>core terminée comme<br />
nous <strong>en</strong>trions dans nos demeures.<br />
Erzeroum, vil<strong>le</strong> que quelques auteurs ont tant prônée et<br />
vantée, est une vil<strong>le</strong> sa<strong>le</strong>, dégoûtante; <strong>le</strong>s bazars quoiqu'assez<br />
bi<strong>en</strong> fournis répand<strong>en</strong>t une odeur infecte, ils sont irrégulièrem<strong>en</strong>t<br />
construits. J'y remarquai que quelques marchands<br />
laissant de côté <strong>le</strong>s bazars, lieux conv<strong>en</strong>us pour <strong>le</strong>s marchés,<br />
portai<strong>en</strong>t <strong>le</strong>urs marchandises <strong>en</strong> p<strong>le</strong>ine rue pour y faire <strong>le</strong>ur<br />
commerce; et pourtant chaque jour avance d'un pas vers <strong>le</strong>s<br />
bons résultats et <strong>le</strong>s hommes et <strong>le</strong>s choses, car un homme<br />
doué de bi<strong>en</strong> des qualités, un homme p<strong>le</strong>in de vigueur, de<br />
sagesse et d'instruction commande <strong>en</strong> cette vil<strong>le</strong>. Cet homme<br />
c'est Afis-Pacha que chaque Français désireux de connaître <strong>le</strong>s<br />
illustrations étrangères doit connaître <strong>par</strong> <strong>le</strong>s récits qu'on <strong>en</strong><br />
fait.<br />
Pour moi, je regrettai souv<strong>en</strong>t de ne l'avoir pas vu à mon<br />
39
40 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
passage à Erzeroum. Je l'eusse bi<strong>en</strong> désiré ainsi que tous<br />
mes camarades, mais n'ayant pas nos t<strong>en</strong>ues <strong>militaire</strong>s avec<br />
nous, nous ne pûmes al<strong>le</strong>r <strong>le</strong> voir; nous <strong>en</strong> fûmes bi<strong>en</strong> fâchés.<br />
Le commandant Boissier et un seul de ceux qui flous<br />
accompagnai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> <strong>Perse</strong> ayant <strong>le</strong>urs uniformes s'y prés<strong>en</strong>tèr<strong>en</strong>t.<br />
1.1 <strong>le</strong>s reçut avec affabilité et amabilité et <strong>le</strong>ur donna<br />
à chacun, pour souv<strong>en</strong>ir, une superbe longue vue. Ces<br />
messieurs à <strong>le</strong>ur r<strong>en</strong>trée nous <strong>en</strong> fir<strong>en</strong>t <strong>le</strong> plus grand éloge.<br />
Ails-Pacha aime beaucoup <strong>le</strong>s Europé<strong>en</strong>s, <strong>par</strong>ticulièrem<strong>en</strong>t<br />
<strong>le</strong>s Français, aussi fait-il tous ses efforts pour avoir des têtes<br />
françaises capab<strong>le</strong>s de diriger ses opérations. Plus tard<br />
j'appris que l'ambassade française qui se r<strong>en</strong>dait <strong>en</strong> <strong>Perse</strong><br />
fut ausi admirab<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t reçue <strong>par</strong> lui. Ii n'est pas de sorte<br />
de galanteries qu'il n'ait eu à l'égard de ces messieurs:<br />
banquets, chevaux, bel<strong>le</strong>s armes <strong>le</strong>ur étai<strong>en</strong>t donnés. Notre<br />
ambassadeur que nous vîmes plus tard à Tauris et Ispahan <strong>en</strong><br />
fut très satisfait.<br />
Une scène qui aurait pu avoir de tristes , résultats éclata à<br />
Erzeroum, <strong>le</strong> matin de notre dé<strong>par</strong>t, et comme cela arrive<br />
souv<strong>en</strong>t, pour de petites causes. Comme je l'ai déjà dit, nous<br />
<strong>par</strong>times de Trébizonde montés sur de piètres chevaux de<br />
caravane. Nous <strong>en</strong> exprimâmes tout <strong>le</strong> mécont<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t; à<br />
Hussein-Khan, et <strong>le</strong> peu de considération que tout cela pouvait<br />
nous donner auprès de ses domestiques qu'il avait tous<br />
très bi<strong>en</strong> montés. Nous ne lui sûmes pas beaucoup de gré de<br />
cette préfér<strong>en</strong>ce, et l'invitâmes <strong>le</strong> plus tôt possib<strong>le</strong> à nous<br />
mieux monter. Il promit qu'arrivé â Beïlout il s'<strong>en</strong> occuperait.<br />
Il n'<strong>en</strong> fit ri<strong>en</strong>. Lui mettant son m<strong>en</strong>songe <strong>en</strong> avant et<br />
notre exaspération, il promit que certainem<strong>en</strong>t il nous <strong>en</strong><br />
donnerait à Erzeroum. Le temps ne lui eût pas manqué, car<br />
nous y passâmes deux jours, et pourtant, au mom<strong>en</strong>t de <strong>par</strong>tir,<br />
on nous am<strong>en</strong>a des chevaux pires <strong>en</strong>core. Nous nous<br />
refusâmes tous à <strong>par</strong>tir, si immédiatem<strong>en</strong>t nous n'avions<br />
sinon des chevaux que notre position réclamait, du moins<br />
des chevaux capab<strong>le</strong>s de nous conduire jusqu'à Tauris, car
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 41<br />
tel<strong>le</strong> était <strong>le</strong>ur destination. Hussein-Khan, prév<strong>en</strong>u de nos<br />
dispositions, nous <strong>en</strong>voya un Mirza Fata, son premier secrétaire,<br />
et un Mirza Reza, colonel Persan, ainsi qu'unArméni<strong>en</strong><br />
nommé Gabriel, pour veil<strong>le</strong>r à ce que nous ayions de meil<strong>le</strong>urs<br />
chevaux, et faire <strong>en</strong> sorte d'éloigner la colère que tant<br />
de fautes de l'ambassadeur Persan avait fait naître. P<strong>en</strong>dant<br />
que ces fourbes Persans étai<strong>en</strong>t là pour nous cajo<strong>le</strong>r,<br />
monsieur Rive, Français, instructeur des soldats turcs, fondé<br />
de pouvoir d'un fabricant de verres qu'emm<strong>en</strong>ait aussi<br />
hussein-Khan, s'adressa <strong>d'une</strong> manière impolie aux membres<br />
de cette ambassade. Une dispute s'<strong>en</strong>gagea <strong>en</strong>tre lui et<br />
Gabriel et ils allai<strong>en</strong>t se frapper lorsqu'on <strong>le</strong>s sé<strong>par</strong>a. Fata,<br />
Resa et Gabriel dir<strong>en</strong>t qu'il allait à avoir â se justifier<br />
de sa conduite devant Afis Pacha, son chef. Ils se sé<strong>par</strong>èr<strong>en</strong>t<br />
et <strong>le</strong>s Persans r<strong>en</strong>trèr<strong>en</strong>t, après nous avoir donné des chevaux<br />
que je jugeai pouvoir nous conduire à trois journées de marche<br />
au moins, sans pouvoir boiter et s'affaisser. Il y <strong>en</strong> avait<br />
vingt, mais qu'importe <strong>le</strong> nombre chez des g<strong>en</strong>s qui sont<br />
assez ignorants pour savoir ce qu'il <strong>le</strong>ur faut un jour.<br />
Nous allions <strong>par</strong>tir et sortir Ses portes de la vil<strong>le</strong>, lorsque<br />
Gabriel y r<strong>en</strong>trant me prit <strong>par</strong> <strong>le</strong> bras, et m'<strong>en</strong>gagea à <strong>le</strong><br />
suivre. Il avait avec lui, <strong>en</strong> <strong>par</strong>tie, <strong>le</strong>s maîtres et va<strong>le</strong>ts de<br />
l'ambassade. Je crus d'abord qu'il me pr<strong>en</strong>ait pour <strong>le</strong> seconder<br />
dans sa <strong>par</strong>tie d'honneur, lorsque j'<strong>en</strong> fus bi<strong>en</strong> dissuadé.<br />
Ait détour <strong>d'une</strong> rue, où débouchait monsieur Rive <strong>en</strong> grande<br />
t<strong>en</strong>ue, il fut immédiatem<strong>en</strong>t cerné <strong>par</strong> <strong>le</strong>s g<strong>en</strong>s de l'ambassade<br />
qui reçur<strong>en</strong>t l'ordre de <strong>le</strong> conduire chez <strong>le</strong> pacha. L'ayant<br />
fait desc<strong>en</strong>dre de cheval, <strong>le</strong> prévins ces persans et <strong>par</strong>ticulièrem<strong>en</strong>t<br />
monsieur Gabriel, qui m'avait am<strong>en</strong>é là, de faire<br />
cesser devant moi, de <strong>par</strong>eils traitem<strong>en</strong>ts â l'égard d'un Français.<br />
Mais déjà monsieur Rive était à terre; il se re<strong>le</strong>va et<br />
cons<strong>en</strong>tit à al<strong>le</strong>r chez <strong>le</strong> pacha. En ce mom<strong>en</strong>t arrivèr<strong>en</strong>t trois<br />
de nos camarades qui <strong>le</strong> suivir<strong>en</strong>t. Quand à moi, je fus rejoindre<br />
la majeure <strong>par</strong>tie de mes camarades, qui cheminai<strong>en</strong>t<br />
vers Hassan-Rha<strong>le</strong>t, l'étape voisine; <strong>le</strong> soir, nous y arrivâmes
42 JOURNAL D'UNE MISSION MILI'.rAJ.RE EN PE11S<br />
de bonne heure. Lorsque nos trois compagnons de voyage<br />
que nous avions laissé à Erzeroum fur<strong>en</strong>t r<strong>en</strong>trés, voici ce<br />
que nous apprîmes.<br />
Nous apprîmes d'eux que l'affaire aurait pu dev<strong>en</strong>ir grave,<br />
car toutes <strong>le</strong>s lois que monsieur Rive voulait s'arrêter, comme<br />
cela est naturel <strong>en</strong> <strong>par</strong>eil<strong>le</strong> circonstance, pour »lieux<br />
faire compr<strong>en</strong>dre <strong>le</strong>s bonnes raisons que chacun a â donner,<br />
ces Persans <strong>le</strong> maltraitai<strong>en</strong>t; et, sans ceux des nôtres qui<br />
étai<strong>en</strong>t restés pour l'accompagner, monsieur Rive eut été <strong>en</strong><br />
.butte A bi<strong>en</strong> des mauvais traitem<strong>en</strong>ts. La nouvel<strong>le</strong> de cette<br />
mésintellig<strong>en</strong>ce ne tarda pas â être répétée de bouche <strong>en</strong><br />
bouche chez tous <strong>le</strong>s Persans qui habit<strong>en</strong>t Erzeroum; aussi<br />
chacun s'approchait-ii du groupe primitif, d'où <strong>par</strong>tai<strong>en</strong>t des<br />
cris de quelques personnes attachées A l'un et l'autre <strong>par</strong>ti.<br />
Enfin on maltraita de nouveau monsieur Rive; nos messieurs<br />
<strong>le</strong> déf<strong>en</strong>dir<strong>en</strong>t. Il y eût un mom<strong>en</strong>t ou chacun se raidissait et<br />
faisait tous ses efforts, mais pourtant 01) ne se battit pas. La<br />
fou<strong>le</strong> crut qu'on se révoltait et déjà on approchait <strong>en</strong> refermant<br />
dans un moindre cerc<strong>le</strong> tout <strong>le</strong> monde. On était armé<br />
de kandjars et autres armes. Nos compagnons d'armes ne<br />
sur<strong>en</strong>t que p<strong>en</strong>ser de cela. Toutefois <strong>le</strong>ur premier soin fut-il<br />
de se mettre sur l'off<strong>en</strong>sive et la déf<strong>en</strong>sive. Chacun mit ses<br />
-armes au poing. Cette sévère cont<strong>en</strong>ance , de <strong>le</strong>ur <strong>par</strong>t fit<br />
ouvrir <strong>le</strong>s yeux aux Persans; niais pour lors quelques Turcs<br />
du bataillon, sous <strong>le</strong>s ordres de monsieur Rive, s'étai<strong>en</strong>t approchés<br />
du théâtre de la dispute, <strong>le</strong> nombre dev<strong>en</strong>ant plus fort,<br />
on s'<strong>en</strong>gage et <strong>le</strong> bâton roulait. Ces officiers français étai<strong>en</strong>t<br />
décidés â faire payer bi<strong>en</strong> cher <strong>le</strong>s premiers coups qu'ils<br />
aurai<strong>en</strong>t reçus. Mais on se hatlait<strong>par</strong> rapport monsieur Rive<br />
-et 01) devait avoir grand garde de toucher un des Français<br />
qui se r<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>. Dans <strong>le</strong> courant de la dispute,<br />
monsieur i3oucherat reçut un coup de bâton. Il dut cela à son<br />
accoutrem<strong>en</strong>t qui était presque 'Turc. 1.1 avait un fez et son<br />
manteau; on ne <strong>le</strong> )reconnut pas, et il reçut <strong>le</strong> coup de bâton<br />
<strong>par</strong>derrièreQuoi qu'il <strong>en</strong> soit, il poursuivit au galop<strong>le</strong> Persan
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
qui s'était mépris à ce point et lui plongea son épé' dans <strong>le</strong>s<br />
reins. (Je trait allait exaspérer <strong>le</strong>s Persans, et <strong>le</strong>s porter à<br />
toute extrémité, lorsque <strong>le</strong>s principaux de l'ambassade qui<br />
avai<strong>en</strong>t am<strong>en</strong>é cette scène se dissipèr<strong>en</strong>t et prièr<strong>en</strong>t <strong>en</strong> <strong>par</strong>tie<br />
<strong>le</strong>s Persans de r<strong>en</strong>trer et <strong>en</strong>gagèr<strong>en</strong>t à grands coups de<br />
bâton l'autre <strong>par</strong>tie â se retirer. Monsieur Gabriel avait eu<br />
déjà p<strong>le</strong>ine satisfaction de son affaire. Monsieur Rive lui mettait<br />
tous <strong>le</strong>s marchés â la main, car Ails-Pacha ne voulut pas<br />
se mê<strong>le</strong>r de cette affaire; mais il ne voulut ri<strong>en</strong> <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre et<br />
voulut se retirer <strong>le</strong> plus tôt possib<strong>le</strong>. Tous <strong>le</strong>s grands de l'ambassade<br />
Persane fur<strong>en</strong>t satisfaits aussi, car ils faillir<strong>en</strong>t faire<br />
un massacre général; et il s'<strong>en</strong> fallut de peu. Mais monsieur,<br />
Boucherat ne l'était pas. Il avait à coeur son coup de bâton,<br />
quoiqu'il s'<strong>en</strong> fut bi<strong>en</strong> v<strong>en</strong>gé. Il refusa de quitter, ainsi que<br />
tous ces messieurs, la place d'Erzeroum, si immédiatem<strong>en</strong>t<br />
on ne conduisait devant lui <strong>le</strong> coupab<strong>le</strong> qui avait osé <strong>le</strong>ver <strong>le</strong><br />
bâton sur lui, pour y recevoir <strong>en</strong> prés<strong>en</strong>ce de tout <strong>le</strong> monde sa<br />
punition d'un certain nombre de coups de bâton, qu'il désignerait<br />
au cas opportun. Les grands de l'ambassade l'<strong>en</strong>gagèr<strong>en</strong>t<br />
à se retirer, ce fut <strong>en</strong> vain. Il promit de n'<strong>en</strong> ri<strong>en</strong> faire, et<br />
dit â Mirza Fata, <strong>le</strong> premier secrétaire, qu'il devait lui-même<br />
veil<strong>le</strong>r â ce qu'on <strong>le</strong> lui conduisit. Voyant sa résolution, on se<br />
mit é la recherche du coupab<strong>le</strong> que l'on conduisit, mains liées<br />
derrière <strong>le</strong> dos. Il •se pré<strong>par</strong>ait à recevoir c<strong>en</strong>t cinquante<br />
coups de bâton, que M. BoucheraI prononçât, lorsque l'apprêt<br />
<strong>d'une</strong> tel<strong>le</strong> cérémonie, <strong>en</strong> prés<strong>en</strong>ce de toute la populace,<br />
<strong>en</strong>gagea monsieur Boucherat à <strong>le</strong> grâcier. Il se prosterna<br />
plusieurs fois devant lui. Le drogman lui dit qu'on lui <strong>par</strong>donnait,<br />
mais qu'il avait, lui et ses camarades, à appr<strong>en</strong>dre pour<br />
une autre fois, qu'on ne devait jamais insulter des voyageurs,<br />
qu'on devait surtout respecter <strong>le</strong>s Français; et tout étant r<strong>en</strong>tré<br />
à peu près dans l'ordre, on salua monsieur Rive, et on se<br />
mit <strong>en</strong> marche .pour Hassan-Khalèh.<br />
Plus tard, nous apprîmes relativem<strong>en</strong>t à cette affaire, <strong>par</strong><br />
la voie des journaux, que tous étai<strong>en</strong>t morts indistinctem<strong>en</strong>t,<br />
43<br />
1
44 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
ayant d'abord violé <strong>le</strong>s demeures qui <strong>le</strong>ur étai<strong>en</strong>t sacrées, et<br />
s'être <strong>en</strong>fin retirés chez <strong>le</strong> consul Anglais; toutes ces choses,<br />
comme on <strong>le</strong> voit, sont tota<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t fausses.<br />
Le surl<strong>en</strong>demain de cette affaire à G-ui]lassour, Hussein-<br />
Khan exprima au fabricant de verre Car<strong>en</strong>za tout son mécont<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t<br />
de la scène qu'il avait suscitée. Il lui annonça<br />
dans cette <strong>en</strong>trevue qu'il avait perdu toute sa confiance et<br />
qu'il ne voulait plus de lui, quand même il lui ferait des diamants.<br />
Il était arrêté qu'il allait <strong>par</strong>tir, lorsqu'il insista <strong>en</strong>core<br />
t Hussein-Khan, l'appréciant dès lors à sa juste va<strong>le</strong>ur, <strong>le</strong><br />
reprit, devant plus tard sur lui laisser appesantir tout son<br />
ress<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t.<br />
Toutefois, Hussein-Khan ne cons<strong>en</strong>tit à l'emm<strong>en</strong>er <strong>en</strong> <strong>Perse</strong><br />
qu'à la condition qu'il signerait une <strong>le</strong>ttre, comme il <strong>le</strong> disait,<br />
attestant qu'il n'avait nul<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t fondé de pouvoir monsieur<br />
Rive pour cette réclamation, que ce monsieur avait ainsi agi<br />
de son propre chef. Car<strong>en</strong>za y cons<strong>en</strong>tit. Que chacun p<strong>en</strong>se<br />
ce que nous dflmes p<strong>en</strong>ser de cet homme (l ui sacrifiait ainsi<br />
monsieur Rive, qui, <strong>par</strong> rapport à lui, allait peut-être se voir<br />
destitué, quand surt2ut il avait agi d'après ses instigations.<br />
Pour mon propre compte, j'avoue que depuis cette époque <strong>le</strong><br />
fabricant de verre était perdu dans mon esprit et n' trouvait<br />
pasla moindre estime que chaque honnête <strong>par</strong>ticulier est. <strong>en</strong><br />
droit de réclamer <strong>d'une</strong> autre, personne. Le but de Hussein-<br />
Khan, était, d'après <strong>le</strong> rapport que lui fir<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s g<strong>en</strong>s de sa<br />
suite, d'écrire â Ails-Pacha et <strong>par</strong> la signature de Oar<strong>en</strong>za de<br />
prouver <strong>le</strong> doub<strong>le</strong> tort de monsieur Rive. Nous ne pûmes<br />
savoir plus tard tout <strong>le</strong> résultat de cette affaire, mais ce qu'il<br />
y a de bi<strong>en</strong> certain, c'est que monsieur Rive est <strong>en</strong>core instructeur<br />
à Erzeroum.<br />
Je ne dois pas non plus tout pallier chez l'un pour ne faire<br />
ressortir que <strong>le</strong>s justes torts de l'autre. Quoiqu'<strong>en</strong> <strong>par</strong>eil<strong>le</strong><br />
circonstance l'int<strong>en</strong>tion de secourir des compatriotes soit à<br />
louer chez monsieur Rive, <strong>le</strong>s formes insultantes, <strong>en</strong> aucune<br />
circonstance, ne doiv<strong>en</strong>t être admises; J'ai à reprocher à
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 45<br />
monsieur Rive sa manière d'accoster <strong>le</strong>s g<strong>en</strong>s de l'ambassade<br />
persane, lorsque nous étions réunis devant notre maison,<br />
att<strong>en</strong>dant nos chevaux pour <strong>par</strong>tir. Cela se passait <strong>le</strong> 24 novembre<br />
<strong>1839</strong>.<br />
Khbi.— Les trois oit quatre derniers jours qui précédèr<strong>en</strong>t<br />
notre arrivée â Kiwi, nous eûmes â supporter des froids bi<strong>en</strong><br />
rigoureux, <strong>par</strong>ticulièrem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core <strong>le</strong> jour de notre <strong>en</strong>trée<br />
<strong>en</strong> cette vil<strong>le</strong>. C'était la première vil<strong>le</strong> un peu considérab<strong>le</strong><br />
dans laquel<strong>le</strong> nous <strong>en</strong>trions eu <strong>Perse</strong>, aussi r<strong>en</strong>contrâmesnous<br />
plusieurs groupes de personnes qui v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t à la r<strong>en</strong>contre<br />
de Hussein-Khân, grand honneur que l'on r<strong>en</strong>d aux<br />
g<strong>en</strong>s du pays quand ils voyag<strong>en</strong>t. Les jeux dont j'ai déjà<br />
<strong>par</strong>lé ne manquai<strong>en</strong>t pas dé se reproduire mieux que jamais.<br />
Il n'y avait aucun empêchem<strong>en</strong>t pour ces fous cavaliers, pas<br />
même <strong>le</strong>s glaçons qui pouvai<strong>en</strong>t se trouver dans <strong>le</strong>urs galops<br />
sous <strong>le</strong>s pieds des chevaux; il n'y eut pourtant pas de graves<br />
accid<strong>en</strong>ts, quelques chutes seu<strong>le</strong>s désappointèr<strong>en</strong>t quelques<br />
champions qui se s<strong>en</strong>tir<strong>en</strong>t ainsi piqués, et galopai<strong>en</strong>t avec<br />
pins de vitesse que jamais une fois placés sur <strong>le</strong>urs chevaux.<br />
Une lieue avant d'<strong>en</strong>trer <strong>en</strong> vil<strong>le</strong>, nous r<strong>en</strong>contrions, placés<br />
de distance <strong>en</strong> distance, plusieurs groupes de Persans â pied,<br />
autour de plusieurs beaux béliers ou moutons que l'on immolait<br />
<strong>en</strong> signe de sacrifice â Hussein-Khan quand il passait<br />
devant eux.<br />
Cela est une sorte de spéculation de la <strong>par</strong>t de ces g<strong>en</strong>s qui<br />
gard<strong>en</strong>t toujours vers eux la bête immolée et de plus la<br />
récomp<strong>en</strong>se que <strong>le</strong>ur donne <strong>le</strong> grand auquel ils ont fait cet<br />
honneur. Etant sur <strong>le</strong>s portes de la vil<strong>le</strong> de Khoi, nous n'apercevions<br />
<strong>en</strong>core que ce qu'on apercevait de bi<strong>en</strong> loin. Avant<br />
d'<strong>en</strong>trer <strong>en</strong> vil<strong>le</strong>, il fallut tourner et retourner mil<strong>le</strong> chemins<br />
couverts que nous aurions alors donnés â tous <strong>le</strong>s diab<strong>le</strong>s; â<br />
cause du grand froid que nous éprouvions. Enfin nous passâmes<br />
sur tin petit pont et nous ne tardâmes pas â <strong>en</strong>trer <strong>en</strong><br />
vil<strong>le</strong>. Il y avait beaucoup de boue, et <strong>le</strong>s rues étroites de cette<br />
vil<strong>le</strong>, r<strong>en</strong>dues, pour <strong>le</strong>s voyageurs montés et <strong>en</strong> nombre,
46<br />
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
plus étroites <strong>en</strong>core â cause des sau<strong>le</strong>s qui sont plantés au<br />
milieu des rues, nécessitèr<strong>en</strong>t une longue suite, puisque nous<br />
qui ouvrions la marche étions obligés de marcher sur un<br />
rang. Enfin nous arrivâmes au lieu de notre logem<strong>en</strong>t. Nous<br />
filmes logés près de Hussein-Khan, dans de passab<strong>le</strong>s ap<strong>par</strong>tem<strong>en</strong>ts.<br />
Quelques instants après notre arrivée, nous reçûmes<br />
<strong>en</strong> cadeau de Hussein-Khan deux grands plateaux chargés<br />
de sucreries qui nous fir<strong>en</strong>t grand plaisir. Dans l'après-midi,<br />
nous fûmes visiter <strong>le</strong>s rem<strong>par</strong>ts, qui ne sont autre chose que<br />
deux murs de circonvallation, flanqués de tours de distance<br />
<strong>en</strong> distance. Ces murs sont très é<strong>le</strong>vés, sans épaisseur, et prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t<br />
(Fautant moins de résistance qu'ils sont é<strong>le</strong>vés sans<br />
avoir (<strong>le</strong> bonnes bases; aussi n'est-il pas rare à Khoi, comme<br />
dans <strong>le</strong>s autres vil<strong>le</strong>s de la <strong>Perse</strong>, de voir tomber lambeaux<br />
<strong>par</strong> lambeaux <strong>le</strong>s choses dans <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s surtout ils devrai<strong>en</strong>t<br />
mettre tout <strong>le</strong>ur salut. Les fortifications de Khoi,qui sont bi<strong>en</strong><br />
r<strong>en</strong>ommées <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>, me fir<strong>en</strong>t la plus grande pitié. Nous<br />
Mu<strong>le</strong>s visiter <strong>en</strong>suite ]a caserne, vieux amas de ruines; où se<br />
sont retirées quelques •femmes depuis que <strong>le</strong>s soldats log<strong>en</strong>t<br />
chez eux. Sans <strong>le</strong>s déranger nous désirâmes visiter l'extérieur.<br />
Nous aperçûmes â la basse-cour une pièce de canon de<br />
vieux modè<strong>le</strong>, dont la <strong>par</strong>eil<strong>le</strong> se trouvait à côté sous une<br />
casemate, et quelques soldats, excessivem<strong>en</strong>t mal accoutrés,<br />
formai<strong>en</strong>t à l'<strong>en</strong>trée la garde d'un poste. ils sur<strong>en</strong>t dès <strong>le</strong><br />
matin que nous v<strong>en</strong>ions pour <strong>le</strong>s commander, aussi nous<br />
r<strong>en</strong>dir<strong>en</strong>t-ils <strong>en</strong> grand tons <strong>le</strong>s honneurs de <strong>militaire</strong>s; ils<br />
fur<strong>en</strong>t très confiants <strong>en</strong> nous, â l'exception de quelques vieux<br />
sarcophages, qui noussuivai<strong>en</strong>tpourrious i nviter,profanesque<br />
nous étions, à nous retirer et il laisser <strong>le</strong>s femmes tranquil<strong>le</strong>s.<br />
J'assure ici que nous n'y p<strong>en</strong>sions nul<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t, mais nous<br />
devions, sauf à réprimer ces abus, comm<strong>en</strong>cer <strong>par</strong> respecter<br />
<strong>le</strong>s usages de ce peup<strong>le</strong> barbare. C'est â Khoi que se trouve<br />
<strong>en</strong>terré monsieur Bertrand, officier, qui était v<strong>en</strong>u attaché à<br />
l'ambassade du général Gardanne. Nous apprîmes plus tard,<br />
qu'<strong>en</strong> son honneur, l'ambassade française de monsieur de
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
Sercey fit dire <strong>par</strong> son aumônier une messe. Nous désirâmes<br />
visiter la tombe de ce compatriote ; mais il plût <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain<br />
â Hussein-Khan de <strong>par</strong>tir. Nous ne pûmes ainsi mettre ce<br />
projet â exécution.<br />
Je fus réel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t étonné des bazars que nous y visitâmes.<br />
Ils sont grands et sont sous de vastes voûtes assez régulièrem<strong>en</strong>t<br />
construites. La hardiesse de ces voûtes m'étonna beaucoup<br />
et était de beaucoup supérieure â cel<strong>le</strong>s d'Erzroum.<br />
Voici donc comm<strong>en</strong>t se compos<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s bazars d'Ori<strong>en</strong>t et ici<br />
ceux de Khoi: ce sont de longues et vastes ga<strong>le</strong>ries, sous des<br />
veil<strong>le</strong>s très é<strong>le</strong>vées et ayant â la <strong>par</strong>tie supérieure et. sur <strong>le</strong>s<br />
côtés des dessins persans, de distance <strong>en</strong> distance, dessins du<br />
reste grossièrem<strong>en</strong>t travaillés. Les boutiques sont sur la<br />
droite et sur la gauche. El<strong>le</strong>s ne se ferm<strong>en</strong>t point. Lés marchandises<br />
sont dans des rayonset <strong>le</strong> maître est assis â côté,<br />
sur ses talons. Les marchandises de même espèce se suiv<strong>en</strong>t<br />
assez ordinairem<strong>en</strong>t et sont sur chaque <strong>par</strong>tie d'un bazar. De<br />
distance eu distance sont <strong>le</strong>s caravansérails, où <strong>le</strong>smarchands<br />
Géorgi<strong>en</strong>s s'établiss<strong>en</strong>t d'ordinaire. Cette manière de placer<br />
<strong>par</strong> quartiers <strong>le</strong>s marchandises <strong>d'une</strong> même nature n'est pas<br />
chose généra<strong>le</strong> et de rigueur, cep<strong>en</strong>dant cela existe â Khoi.<br />
Après <strong>le</strong>s avoir visités notre aise et fait quelques achatspour<br />
poursuivre notre route, nous nous disposâmes à <strong>par</strong>tir.<br />
-<br />
Nous étions â Khoi <strong>le</strong> 7 décembre. Nous remarquâmes <strong>par</strong><br />
exemp<strong>le</strong> un très mauvais <strong>en</strong>treti<strong>en</strong> dans cette vil<strong>le</strong> plus<br />
<strong>en</strong>core que dans <strong>le</strong>s autres vil<strong>le</strong>s de la <strong>Perse</strong>, dontnous fûmes<br />
â même de juger plus tard; il y avait même, dans certains<br />
<strong>en</strong>droits, du danger à ne pas regarder à ses pieds, car nous<br />
aperçûmes plusieurs trous sur <strong>le</strong> milieu des rues qui avoisinai<strong>en</strong>t<br />
<strong>le</strong>s bazars. Nous sortîmes de Khoi <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain. Nous<br />
remarquâmes une av<strong>en</strong>ue charmante â l'autre côté de la vil<strong>le</strong>,<br />
quelques maisons de campagnes, ainsi que quelques arbres<br />
sur notre droite et notre gauche; cela nous fit IIfl vif plaisir;<br />
nous voyagions depuis si longtempssans <strong>en</strong> trouver. Je crois<br />
que nous <strong>le</strong>s laissâmes tousâ la valléeque nous r<strong>en</strong>contrâmes â
48 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
M<br />
notre ortie de Trébizonde; nous<strong>en</strong> vîmes <strong>en</strong>core quelques derniers<br />
â Beïbout. Nous arrivâmes bi<strong>en</strong> tard à Seid-Hadji-ed-flin,<br />
Petit village sifué à trois agaches de l{hoi, où nous passâmes<br />
la nuit. Le l<strong>en</strong>demain, nous nous mîmes <strong>en</strong> marche. Nous<br />
eûmes une dernière montagne â traverser. Au haut de la<br />
montagne, du plateau sur <strong>le</strong>quel on voyagep<strong>en</strong>dantquelques<br />
instants, nous aperçûmes <strong>le</strong> lac d'Ourmia, qui donne son nom<br />
à une des provinces de la <strong>Perse</strong>; son eau est salée, il n'a point<br />
de poissons. Quand nous ethnes achevé de franchir la montagne,<br />
nOUS lâiss qInes <strong>le</strong> lac sur la droite, allâmes vers la<br />
gauche. Au fond, bi<strong>en</strong> loin, presque â l'horizon, nous aperçumes<br />
plusieurspetits villages; c'étai<strong>en</strong>t ceux qui avoisin<strong>en</strong>t<br />
TauS. Néanmoins nous ne l'apercevions pas, cd ne fut que<br />
<strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain, 12 décembre, que nous aperçûmes et <strong>en</strong>trâmes<br />
dans Tauris.<br />
Tauris. - Tauris ou Tébris est adossé à des montagnes<br />
et se trouve à l'extrémité de celte plaine qui comm<strong>en</strong>ce<br />
immédiatem<strong>en</strong>t au pied de cette montagne dont nous aperçûmes<br />
<strong>le</strong> lac; el<strong>le</strong> a ainsi plus de huit agaches de longueur.<br />
Cette plaine est <strong>le</strong> plus souv<strong>en</strong>t inculte et n'est labourée et<br />
productive qu'aux al<strong>en</strong>tours des villages qui se trouv<strong>en</strong>t<br />
situés çà- et là sur cette plaine. Nous aperçûmes quelques.<br />
jardins <strong>en</strong>tourés d'un mur de 5 à G mètres d'élévation. Ces<br />
murs sont <strong>en</strong> terre, et n'ont presque pas d'épaisseur. Ces<br />
jardins ne nous <strong>par</strong>ur<strong>en</strong>t pas très mal, et nous <strong>en</strong> jugeâmes<br />
assez avantageusem<strong>en</strong>t quoique nous fussions dans la<br />
mauvaise saison. Ces jardins sontcommuns cl non seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t<br />
<strong>le</strong>s Musulmans peuv<strong>en</strong>t y <strong>en</strong>trer, mais c'est qu'<strong>en</strong>core on y<br />
voit avec plaisir des étrangers, car <strong>le</strong>s gardi<strong>en</strong>s sav<strong>en</strong>t alors<br />
qu'ils auront un bakchich (ou cadeau). Je ne <strong>par</strong><strong>le</strong>rai point de<br />
notre <strong>en</strong>trée et de cel<strong>le</strong> de l-iussei n-Khan à Tauris. Et <strong>le</strong> fut faite<br />
avec grande pompe et cérémonie, lies béliers immolés se<br />
trouvai <strong>en</strong>t à chaque pas sur notre passage. D'après un usage<br />
eu vigueur chez <strong>le</strong>s Persans, notamm<strong>en</strong>t chez <strong>le</strong>s grands, on<br />
ne peut sans vio<strong>le</strong>r fortem<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s lois de la déc<strong>en</strong>ce r<strong>en</strong>trer
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 4<br />
dans une vil<strong>le</strong> après un voyage, avant la première heure du<br />
soir â la Turque. Cette première heure répond â peu près à la<br />
sixième chez nous; aussi, arrivés vers <strong>le</strong>s 4 heures, dûmesnous<br />
att<strong>en</strong>dre aux portes de la vil<strong>le</strong> deux heures Avec <strong>le</strong><br />
froid rigoureux qu'il y faisait et <strong>en</strong> grande t<strong>en</strong>ue comme nous<br />
étions, nous nous impati<strong>en</strong>tâmes plusieurs fois. Enfin, l'ordre<br />
d'<strong>en</strong>trer nous <strong>par</strong>vint. Il faisait bi<strong>en</strong> nuit. Les rues n'étant pas<br />
éclairées, seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t quelques <strong>par</strong>ties de bazars où l'on passe<br />
nous ne pûmes nous aviser de conduire nos montures, et<br />
pourtant la route était couverte de trous. Au milieu de bi<strong>en</strong><br />
des transes nous arrivâmes chez nous, à 7heures du soir du<br />
12 décembre <strong>1839</strong>.<br />
Tant que nous étions <strong>en</strong> route, nous sûmes pati<strong>en</strong>ter, et, à<br />
la fin, nous sûmes juger de tous <strong>le</strong>s m<strong>en</strong>songes de Hussein-<br />
Khan. Peu nous importait, dans <strong>le</strong>s derniers temps, que cet<br />
homme nous promette ou non, cela rev<strong>en</strong>ant absolum<strong>en</strong>t au<br />
même. Mais, arrivés âTauris, tout devait changer l'atT aire<br />
aussi fûmes-nous indignés quand, <strong>en</strong> y arrivant, nous vîmes<br />
une petite chambre ou nous devions tous loger, et dès<br />
<strong>le</strong> soir, presque sans vivres. Cela ne nous accommodait<br />
nul<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t après <strong>le</strong>s souffrances que nous v<strong>en</strong>ions d'<strong>en</strong>durer.<br />
Nous nous <strong>en</strong> plaignions amèrem<strong>en</strong>t auprès d'Hussein-Khan.<br />
Nous cons<strong>en</strong>tîmes néanmoins â rester dans cette chambre,<br />
puisqu'on devait <strong>par</strong>tir huit jours après notre arrivée pour<br />
Téhéran; mais, quant aux vivres, nous fûmes résolus de faire<br />
mettre à exécution l'artic<strong>le</strong> du contrat qui y avait trait. Nous<br />
y fûmes d'autant plus <strong>en</strong>gagés qu'un nommé Askir-Bey,<br />
chargé de nos subsistances <strong>en</strong> route, nous ayant volés,<br />
continua, d'après l'ordre de Hussein-Khan, â être chargé de<br />
notre ordinaire. Nous nous apercevions que chaque jour il<br />
diminuait, et quand on tâchait de <strong>le</strong> pr<strong>en</strong>dre <strong>par</strong> <strong>le</strong>s s<strong>en</strong>ti-.<br />
m<strong>en</strong>ts, pourquoi il nous volait u Sur ma barbe et sur mes<br />
« yeux, ce n'est pas vous que je vo<strong>le</strong>, c'est mon <strong>par</strong><strong>en</strong>t<br />
e Hussein-Khan ».A de semblab<strong>le</strong>s discours, nous donnions<br />
ordre â nos g<strong>en</strong>s de <strong>le</strong> mettre â la porte, mais il n'avait point
5e<br />
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE E?4 PERSE<br />
de coeur et ne se faisait pas de scrupu<strong>le</strong> de se placer <strong>en</strong> majordome<br />
au milieu de la cuisine. -<br />
Mais tout cela devait, dès <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain, avoir une fin. Nous<br />
nous proposâmes d'al<strong>le</strong>r chez Hussein-Khan. Le soir même, il<br />
nous fit donner l'ordre de nous r<strong>en</strong>dre<strong>en</strong> grande t<strong>en</strong>ue chezlui,<br />
devant de là nous r<strong>en</strong>dree chez l'émir Nizam Amiri, général <strong>en</strong><br />
chef des armées persanes. Nous y fûmes. Il nous reçut assez<br />
bi<strong>en</strong>, mais Hussein-Khan,qui était une de ses créatures, lui fit un<br />
rapport de ce qu'il appelait exig<strong>en</strong>ces (je <strong>le</strong> présume), aussi<br />
nous dit-il, que <strong>le</strong> contrat serait observé, puisque nous <strong>le</strong><br />
voulions, mais que nous ne devions avoir aucune autre<br />
prét<strong>en</strong>tion. Tout cela déclara <strong>en</strong>tre nous et Hussein-Khan<br />
une guerre où il devait être vaincu. Néanmoins, tout <strong>en</strong> la<br />
lui déclarant, nous ne voulûmes pas nous plaindre à l'émir<br />
Nizam de ce que, depuis notre <strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t avec la <strong>Perse</strong>, et<br />
il y avait trois mois, nous n'avions point reçu d'appointm<strong>en</strong>ts.<br />
Nous saluâmes l'émir Nizam. Hussein-Khan resta<br />
avec lui. Arrivés dans notre chambre, nous écrivîmes à<br />
Hussein-Khan, non pour lui demander une <strong>en</strong>trevue, mais<br />
pour la lui fixer pour <strong>le</strong>s neuf heures du matin. Il nous fit<br />
réponse qu'il nous recevrait avec plaisir. Le l<strong>en</strong>demain,<br />
nous ne manquâmes pas. Ii nous reçut très bi<strong>en</strong>, nous offrit<br />
<strong>le</strong> thé, te café. Alors nous comm<strong>en</strong>çâmes à lui faire un long<br />
récit de nos grandes indispositions de la route contre lui, que<br />
nous avions promis de <strong>le</strong>s cé<strong>le</strong>r, â condition qu'il ferait<br />
changer la face de toutes <strong>le</strong>s affaires, qu'au contraire tout<br />
recomm<strong>en</strong>çait et vexations et déconsidération. Nous finissions<br />
<strong>par</strong> lui dire qu'il avait à faire att<strong>en</strong>tion à sa conduite. Nous<br />
liii fîmes <strong>en</strong>suite nos rapports contre Askir-bey. Il donna<br />
ordre immédiatem<strong>en</strong>t à cet homme de ne plus se prés<strong>en</strong>ter<br />
chez nous, et dit que l'arg<strong>en</strong>t qu'il lui donnait, il nous <strong>le</strong><br />
donnerait. Comme notre contrat <strong>par</strong>lait d'un tain qu'avai<strong>en</strong>t<br />
<strong>le</strong>s officiers dans <strong>le</strong> pays, nOUS lui <strong>en</strong> demandions l'exécution:<br />
et, comme il n'y <strong>en</strong> avait pas, nous voulûmes ainsi attaquer<br />
toute sa fourberie. Nous fixâmes quelques délais à Hussein-
JOURNAL D 'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE Si<br />
Khan pour fixer notre taïn <strong>en</strong> arg<strong>en</strong>t; mais, avant toute<br />
chose, nous demandions <strong>le</strong> paiem<strong>en</strong>t de nos appointem<strong>en</strong>ts.<br />
Il répondit qu'il nous priait de nous mettre <strong>en</strong> grande t<strong>en</strong>ue<br />
pour <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain, devant al<strong>le</strong>r faire visite au prince<br />
Karaman Mirza, frère du chah actuel de la<strong>Perse</strong>, et, qu'avant<br />
d'y al<strong>le</strong>r, il nous paierait. Nous ne manquâmes pas au<br />
r<strong>en</strong>dez-vous, mais nous étions chez lui depuis une demiheure<br />
qu'il ne nous avait <strong>en</strong>core pas <strong>par</strong>lé d'arg<strong>en</strong>t. Un<br />
instant après, on vint nous dire d'al<strong>le</strong>r chez <strong>le</strong> prince. Nous<br />
sorttmes sans mot dire et nous nous dirigeâmes chez nous.<br />
Quelques jours se passèr<strong>en</strong>t ainsi dans une exaspération<br />
réciproque, mais Hussein-Khan nous fit demander et, <strong>en</strong>fin,<br />
il nous paya. Etant payés, nous promîmes alors d'al<strong>le</strong>r chez<br />
<strong>le</strong> prince, mais que nous allions nous occuper du tain.<br />
Le l<strong>en</strong>demain, il nous conduisit chez <strong>le</strong> prince. Le prince<br />
Karaman Mirza nous reçut très bi<strong>en</strong>. Il fut <strong>en</strong>chanté de notre<br />
arrivée <strong>en</strong> <strong>Perse</strong> et promit, <strong>en</strong> tout temps, qu'il serait notre<br />
protecteur et qu'il ferait <strong>en</strong> sorte de nous r<strong>en</strong>dre plus<br />
supportab<strong>le</strong> une si longue sé<strong>par</strong>ation de la France. Ces<br />
<strong>par</strong>o<strong>le</strong>s du prince avai<strong>en</strong>t certainem<strong>en</strong>t <strong>le</strong>ur portée. il avait<br />
appris notre mésintellig<strong>en</strong>ce avec Hussein-Khan, qui n'était<br />
pas de ses créatures, aussi <strong>le</strong> prince n'att<strong>en</strong>dait-il qu'un<br />
rapport de notre bouche contre l'ex-ambassadeur pour <strong>le</strong><br />
punir avec toute la sévérité des lois du pays. Tout exaspérés<br />
que nous étions, nous étions Français, nous devions nous <strong>en</strong><br />
abst<strong>en</strong>ir. Le prince nous donna ce jour des marques de toute<br />
sa bi<strong>en</strong>veillance pour nous. il nous fit un cadeau d'un cheval<br />
et quinze tomans àchacun, et nous pria, <strong>en</strong> nous retirant, de<br />
ne pas p<strong>en</strong>ser au passé. Nous sortîmes accompagnés <strong>en</strong>suite<br />
du maître des cérémonies de Sa Majesté, après nous être<br />
retournés, à quatre reprises différ<strong>en</strong>tes, pour saluer <strong>le</strong><br />
prince • qui s'était assis sur un fauteuil, près de sa croisée.<br />
J'oublie de dire que, dans celte séance, Hussein-Khan dit au<br />
prince que nous demandions un prix <strong>par</strong> jour pour notre<br />
tain, et qu'il <strong>le</strong> priait dé <strong>le</strong> fixer. Le prince lui répondit, et il
52 - JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
nous <strong>le</strong> fit dire, qu'il donnait tout pouvoir â Hussein-Khan<br />
pour traiter cette affaire comme nous l'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>drions. Le jour,<br />
pour fixer définitivem<strong>en</strong>t <strong>le</strong> tain, fut celui du l<strong>en</strong>demain.<br />
Nous eûmes <strong>le</strong> plaisir de trouver à Tauris un de nos<br />
compatriotes, monsieur Bord, membre de la Société asiatique,<br />
qui se trouve <strong>en</strong> <strong>Perse</strong> depuis deux ans, et qui y a déjà institué<br />
plusieurs éco<strong>le</strong>s. Monsieur Boré, t notre arrivée, était ret<strong>en</strong>u<br />
au lit <strong>par</strong> une grave fièvre; aussi, désireux qu'il était de nous<br />
voir, nous écrivit-il pour nous faire connaître sa position et<br />
nous prier d'al<strong>le</strong>r chez lui. Nous y fûmes. Il fut cont<strong>en</strong>t de<br />
nous voir. Je fus <strong>par</strong>ticulièrem<strong>en</strong>t recommandé à monsieur<br />
Doré <strong>par</strong> monsieur d'Abadie, un basque comme moi, membre<br />
de la même société, qui se r<strong>en</strong>dait <strong>en</strong> Abyssinie et que je<br />
r<strong>en</strong>contrai sur <strong>le</strong> M<strong>en</strong>tor. Monsieur d'Abadie était intimem<strong>en</strong>t<br />
lié avec monsieur Boré, aussi me donna-t-il une <strong>le</strong>ttre pour<br />
cet aimab<strong>le</strong> monsieur avec <strong>le</strong>quel j 'étais très bi<strong>en</strong> <strong>par</strong> la suite.<br />
Monsieur Doré nous promit, lorsqu'il serait mieux portant, de<br />
nous servir constamm<strong>en</strong>t de drogman. Et comme un jour nous<br />
nous plaignions du peu de fidélité dans <strong>le</strong>s <strong>par</strong>o<strong>le</strong>s du drogman<br />
de Hussein-Khan, il <strong>le</strong> crut certainem<strong>en</strong>t et promit d'être<br />
<strong>le</strong> nôtre dans <strong>le</strong>s affaires que nous aurions avec Hussein-Khan.<br />
Aussi monsieur Boré voulut-il bi<strong>en</strong>, d'après notre demande,<br />
v<strong>en</strong>ir <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain traiter notre taïn chez Hussein-Khan.<br />
A sa nob<strong>le</strong> habitude, l'ex-ambassadeur de <strong>Perse</strong> nous fit<br />
faire antichambre, et comme il était dans un des a<strong>par</strong>tem<strong>en</strong>ts<br />
du harem, il nous pria d'y <strong>en</strong>voyer notre drogman.<br />
Monsieur Boré qui s'était offert pour <strong>le</strong> nôtre dut avoir la<br />
complaisance d'y al<strong>le</strong>r, nous l'avions prié de lui demander<br />
5 francs <strong>par</strong> jour pour <strong>le</strong> tain de chacun de nous.<br />
Après une confér<strong>en</strong>ce <strong>d'une</strong> demi-heure, il arrive au salon où<br />
nous étions, à grands pas, et nous dit: Messieurs, j'ai joué ma<br />
tête pour vous, j 'espère que vous ne m'abandonnerez pas. »<br />
Nous cernâmes tous monsieur Boré et sortîmes tous aveclui de<br />
chez Hussein-Khan. En sortant nous étions arrêtés. Hussein-<br />
Khan aurait voulu nous ret<strong>en</strong>ir et traiter avec nous seuls, mais<br />
H
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAiRE EN PERSE 53<br />
c'était inuti<strong>le</strong>. Nous étions off<strong>en</strong>sés dans la personne de monsieur<br />
Bord. Nous dûmes sortir avec lui et savoir <strong>le</strong> résultat<br />
de l'<strong>en</strong>trevue. En nous r<strong>en</strong>dant chez nous, voici ce que nous<br />
dit Monsieur Bord.<br />
J'ai, Messieurs, fait connaître vos prét<strong>en</strong>tions à Hussein<br />
(C Khan, qui tout d'abord m'écoutait paisib<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t, et comme<br />
un instant après je l'<strong>en</strong>gageais pour l'honneur de son pays<br />
« à vous traiter avec considération, il jeta sur moi un regard<br />
« effroyab<strong>le</strong>, me tutoya et m<strong>en</strong>aça mes jours. A l'observation<br />
« rigoureuse que je lui fis, lorsqu'il vous traita avec mépris,<br />
« <strong>en</strong> disant que vous étiez ses domestiques, j'ai vu l'instant.,<br />
« Messieurs, où il allait donner l'ordre â ses g<strong>en</strong>s de me<br />
fustiger mais il <strong>en</strong> fut ret<strong>en</strong>u<strong>par</strong>ma cont<strong>en</strong>ance. Je sortis<br />
et me réfugiai vers vous sans lui dire un seul mot.. Il me<br />
((tutoya de nouveau <strong>en</strong> sortant et me ditque j'aurais bi<strong>en</strong>tôt<br />
((de ses nouvel<strong>le</strong>s <strong>en</strong> punition de ma démarche.))<br />
Nous rassurâmes Monsieur Bord de toutes cescraintes, et<br />
trois d'<strong>en</strong>tre nous, MM. Bussière, Ferrier et moi, nous nous<br />
r<strong>en</strong>dîmes chez Monsieur Bord pour lui faire une garde; et ne<br />
pas <strong>le</strong> laisser pr<strong>en</strong>dre à moins de tous nous écraser. Il nous<br />
fit dresser une tab<strong>le</strong>, pré<strong>par</strong>er une jolie chambre, et <strong>en</strong><br />
compagnie de nos armes bi<strong>en</strong> chargées, nous att<strong>en</strong>dions <strong>le</strong>s<br />
événem<strong>en</strong>ts- Fort heureusem<strong>en</strong>t pour <strong>le</strong>s uns et pour <strong>le</strong>s<br />
autres, Hussein-Khan ne donna aucun ordre relativem<strong>en</strong>t à<br />
Monsieur Bord. Avant de poursuivre plus loin, je dirai que<br />
logeant <strong>par</strong> suite de cette affaire chez Monsieur Bord, nous<br />
pr<strong>en</strong>ions nos repas <strong>en</strong>semb<strong>le</strong>, et passions nos soirées très<br />
agréab<strong>le</strong>s, <strong>en</strong> si bonne compagnie.<br />
Notre premier soin, une fois r<strong>en</strong>trés chacun chez nous,fut de<br />
faire une <strong>le</strong>ttre col<strong>le</strong>ctive, <strong>par</strong> laquel<strong>le</strong> nous mettions tous nos<br />
droits <strong>en</strong>tre <strong>le</strong>s mains de Monsieur Bord, jusqu'à l'arrivée de<br />
Monsieur de Sercey, ndtre ambassadeur, et de lui dire que nous<br />
nous proposions d'instruire<strong>le</strong> Chah de <strong>Perse</strong> de sa conduite à<br />
l'égard de la personne qui nousreprés<strong>en</strong>tait.Il nousfitrépondre<br />
qu'il était bi<strong>en</strong> peiné du <strong>par</strong>ti décidé que nous pr<strong>en</strong>ions.<br />
4
54<br />
M<br />
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
Le lèndemain, Monsieur Boré écrivit une <strong>le</strong>ttre <strong>en</strong> persan<br />
â Hussein-Khan, dont voici la t<strong>en</strong>eur<br />
« Hussein Khan, jep<strong>en</strong>se quevous devez vous rep<strong>en</strong>tir aujourd'hui<br />
de tous vos mauvais procédés â mon égard, et<br />
rétracter tout ce que vous auriez dit de désobligeant et de<br />
déplacé moi, Khan, si je vous eusse dit quelque chose de<br />
déplacé, je serais maint<strong>en</strong>ant disposé â <strong>le</strong> rétracter. Sachez.<br />
que tout ce que j'ai dit était l'expression de la volonté de<br />
ces Messieurs; ils m'<strong>en</strong> avai<strong>en</strong>t prié ; je me devais â mes<br />
frères et compatriotes.<br />
Je vous salue, EUGÈNE B0RÉ. »<br />
Voici la traduction littéra<strong>le</strong> de la réponse del-Iussein-Ii'han.<br />
« Monsieur, je suis votre honoré llussei n-Khan. Vous avez<br />
eu tort de vous mê<strong>le</strong>r de l'affaire de nies officiers; el<strong>le</strong><br />
ne vous regardait pas. Si je suis â votre égard sorti hier des<br />
quelques bornes, c'est que j'avais cru que vous vouliez jeter<br />
la diss<strong>en</strong>sion <strong>par</strong>mi eux. Votre <strong>le</strong>ttre meprouve <strong>le</strong> contraire,<br />
j'<strong>en</strong> suis cont<strong>en</strong>t.<br />
Je vous salue, HUSSEIN KHAN. »<br />
Néanmoins, nous tînmes notre <strong>par</strong>o<strong>le</strong>S et nous ne voulûmes<br />
ri<strong>en</strong> faire jusqu'à l'arrivée de Monsieur de Sercey, notre ambassadeur.<br />
Gela se, passait <strong>le</strong> 23 décembre. Nous étions donc<br />
<strong>en</strong> de très mauvais termes avec I-Iussein-Khan, qui nous<br />
laissa depuis cette époque sans <strong>le</strong> modique taTn qu'il nous<br />
avait donné jusqu'alors. Nous fûmes loin de <strong>le</strong> lui demander.<br />
Nous att<strong>en</strong>dions depuis longtemps notre ambassadeur.<br />
Enfin, <strong>le</strong> 21 janvier, Monsieur Boré vint nous appr<strong>en</strong>dre qu'il<br />
faisait son <strong>en</strong>trée à Tauris <strong>le</strong> 22. Nous n'avions pas <strong>en</strong>core nos<br />
chevaux ; nous nous <strong>en</strong> procurâmes et allâmes â plus<br />
<strong>d'une</strong> lieue â sa r<strong>en</strong>contre. Nous trouvions <strong>par</strong>tout des troupes<br />
<strong>en</strong> batail<strong>le</strong> <strong>en</strong> son honneur, et une infinité de groupes de<br />
visiteurs. Nous desc<strong>en</strong>dîmes dans un bas-fonds et aperçûmes<br />
arrivés au haut, ai<strong>le</strong> forte troupe v<strong>en</strong>ant vers nous. Nous<br />
p<strong>en</strong>sâmes justem<strong>en</strong>t que c'était notre ambassadeur ayant
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
derrière lui tous <strong>le</strong>s différ<strong>en</strong>ts groupes de visiteurs qu'on<br />
r<strong>en</strong>contre échelonnés sur la route â l'arrivée de quelque<br />
personnage remarquab<strong>le</strong>. Nous nous mîmes tous de front,<br />
et au galop, une ligne d'officiers, <strong>en</strong> t<strong>en</strong>ue française,<br />
se dirigeait vers Monsieur <strong>le</strong> comte qui s'arrêta lorsqu'ils<br />
fur<strong>en</strong>t arrivés. Monsieur de Sercey nous reçut très bi<strong>en</strong> et<br />
poursuivit sa route. Nous marchâmes derrière avec toute<br />
l'ambassade et l'accompagnâmes jusque chez lui.<br />
Nous demandâmes une <strong>en</strong>trevue à Monsieur Je marquis de<br />
Lava<strong>le</strong>tte, premier secrétaire d'ambassade, pour lui exposer<br />
tous nos griefs et notre position, <strong>le</strong> priant de nous prés<strong>en</strong>ter<br />
<strong>en</strong>suite à Monsieur de Serce. Monsieur <strong>le</strong> marquis fut très<br />
affab<strong>le</strong> et nous dit que nous pourrions v<strong>en</strong>ir chez lui à toute<br />
heure, que non seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t c'était une politesse qu'il avait, <strong>en</strong><br />
nous faisant cette proposition, mais c'est qu'<strong>en</strong>core il nods y<br />
<strong>en</strong>gageait <strong>en</strong> ami. Nous arrêtâmes donc que nous nous<br />
r<strong>en</strong>drions chez lui pour <strong>le</strong>s Il heures du 23, <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain.<br />
Monsieur de Lava<strong>le</strong>tte nous reçut avec grande cordialité.<br />
Comme <strong>le</strong>s chaises manquai<strong>en</strong>t, nous nous assîmes à ses<br />
côtés sur <strong>le</strong>s tapis. Il nous offrit quelques cigares que nous<br />
fumâmes avec plaisir. Nous lui exposâmes <strong>en</strong>suite tous nos<br />
griefs, but ce que nous avions à reprocher â Hussein-Khan,<br />
et voyant la difficulté que nous avions déjà éprouvée pour <strong>le</strong><br />
paiem<strong>en</strong>t des appointem<strong>en</strong>ts, nous <strong>le</strong> priâmes de traiter avec<br />
cet homme. Monsieur de Lava<strong>le</strong>tte fut indigné de toute sa<br />
mauvaise foi et promit de faire changer avec Monsieur <strong>le</strong><br />
comte toute la face des affaires. Nous lui <strong>par</strong>lâmes aussi<br />
relativem<strong>en</strong>t au tain. Enfin après une <strong>en</strong>trevue <strong>d'une</strong> heure<br />
<strong>en</strong>viron chez Monsieur <strong>le</strong> marquis, nous <strong>le</strong> priâmes de nous<br />
prés<strong>en</strong>ter <strong>le</strong> soir chez notre ambassadeur, Monsieur <strong>le</strong> comte<br />
de Sercey.<br />
Dans <strong>le</strong> courant de la journée, nous fûmes faire notre<br />
visite a' iI..<strong>le</strong>s capitaines Daru et Beaufort d'Hautpoul.<br />
Je ne <strong>par</strong><strong>le</strong>rai pas des motifs de notre conversation; el<strong>le</strong><br />
roula toute, pour cette pr<strong>en</strong>iière fois, sur <strong>le</strong>urs voyages et<br />
55
56 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PEPSE<br />
<strong>le</strong>s nôtres, puis <strong>en</strong>fin sur notre position. Ces Messieurs nous<br />
témoignèr<strong>en</strong>t beaucoup d'amitié. Quant aux autres membres<br />
de l'ambassade, nous efimes occasion de <strong>le</strong>s voir <strong>le</strong> soir. Voici<br />
la composition de l'ambassade<br />
MM. <strong>le</strong> comte de Sercey, ambassadeur;<br />
Le marquis de Lava<strong>le</strong>tte, 1er secrétaire d'ambassade;<br />
Le vicomte d'Archiac, 2° secrétaire d'ambassade;<br />
Le comte de Chazel<strong>le</strong>s, attaché;<br />
Le vicomte Gérard, attaché<br />
Le vicomte Daru, capitaine de hussards, attaché;<br />
Le marquis de Beaufort d'Hautpoul, capitaine d'état-major,<br />
attaché<br />
Monsieur Flandin,peintre;<br />
Monsieur Coste, architecte;<br />
Monsieur Lachèze, docteur;<br />
Monsieur Desgranges, P r drogman;<br />
Monsieur Biberstein-Kazimirski,2o drogman;<br />
Monsieur Outrey, 3 e drogman;<br />
L'abbé Scaffi;<br />
Lambert, attaché.<br />
Nous ne pimes. dés <strong>le</strong> premier jour, faire notre visite à fous<br />
ces messieurs. Nous nous l'étions proposé pour <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain,<br />
mais <strong>le</strong> soir, à la visite que nous finies à Monsieur de Sercey,<br />
tous s'y trouvai<strong>en</strong>t et ne voulai<strong>en</strong>t pas permettre, disai<strong>en</strong>t-ils,<br />
que nous nous dérangions pour al<strong>le</strong>r chez eux. Ils fur<strong>en</strong>t pour<br />
chacun de nous <strong>d'une</strong> obligeance et dune prév<strong>en</strong>ance que<br />
ri<strong>en</strong> ne pouvait éga<strong>le</strong>r. Monsieur <strong>le</strong> comte, comme ambassadeur,<br />
nous offrit tous ses bons services et promit de <strong>le</strong>s<br />
employer pour nous à Tauris, avant môme qu'il Il ait été<br />
accrédité, car <strong>le</strong> Roi se trouvait à Téhéran dans ce mom<strong>en</strong>t.<br />
Nous éprouvâmes quelque gêne d'abord <strong>en</strong> si nombreuse<br />
compagnie, mais bi<strong>en</strong>tôt chacun avait son cerc<strong>le</strong> dans cette<br />
soirée, et l'on put s'abandonner à toute sa joie. La soirée se<br />
prolongea assez avant, et tous ces messieurs ne nous
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
laissèr<strong>en</strong>t retirer qu'après nous avoir assurés de toute <strong>le</strong>ur<br />
obligeance pour nous, nous avoir <strong>en</strong>gagés â v<strong>en</strong>ir passer<br />
toutes nos soirées au salon de M. <strong>le</strong> comte, que <strong>le</strong> jour même<br />
n'importe â quel<strong>le</strong> heure il était ouvert pour nous.<br />
Hussein-Khan n'avait pas t<strong>en</strong>u à Paris une conduite tout-àfait<br />
digne d'un ambassadeur, et il savait que M. <strong>le</strong> comte <strong>en</strong><br />
avait été instruit officiel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t pour la mettre à jour auprès<br />
de son maître <strong>le</strong> Chah, toutefois au cas échéant ; aussi<br />
avait-il tous ses intér&s â bi<strong>en</strong> se faire v<strong>en</strong>ir auprès de notre<br />
ambassadeur. Ces g<strong>en</strong>s-là n'ont point de terme moy<strong>en</strong>, ils ne<br />
connaiss<strong>en</strong>t que <strong>le</strong>s extrêmes, ou bas ou arrogant. Dans la<br />
visite qu'il fit a notre ambassadeur à son arrivée à Tauris, il<br />
comm<strong>en</strong>ça avec son premier secrétaire Fata â ramper depuis<br />
la porte jusqu'à ce qu'il fO.t auprès du comte. A cette première<br />
visite, Monsieurde Sercey ne voulut <strong>par</strong><strong>le</strong>r deri<strong>en</strong>, quoique<br />
déjà il fut instruit de tout.<br />
Mais <strong>le</strong> l<strong>en</strong>démain Monsieur de Lava<strong>le</strong>tta se r<strong>en</strong>dit chez<br />
Hussein-Khan, lui adresser au nom de Monsieur de Sercey<br />
de vifs reproches sur la manière avec laquel<strong>le</strong> il nous avait<br />
traités, lui exposa <strong>en</strong>fin toute sa conduite. l-Iussein-Khan<br />
s'avoua coupab<strong>le</strong>, promit que tout cela ne se r<strong>en</strong>ouvel<strong>le</strong>rait<br />
plus; mais tout <strong>en</strong> assurant Monsieur de Laval el<strong>le</strong> de ses bons<br />
s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts pour nous, â l'av<strong>en</strong>ir, il lui fit un exposé des torts<br />
qu'il croyait devoir nous reprocher.. Monsieur <strong>le</strong> marquis ne<br />
crut pas devoir lui ri<strong>en</strong> céder et ri<strong>en</strong> retrancher sur la conduite<br />
qu'il v<strong>en</strong>ait de lui retracer. Il lui <strong>par</strong>la <strong>en</strong>suite du taïn,<br />
lui fit de viol<strong>en</strong>ts reproches de nous avoir laissés si longtemps<br />
sans vivres. D'abord, ils fur<strong>en</strong>t loin de s'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre sur la<br />
somme allouée â chacun rie nous à titre de taïn. Enfin, après<br />
quelques débats, ils tombèr<strong>en</strong>t SIU' 1.000 francs <strong>par</strong> an.Toutefois.Mousieur<br />
de Lavaiette naccepta cela que provisoirem<strong>en</strong>t,<br />
se proposant, une fois accrédité, rie faire augm<strong>en</strong>ter ce<br />
taïn, ainsi que nos appointem<strong>en</strong>ts. Il obtint pour <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain<br />
<strong>le</strong> paiem<strong>en</strong>t de deux mois d'appointem<strong>en</strong>ts échus,<br />
des quinze tomans qu'il devait nous donner <strong>par</strong> ordre du
58<br />
JOURNAL DUNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
prince liaraman Mirza ainsi que <strong>le</strong>. cheval. Tout devait être<br />
donné pour <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain.<br />
A la suite de toutes <strong>le</strong>s fautes de Hussein-Khan, nous lui<br />
promîmes d'<strong>en</strong> r<strong>en</strong>dre compte au Chah â la visite que nous<br />
lui ferions, et il savait très bi<strong>en</strong> que nous ti<strong>en</strong>drions notre<br />
<strong>par</strong>o<strong>le</strong>. L'ex-ambassadeur voulut éviter cela. Aussi, quand tout<br />
fut réglé <strong>en</strong>tre lui et Monsieur de Lava<strong>le</strong>tte, il <strong>le</strong> pria de<br />
nous faire donner <strong>par</strong> écrit un certificat attestant que nous<br />
n'avions ri<strong>en</strong> àreprocherà Hussein-Khan. Monsieur de Lava<strong>le</strong>tte.<br />
dans son esprit de conciliation, nous <strong>en</strong>gagea <strong>en</strong> riant<br />
à <strong>le</strong> lui donner; puisque Monsieur <strong>le</strong> marquis <strong>le</strong> désirait,<br />
nous ne devions pas <strong>par</strong>aître diffici<strong>le</strong>s; nous <strong>le</strong> lui donnâmes.<br />
En <strong>le</strong> recevant il assura Monsieur <strong>le</strong> marquis que ri<strong>en</strong> de ces<br />
scènes du passé ne devrait se r<strong>en</strong>ouve<strong>le</strong>r ; que pour son<br />
compte, il <strong>en</strong> répondait.<br />
Tout fut réglé au jour prescrit, et nous voilà <strong>en</strong>core une<br />
fois <strong>en</strong> de bons termes avec Hussein-Khan, qui agissait ainsi<br />
plutôt <strong>par</strong> la crainte qu'il avait de l'ambassade de France que<br />
<strong>par</strong> <strong>le</strong> désir qu'il avait de lui plaire, ainsi qu'à nous.<br />
Le même jour, nous eûmes la visite de Monsieur <strong>le</strong> marquis<br />
de Lava<strong>le</strong>tte ; il fut <strong>d'une</strong> amabilité sans éga<strong>le</strong> ; notre<br />
conversation roula longtemps sur la légèreté des personnes<br />
qui nous avai<strong>en</strong>t ainsi sacrifiés peut-être à une question<br />
politique; toujours, quelque chose qu'il <strong>en</strong> soit, avait-on<br />
à accuser d'ignorance des lieux et du pays ceux qui si<br />
faci<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t avai<strong>en</strong>t conçu <strong>le</strong> projet de nous <strong>en</strong>voyer <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>.<br />
En se retirant Faimab<strong>le</strong> marquis nous manifesta <strong>le</strong> désir de<br />
Monsieur de Sercey de nous avoir tous âsa tab<strong>le</strong>, mais<br />
comme el<strong>le</strong> n'était qu'à peu près suffisante pour <strong>le</strong>s MM. de<br />
l'ambassade, il fut arrêté que tous <strong>le</strong>s jours deux d'<strong>en</strong>tre nous,<br />
à tour de rô<strong>le</strong>, irai<strong>en</strong>t se placer à la tab<strong>le</strong> de l'ambassadeur.<br />
Les jours suivants, nous eûmes <strong>en</strong>core la visite du marquis<br />
et du vicomte d'Archiac, cel<strong>le</strong> <strong>en</strong>suite de MM. Daru et<br />
d'Hautpoul, presque tous <strong>le</strong>s soirs nous allions â l'amba.s-
5GURTÀL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
sade y passer d'agréab<strong>le</strong>s soirées, nous étions auprès d'eux<br />
constamm<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s bi<strong>en</strong> v<strong>en</strong>us.<br />
P<strong>en</strong>dant notre séjour â Tauris, nous fîmes la connaissance<br />
de Monsieur <strong>le</strong> docteur Berthoni, Itali<strong>en</strong> d'origine, qui, ayant<br />
été condamné à mort pour délit politique, trouva moy<strong>en</strong> de<br />
se réfugier d'abord <strong>en</strong> Grèce, où il passa quelques années.<br />
Ensuite <strong>le</strong> docteur Berthoni vint <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>, et y avait trouvé<br />
<strong>le</strong> prince Ma<strong>le</strong>ck 1-Jassan Mirza qui <strong>le</strong> prit pour son docteur, et<br />
<strong>en</strong> même temps pour son professeur de langue française. Le<br />
docteur Berthoni a maint<strong>en</strong>ant soixante années, il est <strong>en</strong>core<br />
vert, vif, de bonne santé, et certes sa figure ne porte pas son<br />
-âge sa longue barbe blanche donne je ne sais quoi de<br />
remarquab<strong>le</strong> à cet homme, d'un caractère gai; il ne se passait<br />
pas de jour qu'il ne vint nous voir et <strong>le</strong> plus souv<strong>en</strong>t<br />
<strong>par</strong>tageait nos repas. Nous aimions beaucoup <strong>le</strong> cosmopolite<br />
docteur. Il avait pour chaussures de grandes bottes du pays<br />
qui passai<strong>en</strong>t <strong>par</strong> dessus son pantalon qui était de bure<br />
grossière et excessivem<strong>en</strong>t large; il avait une redingote qui<br />
v<strong>en</strong>ait jusqu'aux g<strong>en</strong>oux, de cou<strong>le</strong>ur noire à col<strong>le</strong>t russe et<br />
boutonnant du haut <strong>en</strong> bas; sa barbe, comme je j'ai déjà dit,<br />
était grande et sa blancheur contrastait avec <strong>le</strong> noir de ses<br />
effets. Il avait <strong>en</strong>suite <strong>le</strong> coula, coiffure persane et une<br />
grande visière fixée <strong>par</strong> <strong>le</strong> moy<strong>en</strong> <strong>d'une</strong> ficel<strong>le</strong>, lui cachant<br />
tout <strong>le</strong> front, où, avec un peu d'att<strong>en</strong>tion, on remarquait<br />
quelques rides. Il avait <strong>en</strong>suite, ? sa ceinture de cuir verni,<br />
un poignard qui ne <strong>le</strong> quittait jamais, et son compagnon de<br />
voyage était un gros gourdin, cachant dans son intérieur<br />
une épée, de laquel<strong>le</strong> il avait, d'après ce qu'il disait, eu<br />
souv<strong>en</strong>t besoin dans ses fréqu<strong>en</strong>ts voyages <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>.<br />
Il nous avait, depuis quelques jours, annoncé l'arrivée<br />
prochaine du prince Ma<strong>le</strong>k Hassan Mirza, et ce prince étant<br />
arrivé à Tauris, <strong>le</strong> docteur Berthoni, qui <strong>en</strong> était bi<strong>en</strong> connu,<br />
proposa de nous y prés<strong>en</strong>ter. Nous acceptâmes son offre avec<br />
plaisir, nous nous r<strong>en</strong>dîmes au palais où il demeurait, <strong>en</strong><br />
grande t<strong>en</strong>ue. Il était assis près de son feu, et avait un<br />
59
60 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN l'ERSE<br />
costume demi-europé<strong>en</strong>; il fut très cont<strong>en</strong>t de nous voir et<br />
nous <strong>en</strong> exprima lui-même tout son cont<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t, car il<br />
<strong>par</strong>lait français; il nous <strong>par</strong>la des souffrances que nous avions<br />
éprouvées <strong>en</strong> route, et finit <strong>par</strong> nous donner de bonnes espérances.<br />
Le prince Ma<strong>le</strong>k Hassan Mirza avait fait plàcer des<br />
fauteuils dans son salon et nons.y fit asseoir, contre l'habitude<br />
des princes Persans qui font constamm<strong>en</strong>t rester debout<br />
<strong>le</strong>s personnes, de quelques rangs qu'el<strong>le</strong>s soi<strong>en</strong>t, lorsqu'el<strong>le</strong>s<br />
vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s visiter; il nous offrit <strong>en</strong>suite ses services, devant<br />
<strong>en</strong> user si nous <strong>en</strong> avions besoin.<br />
Ma<strong>le</strong>k Hassan Mina est un des hommes <strong>le</strong>s plus éclairés de<br />
la <strong>Perse</strong>, et es conseils tournerai<strong>en</strong>t à bi<strong>en</strong> pour son pays<br />
si ]a jalousie des princes régnants, <strong>par</strong>ticulièrem<strong>en</strong>t du Roi,<br />
ne <strong>le</strong>s éloignait du haut pouvoir <strong>par</strong> <strong>le</strong>s craintes qu'ils ont de<br />
<strong>le</strong>ur ambition ; néanmoins ce prince obtint du Chah, un<br />
firman de voyage pour tous <strong>le</strong>s Europé<strong>en</strong>s artistes qui<br />
vi<strong>en</strong>drai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>.<br />
Ma<strong>le</strong>k Hassan Mirza était souv<strong>en</strong>t à la tab<strong>le</strong> et au salon de<br />
Monsieur de Sercey; nous efimes depuis occasion de l'y voir<br />
quelques fois et il s'y montrait, pour nous, excessivem<strong>en</strong>t<br />
affab<strong>le</strong> ; il avait souv<strong>en</strong>t avec lui un jeune poète du sang<br />
royal, qui était marié avec une des soeurs de Mahomet Chah,<br />
roi de <strong>Perse</strong> actuel.<br />
Monsieur <strong>le</strong> comte de Sercey nous recommandait souv<strong>en</strong>t<br />
à toutes ses boutés. Ce fut à cette même époque que Monsieur<br />
Delacroix, officier d'artil<strong>le</strong>rie, reçut une <strong>le</strong>ttre de Monsieur<br />
Maxime Outrey, qu'il avait eu occasion de connaître <strong>par</strong>ticulièrem<strong>en</strong>t<br />
à son passage à Trebizonde. Il lui appr<strong>en</strong>ait, <strong>par</strong><br />
cette <strong>le</strong>ttre, que noire pauvre camarade Monsieurvitard, que<br />
nous avions laissé sous la garde du consul Outrey, v<strong>en</strong>ait de<br />
mourir et que, <strong>le</strong> 18 novembre. [otite la famil<strong>le</strong> du consul<br />
avait assisté à ses funérail<strong>le</strong>s; il nous appr<strong>en</strong>ait aussi qu'on<br />
lui avait r<strong>en</strong>du ainsi <strong>le</strong>s derniers honneurs, tandis que <strong>le</strong><br />
pavillon du consulat était desc<strong>en</strong>du à demi <strong>en</strong> signe de deuil.<br />
Nous <strong>en</strong> fûmes très vio<strong>le</strong>mm<strong>en</strong>t affectés, mais nous y étions
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE Gi<br />
déjà pré<strong>par</strong>és <strong>par</strong> ses longues souffrances dont nous avions<br />
été témoins et qui nous faisai<strong>en</strong>t appréh<strong>en</strong>der sa fin prochaine.<br />
Cette <strong>le</strong>ttre éprouva du retard, mais el<strong>le</strong> nous <strong>par</strong>vint<br />
avant l'arrivée de l'ambassade, quoique pourtant ce fait soit<br />
m<strong>en</strong>tionné après la <strong>le</strong>ttre qui nous appr<strong>en</strong>ait cette triste<br />
nouvel<strong>le</strong> nous fut remise <strong>le</strong> 4janvier.<br />
Nous avions aussi fait à Tauris la connaissance de<br />
Monsieur Bernardi, major au service de la <strong>Perse</strong> depuis de<br />
longues années. Il était marié et avait déjà des <strong>en</strong>fants bi<strong>en</strong><br />
grands. Cette famil<strong>le</strong> fut subitem<strong>en</strong>t plongée dans la misère<br />
<strong>par</strong> la mort subite de Monsieur Bernardi, qui eut lieu p<strong>en</strong>dant<br />
notre séjour à Tauris ; nous assistâmes à son <strong>en</strong>terrem<strong>en</strong>t<br />
on déposa son corps au cimetière des Arméni<strong>en</strong>s.<br />
Le 12 février, l'ambassade française quitta Tauris pour se<br />
r<strong>en</strong>dre auprès de ]a cour de <strong>Perse</strong> à Téhéran. Nousne pûmes<br />
<strong>par</strong>tir avec el<strong>le</strong>; seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t Hussein Khan promit â Monsieur<br />
de Lava<strong>le</strong>tte, qui s'était spécia<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t chargé de nous, avant<br />
son dé<strong>par</strong>t, que 4 jours après son dé<strong>par</strong>t il se mettrait cii<br />
route et qu'ainsi il nous ramènerait près d'eux sous ce peu<br />
de jours. Nous montâmes sur nos chevaux et fûmes<br />
accompagner notre bel<strong>le</strong> ambassade augm<strong>en</strong>tée de Monsieur<br />
Bord. Arrivés au pied de la côte, Monsieur de Sercey ne<br />
voulut pas permettre que nous allions plus loin ; il nous<br />
souhaita toute espèce de bonheur et nous assura qu'il<br />
s'occuperait, une fois accrédité, de l'amélioration de notre<br />
position. Monsieur Lambert, qui faisait <strong>par</strong>tie de l'ambassade,<br />
prit au contraire la route de France, chargé de quelques<br />
dépêches de Monsieur <strong>le</strong> comte.<br />
Le 18 février, Monsieur <strong>le</strong> docteur Bertboni. ainsi<br />
que <strong>le</strong> fabricant de verres et sa femme, <strong>en</strong>gagés<br />
au service du prince Ma<strong>le</strong>k Hassan Mirza, <strong>par</strong>tir<strong>en</strong>t avec<br />
ce prince pour Ourmiah, province dont était gouverneur<br />
cet aimab<strong>le</strong> prince ; avec eux, <strong>par</strong>tait aussi Monsieur<br />
Doliouski, Polonais, exerçant aussi la médecine et que<br />
nous avions aussi l'honneur de voir, quelques fois, à Tau ris.
62 JOURNAL D'UNE MISSION MILITATRE EN PERSE<br />
Sur tant de Français qui, quelques jours au<strong>par</strong>avant,<br />
formai<strong>en</strong>t notre société, nous fûmes réduits â <strong>le</strong>s voir tous<br />
<strong>par</strong>tir successivem<strong>en</strong>t ; nous fûmes réduits, dis-je, à nous<br />
mêmes; c'était pénib<strong>le</strong> et <strong>en</strong>nuyeux,car, malgré la promesse<br />
de Hussein Khan, nous savions de bonne <strong>par</strong>t ne pouvoir<br />
nous mettre <strong>en</strong> route il est vrai que, quelques jours après,<br />
nous nous trouvâmes <strong>en</strong> compagnie de plusieurs de nos<br />
compatriotes, mais malheureusem<strong>en</strong>t nous eûmes dans <strong>le</strong>s<br />
mom<strong>en</strong>ts de notre liaison avec eux û nous rappe<strong>le</strong>r quelques<br />
précéd<strong>en</strong>ts fâcheux.<br />
Nous apprîmes <strong>le</strong> 20 février que des compatriotes étai<strong>en</strong>t<br />
de la veil<strong>le</strong> arrivés âTauris, nous nous att<strong>en</strong>dions àavoir <strong>le</strong>ur<br />
visite, mais ces messieurs p<strong>en</strong>sèr<strong>en</strong>t que nous devions nous<br />
prés<strong>en</strong>ter <strong>le</strong>s premiers chez eux; mais loin de se cont<strong>en</strong>ter de<br />
la froideur qu'aurait dû occasionner une tel<strong>le</strong> méprise, toutes<br />
<strong>le</strong>s fois que ces messieurs nous apercevai<strong>en</strong>t, ils étai<strong>en</strong>t â<br />
ions lancer quelques insultes. Nous crûmes devoir mépriser<br />
celà la première fois, mais comme el<strong>le</strong>s se r<strong>en</strong>ouvelai<strong>en</strong>t<br />
nous fûmes,àun nombre égal au <strong>le</strong>ur,<strong>le</strong>ur demander raison de<br />
cette conduite. Ces messieurs étai<strong>en</strong>t, au mom<strong>en</strong>t où nous y<br />
fûmes, assis dans <strong>le</strong>ursalon. Nous <strong>le</strong>ur demandâmes <strong>d'une</strong> voix<br />
é<strong>le</strong>vée, où <strong>en</strong>fin ils prét<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t aboutir avec <strong>le</strong>ur conduite<br />
â notre égard. Après quelques instants d'embarras de <strong>le</strong>ur<br />
<strong>par</strong>t, et une interpellation <strong>par</strong>ticulière que je fis à Monsieur<br />
Ardouin que j'avais <strong>par</strong>ticulièrem<strong>en</strong>t remarqué aussi, nous<br />
<strong>le</strong>ur mîmes <strong>le</strong> marché <strong>en</strong> main ou une guerre â mort <strong>en</strong>tre<br />
nous, ou la paix et point d'insultes. Ces messieurs fur<strong>en</strong>t très<br />
accommodants et nous nous sé<strong>par</strong>âmes bons amis après nous<br />
être donné <strong>le</strong>s poignées de main de rigueur.<br />
II me répugnait de <strong>le</strong>s nommer tant que j'avais â raconter<br />
notre brouil<strong>le</strong>, mais maint<strong>en</strong>ant que je me suis hâlé d'<strong>en</strong><br />
donner un aperçu, et que nous vivons <strong>en</strong> <strong>par</strong>faite intellig<strong>en</strong>ce<br />
je vais <strong>le</strong>s faire connaitre. Ces messieurs étai<strong>en</strong>t MM. de<br />
Breuilly, consul <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>, <strong>le</strong> comte deChapedelaine, ex-Saint-<br />
Cyri<strong>en</strong>, Ardoui n, ex-Saint-Cyri<strong>en</strong>, Delort, ex-Saint-Cyri<strong>en</strong>.
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
Ces Messieurs, après avoir éprouvé quelques désagrém<strong>en</strong>ts<br />
â Saint-Cyr et avoir été obligés de quitter celte éco<strong>le</strong>,<br />
projetèr<strong>en</strong>t un voyage <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>, tout d'agrém<strong>en</strong>t, disai<strong>en</strong>t-ils.<br />
Monsieur de l3reuilly, qui avait un recouvrem<strong>en</strong>t <strong>d'une</strong> forte<br />
somme d'arg<strong>en</strong>t à faire auprès du gouvernem<strong>en</strong>t, se joignit<br />
âeux pour <strong>le</strong>ur voyage <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>. D'après cette explication<br />
nous vivions <strong>en</strong> <strong>par</strong>faite intellig<strong>en</strong>ce, il y eut même plus<br />
tard de l'intimité. Le l<strong>en</strong>demain de notre explication vinr<strong>en</strong>t<br />
nous faire une visite MM. de Breuilly et Delort, <strong>le</strong> surl<strong>en</strong>demain<br />
MM. de Chapedelaine et Ardouin, et depuis constamm<strong>en</strong>t<br />
nous étions ou chez eux ou chez nous. Ces messieurs <strong>en</strong> faisai<strong>en</strong>t<br />
autant de <strong>le</strong>ur côté, quelques fois même nous faisions<br />
quelques prom<strong>en</strong>ades <strong>en</strong>semb<strong>le</strong>.Ces messieurs nous invitèr<strong>en</strong>t<br />
à un superbe repas, je ne m'att<strong>en</strong>dais pas Tauris à trouver un<br />
semblab<strong>le</strong> service. Dans <strong>le</strong> courant du repas, Monsieur <strong>le</strong><br />
comte de Chapedelaine témoigna <strong>le</strong> désir qu'il aurait d'avoir<br />
un sabre du pays; j'<strong>en</strong> avais un assez remarquab<strong>le</strong>, je<br />
l'<strong>en</strong>voyai chercher à son insu et <strong>le</strong> lui offris <strong>en</strong>suite : il<br />
l'accepta. Monsieur de Chapedelaine voulut que j'acceptasse<br />
<strong>en</strong> revanche un fsil qu'il <strong>en</strong>voya <strong>le</strong> soir même chez moi.<br />
Nous étions, comme on <strong>le</strong> voit, <strong>en</strong> famil<strong>le</strong> avec ces messieurs,<br />
aussi éprouvâmes-nous beaucoup de peine, quand <strong>le</strong>QO mars il<br />
fallut se sé<strong>par</strong>er de MM. de Chapedelaine et Ardouin, qui<br />
<strong>en</strong>treprir<strong>en</strong>t un voyage pour se r<strong>en</strong>dre d'abord à Bagdad,<br />
devant faire plusieurs autres excursions plus tard avant de<br />
r<strong>en</strong>trer <strong>en</strong> France. Nous <strong>le</strong>s accompagnâmes à deux lieues<br />
sur <strong>le</strong>ur nouvel<strong>le</strong> route et r<strong>en</strong>trâmes <strong>en</strong>suite <strong>en</strong> compagnie<br />
de MM. de Breuil]y etDelorl.<br />
Le 25 mars, nous reçûmes la visite d'un de nos compatrio<strong>le</strong>s<br />
Monsieur Théophane, qui v<strong>en</strong>ait se joindre à Monsieur<br />
Boré pour monter quelques éco<strong>le</strong>s. Mônsieur Boré étant<br />
abs<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ce mom<strong>en</strong>t, il fut reçu <strong>par</strong> Monsieur ri lournier , qui<br />
avait déjà été installé <strong>par</strong> Monsieur Boré. Monsieur Tournier<br />
aura toujours une place dans mon souv<strong>en</strong>ir, car ri<strong>en</strong> peut-il<br />
y donner plus de droitsque delongues souffrances <strong>par</strong>tagées<br />
63
64 JOURNAL D 'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
comme l'étai<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s nôtres depuis que nous <strong>en</strong>treprîmes<br />
notre voyage <strong>en</strong>semb<strong>le</strong> à <strong>par</strong>tir de Constantinop<strong>le</strong>?<br />
P<strong>en</strong>dant <strong>le</strong>s premiers jours de notre séjour â Tauris.<br />
Monsieur <strong>le</strong> docteur Berthoni, dont j'ai déjà <strong>par</strong>lé, nous<br />
prés<strong>en</strong>ta Monsieur iViarca, Itali<strong>en</strong> d'origine et qui était<br />
employé auprès des troupes du Chah de <strong>Perse</strong>, à titre de<br />
chef de musique nous emes, <strong>en</strong> bi<strong>en</strong> des circonstances. â.<br />
nous louer de son obligeance. Monsieur Marca nous prés<strong>en</strong>ta<br />
plus tard Monsieur Colombari, Itali<strong>en</strong> comme lui, attaché<br />
auprès du prince iCaraman Mirza, à titre de peintre.<br />
Tauris, sans contredit la vil<strong>le</strong> la plus commerçante de la<br />
<strong>Perse</strong>, est grande et resserrée. Avant <strong>le</strong>s tremb<strong>le</strong>m<strong>en</strong>ts de<br />
terre qu'attest<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core beaucoup de ruines, Tauris était<br />
très vaste et très considérab<strong>le</strong> aujourd'hui cette vil<strong>le</strong> est<br />
<strong>en</strong>vironnée de deux murs de circonvallation, flanquée de<br />
tours dans son plus grand mur,mais ri<strong>en</strong> n'est <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>u, tout<br />
tombe peut-être pour toujours. Vi<strong>en</strong>t <strong>en</strong>suite un large fossé<br />
dont <strong>le</strong> talus de contrescarpe est taillé à pic dans la terre qui,<br />
â certaines distances, comm<strong>en</strong>ce de s'ébou<strong>le</strong>r. Des portes et<br />
des ponts assez mal construits donn<strong>en</strong>t sortie assez faci<strong>le</strong> sur<br />
ce qu'on pourrait appe<strong>le</strong>r â la rigueur glacis ; on peut assez<br />
faci<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t faire dessus <strong>le</strong> tour de la vil<strong>le</strong>. Au pied de<br />
quelques <strong>en</strong>droits de ce glacis, comm<strong>en</strong>ce la ligne des<br />
faubourgs qui s'ét<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t irrégulièrem<strong>en</strong>t plus ou moins loin,<br />
quelques-uns se termin<strong>en</strong>t au pied des montagnes. Quant.<br />
l'intérieur de la vil<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s rues sont sa<strong>le</strong>s, dégoûtantes de<br />
boue <strong>en</strong> hiver. Une infinité de trous sont placés, de distance<br />
<strong>en</strong> distance, et serv<strong>en</strong>t à recevoir toutes <strong>le</strong>s ordures, et ne<br />
sont couverts de terre et mis au niveau avec <strong>le</strong> reste du sol,<br />
que lorsqu'ils sont comblés de ces mdmes ordures. Quoiqu'il<br />
cil soit, cela est <strong>d'une</strong> grande ijicommodi té. et ils peuv<strong>en</strong>t<br />
occasi onn er; surtout la nuit, de grands dangers. Quant aux<br />
bazars ils sont grands, vastes, ce sont de superbes votes<br />
dans la construction desquel<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s Persans excell<strong>en</strong>t; ils sont<br />
disposés <strong>par</strong> marchandises de même espèce ; de distance <strong>en</strong>
JOURNAL DUNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 65<br />
distance, sur ]adroite et sur la gauche, sont des caravanserails;<br />
<strong>le</strong> nombre <strong>en</strong> est assez considérab<strong>le</strong> à Tauris. Les bazars sont,<br />
â chaque instant du jour, remplis de monde; aussi a-t-on<br />
besoin, lorsqu'on veut <strong>le</strong>s visiter, de personnes pour écarter<br />
<strong>le</strong> monde et vous faire place. Le commerce y est très ét<strong>en</strong>du.<br />
Tauris a un commerce ouvert et journalier avec Erzeroum<br />
et toute la Turquie, avec Tiflis et quelques provinces de la<br />
Russie, et <strong>en</strong>fin avec <strong>le</strong> restant de la <strong>Perse</strong> qui, el<strong>le</strong>-même,<br />
commerce beaucoup avec l'Inde. Dans <strong>le</strong>s bazars de la <strong>Perse</strong>,<br />
notamm<strong>en</strong>t de Tauris, on remarque de superbes béliers<br />
teints sur <strong>le</strong> dos et attachés aux pieds des murs des bazars.<br />
Comme je m'<strong>en</strong> informais un jour, on me répondit qu'à<br />
certains jours de fête des Musulmans, on <strong>le</strong>s faisait battre<br />
à mort.<br />
Au sortir de la vil<strong>le</strong> et immédiatem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> <strong>en</strong>trant sur la<br />
route de Téhéran, est une vieil<strong>le</strong> mosquée fort remarquab<strong>le</strong>,<br />
qui fut détruite au tremb<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t de terre qui bou<strong>le</strong>versaTauris.<br />
Toutes <strong>le</strong>s bases et des murs é<strong>le</strong>vés sont conservés, seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t<br />
<strong>le</strong> dôme n'existe plus. Selon Drouvil<strong>le</strong> cette mosquée<br />
aurait ap<strong>par</strong>t<strong>en</strong>u aux Guèbres, adorateurs du feu, qui anci<strong>en</strong>nem<strong>en</strong>t<br />
habitai<strong>en</strong>t Tauris et l'Aderbidjan, -province dans<br />
laquel<strong>le</strong> il se trouve. Selon <strong>le</strong>s habitants du pays, cette mosquée<br />
était aux Musulmans, et la grande vénération qu'ils ont<br />
pour el<strong>le</strong> prouve, selon moi, la vérité de cette dernière hypothèse.<br />
Aderbidjan, nom de la province dont <strong>le</strong> chef-lieu est Tauris,<br />
signifie terre de feu. Voilà pourquoi <strong>le</strong>s Guèbres, adorateurs<br />
du feu, habitai<strong>en</strong>t anci<strong>en</strong>nem<strong>en</strong>t cette province; maint<strong>en</strong>ant<br />
<strong>en</strong>core il y <strong>en</strong> a quelques-uns. Plus tard ayant étéméconnus<br />
daus<strong>le</strong>urpatrie, qui était cette province même, et ayant étéplus<br />
maltraités que <strong>le</strong>s juifs et <strong>le</strong>s chréti<strong>en</strong>s, ils fur<strong>en</strong>t habiter <strong>le</strong>s<br />
<strong>par</strong>ties <strong>le</strong>s plus ori<strong>en</strong>ta<strong>le</strong>s de la <strong>Perse</strong>, aL se réfugièr<strong>en</strong>t dans<br />
<strong>le</strong> Kabul, <strong>le</strong> Kirman et <strong>le</strong> Sind.<br />
P<strong>en</strong>dant <strong>le</strong>s premiers jours de mars, nous étions à cheval<br />
et faisions quelques prom<strong>en</strong>ades aux <strong>en</strong>virons de la vil<strong>le</strong>.
66 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
Ri<strong>en</strong> de bi<strong>en</strong> remarquab<strong>le</strong> ne nous frappa si ce ne fut<br />
d'abord Serdery, village situé à deux lieues de Tauris du côté<br />
d'Ourmiah. Ce village est dominé <strong>par</strong> devastes ruines qu'y laiss<strong>en</strong>t<br />
<strong>le</strong>s débris l'une citadel<strong>le</strong> ou espèce de château fort. Le<br />
mur de circonvallation de rigueur, dont on découvre <strong>en</strong>core<br />
quelques pas, atteste bi<strong>en</strong> certainem<strong>en</strong>t, avec sa position et<br />
ses ruines, la vérité que nous avions apprise de quelques habi-<br />
tants de ce village.<br />
Ensuite nous fûmes surpris <strong>d'une</strong> maison de plaisance<br />
ap<strong>par</strong>t<strong>en</strong>ant au prince Karaman Mirza, située â deux<br />
lieues et sur la gauche sur la route de Téhéran. Voici <strong>en</strong><br />
peu de lignes sa description. Arrivé à une hauteur, on<br />
découvre une espèce de petit bosquet taillé et percé avec<br />
soin. En y avançant une bel<strong>le</strong> av<strong>en</strong>ue se prés<strong>en</strong>te <strong>en</strong>trecoupée<br />
de superbes bassins d'eau; el<strong>le</strong> conduit à unjoli pavillon <strong>en</strong>touré<br />
d'eau et qui y donne accès <strong>par</strong><strong>le</strong> moy<strong>en</strong> d'un pont. Ce<br />
pavillon est très bi<strong>en</strong> distribué et est dans son intérieur<br />
<strong>en</strong>vironné de dessins Persans. Ce pavillon se trouve au milieu<br />
de l'av<strong>en</strong>ue qui se prolonge <strong>en</strong>suite, à cinq ou six c<strong>en</strong>ts mètres,<br />
et se perd <strong>en</strong>suite dans <strong>le</strong>s champs; N6us y allions souv<strong>en</strong>t,<br />
d'abord, pour jouir du joli coup d'oeil, mais plus <strong>en</strong>core pour<br />
nous mettre à l'aftut de quelques lièvres qui ne sont jamais<br />
chassés <strong>en</strong> ce lieu. A l'exception de ces deux <strong>en</strong>droits que je<br />
vi<strong>en</strong>s de citer, <strong>le</strong> charme de nos prom<strong>en</strong>ades ne prov<strong>en</strong>ait<br />
pas de la position physique des lieux.<br />
Déjà un mois et demi s'était écoulé depuis <strong>le</strong> dé<strong>par</strong>t de<br />
l'ambassade pour Téhéran, et notre dé<strong>par</strong>t, qui devait s'effectuer<br />
quatre lours après celui-là, ne l'était pas <strong>en</strong>core.<br />
Ennuyés nous fîmes dire à Hussein-Khan que nous l'att<strong>en</strong>drions<br />
jusqu'au 30 mars, mais que s'il ne <strong>par</strong>tait pas â cette<br />
époque, nous nous mettrions <strong>en</strong> route; il y cons<strong>en</strong>tit.<br />
Le 30 mars, Ilussein-Khan nous demanda jusqu'au l<strong>en</strong>demain<br />
31; quelques-uns de nos camarades ne crur<strong>en</strong>t pas<br />
devoir lui donner ce délai; ils étai<strong>en</strong>t au nombre de<br />
quatre ; ils <strong>par</strong>tir<strong>en</strong>t donc <strong>le</strong> 30 mars <strong>1840</strong>. M. de l3reuilly,
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
après m'avoir confié ses bagages, <strong>par</strong>tit avec eux, ainsi que<br />
M. Delord.<br />
Four <strong>par</strong>tir <strong>le</strong> 31 <strong>d'une</strong> manière ou d'autre nous nous<br />
tînmes prêts. A deux heures de l'après-midi un <strong>en</strong>voyé<br />
d'Hussein-Khan vint; nous prév<strong>en</strong>ir qu'il était <strong>par</strong>ti et qu'il<br />
nous priait de <strong>le</strong> rejoindre. Tout était chargé pour lors et<br />
après avoir fait nos adieux à Madame Seraman Khan, femme<br />
d'un général Persan de ce nom, mais Arméni<strong>en</strong> d'origine et<br />
qui commandait à Ispahan, nous nous mîmes <strong>en</strong> route. Nous<br />
rejoignîmes Hussein-Khan à la propriété g<strong>en</strong>til<strong>le</strong> de Karamail<br />
Mirza; il était assis et écrivait une <strong>le</strong>ttre sur <strong>le</strong> polit.<br />
Nous fûmes 'lui prés<strong>en</strong>ter nos respects et re<strong>par</strong>tîmes immédiatem<strong>en</strong>t<br />
après. Monsieur de Breuilly et Hussein-Khan<br />
étai<strong>en</strong>t intéressés dans de mêmes affaires et Monsieur de<br />
Breuilly n'était<strong>par</strong>ti <strong>le</strong> 30 qu'étant sous la<strong>par</strong>faite persuasion<br />
qu'il ne pourrait <strong>par</strong>tir <strong>le</strong> 31; mais Hussein <strong>par</strong>ti lui fit promettre<br />
de l'att<strong>en</strong>dre, s'il <strong>par</strong>tait <strong>le</strong> 31 ;alors Hussein-Khan lui<br />
écrivit. Aussi <strong>le</strong> 3 avril r<strong>en</strong>contrâmes - nous à Djedemas<br />
MM. de Breuilly et Delord avec <strong>le</strong>squels nous fîmes la route.<br />
Nous avions appris, quelques jours avant notre dé<strong>par</strong>t, que<br />
<strong>le</strong> Chah avec toute sa cour s'était r<strong>en</strong>du à Ispahan pour soumettre<br />
quelques loutis qui ravageai<strong>en</strong>t cette malheureuse<br />
vil<strong>le</strong>; aussi notre destination fut-el<strong>le</strong> Ispahan et non Téhéran.<br />
P<strong>en</strong>dant <strong>le</strong>s premiers jours de notre dé<strong>par</strong>t, nous eûmes<br />
quelques mauvais temps, mais ils n'étai<strong>en</strong>t pas rigoureux et<br />
nous pûmes espérer bi<strong>en</strong>tôt quelques bel<strong>le</strong>s journées.<br />
Nous éprouvâmes <strong>le</strong>s plus grandes difficultés à sortir de<br />
Djedemas, qui se trouve à trois quarts de lieues sur la droite<br />
des s<strong>en</strong>tiers pratiqués <strong>par</strong> <strong>le</strong>s caravanes. A chaque instant,<br />
nous nous <strong>en</strong>foncions ainsi que nos chevauxj usqu'à mi-corps.<br />
Enfin, après quelques peines, nous rejoignîmes la route ; <strong>le</strong>s<br />
exécrab<strong>le</strong>s chemins durèr<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core une demi-heure, et<br />
nous <strong>en</strong>trâmes <strong>en</strong>suite dans une charmante vallée. Cette<br />
journée de marche, nous r<strong>en</strong>contrâmes une infinité de villages<br />
très rapprochés <strong>le</strong>s uns des autres et arrosés <strong>par</strong> un
68 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
ruisseau qui cou<strong>le</strong> tout <strong>le</strong> long de cette gorge; nous longeâmes<br />
ce ruisseau p<strong>en</strong>dant toute la marche de cette journée.<br />
Nous arrivâmes <strong>le</strong> soir à Karachima où Hussein-Khan nous<br />
fit la galanterie de nous inviter â dîner et de nous offrir du<br />
vin que nous n'avions pu trouver nul<strong>le</strong> <strong>par</strong>t depuis Tauris.<br />
Enfin, <strong>le</strong> .5avril. nous arrivâmes à Turkmam. La neige ne<br />
nous laissa pas un seul instant de répit, aussi y arrivâmesnous<br />
mouillés et trempés jusqu'aux os. Turkmam est assez<br />
considérab<strong>le</strong> eL nous <strong>par</strong>ut, sans com<strong>par</strong>aison, plus grand<br />
que tous ceux <strong>par</strong> <strong>le</strong>squels nous étions passés depuis noire<br />
dé<strong>par</strong>t de Tauris. Le l<strong>en</strong>demain nous <strong>par</strong>tîmes de bi<strong>en</strong> bonne<br />
heure, et avec un so<strong>le</strong>il des plus chauds, nous voyageâmes à<br />
travers <strong>le</strong>s gorges et <strong>le</strong>s rivières. Enfla nous aperçûmes dans<br />
<strong>le</strong> lointain, presqu'au milieu <strong>d'une</strong> vaste plaine, une infinité<br />
de maisons: c'était Mianeh, où nous campâmes dans une petite<br />
prairie tota<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t fermée; quelques pans de murs déjà<br />
abattus y donnai<strong>en</strong>t quelques accès.<br />
Miane/t. - Nous arrivâmes <strong>le</strong> 6 avril à Mianeh; à cause<br />
d'un barat que Hussein-Khan eut â recouvrer dans cette vil<strong>le</strong>,<br />
nous fûmes obligés de passer deux journées <strong>en</strong>tières campés,<br />
ce qui assurém<strong>en</strong>t n'était pas agréab<strong>le</strong> <strong>le</strong> moins du monde,<br />
auprès de Mianeh qui, quoique mise au nombre des grandes<br />
vil<strong>le</strong>s, n'avait pour nous aucun attrait. Nous fûmes visiter<br />
la vil<strong>le</strong> et <strong>le</strong>s bazars, qui étai<strong>en</strong>t dégoûtants, et à peine comptait-on<br />
quelques faib<strong>le</strong>s boutiques. Il existe dans cette vil<strong>le</strong><br />
une infinité de punaises dont la piqûre est mortel<strong>le</strong>, et quoiqu'on<br />
ait voulu nous citer quelques exemp<strong>le</strong>s malheureux,<br />
je n'<strong>en</strong> crus ri<strong>en</strong>. Ces bêtes, absolum<strong>en</strong>t comme <strong>le</strong>s nôtres,<br />
mais <strong>d'une</strong> cou<strong>le</strong>ur tirant davantage sur <strong>le</strong> gris de fer, sont,<br />
je crois, dangereuses, et peuv<strong>en</strong>t occasionner quelques maladies,<br />
mais je ne crois pas la mort. Les étrangers au pays et<br />
tout ce qui est du pays n'habitant pas seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t Mianeh<br />
évit<strong>en</strong>t pourtant, avec grande précaution, de se mettre <strong>en</strong><br />
contact avec ces punaises, et notre campem<strong>en</strong>t dût être<br />
attribué à cet espèce de fléau. Deux <strong>par</strong>ties compos<strong>en</strong>t main-
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 69<br />
t<strong>en</strong>ant Mianeli, <strong>le</strong> vieux Mianeh qu'habite tout ce qui est<br />
misérab<strong>le</strong> et pauvre, et <strong>le</strong> nouveau qu'habit<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s g<strong>en</strong>s aisés<br />
du pays. Tous <strong>le</strong>s jours on bâtit et laisse tomber <strong>en</strong> ruine tout<br />
ce qui est des anci<strong>en</strong>nes constructions et cela dans <strong>le</strong> but de<br />
se débarrasser des punaises. Mais tout <strong>le</strong> monde doit concevoir<br />
que ce serait effectivem<strong>en</strong>t un bon comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t; mais<br />
tant que d'autres mesures ne seront pas prises, Mianeh nouveau<br />
ou anci<strong>en</strong> aura constamm<strong>en</strong>t de ces bêtes et sera la vil<strong>le</strong><br />
bi<strong>en</strong> peu désirée <strong>par</strong> tous <strong>le</strong>s voyageurs. Nous remarquâmes,<br />
â notre arrivée à Mianeh, que presque toutes <strong>le</strong>s terrasses<br />
étai<strong>en</strong>t recouvertes de lits et couvertures; c'était une mesure<br />
de salubrité.<br />
En quittant Mianeh nous eûmes â traverser une rivière, et<br />
assez dangereuse à certains <strong>en</strong>droits, car nous aperçumes des<br />
hommes placés sans doute <strong>par</strong> <strong>le</strong>s autorités de la vil<strong>le</strong> pour<br />
conduire <strong>par</strong> la bride <strong>le</strong> cheval de chaque voyageur, ces<br />
hommes ayant à certains <strong>en</strong>droits du passage de l'eau<br />
jusqu'au v<strong>en</strong>tre. Nous eûmes quelques instants après à gravir<br />
une montagne qui fatigua nos chevaux; nous nous arrêtâmes<br />
au sommet p<strong>en</strong>dant quelques instants et poursuivîmes<br />
<strong>en</strong>suite.<br />
Le village désigné poûr la station de ce jour était<br />
Kultapeh, situé sur la gauche de la route â 4agaches de Mianeh.<br />
-A l'exception de trois ou quatre maisons, tout <strong>le</strong> reste n'était<br />
que ruine, nous ne pûmes même espérer d'y avoir des vivres.<br />
Aussi à notre arrivée nous trouvâmes Ferchoula-Bey, int<strong>en</strong>dant<br />
de Hussein Khan, qui était là à se débattre contre <strong>le</strong>s<br />
habitants de ce village, qui ne pouvai<strong>en</strong>t réel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t pas lui<br />
donner ce qu'ils n'avai<strong>en</strong>t pas. Nous remontâmes â cheval<br />
et prîmes sur nous, dans <strong>le</strong> cas où Hussein Khan vi<strong>en</strong>drait à<br />
<strong>en</strong> faire <strong>le</strong> reproche â Ferchoula-Bey, d'<strong>en</strong> faire l'observation<br />
â l'ex-ambassadeur, et nous poursuivîmes plus loin.<br />
Nous arrivâmes une heure après à Ak<strong>en</strong>t, village qui<br />
représ<strong>en</strong>te assez vu de loin, mais qui de près offre, comme<br />
tous <strong>le</strong>s villages de la <strong>Perse</strong>, la misère la plus complète. Le<br />
5
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
w -<br />
l<strong>en</strong>demain, Hussein-Khan nous fit dire de ne pas faire de<br />
pré<strong>par</strong>atifs de dé<strong>par</strong>t, que sou int<strong>en</strong>tion était de séjourner.<br />
Le jour suivant, 11 avril, nous fîmes notre station àArman-<br />
Khaneh, adossé à de vastes montagnes. Ce village a été et est<br />
<strong>en</strong>core soumis, quelques fois, à des invasions de Kurdes Persans;<br />
aussi jadis avai<strong>en</strong>t-ils <strong>en</strong>vironné <strong>le</strong>ur village d'un mur<br />
pour pouvoir offrir quelque résistance. Ce château4ort constitue<br />
l'anei<strong>en</strong>nevil<strong>le</strong>. Plus tard, <strong>le</strong> gouverneur de ce village<br />
ayant été disgràcié au comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t du règne de Fatey-Ali-<br />
Chah, on y <strong>en</strong>voya un deuxième gouverneur; mais <strong>le</strong> premier<br />
ne voulu! pas si faci<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t donner sadé<strong>mission</strong>, et ayant offert<br />
quelque résistance, il força <strong>le</strong> gouverneui accrédité à faire<br />
construire un fort où il s'installa avec sa faction. Cela fut<br />
cause de ce deuxième château-fort qu'on voit <strong>en</strong> face de<br />
l'autre, et si l'on a quelque peine à concevoir comme ce<br />
gouverneur <strong>en</strong>voyé <strong>par</strong><strong>le</strong> gouvernem<strong>en</strong>t pour commander à<br />
Arman4illaI<strong>le</strong>h n'ait pas réussi, sans s'être retranché avec des<br />
soldats, on son <strong>par</strong>ti, on n'a qu'à se rappe<strong>le</strong>r que <strong>le</strong> gouverneur<br />
disgrâcié allait à la tête des Kurdes Persans et se<br />
réfugiai<strong>en</strong>t dans <strong>le</strong>s montagnes <strong>en</strong>vironnantes. Le 12 avril,<br />
après avoir marché tonte la journée sur une plaine superbe,<br />
nous limes notre <strong>en</strong>trée à Z<strong>en</strong>guian. T -<br />
Z<strong>en</strong>guian. - Cette vil<strong>le</strong> très considérab<strong>le</strong> est située au<br />
milieu de cette plaine dont je vi<strong>en</strong>s de <strong>par</strong><strong>le</strong>r et qui est sèche<br />
et rocail<strong>le</strong>use. El<strong>le</strong> fait <strong>par</strong>tie du district de Hamzet, qui a<br />
donné son nom à la rivière qui passe; el<strong>le</strong> a souv<strong>en</strong>t été<br />
détruite. En mil-huit-c<strong>en</strong>t-tr<strong>en</strong>te-cinq, lorsque <strong>le</strong>s Russes y<br />
fir<strong>en</strong>t une invasion, el<strong>le</strong> fut de nouveau ravagée. 11 y a de<br />
cette dernière excursion des marques bi<strong>en</strong> certaines, dans <strong>le</strong><br />
palais surtout, où nous fûmes logés avec Hussein-Khan Nous<br />
y aperçumes de superbes ap<strong>par</strong>tem<strong>en</strong>ts démolis à demi <strong>par</strong><br />
<strong>le</strong>s Russes; <strong>le</strong> palais est maint<strong>en</strong>ant dans un état de délabrem<strong>en</strong>t<br />
comp<strong>le</strong>t.<br />
Cette vil<strong>le</strong>, qui anci<strong>en</strong>nem<strong>en</strong>t s'était toujours re<strong>le</strong>vée<br />
de ses ruines, lorsqu'el<strong>le</strong> fut même ravagée <strong>par</strong> Tamer-
JOURNAL D'UNE MISSION MIIEFAII1E EN i'EItSE ji<br />
ion, travail<strong>le</strong>ra-t-el<strong>le</strong> â faire dis<strong>par</strong>aître ce qui atteste sa<br />
honte aujourd'hui, <strong>en</strong> ré<strong>par</strong>ant un palais qui certainem<strong>en</strong>t<br />
est digne de remarque? Quant à moi, j'<strong>en</strong> doute beaucoup;<br />
cette vil<strong>le</strong> est aussi <strong>en</strong>vironnée d'un mur, mais de si faib<strong>le</strong><br />
construction que je ne crois pas qu'il pourrait lutter longtemps<br />
contre une bonne fusillade. Nous visitâmes <strong>en</strong>suite<br />
<strong>le</strong>s bazars, ils sont généra<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t beauf et vastes; quelquesuns<br />
pourtânt <strong>en</strong>core attest<strong>en</strong>t <strong>le</strong> malheureux passage des<br />
Russes.<br />
Nous passâmes à Z<strong>en</strong>guiàn notre journée du l<strong>en</strong>demain<br />
13 avril, p<strong>en</strong>sant que <strong>le</strong> mauvais temps que l'horizon faisait<br />
présager se dissiperait. Nous fûmes un peu déçus dans notre<br />
att<strong>en</strong>te, car <strong>le</strong> 14 avril pour nous rndre au gîte suivant,<br />
Némécur, nous eûmes un v<strong>en</strong>t épouvantab<strong>le</strong>; pour ce jour<br />
nous filmes débarrassés de lapluie. 11 n'<strong>en</strong> fut pas ainsi pour<br />
• notre journée de marche du 15, car Sultanieb qui, d'après<br />
l'itinéraire d'I-Tussein-Khan, n'était que <strong>le</strong> milieu de l'étape,<br />
fut notre station, â cause du fort mauvais temps qui nous<br />
surprit, <strong>en</strong> rou<strong>le</strong> et qui empêcha nos bê<strong>le</strong>s de somme, chargées'<br />
de nos bagages, d'al<strong>le</strong>r plus loin. Nous fîmes donc, avec un<br />
temps horrib<strong>le</strong>, notre <strong>en</strong>trée à Sultan ieb, où nous passâmes <strong>le</strong>s<br />
premières heures de notre arrivée à allumei' .un grand feu<br />
et â y faire sécher nos effets.<br />
Sultaniek. - Malgré la pluie que nous eûmes à notre<br />
arrivée à Sullanieh, nous découvrîmes cette vil<strong>le</strong> de bi<strong>en</strong><br />
loin de la vaste plaine que l'on <strong>par</strong>court pour y arriver. Nous<br />
aperçûmes une infinité de ruines <strong>en</strong>tourant la vil<strong>le</strong> existant<br />
<strong>en</strong>core. Sultanieh, qui anci<strong>en</strong>nem<strong>en</strong>t a été <strong>le</strong> séjour des rois<br />
de <strong>Perse</strong>, lorsqu'el<strong>le</strong> était florissante et <strong>par</strong> son ét<strong>en</strong>due et ses<br />
habitants nombreux, n'est plus aujourd'hui qu'un grand amas<br />
de ruines, à ]'excetion de quelques maisons réunies au milieu<br />
de tant de désastres. En approchant de cette vil<strong>le</strong>, nous prîmes<br />
à droite, successivem<strong>en</strong>t devant une espèce de caravansérail<br />
où était située la poste, et un peu plus loin <strong>d'une</strong> hel<strong>le</strong>etriche<br />
mosquée jadis, car maint<strong>en</strong>ant ruinée aux trois quarts, el<strong>le</strong>
JOURNAL DUNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
sert d'abri aux chameaux et aux autres bêtes de somme des<br />
caravanes; un tombeau d'an des rois de <strong>Perse</strong> s'y trouve, et<br />
est <strong>en</strong> grande vénération dans <strong>le</strong> pays ; l'<strong>en</strong>droit où il se<br />
trouve est sacré. Là seuiemeûtne peuv<strong>en</strong>t rester<strong>le</strong>sbêtes des<br />
caravanes dont je vi<strong>en</strong>s de <strong>par</strong><strong>le</strong>r.<br />
Nous passâmes dans une petite maison près de la mosquée<br />
<strong>le</strong> restant du 15 avril, journée de notre arrivée à Suitanieh, et<br />
<strong>en</strong> re<strong>par</strong>tîmes <strong>le</strong> 16, pour nous r<strong>en</strong>dre â Kbouramdara situé<br />
sur <strong>le</strong> prolongem<strong>en</strong>t de la même plaine et à 9 lieues de<br />
distance <strong>en</strong>viron. Ce village offre un joli aspect et a ses<br />
<strong>en</strong>virons boisés ; pour y arriver la pluie nous avait quitté<br />
quelques instants après notre dé<strong>par</strong>t; nous eûmes depuis de<br />
superbes journées.<br />
Nous arrivâmes <strong>le</strong> 22, â Sava <strong>en</strong> passant <strong>par</strong> Ziahat,<br />
Kriarda, un caravansérail et Dauquel. Siva qu'on aperçoit<br />
de la côte qu'on desc<strong>en</strong>d pour y arriver, est situé dans<br />
la plaine, a tous ses <strong>en</strong>virons boisés, et ces masses de<br />
verdure, que l'on pr<strong>en</strong>drait de loin pour autant de bosquets,<br />
me sont que de petits villages ayant de superbes jardins' . Sava<br />
ressemblant à un de ces groupes, nous laissa même dans<br />
l'incertitude de notre route, car nous ne savions vers laquel<strong>le</strong><br />
de ces masses nous diriger; <strong>en</strong>fin après quelques r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts<br />
que nous prîmes auprès d'un berger, après nous être<br />
expliqués <strong>en</strong> sa langue tant bi<strong>en</strong> que mal, nous nois dirigeâmes<br />
vers Sava. Nous r<strong>en</strong>contrâmes un peu plus loin, avant<br />
d'<strong>en</strong>trer, <strong>le</strong> Khaù de cette vil<strong>le</strong> se r<strong>en</strong>dant, comme cela se fait<br />
dans <strong>le</strong> pays, au devant del-Iussein-Khan. Cela est de rigueur<br />
lorsque la personne est d'un rang, surtout d'un grade, plus<br />
é<strong>le</strong>vé que <strong>le</strong> Khan gouverneur; et lorsque celui-ci est plus<br />
é<strong>le</strong>vé, et même du même rang, et qu'il ne lui plait pas de se<br />
déranger, il <strong>en</strong>voie toujours ou son fils ou quelques grands<br />
de l'<strong>en</strong>droit. Arrivés à Sava, nous eûmes l'honneur de recevoir<br />
la visite du fils du gouverneur avec d'autres grands et mirzas<br />
du pays. Nous <strong>le</strong>s reçumes avec plaisir, et deux d'<strong>en</strong>tr'eux<br />
nous témoignèr<strong>en</strong>t <strong>le</strong> désir de pr<strong>en</strong>dre <strong>le</strong>ur repas avec nous,
JOURNAL D'UNE MISSION. MÏL!TAIRE EN PERSE<br />
nous y cons<strong>en</strong>tîmes volontiers. Le soir après <strong>le</strong> dîner, nous<br />
<strong>le</strong>ur chantâmes quelques unes de nos romances, ils fur<strong>en</strong>t<br />
surpris du goût et de l'expression qu'on y mettait; nous <strong>le</strong>s<br />
priâmes <strong>en</strong>suite de nous chanter quelque chose de <strong>le</strong>ur pays;<br />
ils ne se fir<strong>en</strong>t pas prier, ils chantèr<strong>en</strong>t â tour de rô<strong>le</strong>, et<br />
après quelques efforts que nous fîmes pour ne pas éclater,<br />
nous nous mîmes â <strong>le</strong>s approuver et applaudir tel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t,<br />
qu'il fut très diffici<strong>le</strong> â la fin de <strong>le</strong>ur faire compr<strong>en</strong>dre qu'ils<br />
devai<strong>en</strong>t être fatigués, et qu'il y <strong>en</strong> avait assez.<br />
Le 23, nous <strong>par</strong>tîmes pour faire un gîte â Arragal. Nous<br />
eûmes à passer une rivière assez forte, mais pourtant il ne<br />
nous survint aucun accid<strong>en</strong>t, et arrivâmes de bonne heure au<br />
village dont je vi<strong>en</strong>s de <strong>par</strong><strong>le</strong>r. Nous eûmes <strong>le</strong>s trois dernières<br />
heures de notre arrivée, constamm<strong>en</strong>t devant nous, la vue<br />
<strong>d'une</strong> montagne appelée Koumtelisme qui, de loin, nous <strong>par</strong>aissait<br />
excessivem<strong>en</strong>t noire, qu'on nous dit être si dangereuse<br />
qu'on y ferait pas al<strong>le</strong>r un Persan pour tout l'or du monde,<br />
tous ceux qui y ont été n'<strong>en</strong> étant jamais rev<strong>en</strong>us. Nous nous<br />
mîmes â rire d'abord des diverses fab<strong>le</strong>s qu'on nous <strong>en</strong> fit, et<br />
promîmes que <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain, puisqu'on passait <strong>en</strong>viron à une<br />
demi-lieue de là, d'y al<strong>le</strong>r faire un tour, et de nous assurer<br />
de ce qu'il pourrait y avoir. Nous nous dirigeâmes, <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain,<br />
pour faire notre déjeûner, vers des cabanes qui se<br />
trouvai<strong>en</strong>t â notre droite. Ces cabanes sont occupées <strong>par</strong> des<br />
g<strong>en</strong>s errants â travers <strong>le</strong>s montagnes, de fort mauvaise mine,<br />
et qui desc<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t dans la plaine â cause des pâturages. Nous<br />
avions depuis quelques jours pris l'habitude de déjeùner <strong>en</strong><br />
route, et <strong>le</strong> plus souv<strong>en</strong>t c'était près <strong>d'une</strong> de ces cabanes,<br />
où nous trouvions d'excell<strong>en</strong>t lait<br />
Le l<strong>en</strong>demain donc après notre dé<strong>par</strong>t d'Arragal, et <strong>le</strong><br />
déjeuner pris près de ces cabanes, MM. Delamarre, Cary et<br />
moi quittâmes la route et arrivâmes au pied de cette montagne<br />
située à une demi-lieue de la route sur une vaste plaine.<br />
Arrivés au pied, nous hésitâmes si nous y laisserions nos<br />
chevaux, mais, après peu de délibération, nous comm<strong>en</strong>-
74 - JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
çâmes â <strong>le</strong>s faire monter et nous dessus; nous gravîmes<br />
ainsi <strong>le</strong>s quelques premières p<strong>en</strong>tes, y montant <strong>en</strong>suite<br />
obliquem<strong>en</strong>t â cause de nos chevaux, lorsqu'el<strong>le</strong>s dev<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t<br />
plus rapides.Arrivésaprès quelques instants vers <strong>le</strong>cinquième<br />
de la montagne nous pûmes, placés sur <strong>le</strong> sommet d'un<br />
coteau, juger de tous <strong>le</strong>s dangers que, non seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t, on<br />
devait <strong>en</strong>courir, mais plus <strong>en</strong>core de la mort certaine qu'on<br />
devait y trouver, car nous apercevions, <strong>en</strong>tre <strong>le</strong>s différ<strong>en</strong>tes<br />
p<strong>en</strong>tes de cette montagne, une certaine distance, comme dans<br />
une plaine <strong>par</strong>faitem<strong>en</strong>t unie; la terre qui s'y trouvait<br />
ressemblait â la vase, <strong>par</strong>aissait iuisante et était de mil<strong>le</strong><br />
cou<strong>le</strong>urs, â cause de la grande quantité de sel qui s'y trouve.<br />
La cou<strong>le</strong>ur dominante était <strong>le</strong> blanc, nous remarquâmes aussi<br />
beaucoup de jaune, c'était sans doute du soufre de cette<br />
montagne que je crois volcanique. Il y avait donc là beaucoup<br />
de danger de s'<strong>en</strong>foncer et de dis<strong>par</strong>aître et de mourir ainsi,<br />
tandis qu'il serait impossib<strong>le</strong> de donner quelques secours.<br />
Plus loin nous découvrîmes une terre rougeâtre, et <strong>le</strong>s<br />
différ<strong>en</strong>tes formes, sinuosités et crevasses que nous remarquâmes,<br />
nous tir<strong>en</strong>t juger de la vérité de ce que nous dir<strong>en</strong>t<br />
<strong>le</strong>s Persans, que la terre s'ouvrait et se retournait. Mais<br />
voici, selon moi, où on est perdu sans ressource. La terre sur<br />
tout <strong>le</strong> p<strong>en</strong>chant de la montagne, a une inânité de petites<br />
élévations qui sont autant de voûtes  plusieurs <strong>en</strong>droits il<br />
y a des trous qui nous permir<strong>en</strong>t de voir l'épaisseur de ces<br />
prét<strong>en</strong>dues voûtes, el<strong>le</strong> n'était guère de plus de huit pouces,<br />
IJTI pied. Comm<strong>en</strong>t donc alors la terre ne s'<strong>en</strong>foncerait-el<strong>le</strong><br />
pas? Comm<strong>en</strong>t pourrait-il faire <strong>le</strong> téméraire pour ne pas<br />
dis<strong>par</strong>aître sous ces vofrtes? Voilà tout ce que nous découvrîmes<br />
à nos pieds, aussi, sans faire un pas de plus, nous<br />
dépêchâmes-nous de desc<strong>en</strong>dre la montagne. De 50f) intérieur<br />
décou<strong>le</strong> une eau qui est salée et qui a la cou<strong>le</strong>ur rouge, nous<br />
la remarquâmes à notre desc<strong>en</strong>te. Nous traversâmes <strong>en</strong>suite<br />
cette plaine où l'on voyait <strong>le</strong> sel déposé <strong>par</strong> masses, et nous<br />
nous dirigeâmes vers notre gîte. Non loin de là, nous
JOUI1RAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
découvrîmes deux dômes dorés, un <strong>par</strong>ticulièrem<strong>en</strong>t plus<br />
grand que l'autre, <strong>le</strong> plus grand était <strong>le</strong> dôme <strong>d'une</strong> riche<br />
rnosqttée où se trouv<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s tombeaux de Fatiné, fil<strong>le</strong> de<br />
Mirza-J{asem, un des douze califes de la <strong>Perse</strong>, et de<br />
plusieurs rois du pays. C'était la vil<strong>le</strong> sainte, c'était IChoum.<br />
Kiwum. - Les <strong>en</strong>virons de Rhoum nous <strong>par</strong>ur<strong>en</strong>t ferti<strong>le</strong>s.<br />
Sur -la route, avant d'y. arriver, nous remarquions quelques<br />
petites maisonnettes, espèce de maisons de plaisance <strong>en</strong>tourées<br />
de très jolis jardins. A un rayon de dix lieues de cette<br />
vil<strong>le</strong>, trois ou quatre cailloux placés <strong>le</strong>s uns sur <strong>le</strong>s autres, et<br />
cela <strong>en</strong> plusieurs <strong>en</strong>droits, doiv<strong>en</strong>t frapper la curiosité des<br />
voyageurs: ce sont des signes certains du passage <strong>en</strong> ce lieu<br />
des Persans se r<strong>en</strong>dant <strong>en</strong> pé<strong>le</strong>rinage à Khoum, vil<strong>le</strong> sainte<br />
comme je vi<strong>en</strong>s de <strong>le</strong> dire. Les bords des routes <strong>en</strong> sont<br />
couverts, et cette infinité de petites pyramides couvr<strong>en</strong>t plus<br />
<strong>par</strong>ticulièrem<strong>en</strong>t tous <strong>le</strong>s mamelons qui se trouv<strong>en</strong>t sur <strong>le</strong>s<br />
flancs de la route. Les Persans <strong>le</strong>s respect<strong>en</strong>ton ne peut plus,<br />
et serai<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> coupab<strong>le</strong>s devant Mahomet ceux qui déran-<br />
gerai<strong>en</strong>t ce témoignage de <strong>le</strong>ur dévotion.<br />
Nous passâmes sur un pont assez grand (sous <strong>le</strong>quel passe<br />
un f<strong>le</strong>uve appelé Soubadgali), avant d'<strong>en</strong>trer dans <strong>le</strong>s bazars,<br />
<strong>par</strong>tie desquels nous <strong>par</strong>courûmes pour nous r<strong>en</strong>dre à un<br />
palais vaste, et jadis superbe, à <strong>en</strong> juger <strong>par</strong> ses restes, et<br />
résid<strong>en</strong>ce, il y a quelque temps, des princes, gouverneurs<br />
de cette vil<strong>le</strong>. Lorsque nous y logeâmes, il était inhabité, tout<br />
y était <strong>en</strong> destruction complète, et pourtant avec quelques<br />
frais, on pourrait re<strong>le</strong>ver ce palais et <strong>en</strong> faire une demeure<br />
agréab<strong>le</strong>. Il est <strong>en</strong> carré long, ayant au milieu une cour<br />
imm<strong>en</strong>se; el<strong>le</strong> a, à son c<strong>en</strong>tre, un vaste bassin d'eau; <strong>le</strong>reste a<br />
Clé subdivisé <strong>en</strong> différ<strong>en</strong>ts carrés où pousse une herbe qui<br />
lui donne un coup d'oeil agréab<strong>le</strong>. Derrière la face qu'on a<br />
devant soi, <strong>en</strong> <strong>en</strong>trant dans cette cour, est un superbe jardin,<br />
mais que nous vîmes tota<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t abandonné.<br />
Nous fûmes,- dans <strong>le</strong> courant de la journée, visiter <strong>le</strong>s<br />
bazars; ils sont grands, vastes et très bi<strong>en</strong> t<strong>en</strong>us. Les bouti-
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
ques sont assez bi<strong>en</strong> fournies et pourtant Klioum n'a pas un<br />
commerce très ét<strong>en</strong>du. On y fabrique la plus bel<strong>le</strong> poterie<br />
de la <strong>Perse</strong> qui constitue une des choses principa<strong>le</strong>s de son<br />
commerce. On travaillait à notre passage â l'agrandissem<strong>en</strong>t<br />
des bazars. En nousy prom<strong>en</strong>ant, nous aperçûmes une petite<br />
verrerie, nous y <strong>en</strong>trâmes: nous fûmes surpris de <strong>le</strong>ur travail,<br />
dans cette <strong>par</strong>tie que nous ne p<strong>en</strong>sions pas exister <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>.<br />
Nous quittâmes Klioum, pour poursuivre notre route vers<br />
Ispahan. Nous arrivâmes assez de bonne heure à notre caravansérail,<br />
situé à la frontière du grand désert salé, où nous<br />
ne trouvâmes presqu'aucuns vivres; aussi nous hâtâmes-nous,<br />
au jour suivant, d'<strong>en</strong> re<strong>par</strong>tirde bonne heure. Toute cette journée<br />
nous voyageâmes dans <strong>le</strong> désert, et arrivâmes <strong>en</strong>fin,<br />
après une route très <strong>en</strong>nuyeuse, à un petit village situé 4 la<br />
lisière de ce désert et au pied d'un mont. Du caravansérail<br />
ce village la route est infestée de brigands Persans; <strong>le</strong> village<br />
et ses <strong>en</strong>virons, composés <strong>d'une</strong> infinité d'autres ivitlages <strong>en</strong><br />
ruine, sont <strong>le</strong>s refuges <strong>d'une</strong> infinité d'autres g<strong>en</strong>s de mauvaise<br />
foi et tournure. Les <strong>en</strong>virons du village, dont je vi<strong>en</strong>s de<br />
<strong>par</strong><strong>le</strong>r et où nous couchâmes, sont très ferti<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s arbres<br />
que nous yremarquâmes étai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> grande <strong>par</strong>tie des muriers,<br />
arMés peu rares <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>. Le l<strong>en</strong>demain 27 avril, après 5<br />
heures de marche à travers des champs <strong>en</strong> p<strong>le</strong>ine végétation,<br />
nous arrivâmes à Kachan.<br />
.Kachan. - Kachan, situé sur une plaine près <strong>d'une</strong><br />
montagne, est <strong>en</strong>vironné <strong>d'une</strong> infinité de villages, Quoiqu'il<br />
n'y ait pas de f<strong>le</strong>uve, pourtant <strong>le</strong>s terres sont rafraîchies <strong>par</strong> des<br />
sources dont <strong>le</strong>s eaux s'écoul<strong>en</strong>t sousterre. La vil<strong>le</strong> de Kachan<br />
offre un joli coup d'oeil, surtout de loin, el<strong>le</strong> est <strong>en</strong>vironnée<br />
d'un doub<strong>le</strong> mur, flanquée de tours, <strong>le</strong>s maisons y sont assez<br />
bi<strong>en</strong> construites, el<strong>le</strong>s sont de terre et de brique, <strong>le</strong>s bazars y<br />
sont très bi<strong>en</strong> t<strong>en</strong>us. Nous y arrivâmes de bonne heure, après<br />
avoir fait six lieues <strong>en</strong>viron. Nous fûmes ]ogés à une maison<br />
de plaisance roya<strong>le</strong> )! appelée Finfine, distante <strong>d'une</strong> lieue de<br />
la vil<strong>le</strong> du -côté de la haute montagne. Cette maison de plai.
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 77<br />
sance est sans contredit, à mon avis, de cel<strong>le</strong>s que j'ai vues<br />
jusqu'à prés<strong>en</strong>t <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>, la plus agréab<strong>le</strong>. En voici une<br />
courte description.<br />
Après avoir quitté <strong>le</strong>s champs de la plaine de Kachan et<br />
fait quelques détours occasionnés <strong>par</strong> l'importunité de<br />
quelques jardins, nous arrivâmes à une av<strong>en</strong>ue pavée, à<br />
l'extrémité de laquel<strong>le</strong> se trouvait une maison <strong>en</strong> forme<br />
octogona<strong>le</strong>. La porte était sur celui de ses côtés qui faisait<br />
face à l'av<strong>en</strong>ue. Cette maison était assez é<strong>le</strong>vée et avait<br />
quelques jolis ap<strong>par</strong>tem<strong>en</strong>ts. Après la porte, v<strong>en</strong>ait une<br />
voûte, mais quelque peu ruinée qu'el<strong>le</strong> fut <strong>par</strong> <strong>le</strong> plâtre qui<br />
s'<strong>en</strong> était détaché, qui ainsi avait fait dis<strong>par</strong>aître une <strong>par</strong>tie<br />
des dessins et peintures qui s'y trouvai<strong>en</strong>t, el<strong>le</strong> n'était pas<br />
sans offrir quelque intérêt. Deux escaliers pratiqués de<br />
chaque côté, allai<strong>en</strong>t aboutir à une même porte donnant<br />
<strong>en</strong>trée à un imm<strong>en</strong>se jardin. Face àla porte, une eau limpide<br />
coulait dans une espèce de long bassin construit <strong>en</strong> bel<strong>le</strong>s<br />
pierres de tail<strong>le</strong> et se perdant aux pieds de la personne qui y<br />
<strong>en</strong>tre; ce bassin avait, <strong>en</strong> longueur. de 60 à 70 pas, et avait k<br />
son extrémité intérieure un autre bassin rond et très grand,<br />
qui recevait l'eau <strong>par</strong> <strong>le</strong> moy<strong>en</strong> <strong>d'une</strong> nasse, d'où l'eau tombait<br />
avec bruit et retombait <strong>en</strong>suite, <strong>par</strong> une autre nasse, dans<br />
celui dont je vi<strong>en</strong>s de <strong>par</strong><strong>le</strong>r. où l'eau dis<strong>par</strong>aissait sous de<br />
larges do<strong>le</strong>s. Mais 4 pas après, une ouverture était pratiquée<br />
où se r<strong>en</strong>dait toute l'eau, <strong>par</strong> <strong>le</strong> moy<strong>en</strong> d'autres conduits<br />
<strong>en</strong> pierres, <strong>d'une</strong> source qui, <strong>en</strong>trant <strong>par</strong> la base inférieure<br />
d'un profond bassin oui se trouvait un trou d'un pied et demi<br />
de diamètre, et qui naturel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t débordait constamm<strong>en</strong>t.<br />
Cette source se trouve au milieu d'un superbe pavillon<br />
des ouvertures y sont pratiquées aux quatre faces. On doit<br />
compr<strong>en</strong>dre qu'ainsi l'intérieur n'étant qu'une voute imm<strong>en</strong>se,<strong>le</strong><br />
tout est supporté <strong>par</strong> quatre carrés énormes qui ont<br />
dans <strong>le</strong>ur intérieur des chambres charmantes. Les peintures<br />
y sont très bi<strong>en</strong> conservées ; el<strong>le</strong>s représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t Fatey-Ali-<br />
Chah sur son trône, ses nombreux <strong>en</strong>fants, une <strong>par</strong>tie de
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chasse, où <strong>le</strong> souverain est devint un tigre et d'autres sujets<br />
de ce g<strong>en</strong>re. Au-dessus de ces chambres, au premier étage,<br />
il y<strong>en</strong> a d'autres symétriquem<strong>en</strong>t disosées. Enfin j'aurais<br />
fort à faire si je devais décrire tous <strong>le</strong>s conduits d'eau qui -<br />
charm<strong>en</strong>t ce lieu, qu'on sache seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t qu'<strong>en</strong> plusieurs<br />
s<strong>en</strong>s, ils cern<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s différ<strong>en</strong>ts carrés de ce jardin.<br />
Au fond se trouve 1111 autre pavillon; celui-là n'a qu'une<br />
seu<strong>le</strong> chambre, mais el<strong>le</strong> est très grande. Les dessins y sont<br />
superbes, un tab<strong>le</strong>au surtout est digne de remarque: c'est<br />
celui du fond, qui représ<strong>en</strong>te une grande <strong>par</strong>tie de chasse<br />
de Fatey-Ali-Chah. Les sujets y sont de grandeur naturel<strong>le</strong>.<br />
et <strong>le</strong>s seigneurs de la cour l'accompagnant dans cette <strong>par</strong>tie<br />
sont <strong>en</strong> grand nombre. La voûte est dorée, et malgré <strong>le</strong> peu<br />
de soin que je suis persuade qu'on y porte, el<strong>le</strong> est très bièn<br />
conservée. Devant est un péristy<strong>le</strong> richem<strong>en</strong>t décoré, porté<br />
<strong>par</strong> deux fortes colonnes, <strong>le</strong> reste étant joint au corps du<br />
pavillon. Sous ce péristy<strong>le</strong>, est un nouveau bassin plus vaste<br />
et plus profond que <strong>le</strong>s précéd<strong>en</strong>ts, d'où l'eau s'échappe avec<br />
un agréab<strong>le</strong> murmure. Sur <strong>le</strong>s faces latéra<strong>le</strong>s de ce grand<br />
jardin sont d'autres bâtim<strong>en</strong>ts mais pas si agréab<strong>le</strong>s et si<br />
beaux que ceux dont je vi<strong>en</strong>s de <strong>par</strong><strong>le</strong>r, ayant été destinés<br />
pour <strong>le</strong>s nombreux domestiques qui suiv<strong>en</strong>t ordinairem<strong>en</strong>t<br />
tous <strong>le</strong>s grands de la <strong>Perse</strong>, surtout <strong>le</strong>s membres de la<br />
famil<strong>le</strong> roya<strong>le</strong>. Et puis <strong>en</strong>fin sont çà et là, dans <strong>le</strong> jardin, de<br />
superbes platanes et cyprès. Ces derniers arbres surtout<br />
n'étai<strong>en</strong>t pas sans. faire naître chez chacun de nous, l'accord<br />
de la solitude de ce nom avec la tristesse que donne sans<br />
cesse <strong>le</strong> cyprès.<br />
Voilà FinfirÇe, cette maison de plaisance où je me suis<br />
tant plu, et qui est réel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t faite pour charmer, <strong>par</strong><br />
ses délices, <strong>le</strong> voyageur habitué, comme nous depuis si<br />
longtemps, à ne voir que des maisons cachées sous terre, et<br />
quelquefois seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t s'é<strong>le</strong>vant à qielques pieds au-dessus<br />
du sol.<br />
Nous séjournâmes 211 heures de plus que nous ne <strong>le</strong> faisions
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dans <strong>le</strong>s antres gîtes; aussi <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain, montés sur nos<br />
chevaux, nous nous r<strong>en</strong>dîmes à Kachan. Nous vîmes sur notre<br />
route, e t un quart de lieue de notre demeure, une pyramide<br />
de têtes humaines qui avait une base de deux pieds <strong>en</strong>viron<br />
et une hauteur de deux mètres. El<strong>le</strong> faisait <strong>par</strong>tie d'un mur,<br />
aussi ne pûmes-nous voir que ce qui se trouvait du côté de<br />
notre route, on y distingue <strong>par</strong>faitem<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s crâneset surtout<br />
<strong>le</strong>s cheveux. Ces tètes étai<strong>en</strong>t cel<strong>le</strong>s de quelques mutins de<br />
Kachan que <strong>le</strong> prince gouverneur , de Kachan fit abattre<br />
quelque temps au<strong>par</strong>avant.<br />
Le jour suivant, nous nous mîmes <strong>en</strong> route, et après une<br />
marche de trois heures dans une plaine dev<strong>en</strong>ant de plus <strong>en</strong><br />
plus rocail<strong>le</strong>use, nous nous <strong>en</strong>gageâmes dans la montagne<br />
la route y est très pratiquab<strong>le</strong>. Une lieue plus loin, nous r<strong>en</strong>contrâmes<br />
un beau caravansérail, mais à l'intérieur mal.<br />
<strong>en</strong>tret<strong>en</strong>u comme tous <strong>le</strong>s précéd<strong>en</strong>ts. Un peu plus loin, sur<br />
un plateau à moitié de la montagne, nous apercûmes un<br />
grand lac, dont <strong>le</strong>s eaux sont lâchées dans <strong>le</strong>s fortes cha<strong>le</strong>urs<br />
pour arroser la plaine de Kachan. Il fut construit sous Abas<br />
<strong>le</strong> grand.<br />
Peu après comm<strong>en</strong>ça la ferti<strong>le</strong> vallée de Kouroud,<br />
ois, d'après quelques écrivains, fut assassiné Darius <strong>par</strong> Dessus<br />
et Nabarzanes qui se sé<strong>par</strong>èr<strong>en</strong>t après avoir commis <strong>le</strong><br />
crime, pour fuir, <strong>le</strong> premier dans l'Hircanie et l'autre dans<br />
la Bactriane, r<strong>en</strong>fermée maint<strong>en</strong>ant dans <strong>le</strong> Korassan. Ce<br />
village est, très long, c'est-à-dire qu'il y a une infinité de<br />
maisons ça et là, cela pourtant ne formant pas <strong>le</strong> gros du<br />
village qui est situé sur deux mamelons <strong>en</strong> amphithéâtre.<br />
Nous poursuivîmes <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain notre route et nous nous<br />
r<strong>en</strong>dîmes â Sou. Nous logeâmes dans un caravansérail,<br />
tout <strong>le</strong> village n'étant que ruines, ou â la veil<strong>le</strong> de ne former<br />
qu'un amas de décombres. Ses <strong>en</strong>virons sont aussi ferti<strong>le</strong>s<br />
que ceux de Kourond. Nous <strong>par</strong>tîmes, <strong>le</strong> soir même, de ce<br />
caravansérail pour éviter la forte cha<strong>le</strong>ur; nous fîmes <strong>en</strong>core,<br />
à travers une infinité de villages <strong>en</strong> ruines, quelques lieues,
So JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
et nous apercûmes une grande et longue vil<strong>le</strong>; c'était Ispahan.<br />
Ispahan. - Nous finies notre <strong>en</strong>trée <strong>en</strong> cette vil<strong>le</strong> <strong>en</strong><br />
grande t<strong>en</strong>ue, et tant que la route <strong>le</strong> permettait, placés <strong>en</strong><br />
batail<strong>le</strong> à la droite de Hussein-Khan, qui aussi avait <strong>en</strong>dossé<br />
son uniforme de général persan et décoré sa poitrine de tous<br />
<strong>le</strong>s ordres persans. Les domestiques de cet ambassadeur <strong>en</strong><br />
grand nombre étai<strong>en</strong>t placés, pè<strong>le</strong>-mê<strong>le</strong>, sans ordre, derrière<br />
nous. Un piquet de vingt-cinq artil<strong>le</strong>urs vint à une lieue <strong>en</strong><br />
avant à sa r<strong>en</strong>contre. Ils . mir<strong>en</strong>t pied à terre à son approche,<br />
et étant remontés <strong>en</strong>suite sur <strong>le</strong>urs chevaux, ils se placèr<strong>en</strong>t<br />
derrière sans nul<strong>le</strong> distinction.<br />
Les faubourgs, quoiqu'<strong>en</strong> <strong>par</strong>tie <strong>en</strong> ruine, étai<strong>en</strong>t si longs<br />
que nous eûmes à <strong>le</strong>s <strong>par</strong>courir une heure avant que d'<strong>en</strong>trer<br />
dans la vil<strong>le</strong>. Enfin, y étant arrivés, Hussein-Khan <strong>en</strong>tra<br />
dans un vaste jardin et nous y restâmes près de deux heures.<br />
Selon l'usage du pays, il fit prév<strong>en</strong>ir Hadji Mirza Agassi,<br />
premier ministre, qu'il était arrivé avec ses officiers et qu'il<br />
att<strong>en</strong>dait son ordre pour <strong>en</strong>trer dans la vil<strong>le</strong>. D'après la<br />
réponse affirmative du ministre, nous montûmes tous à<br />
cheval et nous nous mîmes de nouveau <strong>en</strong> route.<br />
Nous passâmes dans plusieurs bazars qui sont excessive<br />
m<strong>en</strong>t longs, et, après quelques détours dans quelques petites<br />
rues, nous arrivâmes au pont de Chiras. De l'autre côté nous<br />
aperçûmes une grande quantité de t<strong>en</strong>tes, c'était <strong>le</strong> camp<br />
d'Ispahan dont je <strong>par</strong><strong>le</strong>rai plus tard. Quelques instants après,<br />
des murs plus é<strong>le</strong>vés que <strong>le</strong>s arbres frappèr<strong>en</strong>t nos<br />
regards, c'était <strong>le</strong> palais qu'habitait <strong>le</strong> Chah. il se trouvait<br />
sur la gauche et au bord du Z<strong>en</strong>derout, f<strong>le</strong>uve qui longe<br />
Ispahan; et quoique à l'extérieur ri<strong>en</strong> n'annonce un palais,<br />
l'intérieur, et nous punies <strong>en</strong> juger plus tard, n'était pas sans<br />
annoncer quelques restes de la munific<strong>en</strong>ce roya<strong>le</strong>. Avant<br />
d'y arriver, une heure de marche s'écoula depuis notre dernière<br />
station au jardin à l'<strong>en</strong>trée de la vil<strong>le</strong>. Arrivés ail camp<br />
et arrêtés devant <strong>le</strong> palais où desc<strong>en</strong>dit Hussein-Khan, pour<br />
faire sa visite d'arrivée au premier ministre qui y demeurait,
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE Si<br />
ainsi qu'au Chah, puis conduits <strong>par</strong> un meimandar, nous<br />
nous r<strong>en</strong>dîmes âDjulfa. faubourg des Arméni<strong>en</strong>s, et <strong>en</strong>core â<br />
une demi-lieue d'où nous étions.<br />
Notre ambassade française y était depuis quelques jours,<br />
car une fois arrivés â Téhéran, <strong>le</strong> Roi ayant été obligé de<br />
marcher sur Ispalian avec quelques troupes, pour des motifs<br />
que j'exposerai <strong>en</strong> temps opportun, Monsieur <strong>le</strong> comte de<br />
Sercey l'y suivait, avec <strong>le</strong>s deux autres ambassades Turque<br />
et Russe. A notre arrivée, Monsieur <strong>le</strong> marquis de Lava<strong>le</strong>tte<br />
nous fit l'honneur de v<strong>en</strong>ir nous voir. Nos camarades, <strong>par</strong>tis<br />
de Tauris seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t un jour avant nous et qui pourtant, <strong>par</strong><br />
<strong>le</strong>s marches forcées qu'ils fir<strong>en</strong>t, arrivés 10 jours avant nous,<br />
vinr<strong>en</strong>t aussi nous visiter, et, tous, nous donnèr<strong>en</strong>t d'assez<br />
bonnés nouvel<strong>le</strong>s. Tout cela se passait <strong>le</strong> deux mai. Nous<br />
apprîmes avec grand plaisir de nos camarades que la veil<strong>le</strong>,<br />
<strong>le</strong> premier mai, invités <strong>par</strong> Monsieur de Sercey et toute<br />
l'ambassade, ils avai<strong>en</strong>t célébré la fête de notre roi Louis<br />
Philippe. Ri<strong>en</strong> ne fut négligé <strong>par</strong> notre ambassade pour<br />
donner â cette fête tout i'écla.t qu'el<strong>le</strong> méritait. Voici la descripLion<br />
qu'ils nous <strong>en</strong> fir<strong>en</strong>t. De vastes t<strong>en</strong>tes étai<strong>en</strong>t dressées<br />
dans <strong>le</strong> jardin ou, <strong>en</strong> aimab<strong>le</strong> compagnie, on att<strong>en</strong>dait l'heure<br />
du dîner. Selon l'usage du pays, de beaux tapis y couvrai<strong>en</strong>t<br />
la terre. L'heure étant arrivée, on se r<strong>en</strong>dit au salon et on<br />
prit la place désignée <strong>par</strong> Monsieur <strong>le</strong> Comte. Les convives<br />
étai<strong>en</strong>t toute notre ambassade française, MM. Duhamel,<br />
ambassadeur de Russie, et Je baron Bande, son premier<br />
secrétaire, Sémino, général, itali<strong>en</strong> d'origine, et qui vint, il<br />
y a vingt ans, chercher fortune dans <strong>le</strong> pays, Mirza Ah,<br />
ministre des affaires étrangères, jeune homme âgé de 23 ans<br />
et <strong>par</strong>tant un peu français, Mirza Baba, premier médecin du<br />
Roi, et p<strong>le</strong>in de ses pouvoirs, Nasir Ali Khan, <strong>le</strong> meimandar<br />
de Monsieur de Sercey, Abas Khan, son père, et puis <strong>en</strong>fin<br />
nos camarades, qui fur<strong>en</strong>t très bi<strong>en</strong> traités <strong>par</strong> notre ambassadeur<br />
qui avait mil<strong>le</strong> soins et prév<strong>en</strong>ances pour eux, qu'il<br />
prés<strong>en</strong>ta â MM. Duhamel, Mirza Baba, Baba Khan et Mirza
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Mi. Au milieu du repas, un émissaire se prés<strong>en</strong>ta à Monsieur<br />
de Sercey. Il était colon& et v<strong>en</strong>ait de la <strong>par</strong>t du Chali de<br />
<strong>Perse</strong> <strong>le</strong>ur dire qu'il avait appris qu'il célébrait ce jour la fête<br />
de son Roi et qu'il voulut <strong>en</strong> son nom agréer tous <strong>le</strong>s voeux<br />
qu'il faisait pour son bonheur. Le repas fut très gai et, une<br />
fois terminé, on se r<strong>en</strong>dit sous la t<strong>en</strong>te où on y prit <strong>le</strong> café,<br />
<strong>le</strong> punch, etc., etc. Tout, dans la soirée, était illuminé;<br />
c'était, disai<strong>en</strong>t-ils, une de nos jolies fêtes de France et el<strong>le</strong><br />
avait lieu <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>, si loin d'el<strong>le</strong>.<br />
Nous priâmes Monsieur de Lava<strong>le</strong>tte de nous excuser<br />
auprès clés MM. de l'ambassade, <strong>par</strong>ticulièrem<strong>en</strong>t auprès de<br />
Monsieur <strong>le</strong> Comte, de ce que nous n'allions pas ce jour de<br />
notre arrivée lui r<strong>en</strong>dre nos hommages, niais fatigués comme<br />
nous l'étions, que nous allions pr<strong>en</strong>dre un peu de repos dont<br />
nous avions bi<strong>en</strong> besoin.<br />
Le l<strong>en</strong>demain trois mai, nous nous r<strong>en</strong>dîmes àl'amhassade<br />
où nous fûmes bi<strong>en</strong> accueillis; tous nous manifestèr<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s<br />
regrets qu'ils avai<strong>en</strong>t eus de ne pas nous avoir auprès d'eux<br />
pour <strong>le</strong> premier niai. Là, comme à Tauris, nous y passions nos<br />
soirées très agréab<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t, <strong>le</strong>s plus habi<strong>le</strong>s chanteurs quelquefois<br />
chantai<strong>en</strong>t la t<strong>en</strong>dre romance, ou la tant soit peu<br />
plus forte chanson <strong>militaire</strong>. Quelquefois même <strong>le</strong> saltimbanque<br />
Codés imitait <strong>le</strong>spas grbcieux de la barrière, <strong>en</strong> p<strong>en</strong>chant<br />
avec int<strong>en</strong>tion sa tête tant soit peu difforme sur une épau<strong>le</strong><br />
<strong>en</strong> accompagnant <strong>le</strong> tout d'un sourire amoureux. Lorsque <strong>par</strong><br />
un portrait que j'<strong>en</strong> ferai sous peu on connaîtra notre grotesque<br />
personnage,on me dira saMdoute «oft diabiel'amour va-til<br />
se nicher». Quoiqu'il <strong>en</strong> soit nous <strong>en</strong>riionsbi<strong>en</strong>, quand surtout<br />
l'aimab<strong>le</strong> docteur Lachaise s'y joignait, pr<strong>en</strong>ant toutes <strong>le</strong>s<br />
poses et faisant tous <strong>le</strong>s gestes du joueur d'orgue, <strong>en</strong> criant<br />
de temps <strong>en</strong> temps, avec une voix aigre et vieil<strong>le</strong> Cinquante<br />
c<strong>en</strong>times, cinquante c<strong>en</strong>times, dix sous, La <strong>Perse</strong>.<br />
Visite chez <strong>le</strong> Chah de <strong>Perse</strong>. - 4Mai. Hussein-Khan <strong>le</strong><br />
3 nous <strong>en</strong>voya un de ses g<strong>en</strong>s pour nous dire que, <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain<br />
â 11 heures, nous avions â nous mettre <strong>en</strong> t<strong>en</strong>ue et que,
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 83<br />
nous étant d'abord r<strong>en</strong>dus chez lui, nous aurions de là à nous<br />
r<strong>en</strong>dre au palais pour être prés<strong>en</strong>tés au Chah. Nous ne manquâmes<br />
pas au r<strong>en</strong>dez-vous, et pour l'heure indiquée nous<br />
étions chez Hussein-Khan qui, â notre tête, Sus conduisit<br />
chez <strong>le</strong> Chah.<br />
On fit annoncer notre visite. Le Chah faisait sa prière, nous<br />
dit-on, et après cinq minutes d'att<strong>en</strong>te dans un vaste jardin;<br />
on nous fit avancer dans une allée. Les corps de bâtim<strong>en</strong>ts se<br />
trouvai<strong>en</strong>t à notre droite, â 25 ou 30 pas. Arrivés près <strong>d'une</strong><br />
petite maisonnette, nous nous arrêtâmes et lui fîmes face,<br />
Hussein-Khan ôta ses souliers et att<strong>en</strong>dit l'ordre ou un signe<br />
du Chah pour s'avancer. Bi<strong>en</strong>tôt nous fîmes quelques pas et<br />
nous arrêtâmes; un nouveau geste fait â Hussein-Khan <strong>le</strong> fit<br />
avancer. Nous <strong>le</strong> suivîmes, et arrivâmes ainsi sous <strong>le</strong>is croisées<br />
du Chah qui était dans cette chambre au rez-de-chaussée,<br />
assis au fond comme <strong>le</strong>s Turcs. Sa chambre avait de riches<br />
tapis, il était assis sur de plus beaux <strong>en</strong>core. A sa droite était<br />
un traversin qui avait des pail<strong>le</strong>ttes et franges <strong>en</strong> or, à sa<br />
gauche et assez loin, il avait <strong>le</strong> ministre des affaires étrangères.<br />
Nous nous plaçâmes <strong>en</strong> cerc<strong>le</strong> devant ses croisées, il<br />
nous fit demander <strong>par</strong> la voie de l'interprète si nous nous<br />
portions bi<strong>en</strong>.<br />
Nous <strong>le</strong> remerciâmes de sa bonté â s'informer de notre<br />
santé.<br />
Ii nous demanda si nous avions bi<strong>en</strong> fait cette dernière<br />
route de Tauris à Ispahan, qu'il avait appris avec beaucoup<br />
de peine que nous avions bi<strong>en</strong> souffert pour arriver<br />
â cette première vil<strong>le</strong>.<br />
Nous lui dîmes qu'effectivem<strong>en</strong>t nous avions bi<strong>en</strong> souffert<br />
mais que sa prés<strong>en</strong>ce faisait tout oublier.<br />
Il nous dit <strong>en</strong>suite qu'il était bi<strong>en</strong> cont<strong>en</strong>t de nous voir<br />
arriver, qu'il avait beaucoup d'espoir <strong>en</strong> nous, que nous<br />
serions cont<strong>en</strong>ts de lui et de la <strong>Perse</strong>. La conversation fut<br />
assez longue <strong>en</strong> ce g<strong>en</strong>re de complim<strong>en</strong>ts. Il nous fit avancer<br />
<strong>en</strong>suite arme <strong>par</strong> arme il fut émerveillé.
84 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
Je fis au Chah la demande d'un homme qui chargé de<br />
quelques pouvoirs nous ferait respecter. Le Chah y cons<strong>en</strong>tit<br />
et quelques jours après il fit <strong>en</strong>voyerà chacun de nous un<br />
soldat. Nous nous retirâmes assez satisfaits du Chah.<br />
Visite à Hadji Mina Agassi, premier ministre. - Avant<br />
de nous sé<strong>par</strong>er avec Hussein-Khan, il fut conv<strong>en</strong>u <strong>d'une</strong><br />
heure du l<strong>en</strong>demain pour visiter Hadji, <strong>le</strong> premier ministre.<br />
Comme je l'ai déjà dit, il demeurait au palais du Roi. Des<br />
cérémonies semblab<strong>le</strong>s â cel<strong>le</strong>s que nous fîmes pour nous<br />
approcher du Roi se répétèr<strong>en</strong>t auprès du premier ministre.<br />
Seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t celui-ci, an lieu de setrouver au fond de la chambre<br />
comme l'était <strong>le</strong> Roi étaità deux pas de la porte, assis sur un<br />
tout simp<strong>le</strong> fauteuil, ayant derrière lui toute une suite de<br />
domestiques. Avant de rapporter <strong>le</strong>s <strong>par</strong>o<strong>le</strong>s qu'il nous tint, je<br />
crois nécessaire de <strong>par</strong><strong>le</strong>r un peu de son origine, de sa profession<br />
première, etc., etc. -<br />
Dans <strong>le</strong> principe Hadji Mirza Agassi était un Mollah<br />
(docteur de la religion musulmane), ap<strong>par</strong>t<strong>en</strong>ant â une<br />
bonne famil<strong>le</strong> de la tribu des Badjards (branche régnante<br />
actuel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t). Ce Mollah qui, dans <strong>le</strong> pays, avait une grande<br />
réputation d'instruction fut désigné pour instruire et diriger<br />
<strong>le</strong> jeune Mahomet Chah. Fatey Ali Chah étant mort <strong>en</strong> 1835,<br />
et son fils Abas Mirza, gouverneur de l'Adzerbidjan qui<br />
devait lui succéder, étant mort avant son père, son fils<br />
Mahomet Chah monta sur <strong>le</strong> trône, et il plaça comme<br />
premier ministre son instituteur, son Mollah Hadji, et <strong>le</strong> Roi<br />
a un respect aveug<strong>le</strong>, ainsi qu'une grande défér<strong>en</strong>ce, pour<br />
lui. Il ne fait ri<strong>en</strong> sans <strong>le</strong> consulter, et mieux même il<br />
fait tout sans consulter <strong>le</strong> Roi. Ainsi il abuse quelquefois de<br />
la trop grande confiance dii Roi, <strong>en</strong> lui laissant ignorer des<br />
affaires importantes,qu'il travail<strong>le</strong>âson gré et â son bon caprice,<br />
lui disant seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t dans ses <strong>en</strong>treti<strong>en</strong>s avec lui desminuties<br />
la plu<strong>par</strong>t du temps. Qu'est pourtant cet Hadji ? C'est à l'avis<br />
de toutes <strong>le</strong>s personnes de bon s<strong>en</strong>s, un ignorant, un fou, un<br />
vo<strong>le</strong>ur et un m<strong>en</strong>teur comme <strong>le</strong>s autres; voilà ce qu'on nous
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 85<br />
disait de cet homme, avant que nous n'ayions l'honneur d'être<br />
prés<strong>en</strong>tés à lui. J'oubliais qu'il a pour femme légitime une<br />
des femmes de Fatey Mi Chah, et pour fils adoptif Eht-<br />
Khan, un des fils de ce Roi. Mahomet Chah; qui certes est<br />
un des hommes instruits de son royaume, a<strong>en</strong> ce ministre non<br />
seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t un grand respect, mais c'est qu'<strong>en</strong>core il <strong>le</strong> croit<br />
inspiré de Mahomet tous <strong>le</strong>s v<strong>en</strong>dredis, jours de fête des<br />
musulmans, et <strong>le</strong> brave ministre profite aussi du samedi pour<br />
faire auprès du Chah tout ce qu'il voudra.<br />
Voilà donc <strong>le</strong> ministre devant <strong>le</strong>quel nous étions, <strong>le</strong> 5 mai<br />
<strong>1840</strong>, â 11 heures 1/2 du matin. II s'informa de nos santés, de<br />
noire route pénib<strong>le</strong>, nous fit â peu près <strong>le</strong>s mêmes complim<strong>en</strong>ts<br />
que la veil<strong>le</strong> nous <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dîmes de la bouche du Roi. Il<br />
nous dit<strong>en</strong>suite que ceux qui <strong>le</strong>s premiers avai<strong>en</strong>t misl'armée<br />
Persane sur un assez bon pied, étai<strong>en</strong>t des Françai, qu'il<br />
espérait que ce serait <strong>le</strong>s Français <strong>en</strong>core qui relèverai<strong>en</strong>t<br />
l'armée.<br />
Nous l'assurâmes qu'<strong>en</strong> tout temps la <strong>Perse</strong> pouvait compter<br />
sur nous, et que nous ne tromperions pas son att<strong>en</strong>te.<br />
Bareck-Allah (bravo), dit-il, <strong>en</strong> donnant un grand coup<br />
de poing de la main gauche sur <strong>le</strong> barreau de la chaise, et de<br />
la droite frappant â plat sur son goula qui <strong>par</strong> ce coup fut<br />
tant soit peu écarté de la perp<strong>en</strong>diculaire rigoureuse qu'il lui<br />
avait fait pr<strong>en</strong>dre pour nous recevoir. Il nous vit <strong>en</strong>suite<br />
arme <strong>par</strong> arme, f ut très cont<strong>en</strong>t, p<strong>en</strong>dant que Hussein Khan<br />
lui disait nos noms et qu'il lui disait <strong>le</strong> désir que nous avions<br />
manifesté de connaître <strong>en</strong>fin des provinces où chacun de<br />
nous irait y pr<strong>en</strong>dre <strong>le</strong> plus tôt possib<strong>le</strong> son commandem<strong>en</strong>t<br />
de troupes. 11 sautait de joie dans son fauteuil <strong>en</strong> frappant<br />
cette fois sur son goula de la main gauche. Quoi qu'il <strong>en</strong> soit,<br />
nous <strong>en</strong> fûmes très cont<strong>en</strong>ts et très satisfaits, peu nous importait<br />
ce que nous <strong>en</strong> avions <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du, nous n'avions j usq u 'alors<br />
qu'à nous <strong>en</strong> louer. Nous r<strong>en</strong>trâmes chez nous, la cha<strong>le</strong>ur était<br />
accablante, et nous ne sortîmes plus de la journée.<br />
Ce fut <strong>le</strong> Soir de cette journée que M. <strong>le</strong> marquis de<br />
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86 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN L'ERSE<br />
Laval<strong>le</strong>tte, devant <strong>par</strong>tir <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain, voulut nous remettre<br />
<strong>le</strong>s nouveaux contrats <strong>par</strong> <strong>le</strong>squels nous étions promus au<br />
grade de capitaine, ayant un toman (12 fr. 50) <strong>par</strong> jour, plus<br />
<strong>en</strong>viron 2 fr. pour la nourriture Øe deux chevaux, devant<br />
avoir, pour un déplacem<strong>en</strong>t quelconque, deux mu<strong>le</strong>ts avec<br />
<strong>le</strong>ur conducteur, une t<strong>en</strong>te de colonel, et une autorité p<strong>le</strong>ine<br />
et <strong>en</strong>tière sur toutes nos troupes puis ceux qui <strong>par</strong>tirai<strong>en</strong>t au<br />
bout de <strong>le</strong>urs S années, une somme pour <strong>le</strong>ur voyage de 250<br />
tomans, <strong>en</strong>viron 3.125 francs de notre monnaie. Le contrat<br />
fait au nom du Roi <strong>par</strong> Hadji, qui y apposa son cachet, nous fut<br />
remis, et au-dessous du cachet quelques lignes de la main<br />
d'lladji résumai<strong>en</strong>t ceci: Sur ma barbe, sur mes yeux,j'observerni<br />
toutes <strong>le</strong>s clauses de ce contrat.<br />
Voilà ma foi un bi<strong>en</strong> beau . contrat, dîmes-nous, mais<br />
il est probab<strong>le</strong> qu'ils ne l'observeront jamais, nous<br />
sommes <strong>en</strong>core au beau comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t, qu'arrivera-t-il?<br />
Nous n'<strong>en</strong> pouvons ri<strong>en</strong> assurer, mais n'anticipons pas<br />
sur <strong>le</strong>s événem<strong>en</strong>ts. Nous <strong>en</strong> exprimâmes tout notre<br />
cont<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t à M. de Sercey et à M. de Lava<strong>le</strong>tte,.<br />
qui conjointem<strong>en</strong>t avai<strong>en</strong>t travaillé à nous faire donner<br />
ce contrat, avec d'aidant plus de raison que jusque-là<br />
nous n'<strong>en</strong> avions qu'un seul col<strong>le</strong>ctif. Un peu à l'écart se<br />
trouvait Mina Ah, ministre des affaires étrangères, jeune<br />
homme de 23 ans comme je l'ai déjà dit, causant avec<br />
M. de Sercey. M. <strong>le</strong> marquis, qui ne négligeait aucune des<br />
• circonstances pour nous donnerdes protecteurs, nous prés<strong>en</strong>ta<br />
.à ce ministre, qui promit de nous seconder dans<br />
tous <strong>le</strong>s mauvais pas qui pourrai<strong>en</strong>t nous surv<strong>en</strong>ir. Nous ne<br />
.fâmes point voir ce ministre <strong>en</strong> corps, nous y ffiiies plus tard<br />
individuel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t poui' des motif communs.<br />
Le l<strong>en</strong>demain M. de Lava<strong>le</strong>tte et M. Félix Desgranges,<br />
premier drogman, <strong>par</strong>tir<strong>en</strong>t d'Ispaha.n pour passer <strong>par</strong><br />
la même route que nous v<strong>en</strong>ions de faire. Nous montâmes<br />
à cheval, toute l'ambassade sans distinction <strong>en</strong> fit autant, et<br />
nous accompagnâmes ces deux Messieurs. A une lieue 1/2 on
JOURNAL D'UNE MISSION 3IILITAIRE EN PERSE 87<br />
s'arrêta, chacun fit ses adieux à ces Messieurs, ils fur<strong>en</strong>t<br />
sincères <strong>le</strong>s voeux que nous faisions tous pour <strong>le</strong>ur bon<br />
voyage. 0n se sé<strong>par</strong>a et on se r<strong>en</strong>dit à Ispahan, faisant quelques<br />
courses de temps <strong>en</strong> temps.<br />
J'ai oublié de dire qu'à notre arrivée à Ispahan nous n'y<br />
trouvâmes plus MM. Beaufort d'Hautpoul et Daru; ces deux<br />
capitaines avai<strong>en</strong>t poursuivi plus loin du côté de Curas, y<br />
faire des reconnaissances <strong>militaire</strong>s.<br />
Prom<strong>en</strong>ade au camp et sa description. - Nous lûmes, <strong>le</strong><br />
jour suivant, faire une prom<strong>en</strong>ade à ce qu'ils appelai<strong>en</strong>t <strong>le</strong><br />
camp d'ispahan. il se trouvait contigu à la maison roya<strong>le</strong>, et<br />
s'ét<strong>en</strong>dait irrégulièrem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> tout s<strong>en</strong>s, ce n'était qu'un amas<br />
confus de t<strong>en</strong>tes, tout était pê<strong>le</strong>-mê<strong>le</strong>. iln'y avait de distinction<br />
que <strong>par</strong> catégorie. C'était qu'un point avait été assigné<br />
pour être <strong>le</strong> c<strong>en</strong>tre du camp d'artil<strong>le</strong>rie, un autre pour<br />
l'infanterie, un autre pour la cava<strong>le</strong>rie, mais dès lors chacun<br />
plaçant sa t<strong>en</strong>te conimeil l'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dait, <strong>le</strong>s chevaux se trouvant<br />
près d'el<strong>le</strong>s, il n'y a ait point d'ordre. A el<strong>le</strong>s se joignai<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s<br />
t<strong>en</strong>tes de tous <strong>le</strong>s marchands, tels que fruitiers, brocanteurs,<br />
etc., etc. Les t<strong>en</strong>tes <strong>en</strong> majeure <strong>par</strong>tie sont circulaires de5 à G<br />
mètres de diamètre, et chacune d'el<strong>le</strong> doit cont<strong>en</strong>ir 20 à 25<br />
hommes. Cel<strong>le</strong>s des officiers subalternes sont de mème nature,<br />
seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t pour trois, cieux, et quelquefois un officier; cel<strong>le</strong><br />
des officiers supérieurs est de la forme <strong>d'une</strong> petite maisonnette,<br />
plus bel<strong>le</strong> et plus agréab<strong>le</strong>. Quelques grands de la<br />
<strong>Perse</strong> et <strong>le</strong>s généraux ont une imm<strong>en</strong>se t<strong>en</strong>te de forme<br />
circulaire, r<strong>en</strong>fermant dans son intérieur une t<strong>en</strong>te à peu<br />
près semblab<strong>le</strong> à cel<strong>le</strong> du colonel. On serait vivem<strong>en</strong>t dans<br />
l'erreur si l'on croyait que ce camp est tout <strong>militaire</strong> : non.<br />
Le ministre MirzaAliy avait <strong>le</strong>s si<strong>en</strong>nes, et d'autres serviteurs<br />
du Roi, dont <strong>le</strong>s fonctions ne sont nul<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t <strong>militaire</strong>s.<br />
Jamais on n'y fait des corvées de propreté, aussi <strong>le</strong> camp<br />
infecte-t-il.<br />
Les t<strong>en</strong>tes des grands personnages sont é<strong>le</strong>vées à6 à 8<br />
pouces du sol, c'est pour remédier à l'inconvéni<strong>en</strong>t, dans <strong>le</strong>s
88 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
temps de pluie bi<strong>en</strong> rares, de ne pàs avoir d'eau. Ils ont<br />
<strong>en</strong>suite devant la t<strong>en</strong>te, des bassins qui réserv<strong>en</strong>t l'eau <strong>par</strong><br />
des saignées pratiquées <strong>le</strong> plus souv<strong>en</strong>tà un ruisseau lorsque<br />
la disposition <strong>le</strong> permet; dans <strong>le</strong> cas où l'eau serait un peu<br />
écartée et ne pourrait être conduite jusque-là, el<strong>le</strong> y est<br />
apportée â bras. On éprouve <strong>le</strong> plaisir d'un coup d'oeil varié<br />
quoique sur des choses à peu près semblab<strong>le</strong>s, mais bi<strong>en</strong>tôt<br />
ce chaos pitoyab<strong>le</strong> vous <strong>le</strong>s fait regarder avec indiffér<strong>en</strong>ce.<br />
Du Z<strong>en</strong>derout. —La vil<strong>le</strong> d'Ispahan est bâtie <strong>le</strong> long d'un<br />
f<strong>le</strong>uve que <strong>le</strong>s Persans appell<strong>en</strong>t Z<strong>en</strong>derout. 11 a sa source<br />
dans <strong>le</strong>s montagnes de Jayabat, <strong>en</strong>viron â Bjournéesdela vil<strong>le</strong>,<br />
du côté du Nord. Ce f<strong>le</strong>uve, qui <strong>par</strong> lui-même ne serait pas<br />
considérab<strong>le</strong>, reçoit, <strong>par</strong> des travaux qu'Abas <strong>le</strong> Grand y a fait<br />
faire <strong>en</strong> perçant à grands frais <strong>le</strong>s monts Acrocerontes qui<br />
sont <strong>en</strong>viron à 25 ou .30 lieues de la vil<strong>le</strong>, <strong>le</strong> Mahmoud<br />
Ker. Ce f<strong>le</strong>uve se perd sous terre <strong>en</strong>tre la vil<strong>le</strong> d'ispahan et<br />
cel<strong>le</strong> de Kirman, passe dans cette dernière vil<strong>le</strong> après être<br />
re<strong>par</strong>u un peu avant que d'y arriver, et <strong>en</strong>fin il va se perdre<br />
dans la merdes Indes.<br />
Les montagnes <strong>par</strong> <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s sort <strong>le</strong> Mahmoud-Ker sont<br />
des roches vives, crevassées <strong>en</strong> plusieurs s<strong>en</strong>s; <strong>le</strong>au cou<strong>le</strong> à<br />
travers <strong>le</strong>s montagnes, et il existe, dit-on, une ouverture de<br />
la grosseur de quatre tonneaux <strong>par</strong> où el<strong>le</strong> sort comme <strong>par</strong><br />
un tuyau tombant dans un grand bassin et fort profond,<br />
formé selon quelques-uns <strong>par</strong> Ahas <strong>le</strong> Grand, selon d'autres<br />
<strong>par</strong> la chute de l'eau el<strong>le</strong>-même -je crois cette dernière<br />
supposition plus probab<strong>le</strong> - et va <strong>en</strong>fin passant çà et la, se<br />
r<strong>en</strong>dre dans <strong>le</strong> Z<strong>en</strong>derout. En allant un peu plus haut dans<br />
la montagne, on voit, <strong>par</strong> un trou qui y est pratiqué, l'eau<br />
dans l'intérieur de la montagne, comme si el<strong>le</strong> seu<strong>le</strong> était <strong>le</strong><br />
grand réservoir.<br />
Le chevalier d'Argout. -Un beau jour nous eûmes la<br />
visite d'un homme âgé <strong>d'une</strong> quarantaine d'années, vif et<br />
bi<strong>en</strong> portant, à longue barbe, avec des habits anglais<br />
chamarrés d'or et d'arg<strong>en</strong>t; et, pour toute coiffure <strong>militaire</strong>, il
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
avait un grand bonnet rouge, excessivem<strong>en</strong>t large, et<br />
recouvert d'un énorme galon à la <strong>par</strong>tie qui <strong>en</strong>tourait sa<br />
tête. « Je suis Français comme vous, Messieurs, et de plus<br />
<strong>militaire</strong>, » nous dit-il <strong>en</strong> se prés<strong>en</strong>tant chez nous. Sans <strong>en</strong><br />
vouloir savoir davantage, nous <strong>le</strong> priâmes de s'asseoir, nous<br />
apprîmes de lui que d'abord il avait, sous Napoléon, servi <strong>en</strong><br />
France, qu'il était <strong>par</strong>v<strong>en</strong>u au grade d'officier et puis;<br />
qu'ayant donné sa dé<strong>mission</strong> à sa déchéance, il fut t<strong>en</strong>ter<br />
fortune. Il s'était arrêté d'abord <strong>en</strong> Turquie; <strong>en</strong>suite, que<br />
pour quelques appointem<strong>en</strong>ts arriérés, il l'avait abandonnée<br />
pour servir <strong>en</strong> Egypte; que ne s'y trouvant pas heureux, il<br />
avait voulu faire un voyage dans l'Inde, où se trouvai<strong>en</strong>t<br />
déjà MM. Iialard et V<strong>en</strong>toura, aux faîtes de la fortune et des<br />
honneurs; que, recommandé dans <strong>le</strong> principe à M. ilalard,<br />
il fut placé avec d'énormes appointem<strong>en</strong>ts comme instructeur;<br />
'qu'<strong>en</strong>fin, au bout de bi<strong>en</strong> des années, quelque mésintellig<strong>en</strong>ce<br />
ayant eu lieu <strong>en</strong>tre M. V<strong>en</strong>toura et lui, il avait voulu quitter<br />
<strong>le</strong> service. -<br />
Dans l'Inde, il avait appris <strong>en</strong>suite, d'après ce qu'il nous<br />
dit, que des instructeurs français s'étai<strong>en</strong>t r<strong>en</strong>dus '<strong>en</strong> <strong>Perse</strong>, et<br />
il s'était r<strong>en</strong>du là pour se joindre à nous; mais nos avantages<br />
étai<strong>en</strong>t si petits qu'il pria M. <strong>le</strong> comte de Sercey de <strong>le</strong><br />
ram<strong>en</strong>er <strong>en</strong> France; il y cons<strong>en</strong>tit, et son dé<strong>par</strong>t d'ispahan<br />
dût se faire avec IvfM. dArchiac et Gérard. M. d'Argoflt,<br />
<strong>d'une</strong> gaîté continuel<strong>le</strong>, était très agréab<strong>le</strong>; il fit de longs<br />
voyages, et nous exposait ses relations; dans <strong>le</strong>s derniers<br />
temps nous <strong>le</strong>s connaissions toutes, el<strong>le</strong>s nous intéressai<strong>en</strong>t<br />
beaucoup.<br />
Le 11 mai, nous fîmes quelques démarches pour ' nos<br />
appointem<strong>en</strong>ts. On nous amusa, à <strong>le</strong>ur nob<strong>le</strong> habitude,<br />
p<strong>en</strong>dant quelques jours, <strong>en</strong> nous r<strong>en</strong>voyant de jour <strong>en</strong> jour,<br />
mais nous signifiâmes à Mirza-Ali que si, à tel<strong>le</strong> heure du<br />
l<strong>en</strong>demain qu'il nous indiqua, nous n'étions pas payés, que<br />
nous demandions à notre ambassade française à r<strong>en</strong>trer avec<br />
el<strong>le</strong>. Le jour suivant, 13 mai à midi, <strong>le</strong>s tomans étai<strong>en</strong>t chez<br />
u
90 - JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN-PERSE<br />
Hussein-Khan, nous fûmes <strong>le</strong>s chercher. On nous paya sur<br />
<strong>le</strong> pied du nouveau contrat, à <strong>par</strong>tir du jour oit il avait été<br />
si g n é.<br />
Causes qui forcêr<strong>en</strong>.t <strong>le</strong> Chah à faire un voyage 4<br />
ispahan avec des forces. - Les <strong>en</strong>fants des Rois, ainsi que<br />
ses frères, sont presque toujours, tant qu'ils n'ont pas<br />
démérité la confiance du Maître, placés comme gouverneurs<br />
dans <strong>le</strong>s provinces. Un des frères du Roi actuel, Mahomet<br />
Chah, avait été à son avènem<strong>en</strong>t au trône désigné pour<br />
commander la province appelée Fars ou -Farsistan, dont la<br />
capita<strong>le</strong> est Chiras. Ce prince tramait <strong>en</strong> dessous pour<br />
détrôner son frère et pr<strong>en</strong>dre sa place, et lorsque <strong>le</strong> Roi <strong>en</strong><br />
fut instruit, il avait déjà attiré dans son <strong>par</strong>ti la nombreuse<br />
populace de Chiras, et marchait vers Ispahan, l'anci<strong>en</strong>ne<br />
capita<strong>le</strong> de la <strong>Perse</strong>, pour s'y faire des <strong>par</strong>tisans <strong>par</strong>mi une<br />
espèce de tribu errante, du g<strong>en</strong>re des bohémi<strong>en</strong>s, tous<br />
malfaiteurs et appelés Loutis qui se trouvai<strong>en</strong>t pour <strong>le</strong>urs<br />
ravages, viols et autres abominations,, tels qu'assassinats,<br />
commandés dans cette malheureuse vil<strong>le</strong> <strong>par</strong> <strong>le</strong> fils d'un<br />
grand-piétre, Mousteide. Cet homme est considéré comme<br />
un des saints de la <strong>Perse</strong>, aussi <strong>le</strong>s habitants d'ispahan, de<br />
crainte <strong>d'une</strong> malédiction, ne disai<strong>en</strong>t-ils ri<strong>en</strong>, et selaissai<strong>en</strong>tils<br />
<strong>en</strong><strong>le</strong>ver <strong>le</strong>urs bi<strong>en</strong>s <strong>le</strong>s plus précieux, et <strong>le</strong>s voyai<strong>en</strong>t-ils sur<br />
<strong>le</strong>urs femmes désolées assouvir <strong>par</strong> <strong>le</strong>urs viol<strong>en</strong>ces toute<br />
espèce (<strong>le</strong> brutalité.<br />
Ces bandits euss<strong>en</strong>t été pour l'ambitieux prince des<br />
<strong>par</strong>tisans assurés. Mais Mahomet-Chah ne <strong>le</strong>ur <strong>en</strong> donna<br />
pas <strong>le</strong> temps; il quitta Téhéran, sa capital?, vers la Mn<br />
de mars et arriva fi Ispahan avec ses troupes <strong>le</strong>s premiers<br />
jours d'avril. Contre l'habitude ordinaire, il ne fut pas voir<br />
<strong>le</strong> grand-prêtre qui <strong>en</strong> fat <strong>le</strong>ilêm<strong>en</strong>t exaspéré, qu'il dit aux<br />
habitants de la vil<strong>le</strong>, qu'il allait pour ce motif quitter la vil<strong>le</strong>.<br />
Ce peup<strong>le</strong> qui, <strong>le</strong> voyant s'éloigner, se croyait perdu et<br />
damné, criait et allait peut-être susciter une révolte. Le Chah<br />
la prévint <strong>en</strong> <strong>en</strong>voyant de grands et richés cadeaux A ce
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN!PERSE 91<br />
prêtre qui, <strong>en</strong>fin, cons<strong>en</strong>tit à rester et remit ainsi un peu<br />
d'ordre chez <strong>le</strong>s habitants. Son frère, sachant que <strong>le</strong> Roi<br />
marchait vers ispahah et, pour sa punition, prévoyant une<br />
mort certaine, se réfugia î travers monts à IÇoum, à ]a<br />
mosquée sacrée, où il va passer toute sa vie, car, étant garde<br />
<strong>par</strong> <strong>le</strong>s g<strong>en</strong>s du Roi, il sera mis à mort dès qu'il dépassera <strong>le</strong><br />
seuil de la mosquée.<br />
A peine arrivé A Ispahan, <strong>le</strong> Roi se mit à la recherche de<br />
ces Loutis. Chaque jour on <strong>en</strong> pr<strong>en</strong>ait un certain nombre<br />
qui, immédiatem<strong>en</strong>t, étai<strong>en</strong>t mis à mort. Le Roi <strong>en</strong> fit ainsi<br />
périr 79, <strong>par</strong>mi <strong>le</strong>squels se trouvai<strong>en</strong>t <strong>le</strong> fils du Mousteide,<br />
et, sans l'interv<strong>en</strong>tion des ambassadeurs de France et<br />
de Russie, 300 autres prisonniers euss<strong>en</strong>t eu <strong>le</strong> même<br />
sort mais ces Messieurs obtinr<strong>en</strong>t du Chah qu'ils<br />
serai<strong>en</strong>t emprisonnés tour <strong>le</strong> reste de <strong>le</strong>urs jours: Les<br />
habitants d'Ispahan fur<strong>en</strong>t cont<strong>en</strong>ts de la mort de ces<br />
brigands.<br />
Mort des Loutis. - Ces hommes, tous mal habillés et de<br />
mauvaise tournure, étai<strong>en</strong>t conduits sur <strong>le</strong> lieu d'exécution,<br />
qui était derrière <strong>le</strong> camp, liés et garrotés. Une fois là, <strong>le</strong><br />
bourreau <strong>en</strong> détachait un de la chaire, à laquel<strong>le</strong> <strong>en</strong> outre<br />
ils étai<strong>en</strong>t tous attachés, et après l'avoir couché à terre,<br />
étourdi <strong>par</strong> un coup de marteau qu'il <strong>le</strong>ur donnait sur la tête,<br />
il pr<strong>en</strong>ait un petit couteau et lui coupait <strong>le</strong> cou. Ainsi mourai<strong>en</strong>t<br />
ceux qui ne <strong>le</strong>ur étai<strong>en</strong>t bas signalés pour quelques crimes<br />
<strong>par</strong>ticuliers; mais il n'était pas de mort cruel<strong>le</strong> qu'on ne<br />
putinv<strong>en</strong>ter pour <strong>le</strong>s plus grands coupab<strong>le</strong>s. Voici un fait incroyab<strong>le</strong>,<br />
mais véridique, sur la mort du fils du Nousteide. Une<br />
femme de 18 ans qui, d'après son exemp<strong>le</strong>, avait eu à supporter<br />
toutes <strong>le</strong>s insultes d'un grand nombre d'<strong>en</strong>tr'eux,<br />
cachait son ress<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t et sav<strong>en</strong>geance. Lorsque vint <strong>en</strong>fin<br />
<strong>le</strong> jour où <strong>le</strong> rus du grand Mollah dM être exécuté, la femme<br />
de 18 ans, écartant son voi<strong>le</strong>, se montra au bourreau, et lui<br />
demanda <strong>en</strong> grâce de lui céder ses fonctions pour la mort de<br />
cet homme seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t. Le bourreau n'y cons<strong>en</strong>tit pas, dfit
92 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
l'exécuter lui-même. Il <strong>le</strong> ferra comme un cheval, lui arracha<br />
toutes ses d<strong>en</strong>ts, <strong>le</strong>s lui <strong>en</strong>fonça à grands coups dans la tête,<br />
puislui coupa <strong>le</strong> cou, morthorrib<strong>le</strong>, mais que méritait ce chef<br />
de <strong>par</strong>ti! P<strong>en</strong>dant tout ce temps, la jeune femme était là,<br />
heureuse et cont<strong>en</strong>te de sa mort, car el<strong>le</strong> était v<strong>en</strong>gée.<br />
Madame de Lamariniére. - Il y a 25 ou. 30 ans, M.<br />
et Mme de Lamarinière vinr<strong>en</strong>t <strong>en</strong> <strong>Perse</strong> à la tête de<br />
• - quelques marchandises pour y chercher fortune, mais malheureusem<strong>en</strong>t<br />
M. de Lamarinière n'y ayant trouvé, peu<br />
de temps après, que la mort, laissa une femme bi<strong>en</strong> loin<br />
de la France, sa patrie. Ce fut alors que, selon quelques uns,<br />
cette dame conçut <strong>le</strong> projet de faire de la <strong>Perse</strong> sa nouvel<strong>le</strong><br />
patrie, et, après avoir v<strong>en</strong>du ses marchandises, el<strong>le</strong> se proposa<br />
comme institutrice auprès de la cour, et selon d'autres,<br />
quelque intrigue qu'el<strong>le</strong> y noua fut <strong>le</strong> motif qui l'<strong>en</strong>gagea à<br />
rester. Mais il arrive un temps où nous ne sommes plus bons<br />
• qu'à cracher, assis au coin d'un feu, sur quelques tisons, et<br />
Mme de Lamarinière est maint<strong>en</strong>ant à cette malheureuse<br />
époque de la vie, et quoique ayant une p<strong>en</strong>sion du Roi, el<strong>le</strong><br />
n'est pas très heureuse. Cette dame avait son couvert mis à<br />
la tab<strong>le</strong> de notre ambassadeur, c'est là que nous eûmes occasion<br />
de la voir. Nous nous informâmes de sa demeure, nous<br />
allions quelques fois la visiter, el<strong>le</strong> nous recevait bi<strong>en</strong> et était<br />
très aimab<strong>le</strong>. Mme de Lamarinière avait tout à fait <strong>le</strong> costume<br />
des femmes persanes, mais l'avait point pour nous<br />
<strong>le</strong>ur rigueur, cela ne devait pas être non plus avec des coin-<br />
Ïatriotes.<br />
Dé<strong>par</strong>t d'ispahan de MM. d'Archiac et Gérard, attachés<br />
à l'ambassade, et de M. <strong>le</strong> chevalier d'Argout. - MM.<br />
d'Archiac et Gérard s'étant proposé de r<strong>en</strong>trer <strong>en</strong> France<br />
<strong>en</strong> se r<strong>en</strong>dant à Tiflis et de là <strong>en</strong> Russie où ils devai<strong>en</strong>t rester<br />
quelques jours avant de poursuivre plus loin, et cet itinéraire<br />
n'étant pas celui de M. de Sercey, <strong>le</strong> devancèr<strong>en</strong>l, dans<br />
son dé<strong>par</strong>t <strong>en</strong> <strong>par</strong>tant <strong>le</strong> 24 mai. M. d'Argout <strong>par</strong>tit aussi<br />
avec eux, devant voyager avec ces membres de l'arn-
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
bassade jusqu'à Tauris, o ils se sé<strong>par</strong>erai<strong>en</strong>t, <strong>le</strong>s uns pour<br />
al<strong>le</strong>r à Tiflis et l'autre pour se r<strong>en</strong>dre à Trébizonde <strong>par</strong><br />
Erzeroum, où il s'embarquerait pour la France. Nous montâmes<br />
tous à cheval et allâmes <strong>le</strong>s conduire jusqu'à une lieue<br />
<strong>en</strong>viron, où nous nous fîmes <strong>le</strong>s adieux.<br />
Position et description d'ispahan. - La vil<strong>le</strong> d'ispahan<br />
est au pied et <strong>le</strong> long du mont Kousopha et <strong>par</strong>ait peu large<br />
<strong>par</strong> rapport à sa longueur dans laquel<strong>le</strong> je compr<strong>en</strong>ds ses<br />
faubourgs. Vue de loin, cette malheureuse vil<strong>le</strong> pourrait être<br />
considérée comme un imm<strong>en</strong>se cimetière où sont placés <strong>en</strong><br />
grand nombre et ça et Iâ des arbres, qui de temps <strong>en</strong> temps<br />
laiss<strong>en</strong>t apercevoir <strong>en</strong>tre eux quelques tours, quelques mosquées,<br />
quelques maisons toutes <strong>en</strong> ruines. Voilà l'effet que<br />
cela nous fit lorsque nous étions <strong>en</strong>core à une lieue <strong>le</strong> jour<br />
où nous y fimes notre première <strong>en</strong>trée. C'est, je l'avoue, un<br />
contraste bi<strong>en</strong> pitoyab<strong>le</strong> de voir une vil<strong>le</strong> si grande, si spi<strong>en</strong>dideque<br />
cel<strong>le</strong>-là l'avait été jadis, presque toute <strong>en</strong>tière gisante<br />
sur la terre, et <strong>par</strong>tout sur <strong>le</strong>s ruines et près d'el<strong>le</strong>s, des<br />
arbres que la saison r<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t tout verdoyants, contraste<br />
réel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t frappant, quand surtout on n'y découvre maint<strong>en</strong>ant<br />
que quelques personnes dans son sein, dont <strong>le</strong>s habitants<br />
jadis s'é<strong>le</strong>vai<strong>en</strong>t à un nombre de douze c<strong>en</strong>t mil<strong>le</strong>.<br />
Quand on vit dans la vil<strong>le</strong> même, on n'éprouve pas de<br />
moindres s<strong>en</strong>sations à la vue de tant de désastres, à l'exception<br />
de quelques faib<strong>le</strong>s quartiers et de quelques maisons<br />
isolées conservés, ou plutôt rebâtis. Lavue, quelque loin qu'el<strong>le</strong><br />
se porte et n'importe <strong>en</strong> quel s<strong>en</strong>s, ne découvre que monceaux<br />
de terre sur monceaux de terre, et tous ces pénib<strong>le</strong>s souv<strong>en</strong>irs<br />
se rattach<strong>en</strong>t surtout aux faubourgs et tout ce qui <strong>en</strong>toure <strong>le</strong><br />
c<strong>en</strong>tré d'ispahan, Quelques mauvais bazars ont été reconstruits<br />
ou se mainti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core, ré<strong>par</strong>és sur <strong>le</strong>urs bases<br />
orgueil<strong>le</strong>uses, pour <strong>le</strong> commerce de l'extérieur et celui des<br />
habitants de la vil<strong>le</strong> même 'é<strong>le</strong>vant maint<strong>en</strong>ant un nombre<br />
de 40 à 50 mil<strong>le</strong>. Quelques bel<strong>le</strong>s mosquées <strong>par</strong>aiss<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core,
94<br />
- -<br />
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE'<br />
et souv<strong>en</strong>t restaurées et embellies form<strong>en</strong>t des monum<strong>en</strong>ts<br />
remarquab<strong>le</strong>s.<br />
Deux ponts <strong>d'une</strong> construction vieil<strong>le</strong> et magnifique se<br />
sont bi<strong>en</strong> conservés, ils sont construits <strong>en</strong> brique, un<br />
appelé pont de Chiras se trouve sur <strong>le</strong> Z<strong>en</strong>derout à la<br />
<strong>par</strong>tie occid<strong>en</strong>ta<strong>le</strong> de la vil<strong>le</strong> pour al<strong>le</strong>r à Chiras, l'autre<br />
appelé Babarout se trouve sur la même rivière, et est situé à<br />
la <strong>par</strong>tie ori<strong>en</strong>ta<strong>le</strong> de la vil<strong>le</strong>. Par celui-ci on se r<strong>en</strong>d au<br />
faubourg Julfa, peut-être <strong>le</strong> plus grand faubourg du monde,<br />
et a de longueur une lieue et demie, et de largeur une lieue.<br />
Il est occupé <strong>par</strong> <strong>le</strong>s catholiques Arméni<strong>en</strong>s et se divise <strong>en</strong><br />
vieil<strong>le</strong> et nouvel<strong>le</strong> colonie. Dans la vieil<strong>le</strong>, qui fut établie <strong>par</strong><br />
Abas <strong>le</strong> Grand, il y à plus de trois c<strong>en</strong>ts ans, il n'existe point<br />
d'arbres au milieu des rues qui, du reste, ne <strong>le</strong> permettai<strong>en</strong>t<br />
pas, à cause du peu d'interval<strong>le</strong> qui sé<strong>par</strong>ait <strong>le</strong>s deux rangées<br />
de maisons, mais aussi <strong>le</strong>s maisons étai<strong>en</strong>t mieux construites<br />
que dans la nouvel<strong>le</strong> colonie, qui fut établie <strong>par</strong> Ahas 11<br />
postérieurem<strong>en</strong>t. Dans cette dernière, <strong>le</strong>s rues sont plus<br />
larges et spacieuses, plantées d'arbres et baignées d'eau.<br />
Julfa est selon moi, plus agréab<strong>le</strong> qu'Ispahan lui-même,<br />
quoiqu'il n'y ait pourtant pas <strong>le</strong>s richesses de quelques<br />
bâtim<strong>en</strong>ts qui, <strong>par</strong> <strong>le</strong>s soins du Roi auxquels ils ap<strong>par</strong>ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />
<strong>en</strong> <strong>par</strong>tie, exist<strong>en</strong>t aujourd'hui. Qu'on n'ait pas non plus une<br />
idée trop absolue de l'agrém<strong>en</strong>t de ce faubourg catholique,<br />
dotit tout l'intérêt consiste <strong>en</strong> quelques eaux courantes et<br />
quelques arbres, comme je J'ai déjà dit, plantés dans <strong>le</strong>s rues,<br />
et dans <strong>le</strong>s malheureuses ruines que Ion voit aux portes dé ce<br />
faubourg, isolées au milieu de champs cu]tivés. C'est aussi<br />
dans ce faubotirg que sont logés tous <strong>le</strong>s étrangers, aussi y<br />
fûmes-nous relégués avec notre ambassade française; nous y<br />
remarquâmes plusieurs soeurs de charité vêtues toutes de<br />
noir. Le monastère des moines qui s'y installèr<strong>en</strong>t jadis<br />
n'existe plus et <strong>le</strong>s moines eux-mêmes se dissipèr<strong>en</strong>t peu à<br />
peu, mais s'élève toujours haute et bel<strong>le</strong>, surmontée <strong>d'une</strong><br />
croix, l'église catholique qui fut bâtie sous Ahas <strong>le</strong> Grand,
JOIJRNAF D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
Sauf donc quelques intérêts qui se rattach<strong>en</strong>t aux choses<br />
antiques existant <strong>en</strong>core dans Ispahan et JÙlfa, cette vil<strong>le</strong><br />
n'offre plus qu'un déplorab<strong>le</strong> coup d'oeil qui bi<strong>en</strong>tôt, est<br />
remplacé <strong>par</strong> l'<strong>en</strong>nui d'être abandonné, isolé, et constam-m<strong>en</strong>t<br />
au milieu de tantdechoses du néant; et lorsque quelque<br />
bruit vous dérange vos p<strong>en</strong>sées, vous cherchez et vous voyez<br />
quelques hommes, vos <strong>en</strong>nemis; et indistinctem<strong>en</strong>t catholiques<br />
et musulmans vous dépouil<strong>le</strong>rai<strong>en</strong>t de tout ce que<br />
vous avez pour un malheureux sou. Voilà ce qui toujours<br />
vous distrait de tant de motifs tristes, c'est <strong>en</strong> un mot un<br />
peup<strong>le</strong> sauvage- -<br />
Les Loutis e comme je l'ai dit plus haut, se rejetèr<strong>en</strong>t<br />
<strong>en</strong>core à Ispahan pour y faire des prosélytes et marcher<br />
contre <strong>le</strong> Chah dans l'int<strong>en</strong>tion de placer sur <strong>le</strong> trône un de<br />
ses frères, mais si j'admets ce motif qui <strong>le</strong>s fit <strong>en</strong> nombre<br />
s'amasser à Ispahan, je crois aussi plus probab<strong>le</strong> <strong>le</strong>s motifs<br />
de vols, de viols, d'assassinats, etc., etc.. dont ils se r<strong>en</strong>dir<strong>en</strong>t<br />
coupab<strong>le</strong>s; eues quelques habitants de la vieil<strong>le</strong> cité loin de<br />
<strong>le</strong>ur opposer quelques résistances, <strong>le</strong>sabre au poing, fuyai<strong>en</strong>t;<br />
et ces avares et ces cupides laissai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre <strong>le</strong>urs mains <strong>le</strong>urs<br />
femmes et <strong>le</strong>ur arg<strong>en</strong>t. Comme on <strong>le</strong> sait, ils n'y séjournèr<strong>en</strong>t<br />
pas longtemps et cessèr<strong>en</strong>t tant d'infamies, lorsque <strong>le</strong> Roi<br />
instruit s'y r<strong>en</strong>dit avec ses troupes.<br />
Mais avant son arrivée, ces mêmes Loutis tir<strong>en</strong>t quelques<br />
excursions à Julfa pour y agir de même qu'à Ispahan ; mais<br />
<strong>le</strong>s Arméni<strong>en</strong>s, poltrons de<strong>le</strong>ur naturel, opposèr<strong>en</strong>t pourtant<br />
• cette fois de viol<strong>en</strong>tes résistances, et fortem<strong>en</strong>t barricadés,<br />
<strong>le</strong>s assiégeants et <strong>le</strong>s assiégés se faisai<strong>en</strong>t la guerre et ceux-ci<br />
<strong>par</strong>v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t ainsi à <strong>le</strong>s chasser. Aussi y remarque-t-ou<br />
quelques fois <strong>le</strong>s rues coupées perp<strong>en</strong>diculairem<strong>en</strong>t <strong>par</strong> un<br />
mur crénelé, et ayant au besôin passage <strong>par</strong> une lourde<br />
porte. Ces déf<strong>en</strong>ses, sans beaucoup d'art, mais qu'un instinct<br />
naturel <strong>le</strong>ur inspira, fur<strong>en</strong>t construites pour <strong>le</strong>s di Iîér<strong>en</strong>tes<br />
attaques qu'ils eur<strong>en</strong>t à supporter antérieurem<strong>en</strong>t contre des<br />
malfaiteurs <strong>en</strong>vieux des sous qui peuv<strong>en</strong>t à peine cacher <strong>le</strong>ur<br />
95
JOURNAL D'UNE MISSTON MILITAIRE EN PERSE<br />
misère, ou bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>core portés contre eux à. cause des<br />
différ<strong>en</strong>tes religions. Ce fut donc dans ces espèces de<br />
retranchem<strong>en</strong>ts que se portèr<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s plus hardis des Arméni<strong>en</strong>s,<br />
dernièrem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core se déf<strong>en</strong>dant contre <strong>le</strong>s Loutis.<br />
Au tiers de la montagne de Kousopha, qui se trouve la<br />
plus près de Julfa, on doit y remarquer un petit ermitage<br />
où conduis<strong>en</strong>t des s<strong>en</strong>tiers accessib<strong>le</strong>s même aux chevaux.<br />
Gel ermitage quoique bâti sous Ahas <strong>le</strong> Grand était au<strong>par</strong>avant<br />
un lieu de délice à cause de la fraîche eau qui <strong>en</strong> sortait<br />
et de l'ombre que donnai<strong>en</strong>t quelques arbres. On l'appelait<br />
Trône de Salomon <strong>par</strong>ce qu'il aimait souv<strong>en</strong>t à y al<strong>le</strong>r; ce fut<br />
seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t Abas <strong>le</strong> Grand qui y rît bâtir une petite maison de<br />
plaisance qui comme toutes <strong>le</strong>s choses du pays tombe aussi<br />
<strong>en</strong> ruine. Tous <strong>le</strong>s <strong>en</strong>virons d'ispahan, excepté la plaine que<br />
l'on trouve <strong>en</strong> sortant de . la vil<strong>le</strong> pour al<strong>le</strong>r à Chiras, sont<br />
bi<strong>en</strong> ferti<strong>le</strong>s et assez bi<strong>en</strong> cultivés, niais <strong>par</strong>ticulièrem<strong>en</strong>t<br />
<strong>le</strong>s terres qui <strong>en</strong>vironn<strong>en</strong>t Julfa. On y remarque aussi<br />
d'imm<strong>en</strong>ses cimetières qui sont autour de la vil<strong>le</strong>.<br />
Julfa, comme on <strong>le</strong> p<strong>en</strong>se b<strong>le</strong>u, tout comme <strong>le</strong>s autres<br />
<strong>en</strong>droits a beaucoup d'inconvéni<strong>en</strong>ts, mais un plus notab<strong>le</strong> et<br />
remarquab<strong>le</strong> que tous <strong>le</strong>s antres c'est <strong>le</strong> bruit continuel des<br />
chacals p<strong>en</strong>dant la nuit. Ces cris font de la peine à <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre,<br />
ils ressembl<strong>en</strong>t beaucoup aux cris des <strong>en</strong>fants, des femmes,<br />
des hommes, â celui de quelque personne qu'on assassine, et<br />
tons réunis form<strong>en</strong>t un composé desons étourdissants ne vous<br />
laissant pas dormir, et vous inspirant <strong>par</strong> mom<strong>en</strong>t de la<br />
tristesse, de la peine et de l'effroi. Ces bêtes ne manqu<strong>en</strong>tpas<br />
de faire <strong>le</strong>ur sortie dans <strong>le</strong> faubourg d'abord et d'al<strong>le</strong>r à la<br />
nuit avancée dans <strong>le</strong>s bazars y pr<strong>en</strong>dre tout ce qu'ils peuv<strong>en</strong>t<br />
trouver, et cela chaque soir; nous <strong>le</strong>s avions surnommés <strong>le</strong>s<br />
angés de ,TuTfa.<br />
Visite à l'ambassade Russe, et puis au général &mino.-<br />
M. Duhamel, ambassadeur Russe, et toute sa suite qui avai<strong>en</strong>t<br />
suivi Te Chah se trouvai<strong>en</strong>t alors logés comme nous au<br />
faubourg Julfa. M. Duhamel, invité <strong>le</strong> <strong>le</strong>r hiai <strong>1840</strong> à la fête de
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 97<br />
notre Roi et à laquel<strong>le</strong> M. de Sercey donna toute la grandeur<br />
possib<strong>le</strong>, s'était montré assez aimab<strong>le</strong> â l'égard de nos camarades,<br />
arrivés à Ispahan, comme je l'ai dit, quelques jours<br />
avant nous. Nous crûmes devoir une visite toute de politesse,<br />
à cet ambassadeur étranger. Il se prés<strong>en</strong>ta seul au salon où<br />
nous fûmes conduits et, quoique poli, nous reçut avec<br />
beaucoup de froideur. Après quelques <strong>par</strong>o<strong>le</strong>s échangées et<br />
assez insignifiantes, nousnous ret.irâmes,nous promettanthi<strong>en</strong><br />
la majeure <strong>par</strong>tie d'<strong>en</strong>tre nous de ne plus y retourner. Nous<br />
nous att<strong>en</strong>dions chaque jour à ce qu'on r<strong>en</strong>dit cette visite.<br />
Mais cette politesse, si ordinaire chez <strong>le</strong>s Français,, n'<strong>en</strong>tra<br />
sans doute pas dans la tâte de M. Duhamel ni de sa suite<br />
Aucun de ces Messieurs ne vinr<strong>en</strong>t nous voir, et cette haine<br />
de la <strong>par</strong>t des Russes qui ont la haute main dans <strong>le</strong> pays, et de<br />
laquel<strong>le</strong> on nous assurait tant, quand nous ne voulions même<br />
pas <strong>le</strong> croire, fut <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t â jour dès ce mom<strong>en</strong>t. Ce qu'on<br />
nous avait dit était donc vrai: notre arrivée <strong>en</strong> <strong>Perse</strong> comme<br />
officiers instructeurs des troupes Persanes <strong>le</strong>ur avait sans<br />
doute donné quelques craintes. M. Duhamel dut nous laisser<br />
voir impolim<strong>en</strong>t toute sa politique relative au but que nous<br />
nous proposions. Désespérés de ne pouvoir <strong>en</strong>trer dans ses<br />
opinions, nousrestâmes chacun chez nous. Que survi<strong>en</strong>dra-t-il<br />
plus tard ? Que devi<strong>en</strong>dront plus tard aussi quelques-uns<br />
d'<strong>en</strong>tre nous? C'est ce que nous verrons.<br />
On nous avait <strong>en</strong>gagés à faire une visite â M. Sémino<br />
<strong>par</strong>lant très bi<strong>en</strong> français. Ce Monsieur pouvait nous être<br />
dans <strong>le</strong> pays, â cause de la connaissance qu'il <strong>en</strong> avait, <strong>d'une</strong><br />
très grande utilité. Arrivé dans <strong>le</strong> pays, il y a <strong>en</strong>viron<br />
15 ou 20 ans, dans l'int<strong>en</strong>tion de ramasser fortune, il était<br />
<strong>par</strong>v<strong>en</strong>u au grade de général, il se montra un peu plus<br />
affab<strong>le</strong> et aimab<strong>le</strong> que l'ambassadeur Russe; nous <strong>en</strong> fûmes<br />
<strong>en</strong>chantés.<br />
Dé<strong>par</strong>t de quelques Messieurs de l'ambassade française.<br />
- Le 1- juin, MM. F]andin, peintre, et Coste, architecte,<br />
<strong>par</strong>tir<strong>en</strong>t, non point pour se r<strong>en</strong>dre <strong>en</strong> France, ils avai<strong>en</strong>t
JOURNAL D'UNE 1111SS]QN MILITAIRE EN PERSE<br />
une plus longue <strong>mission</strong> que.cel<strong>le</strong>-là, et devait-el<strong>le</strong> <strong>en</strong>core<br />
durer plus <strong>d'une</strong> année. Ces. Messieurs <strong>par</strong>tir<strong>en</strong>t donc<br />
pour se r<strong>en</strong>dre à Chiras, et (<strong>le</strong> là, al<strong>le</strong>r visiter et pr<strong>en</strong>dre<br />
quelques runes de la fameuse <strong>Perse</strong>polis. Nous <strong>le</strong>s accompagnâmes<br />
seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t jusqu'à la porte du faubourg, à cause de<br />
la nuit trop avancée, et nous nous donnâmes la poignée de<br />
main de rigueur, espérant nous revoir sous peu â Téhéran,<br />
où, nous disai<strong>en</strong>t-ils, ils devai<strong>en</strong>t se r<strong>en</strong>dre après cette<br />
première excursion, pour <strong>en</strong> poursuivre <strong>en</strong>suite de. nouvel<strong>le</strong>s.<br />
Entrevue relative d notre position <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>, avec M. de<br />
Sercey, ambassadeur, et son dé<strong>par</strong>t. - La veil<strong>le</strong> de 5011<br />
dé<strong>par</strong>t, M. de Sercey voulut s'<strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ir avec nous, relativem<strong>en</strong>t<br />
à toute la malheureuse position de la <strong>Perse</strong>, que nous<br />
connaissions bi<strong>en</strong>, sur notre position future qu'il appréh<strong>en</strong>dait,<br />
d'après ce qu'il avait été à même de juger dans ses relations<br />
avec <strong>le</strong>s g<strong>en</strong>s du pays. «Pourtant, Messieurs, nous disait-il,je<br />
ne veux pas donner aucun conseil, ca r si la fortune secondait<br />
ceux d'<strong>en</strong>tre vous qui pourrai<strong>en</strong>t rester, vous pourriez plus<br />
tard m'<strong>en</strong> faire un reproche, vous <strong>en</strong>gageant à r<strong>en</strong>trer avec<br />
moi dans votre patrie. Si dans <strong>le</strong> cas contraire,je me refusais,<br />
selon votre volonté, â vous ram<strong>en</strong>er, et qu'uné condition au<br />
dessous . de l'ordinaire vint aussi à être votre <strong>par</strong>tage,<br />
je m'exposerais <strong>en</strong>core à des reproches. Ainsi donc vous<br />
connaissez tous <strong>le</strong> pays, tout aussi bi<strong>en</strong> que moi ; ma<br />
conviction est que vous ne serez pas payés. Vous avez p<strong>en</strong>sé<br />
et jugé ; vouiez-vous rester, vou<strong>le</strong>z-vous <strong>par</strong>tir? D'un autre<br />
côté, <strong>par</strong>tir maint<strong>en</strong>ant, <strong>le</strong>s Persans n'ont pas <strong>en</strong>core manqué<br />
à <strong>le</strong>ur <strong>par</strong>o<strong>le</strong>, votre conduite ne seraitpas fondée; puis <strong>en</strong>suite<br />
Messieurs, - l'honneur de la nation Française <strong>en</strong>tre un<br />
peu dans votre <strong>mission</strong>. Il faut montrer aux puissances qui<br />
domin<strong>en</strong>t ce pays une plus grande persévérance que cel<strong>le</strong><br />
que vous montreriez <strong>par</strong> ce dé<strong>par</strong>t, alors surtout que vous<br />
n'avez point <strong>en</strong>core mis la main à l'oeuvre ; mais <strong>le</strong> <strong>le</strong> répète,<br />
si, appréh<strong>en</strong>dant' justem<strong>en</strong>t un malheureux av<strong>en</strong>ir dans
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 99<br />
ce pays, vous vou<strong>le</strong>z r<strong>en</strong>trer, je vais demain chez <strong>le</strong> Roi, et<br />
devant lui,je passe <strong>en</strong> votre nom vos contrats. »<br />
Nous remerçiâmes M. de Sercey de cette nouvel<strong>le</strong> marque<br />
de sa bi<strong>en</strong>veillance, et après nous être <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>us grandem<strong>en</strong>t<br />
de ce pays, nous cons<strong>en</strong>tîmes à rester, <strong>le</strong> priant<br />
toutefois de dire au Roi et au premier Ministre que nous<br />
serions fidè<strong>le</strong>s â servir la <strong>Perse</strong>, et que <strong>le</strong>s autres conditions<br />
du contrat, nous <strong>le</strong>s observerions rigoureusem<strong>en</strong>t tant qu'ils<br />
nous paierai<strong>en</strong>t; mais que dès l'instant que nous aurions à<br />
nous plaindre d'eux, il nous autoriserait à r<strong>en</strong>trer au nom de<br />
la France qu'il remplaçait. M. deSercey fit <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain cette<br />
demande et on y adhéra. Ce fut là que M. de Sercey nous <strong>en</strong>gagea<br />
tous <strong>en</strong> corps à dîner avec lui et toute l'ambassade,<br />
jusque-là <strong>le</strong>s invitations avai<strong>en</strong>t été <strong>par</strong>tiel<strong>le</strong>s et â. tour de rô<strong>le</strong>.<br />
Nous profitâmes de cet instant, tous réunis au fond du jardin<br />
avec M. <strong>le</strong>comte, pour l'assurer de tous nos souv<strong>en</strong>irs éternels<br />
pour tous <strong>le</strong>s divers traitem<strong>en</strong>ts qu'il avait eu pour nous. Ce<br />
fut alors qu'il nous fit ses offres de service <strong>en</strong> tout temps et<br />
<strong>en</strong> toutlieu. Cette confér<strong>en</strong>ce assez longue et toute cordia<strong>le</strong><br />
ayant ététerminée, nous nous dirigeâmes au salon, où<br />
se trouvai<strong>en</strong>t tous <strong>le</strong>s autres membres de l'ambassade Française.<br />
Le l<strong>en</strong>demain, â 4 heures du soir, on se mit à tab<strong>le</strong>. La<br />
plus grande gaité fsida chez tous <strong>le</strong>s convives; on prit un<br />
grand plaisii- à savourer <strong>le</strong>s différ<strong>en</strong>ts vins que ces Messieurs<br />
fir<strong>en</strong>t servir et qui v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t de France, car -<strong>le</strong> pays n'eû<br />
âbônde pas; <strong>en</strong>core à l'excetion de ceux de Chiras, sont-ils<br />
mauvais et très capiteux. M. de Sercey porta un toast sur <strong>le</strong>s<br />
voeux qu'il faisait pour la réussite des Français <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>,<br />
M. Flandin se <strong>le</strong>va, un instant après, <strong>en</strong> porta un autre pour<br />
tout <strong>le</strong> bonheur qu'il nous souhaitait. Nous <strong>le</strong>ur répondîmes<br />
que nous ne faisions point de voeux pour <strong>le</strong>ur bonheur, car<br />
ils l'étai<strong>en</strong>t assez de revoir sous peu la France, mais que nous<br />
<strong>en</strong> faisions de bi<strong>en</strong> sincères pour <strong>le</strong>ur voyage. La soirée fut<br />
très agréab<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t prolongée, et l'heure du dé<strong>par</strong>t de ces
100 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
Messieurs ayant été fixée pour <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain, nous nous retirâmes.<br />
Nous accompagnâmes ces Messieurs sur la route de<br />
Bagdad <strong>le</strong> 2 juin, et <strong>le</strong>s quittâmes bi<strong>en</strong> loin d'Ispahan, avec<br />
beaucoup de peine. Cette fois nous r<strong>en</strong>trâmes â la vil<strong>le</strong>, seuls<br />
accompagnés de M. Boré, qui s'était installé à Julfa pour<br />
l'agrandissem<strong>en</strong>t de son éco<strong>le</strong>.<br />
Dé<strong>par</strong>t du Chah et de son camp. - Nos appointem<strong>en</strong>ts<br />
nous fur<strong>en</strong>t payés avant. Un mot sur Polino, <strong>en</strong>fin notre<br />
dé<strong>par</strong>t.<br />
Le 4juin, on nous annonça <strong>le</strong> dé<strong>par</strong>t du Chah et de toute sa<br />
suite,et ne pouvant â ce sujet traiter<strong>le</strong> soir même,nous nous<br />
r<strong>en</strong>dîmes au camp<strong>le</strong>5 au matin. Lamajeure <strong>par</strong>tie du camp était<br />
<strong>le</strong>vée, <strong>le</strong> dé<strong>par</strong>t detoute la suite qui avait accompagné <strong>le</strong> Chah<br />
devant définitivem<strong>en</strong>t s'effectuer <strong>le</strong> C. Nous n'avions aucun<br />
ordre pour <strong>par</strong>tir, que devions-nous p<strong>en</strong>ser des autorités de<br />
ce pays qui nous laissai<strong>en</strong>t à Julfa, sans nos appointem<strong>en</strong>ts,<br />
sans garanties et sans savoir quand nous devions <strong>par</strong>tir? Nous<br />
fûmes immédiatem<strong>en</strong>t trouver Mirza Ah, ministre des affaires<br />
étrangères, et <strong>le</strong> prier d'adresser de notre <strong>par</strong>t à Hadji Mirza<br />
Agassi, grand vizir, <strong>le</strong>s questions suivantes, devant <strong>en</strong> avoir<br />
une prompte réponse, car nous étions disposés â rester chez<br />
lui jusqu'à ce que nous ayions <strong>en</strong>tière solution.<br />
1° D'abord, devons-nous <strong>par</strong>tir avec vous ou rester; que<br />
faire dans l'un et l'autre cas; quel<strong>le</strong> est notre marche à<br />
suivre?<br />
2° Devant voyager nous exigeons notre t<strong>en</strong>te de colonel<br />
comme <strong>le</strong> porte <strong>le</strong> contrat.<br />
3° Si nous restons, pour <strong>par</strong>tir dans quelquesjours, que chacun<br />
de nous ait trois mu<strong>le</strong>ts de transport, et cela pour <strong>le</strong> jour<br />
ordonné <strong>par</strong> <strong>le</strong> vizir.<br />
40 Nous exigeons aussi que <strong>le</strong>s appointem<strong>en</strong>ts après <strong>le</strong>squels<br />
nous courrons depuis plusieurs jours et qu'on nous promet<br />
toujours pour <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain, nous soi<strong>en</strong>t payés aujourd'hui<br />
même.
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE TOI<br />
S'il est un seul point de ces demandes sur <strong>le</strong>quel nous ne<br />
soylons pas satisfaits, nous rompons notre contrat, et r<strong>en</strong>trons<br />
<strong>en</strong> France. -<br />
Cette juste exaspération de chacun de nous, peu timide<br />
devant <strong>le</strong> ministre, lui fit p<strong>en</strong>ser justem<strong>en</strong>t que nous ferions<br />
exactem<strong>en</strong>t ce que nous disions. 11 se r<strong>en</strong>dit chez <strong>le</strong> grand<br />
vizir, qui nous satisfit sur tous <strong>le</strong>s points et nous donna<br />
l'ordre de <strong>par</strong>tir non pour Amadan (Echathane anci<strong>en</strong>ne)<br />
où tout <strong>le</strong> camp se r<strong>en</strong>dait, mais bi<strong>en</strong> pour Téhéran, <strong>le</strong> 10<br />
juin.<br />
Le Chah <strong>par</strong>tit dispahan à 3 heures du soir, sa suite qui se<br />
composait de tout <strong>le</strong> camp était considérab<strong>le</strong>, je dépeindrai<br />
plus tard un tel dé<strong>par</strong>t qui n'est pas sans curiosité. MM. de<br />
Breuilly et Delord, que <strong>le</strong> paiem<strong>en</strong>t d'un emprunt de<br />
150.000 fr. fait <strong>par</strong> Hussein Khan <strong>en</strong> France avait attirés près<br />
du Chah,<strong>par</strong>tir<strong>en</strong>t <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain, pour terminer définitivem<strong>en</strong>t<br />
cette affaire à Amadan. Tout <strong>le</strong> monde <strong>par</strong>tit, ces derniers<br />
emportant nos adieux, et nous restâmes avec M. Boré,<br />
seuls sur tant de Français qu'il y avait peu au<strong>par</strong>avant.<br />
Avant de <strong>par</strong>tir d'Ispahan je. dois pour la suite de mes<br />
petites relations de voyage faire connaître M. Polino<br />
qui n'était point compris sur la liste des dix <strong>par</strong>tants â<br />
Paris, et qui, û Ispahan, fut é<strong>le</strong>vé à notre rang de grade.<br />
On ne sait peut-être pas toutes <strong>le</strong>s intrigues qui eur<strong>en</strong>t<br />
lieu lors de notre promotion et prochain dé<strong>par</strong>t pour la<br />
<strong>Perse</strong>? El<strong>le</strong>s fur<strong>en</strong>t nombreuses, car chacun voulait faire <strong>par</strong>tie<br />
de notre expédition. Nous vîmes un jeune homme de 4 pieds<br />
11 pouces, ayant une capote de chasseur et un képi rouge<br />
s'approcher de nous <strong>le</strong> jour de notre arrivée à Marseil<strong>le</strong>, et<br />
questionnant <strong>d'une</strong> voix de v<strong>en</strong>triloque chacun de nous qu'il<br />
r<strong>en</strong>contrait. Nous n'y fimes pas beaucoup de cas, mais quel<br />
fut notre étonnem<strong>en</strong>t quand nous l'aperçûmes <strong>le</strong> même jour<br />
à bord da M<strong>en</strong>tor, et affectant la familiarité avec nous.J)'abord<br />
nous <strong>le</strong> retmes très froidem<strong>en</strong>t, mais quand nous apprîmes<br />
toutes ses infortunes passées et cel<strong>le</strong>s qui l'accablai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core,<br />
7
loQ LOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
chacun alla â son secours, il était des nôtres puisqu'il voulait<br />
t<strong>en</strong>ter d'avoir <strong>en</strong> <strong>Perse</strong> une place comme la nôtre; il avait du<br />
reste une promesse de Gabriel,qui, disait-il, s'emploierait pour<br />
lui. Arrivé â Constantinop<strong>le</strong> il apprit que Gabriel r<strong>en</strong>iait ce<br />
qu'il lui avait promis, et il dut rester sur <strong>le</strong> bateau à vapeur<br />
tandis que nous nous r<strong>en</strong>dions à Arc-Serail. A peine installés,<br />
nous nous informâmes de son abs<strong>en</strong>ce, et appr<strong>en</strong>ant tout ce<br />
que je vi<strong>en</strong>s de dire, nous l'<strong>en</strong>voyâmes chercher pour <strong>par</strong>tir;<br />
et notre chambre et nos vivres il accepta et flous remercia.<br />
HusseinKhan était peu porté pour lui, mais <strong>par</strong> rapport â<br />
nous, il lui paya son passage sur la mer Noire. Apeine arrivé<br />
- <strong>en</strong> Asie (à Trébizonde) il dit <strong>en</strong> plusieurs occasions que ce<br />
jeune homme ne serait pas placé <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>. qu'il avait tort de<br />
v<strong>en</strong>ir. Mais Hussein Khan <strong>par</strong>lait trop tard, il était Français -<br />
nous nous devions à un compatriote, aussi nous chargeâmesnous<br />
de lui jusquàTauris. Là,p<strong>en</strong>dant trois mois,il était notre<br />
frère, nous <strong>par</strong>tîmes<strong>en</strong>core de cette vil<strong>le</strong> pour nous r<strong>en</strong>dre â.<br />
Ispahan, ayant pour lui tous <strong>le</strong>s soins qu'on doit à un malheureux,<br />
et allant contre la <strong>par</strong>o<strong>le</strong> de Hussein Khan, nous<br />
promîmes de lui faire avoir notre grade et cela <strong>par</strong> la<br />
demande que nous <strong>en</strong> ferions à notre ambassadeur, qui, âune<br />
seu<strong>le</strong> plainte contre lui, et même à notre désir de ne pas avoir<br />
dans nos rangs un inconnu, ne l'aurait certes pas accepté.<br />
Mais nous priâmes M. de Sorcey de <strong>le</strong> faire compr<strong>en</strong>dre<br />
sur la liste et à notre arrivée à Ispahan son contrat lui fut<br />
remis. Eh! bi<strong>en</strong>, cet homme qui nous devait tout se rangea<br />
plus tard d'un <strong>par</strong>ti contraire au nôtre, qui était celui que tout<br />
homme d'honneur devait suivre nous <strong>en</strong> ferons juges nos<br />
<strong>le</strong>cteurs eux-mêmes-<br />
Notre dé<strong>par</strong>t d'ispahan pour Téhéran et notre séjour<br />
dans cette vil<strong>le</strong>. - A cause des grandes cha<strong>le</strong>urs qu'il faisait<br />
dans <strong>le</strong> pays, il fut arrêté que nous camperions à chaque gîte<br />
et pour que notre petit détachem<strong>en</strong>t puisse se reposer, et se<br />
mettre à l'ombre immédiatem<strong>en</strong>t après son arrivée, on décida<br />
que <strong>le</strong> marcherais avec l'avant-garde et nos bagages pour
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE ioS<br />
faire mettre tout<strong>en</strong>ordreetétablir <strong>le</strong>camp. En conséqu<strong>en</strong>ce vu<br />
la petite journée (<strong>le</strong> marche que nous avions â faire <strong>le</strong> premier<br />
jour, je <strong>par</strong>tis vers <strong>le</strong>s 3heures de l'après-midi du 10 juin; <strong>le</strong><br />
détachem<strong>en</strong>t davait <strong>par</strong>tir deux heures après moi. Après plusieurs<br />
détours dans <strong>le</strong>s faubourgs d'ispahan nous gagnâmes<br />
la plaine, et arrivâmes vers <strong>le</strong>s 9 heures près d'un caravansérail<br />
bâti <strong>en</strong> face d'un village dont on n'apercevait plus que<br />
des ruines et (<strong>le</strong>s décombres. Ce fut là que j'établis mon camp,<br />
ou du moins que je l'aurais établi selon <strong>le</strong> plan dont nous<br />
étions conv<strong>en</strong>u, lorsqu'une demi-heure après mon arrivée se<br />
prés<strong>en</strong>ta un de nos camarades qui depuis notre dé<strong>par</strong>t de<br />
France avait cherché <strong>en</strong> mil<strong>le</strong> circonstances à semer <strong>par</strong>mi<br />
nous la discorde. Il voulut <strong>en</strong>core la semer de nouveau : il y<br />
réussit, et dès ce jour il y eut une sé<strong>par</strong>ation <strong>en</strong>tre nous.<br />
M. Ferrier ne voulut sans doute pas que je fisse dresser<br />
sa t<strong>en</strong>te, car il la prit et fut ]adresser à côté de cel<strong>le</strong>s de<br />
mes camarades: el<strong>le</strong> lui ap<strong>par</strong>t<strong>en</strong>ait, je n'avais point <strong>le</strong> droit<br />
de m'y opposer. J'<strong>en</strong> r<strong>en</strong>dis compte à mes amis (lui m'<strong>en</strong>gagèr<strong>en</strong>t<br />
à donner ma dé<strong>mission</strong> pour ne plus avoir aucun<br />
rapport avec lui. Deux <strong>par</strong>tis opposés <strong>par</strong> la conduite que<br />
chacun s'était tracée, et qui existai<strong>en</strong>t depuis longtemps<br />
quoique l'on fit tout son possib<strong>le</strong> pour <strong>le</strong> cacher aux yeux des<br />
Persans, <strong>par</strong>ur<strong>en</strong>t, et tels bi<strong>en</strong>tôt ils fur<strong>en</strong>tconnus. De Vergne,<br />
de Lamar.re, ljoucherat, Chauvet, Cary et moi, voulions<br />
suivre sans cesse <strong>le</strong>s devoirs du vrai <strong>militaire</strong>. MM. Boissier,<br />
commandant, Ferrier, Bussière et ce Polino, dont j'ai <strong>par</strong>lé<br />
ci-contre, formèr<strong>en</strong>t la deuxième <strong>par</strong>tie. Ces Messieurs,<br />
<strong>par</strong>ticulièrem<strong>en</strong>t Ferrier, homme perdit de réputation et de<br />
dettes, sejetèreut dans ]e <strong>par</strong>ti des Russes qui domin<strong>en</strong>t sur<br />
la <strong>Perse</strong>. Nous voyant de plus attachés à l'honneur <strong>d'une</strong><br />
manière irrévocab<strong>le</strong>, sourdem<strong>en</strong>t ils essayèr<strong>en</strong>t de nous faire<br />
tort et de nous porter tout <strong>le</strong> préjudice possib<strong>le</strong>; nous y<br />
mîmes boit comme on <strong>le</strong> verra plus lard. Dès <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain<br />
ils <strong>par</strong>tir<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s premiers et accélérèr<strong>en</strong>t tel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t <strong>le</strong><br />
pas de <strong>le</strong>urs chevaux que nous <strong>le</strong>s perdîmes, ils doublai<strong>en</strong>t
1 o4 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
<strong>le</strong>s gîtes; comme ri<strong>en</strong> ne pressait, nous allions â petites journées<br />
et même nous arrêtâmes-nous 24 heures â Koum, vil<strong>le</strong><br />
dont j'ai déjà <strong>par</strong>lé à mon voyage de Tauris â Ispahan. La<br />
rivière y était presque desséchée <strong>par</strong> <strong>le</strong>s grandes cha<strong>le</strong>urs,<br />
et ce fut dans son lit, tout auprès du pont, que nous fûmes<br />
camper.<br />
Unprince Indi<strong>en</strong>, que nous avions eu. l'occasion de connaître<br />
à Trébizonde, ne manqua pas de v<strong>en</strong>ir nous voir <strong>le</strong> soir,<br />
sous la t<strong>en</strong>te; nous conversâmes p<strong>en</strong>dant une heure <strong>en</strong>viron<br />
et il nous exprima tout <strong>le</strong> plaisir qu'il avait de nous revoir,<br />
nous invita pour <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain à un repas servi selon <strong>le</strong> g<strong>en</strong>re<br />
ori<strong>en</strong>tal. Ri<strong>en</strong> n'y manquait, c'était <strong>le</strong> mieux assorti que nous<br />
avions fait depuis que nous étions <strong>en</strong> Ori<strong>en</strong>t. Devant <strong>par</strong>tir <strong>le</strong><br />
soir même, nous <strong>le</strong> quittâmes à une heure de l'après-midi<br />
après nous être promis de nous revoir â Téhéran où il se r<strong>en</strong>dait.<br />
Un accid<strong>en</strong>t qui coûta la vie â un de mes hommes vint<br />
nous accab<strong>le</strong>r à l'instant où on chargeait nos mu<strong>le</strong>ts- On doit<br />
se rappe<strong>le</strong>r qu'un poste de soldats nous fut confié pour notre<br />
garde et pour <strong>le</strong> respect qui nous était dû chez un peup<strong>le</strong><br />
<strong>en</strong>nemij uré deschréti<strong>en</strong>s. Ces hommes aidai<strong>en</strong>t à charger nos<br />
mu<strong>le</strong>ts et l'un d'eux, furtivem<strong>en</strong>t, fut pr<strong>en</strong>dre pour sa route<br />
celui plus vigoureux qu'il avait lorgné au<strong>par</strong>avant; celui â<br />
qui il ap<strong>par</strong>t<strong>en</strong>ait ne voulut pas <strong>le</strong> laisser pr<strong>en</strong>dre, ils se<br />
battai<strong>en</strong>t lorsqu'un de nous qui avait ses pisto<strong>le</strong>ts à sa ceinture,<br />
pour qu'on ne <strong>le</strong>s lui volât pas dans <strong>le</strong> déménagem<strong>en</strong>t,<br />
arriva et <strong>le</strong>s sé<strong>par</strong>a à coup de fouet:. Dans la débâc<strong>le</strong> un<br />
pisto<strong>le</strong>t tomba et la malheureuse bal<strong>le</strong> fut atteindre à côté du<br />
cerc<strong>le</strong> oi nous étions tous, mon soldat <strong>le</strong> pauvre Makchasdé;<br />
el<strong>le</strong> porta à la cuisse, il chancela et tomba. Désespérés que<br />
nous étions, on demande tous <strong>le</strong> médecin, un plus capab<strong>le</strong>;<br />
nous lui faisons un brancard, on lui donne de l'arg<strong>en</strong>t, ainsi<br />
qu'au médecin, et pour ses soins nous lui donnons un domesque;<br />
mais <strong>le</strong>s médecins ne connaiss<strong>en</strong>t ri<strong>en</strong> <strong>en</strong> ces sortes de<br />
choses, personne ne put <strong>le</strong> guérir, il mourut huit jours après.<br />
Nous re<strong>par</strong>tîmes <strong>le</strong> même soir laissant à gauche la route de
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
Tauris, et après une route bi<strong>en</strong> pénib<strong>le</strong> bous arrivâmes à<br />
Téhéran <strong>le</strong> 25. Nous y trouvâmes nos Messieurs ii stallés dans<br />
des ap<strong>par</strong>tem<strong>en</strong>ts â <strong>le</strong>ur choix dans <strong>le</strong> palais que <strong>le</strong> gouverneur<br />
nous avait donné. Ce palais qui ap<strong>par</strong>t<strong>en</strong>ait â Fatey Ail<br />
Chah était une grande maison démantelée. Nous dûmes ne<br />
ri<strong>en</strong> dire <strong>en</strong>core pour cette marque de supériorité qu'ils voulur<strong>en</strong>t<br />
pr<strong>en</strong>dre aux yeux d'un peup<strong>le</strong> sauvage auquel on ne<br />
frappe et on ne <strong>par</strong><strong>le</strong> que <strong>par</strong> <strong>le</strong> clinquant, <strong>le</strong> charlatanisme;<br />
nous pati<strong>en</strong>tâmes donc, devant incessamm<strong>en</strong>t, dans une<br />
même maison, trouver quelque occasion de <strong>le</strong>ur faire <strong>en</strong>fin<br />
connaître tout ce qu'ils étai<strong>en</strong>t. Nous nous souv<strong>en</strong>ions, dans<br />
<strong>le</strong> temps de notre feinte amitié, d'avoir appris, de la bouche<br />
même de Ferrier, que pour de l'arg<strong>en</strong>t, il laissait là l'honneur<br />
et qu'il <strong>en</strong> aurait à quelque prix que ce fut; il avait <strong>en</strong>suite<br />
agi de mauvaise foi dans nos relations avec M. de<br />
<strong>le</strong>tte et Hussein Khan. il laissa même p<strong>en</strong>ser à un qu'il croyait<br />
être des si<strong>en</strong>s, qu'il était un ag<strong>en</strong>t de la Turquie, qui, nous<br />
voyant avec jalousie nous r<strong>en</strong>dre <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>, l'avait chargé de<br />
nous faire <strong>par</strong>tir soit <strong>par</strong> la diss<strong>en</strong>sion, soit <strong>par</strong> <strong>le</strong>s mauvais<br />
traitem<strong>en</strong>ts, ou autres motifs qu'il aurait pu faire naître<br />
contre nous. Nous savions <strong>en</strong>suite que ne se cont<strong>en</strong>tant pas<br />
de son traitem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>, dans <strong>le</strong> cas ou on <strong>le</strong> paierait, il<br />
voulait volontiers la laisser l, si on lui donnait une bonne -<br />
place dans <strong>le</strong>s Indes, et plus tard nous apprîmes qu'il voulait,<br />
<strong>en</strong> cachette, nous sacrifier à ses projets. Quant à M. Bois-<br />
51er, que M. de Sercey, pour notre bi<strong>en</strong>, voyant son incapacité<br />
<strong>en</strong> toute chose, ne voulut même pas laisser à notre tête, <strong>par</strong><br />
un contrat individuel qui ne nous mettait <strong>en</strong> relation qu'avec<br />
<strong>le</strong> Grand Vizir seul, quant à M. Boissier, dis-je, c'était un<br />
vieux fou, un vieil officier des cuirassiers d'Orléans, sans<br />
aucune capacité, surtout <strong>militaire</strong>; il était de la plus sotte<br />
présomption et faisait <strong>le</strong> jouet de tout <strong>le</strong> monde, il avait<br />
constamm<strong>en</strong>t peur d'être assassiné où empoisonné, aussi ne<br />
mangeait-il que des gr<strong>en</strong>ades et des oeufs â la coque, ce qui<br />
prêta , beaucoup à mil<strong>le</strong> farces qu'on lui faisait et à mil<strong>le</strong><br />
105
106 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
frayeurs qui. subitem<strong>en</strong>t v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t décomposer son charmant<br />
visage.. Il est indisp<strong>en</strong>sab<strong>le</strong> avec tout cela de ne pas<br />
supposer qu'il n'ait la figure la plus comique, portéar un<br />
corps qui ne serait point incompatib<strong>le</strong> avec l'idéal. Quant<br />
â ses s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts, ils n'étai<strong>en</strong>t pas si vils que ceux de<br />
Ferrier, mais qu'il écouta pour son malheur; il était d'un<br />
<strong>par</strong>ti, sans pourtant avoir jamais (selon moi) l'idée du déshonneur.<br />
Bussiêre était un gros berger, un ours, continuel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t<br />
seul, mais brave homme; il n'avait que <strong>le</strong>s mêmes torts du<br />
commandant. Polino, <strong>le</strong> héros de juil<strong>le</strong>t, avait appris souv<strong>en</strong>t<br />
que si jamais pour de réels motifs nous quittions la <strong>Perse</strong>,<br />
nous nous r<strong>en</strong>drions <strong>en</strong> France sans t<strong>en</strong>ter d'autre fortune;<br />
lui qui avait; exercé <strong>le</strong>s mil<strong>le</strong> professions sans avoir jamais<br />
réussi, ne rêvaj qu'or et diamants, et comme <strong>en</strong> suivant <strong>le</strong><br />
<strong>par</strong>ti des autres, l'or pouvait v<strong>en</strong>ir de doub<strong>le</strong> et trip<strong>le</strong> source,<br />
il s'y jeta. Voilà ainsi toute notre bande opposée. Nous voulions<br />
<strong>en</strong>fin la corriger, l'occasion s'<strong>en</strong> prés<strong>en</strong>ta: ils arrêtèr<strong>en</strong>t<br />
<strong>en</strong>tr'eux de nous priver d'un commun drogrnai que nous<br />
v<strong>en</strong>ions de pr<strong>en</strong>dre. Un de nous l'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dit, on se concerta,<br />
j'<strong>en</strong> fus instruit <strong>en</strong> r<strong>en</strong>trant <strong>d'une</strong> prom<strong>en</strong>ade; je sors de la<br />
chambre, je n'aperçois que Bussière dans la si<strong>en</strong>ne, je l'interpel<strong>le</strong>,<br />
il se met â la f<strong>en</strong>être, je l'accablai devant tous mes<br />
camarades de tous ses torts, de toutes ses fautes. Je lui dis<br />
que sa place n'était pas d'être <strong>par</strong>mi nous, qu'il s'était v<strong>en</strong>du,<br />
qu'il n'avait aucun honneur et point de coeur. Je lui mis tous<br />
<strong>le</strong>s marchés <strong>en</strong> main, il ne voulut <strong>en</strong> accepter aucun. «Et<br />
bi<strong>en</strong> appr<strong>en</strong>ez, lui dis-je, et instruisez <strong>le</strong>s vôtres que nous<br />
<strong>par</strong>tîmes de Paris tous <strong>militaire</strong>s et formant un même détachem<strong>en</strong>t.<br />
En <strong>par</strong>eil cas, lorsqu'il n'y a point de chefs, <strong>le</strong>s<br />
fautes graves et <strong>le</strong>s égarem<strong>en</strong>ts des uns sont <strong>en</strong>tre <strong>le</strong>s mains<br />
des autres, nous sommes donc responsab<strong>le</strong>s du nom françis<br />
et de son honneur ; si donc vous continuez une si sa<strong>le</strong> vie,<br />
sabre <strong>en</strong> main nous vous exterminerons tous, la France <strong>en</strong><br />
sera cont<strong>en</strong>te; ou si la réf<strong>le</strong>xion adoucit notre juste colère,
C<br />
e.<br />
OUI1NAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 107<br />
nous vous conduirons <strong>en</strong> France pieds et poings liés, et nous<br />
vous soumettrons à la justice de nos compatriotes. Voilà mes<br />
dernières <strong>par</strong>o<strong>le</strong>s, et qu'el<strong>le</strong>s vous serv<strong>en</strong>t de hase, Monsieuri<br />
». Boucherat, qui se trouvait à côté, aj6tfta: «Puisque<br />
vous êtes indigne de mettre un sabre â votre main, je casserai<br />
sur votre dos la poignée du mi<strong>en</strong>. » Ils quittèr<strong>en</strong>t dès ce<br />
jour la maison et, tous tremblants, ils fui<strong>en</strong>t plus loin se<br />
loger. Depuis cette époque, nous ne nous voyions plus, et si <strong>par</strong><br />
hasard deux d'<strong>en</strong>tre nous, mais d'un <strong>par</strong>ti opposé, se r<strong>en</strong>contrai<strong>en</strong>t<br />
quelque <strong>par</strong>t, on ne s'ad ressaitmêmé pas la <strong>par</strong>o<strong>le</strong>, et<br />
l'on <strong>par</strong>aissait aussi étranger comme si jamais de la vie on<br />
ne se fut vu. Depuiscette époque aussi nous faisions sé<strong>par</strong>ém<strong>en</strong>t<br />
nos visites chez tes ministres et chez <strong>le</strong>s personnes<br />
avec <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s nous devions nous trouver <strong>en</strong> relation; et aux<br />
propositions de paix qu'ils nous faisai<strong>en</strong>t faire <strong>par</strong> des personnes<br />
intermédiaires, nous répondions crue trop souv<strong>en</strong>t<br />
nous <strong>le</strong>ur avions, avec complaisance et bonté, <strong>par</strong>donné toue<br />
<strong>le</strong>s torts qu'ils avai<strong>en</strong>t, CIls <strong>en</strong> di ér<strong>en</strong>tes circonstances, depuis<br />
notre dépait de Marseil<strong>le</strong>; mais que cette fois notre <strong>par</strong>o<strong>le</strong><br />
était sacrée, que nous ne pouvions la vio<strong>le</strong>r; tout ce que nous<br />
pouvons faire, c'est de permettre qu'ils •se joign<strong>en</strong>t.â nous<br />
pour la visite que nous allons faire incessamm<strong>en</strong>t au Chah,<br />
pour cacher à ses yeux et i ceux des Persans notre mésintellig<strong>en</strong>ce,<br />
toutefois <strong>en</strong> <strong>en</strong> exceptant. Ferrier, l'auteur et <strong>le</strong><br />
provocateur de toutes nos inquiétudes et vissicituc<strong>le</strong>s, l'ag<strong>en</strong>t<br />
comptab<strong>le</strong> <strong>d'une</strong> consci<strong>en</strong>ce qui n'a plus de prix, tant il a<br />
prié et supplié de l'acheter de fois. Oui, nous <strong>le</strong> répétons: <strong>en</strong><br />
l'exceptant; nous nous montrerons plus conciliants avec<br />
M. Boissier que nous respectons malgré ses fautes, ainsi<br />
qu'avec <strong>le</strong>s autres, toutefois <strong>en</strong>core <strong>en</strong> éloignant toute<br />
amitié aussi bi<strong>en</strong> que la haine.<br />
D'après notre irrévocab<strong>le</strong> résolution on doit compr<strong>en</strong>dre<br />
qu'ils devai<strong>en</strong>t p'articulièrein<strong>en</strong>t se t<strong>en</strong>ir sulA <strong>le</strong>urs gardes,<br />
sans quoi nous allions, <strong>en</strong> justes compatriotes faisant <strong>par</strong>tie<br />
d'un même détachem<strong>en</strong>t, punir Ferrier <strong>par</strong> la viol<strong>en</strong>ce, puis-
ioS JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
qu'il n'avait pas assez de s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t et de coeur, pour se<br />
corriger ou se laver des mil<strong>le</strong> insultes qu'à tour de rô<strong>le</strong> nous<br />
lui disions pour son ignob<strong>le</strong> conduite. Il vit qu'il avait tout à<br />
perdre et ri<strong>en</strong> à'gagner, il jugea qu'il était temps de changer'<br />
et il changea ou du moins nous n'avons ri<strong>en</strong> appris de déloyal<br />
depuis cette époque.<br />
Le gouverneur de Téhéran, marié avec une des soeurs<br />
du Chah actuel, que nous fûmes voir à nôtre arrivée, se<br />
montra pourtant <strong>d'une</strong> dilig<strong>en</strong>ce sans <strong>par</strong>eil<strong>le</strong> d'autant<br />
plus surpr<strong>en</strong>ante-que <strong>le</strong>s Persans sont sans exception tous<br />
mous, <strong>par</strong>esseux .et nonchalants. Ce gouverneur, Baba<br />
Khan, nous fit promettre d'assister avec lui à une visite<br />
qu'il allait faire à l'ars<strong>en</strong>al. t1 nous montra tout <strong>le</strong> matériel,<br />
<strong>le</strong>s sal<strong>le</strong>s d'armes, et croyait pouvoir conquérir tout <strong>le</strong> monde<br />
avec quelques pièces de canons mal faites et mal montées,<br />
et 1500 fusils qu'ils avai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> réserve, <strong>en</strong>tassés <strong>le</strong>s uns sur<br />
<strong>le</strong>s autres, et la grande <strong>par</strong>tie manquait-el<strong>le</strong> <strong>en</strong>core de<br />
baïonnettes, de chi<strong>en</strong>s, ou de batteries. J'avoue pourtant que<br />
tout ce que nous y vîmes nous étonna, car nous n'avions<br />
jusque là ri<strong>en</strong> vu <strong>en</strong> <strong>Perse</strong> de moins mal que cela. Mais sa<br />
bi<strong>en</strong>veillance à notre égard dis<strong>par</strong>ut dès que nous fûmes lui<br />
demander nos appointem<strong>en</strong>ts. Il devint dès lors notre<br />
<strong>en</strong>nemi, et nous répondit qu'il ne pouvait nous payer; la<br />
garde que <strong>le</strong> Chah nous avait donnée <strong>par</strong>tit sans notre ordre,<br />
et comme sans el<strong>le</strong> nous étions exposés à de mauvais<br />
traitem<strong>en</strong>ts, nous nous <strong>en</strong> plaignîmes à ce gouverneur qui<br />
répondait qu'il ne pouvaitri<strong>en</strong> faire à but cela. «Eh bi<strong>en</strong>, lui<br />
dîmes-nous, nous allons <strong>par</strong>tir pour Hamadanoù se trouve <strong>le</strong><br />
Chah; il ti<strong>en</strong>dra sans doute à remplir plus exactem<strong>en</strong>t que<br />
vous <strong>le</strong> contrat que nous avons <strong>en</strong>tre nos mains >'.<br />
De retourchez nous decette visite, nous organisons une caravane,<br />
et nous nous dirigeons <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain vers Hamadan,<br />
l'anci<strong>en</strong>ne Echatane. Les chemins étai<strong>en</strong>t fortdangereux, nous<br />
disait tout <strong>le</strong> monde; vous serezinduhitab<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t plusieurs fois<br />
attaqués. Peu nous importai<strong>en</strong>t tous ces petits incid<strong>en</strong>ts de
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 109<br />
voyage chez des sauvages : nous voulions voir <strong>le</strong> Chah et<br />
nous <strong>par</strong>tîmes <strong>le</strong> 27juil<strong>le</strong>t <strong>par</strong> une route de traverse et <strong>en</strong> passant<strong>par</strong><br />
<strong>le</strong>s gîtes de Iravakerim, JÇanâbat, Qi asquel, Chamerin,<br />
Nougara, Zerat et Nerat, nous arrivâmes â Hamadan situé au<br />
pied <strong>d'une</strong> montagne, <strong>le</strong>; 3 août. Tout ce qui nous survint dans<br />
cette route, et ce dont nous fûmes témoins, fut une batail<strong>le</strong><br />
sanglante à Iravakerim <strong>en</strong>tre <strong>le</strong>s paysans et une compagnie<br />
de fantassins se r<strong>en</strong>dant à Téhéran ; nous étions neutres<br />
dans cette affaire, il ne devait ri<strong>en</strong> nous arriver, aussi ri<strong>en</strong> ne<br />
nous arriva-t-il. Le commandant de cette troupe, pour éviter<br />
toute poursuite de ses chefs, nous demanda un rapport de ce<br />
que nous avions vu; nous <strong>le</strong> fîmes sans <strong>par</strong>tialité, très-exact. A<br />
Quasquel, village situé au pied des montagnes dans un trou,<br />
l'Aga vint nous trouver sous nos t<strong>en</strong>tes, et nous avertit que<br />
<strong>le</strong> pays était très .dangereux, et de nous t<strong>en</strong>ir aussi sur nos<br />
gardes, pour veil<strong>le</strong>r p<strong>en</strong>dant la nuitsur nous, nos chevaux et<br />
nos bagages; il nous <strong>en</strong>voya un peloton d'hommes armés<br />
pour la faction p<strong>en</strong>dant la nuit. li ne nous arriva ri<strong>en</strong> de<br />
nouveau et après avoir remercié l'Aga de sa prévoyance,<br />
payé de quelque arg<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s hommes armés, nous re<strong>par</strong>tîmes.<br />
A Nougara, situé dans un ravin au milieu des montagnes,<br />
nous trouvâmes un tombeau à grande inscription; c'était,<br />
disait-on, celui de deux Anglais assassinés dans cet <strong>en</strong>droit<br />
sous Ahas Je Grand.<br />
Après avoir fort heureusem<strong>en</strong>t traversé un pays désagréab<strong>le</strong>,<br />
et où labonne foi ne sera jamais prise pour égide, nous<br />
arrivâmes â Hamadan; il y avait cinq camps occupés <strong>par</strong> <strong>le</strong>s<br />
soldats et <strong>le</strong>s g<strong>en</strong>s de la suite du Roi. Nous fûmes dresser nos<br />
t<strong>en</strong>tes dans un petit bosquet de peupliers, ayant à notre<br />
droite une source d'eau sulfureuse et â notre gauche une<br />
autre d'eau ferrugineuse; un ruisseau qui passait devant nos<br />
t<strong>en</strong>tes, <strong>par</strong> mom<strong>en</strong>t, nous raffraîcliissait, et cela était d'autant<br />
plus â appiécier que la cha<strong>le</strong>ur y était presque insupportab<strong>le</strong><br />
pour nous surtout, habitués â une température plus douce.<br />
Notre arrivée fut bi<strong>en</strong>tôt connue dans <strong>le</strong>s cinq camps, et<br />
=
110 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
Mirza Ah, Je ministre des affaires étrangères, nous pria de<br />
passer chez lui pour s'<strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ir avec nous sur <strong>le</strong>s motifs de<br />
ce voyage. Nous y fûmes et lui dîmes que <strong>le</strong> gouverneur de<br />
Téhéran n'ayant point d'ordre nousconcernant, nousv<strong>en</strong>ions -<br />
<strong>en</strong> chercher un qui put l'inviter â faires>on.devoir: « Nous vous<br />
<strong>le</strong> donnerons, cet ordre, reprit <strong>le</strong> ministre. -Nous v<strong>en</strong>ons<br />
<strong>en</strong>suite pour chercher nos deux mois d'appointem<strong>en</strong>ts, -<br />
Demain tous <strong>le</strong>s aurez ». Nous <strong>le</strong> primes <strong>en</strong>core, contre<br />
l'habitude des Persans, de dilig<strong>en</strong>ter un peu nos affaires, que<br />
nous désirions re<strong>par</strong>tir sous peu et nous <strong>le</strong> prévînmes que<br />
nous désirions voir <strong>le</strong> Chah, il nous <strong>le</strong> promit. De là, nous<br />
nous r<strong>en</strong>dîmes chez Hadji Mirza Agassi, <strong>le</strong> Grand Vizir, il<br />
nous promit de nous payer.<br />
Quatre jours s'écoulèr<strong>en</strong>t ainsi <strong>en</strong> nous disant qu'il nous<br />
paierait de jour <strong>en</strong> jour, lorsque <strong>le</strong> Chah appr<strong>en</strong>ant que -<br />
nous étions là, et que nous n'avions pas été payés. nous fit<br />
payer immédiatem<strong>en</strong>t sur sa cassette et nous inyita pour <strong>le</strong><br />
l<strong>en</strong>demain, jour de son dé<strong>par</strong>t pour Cashin, à marcher â —<br />
côté de lui; <strong>le</strong> plus grand des honneurs que <strong>le</strong> Chah peut"<br />
faire aux personnes qu'il considère, car <strong>le</strong>s ministres ne<br />
l'approch<strong>en</strong>t même pas, et se ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t constamm<strong>en</strong>t â une<br />
distance de 20 â 25 pas de Sa Majesté. Nous promîmes, bi<strong>en</strong><br />
<strong>en</strong>t<strong>en</strong>du, de nous r<strong>en</strong>dre à son invitation. Nous eûmes<br />
aussi occasion â Hamadan de voir M. <strong>le</strong> baron Baudiiîs,<br />
premier secrétaire de l'ambassade russe; il se montra plus<br />
aimab<strong>le</strong> qu'il ne l'avait jamais été pour •nous â Ispahan,<br />
nous <strong>en</strong> fûmes <strong>en</strong>chantés. M. Ba-udins, arrivé peu de jours<br />
avant nous â Hamadan, uva.it été <strong>en</strong>voyé<strong>par</strong> sou ambassadeur<br />
pour dire à Mahomet Chah que la Russie s'opposait à ce qu'il<br />
marchât sur Bagdad avec ses troupes, au sujet de la somme<br />
d'arg<strong>en</strong>t qu'il réclamait aux Turcs, et qu'on ne voulait pas<br />
lui payer. «Vous devez, disait M. <strong>le</strong> baron Baudins, vous<br />
arranger et vous <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre au<strong>par</strong>avant, si cela est possib<strong>le</strong>,<br />
avec l'ambassadeur turc qui se trouve à Téhéran. Si vous<br />
persistez dans vos desseins, ne.soyez pas surpris que nous<br />
-<br />
e<br />
-
s<br />
e<br />
1 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE III<br />
nous éloignions de vous». Le Chah promit sur Mahomet qu'il<br />
n'irait pas; <strong>le</strong> Pacha de Bagdad vint avec 80.000 hommes<br />
l'att<strong>en</strong>dre <strong>en</strong> avant de la vil<strong>le</strong>. Comme <strong>le</strong> Chah l'avait<br />
promis à N. <strong>le</strong> baron Baudins, ils ne poursuivir<strong>en</strong>t pas la<br />
marche de ce côtéet <strong>par</strong>tir<strong>en</strong>t <strong>le</strong> B août pour al<strong>le</strong>r vers -<br />
Casbin, anci<strong>en</strong>ne capita<strong>le</strong> de la <strong>Perse</strong> et située â tr<strong>en</strong>te lieues<br />
nord-ouest de Téhéran.<br />
Ce fut aussi à Hamadan que nous fîmes l'agréab<strong>le</strong><br />
connaissance de deux Anglais, Lord H<strong>en</strong>ry Laherte<br />
et Lord Milford. Lord H<strong>en</strong>ry Laherte devait nous, quitter<br />
à Ramadan Foù il devait <strong>par</strong>tir 'peu de jours après passer<br />
dans <strong>le</strong> Louristan, pays habité <strong>par</strong> <strong>le</strong>s Bactiarifs, peupie<br />
sauvage et plus cruel que <strong>le</strong>urs limitrophes. Lord<br />
H<strong>en</strong>ry Laherte était <strong>le</strong> premier europé<strong>en</strong> qui avait eu<br />
l'idée d'<strong>en</strong>trer dans un tel pays, att<strong>en</strong>du que la mort y est<br />
d'autant plus certaine pour nous que <strong>le</strong>s Persans, Turcs, etc.,<br />
et autres habitants de l'Ori<strong>en</strong>t n'<strong>en</strong> revi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t pas. Tout <strong>le</strong><br />
monde lui exposait ainsi la situation et ses moeurs barbares,<br />
il persista dans ses projets; nous n'aurons pas sans doute<br />
occasion dans aucune autre page de.notre petit récit de rev<strong>en</strong>ir<br />
â cet aimab<strong>le</strong> compagnon de voyage, puisqu'il estprobab<strong>le</strong><br />
que nous fie recevrons pas de ses nouvel<strong>le</strong>s. Nous lui fîmes<br />
nos adieux bi<strong>en</strong> sincères, et lui témoignâmes <strong>le</strong> désir de <strong>le</strong><br />
revoir. Quant à M. Mitfort, il poursuivit sa route avec<br />
nous jusqu'à Téhéran, devant., après quelques jours de repos<br />
dans cette vil<strong>le</strong>, se r<strong>en</strong>dre dans I'Tnde <strong>en</strong> passant <strong>par</strong><br />
Mesched, vil<strong>le</strong> sainte de <strong>Perse</strong>, capita<strong>le</strong> de la province du<br />
Korassan, puis <strong>par</strong> Hérat.<br />
Le jour du dé<strong>par</strong>t étant arrivé, chacun ayant déjà fait ses<br />
dispositions de voyage att<strong>en</strong>daitl'instant où <strong>le</strong> Roi se mettrait<br />
<strong>en</strong> marche. Voici une légère description du dé<strong>par</strong>t et de la<br />
manière de voyager.<br />
La veil<strong>le</strong>, <strong>le</strong> Roi fixe d'abord l'heure du dé<strong>par</strong>t pour <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain<br />
ettrois sonneries sont faites <strong>par</strong> <strong>le</strong>s clairons de sa<br />
garde, de demi-heure <strong>en</strong>.demi-heure, et la troisième se,fai-
n<br />
112 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
sant à l'heure de l'émoi général, à l'heure indiquée <strong>par</strong> <strong>le</strong><br />
Chah. Toutes <strong>le</strong>s sonneries sont répétées â l'instant même<br />
dans tout <strong>le</strong> camp, <strong>par</strong> <strong>le</strong>s tambours â défaut de ces preùières.<br />
Lorsqu'<strong>en</strong>fin l'heure est arrivée, <strong>le</strong>s chameaux d'an<br />
nombre presque infini et qui se trouv<strong>en</strong>t placés habituel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t<br />
<strong>en</strong> avant de la route, se mett<strong>en</strong>t <strong>en</strong> marche, chacun<br />
d'eux a fixé sur une <strong>par</strong>tie du bât un petit drapeau rouge<br />
et blanc. Sur la <strong>par</strong>tie du devant de ce même bât est<br />
fixé un gros tambour, de tel<strong>le</strong> sorte que <strong>le</strong> chamelier étant<br />
monté, il puisse tout à son aise frapper à grands coups<br />
redoublés, pour célébrer et annoncer 1'arrie du Chah;<br />
ceux d'<strong>en</strong>tr'eux qui n'ont pas un si agréab<strong>le</strong> instrum<strong>en</strong>t, ont<br />
<strong>le</strong>s uns des ifûtes très perçantes et de longs instrum<strong>en</strong>ts à<br />
v<strong>en</strong>t., qui font tremb<strong>le</strong>r tout au moins à 50 ou 100 pas à la<br />
ronde. Voilà ce qui pr<strong>en</strong>d la marche. Ce sont donc ces chameaux<br />
porteurs des bagages du Chah vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>en</strong>suite<br />
quelques ferraches du Roi, pour escorter <strong>le</strong> monde, et <strong>le</strong><br />
maint<strong>en</strong>ir sur la droite et la gauche de la route â une distance<br />
de fusil. Ces hommes, du reste, sont si nombreux, qu'ils<br />
se trouv<strong>en</strong>t sur tous <strong>le</strong>s points de la marche. Vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />
<strong>en</strong>suite <strong>le</strong>s femmes du Chah, voilées selon l'usage, gardées<br />
des eunuques.<br />
- Un quart d'heure après <strong>par</strong>aiss<strong>en</strong>t des g<strong>en</strong>s armés; à<br />
deux c<strong>en</strong>ts pas de là vi<strong>en</strong>t lé Roi, ayant à ses côtés (mais<br />
toujours un peu loin) des coureurs qu'il a assez habituel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t<br />
quand il sort. A quinze pas <strong>en</strong>viron derrière lui, sont<br />
<strong>le</strong> Grand Vizir et <strong>le</strong> ministre chargé des affaires étrangères<br />
derrière <strong>le</strong>s ministres se trouvait <strong>le</strong> fils du Roi, âgé de sept â<br />
huit ans, monté éga<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t comme <strong>le</strong>s autres personnes qui<br />
<strong>le</strong> précédai<strong>en</strong>t sur un joli cheval. Il avait à ses côtés deux de<br />
ses domestiques, assez loin de là à vingt pas â peu près,v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t<br />
pê<strong>le</strong>-mê<strong>le</strong> une infinité de domestiques, et la troupe<br />
<strong>en</strong>fin, placée <strong>en</strong> colonne, <strong>le</strong>s suivait deprès. Ainsi, se trouvait<br />
là toute la troupe avec laquel<strong>le</strong> Mahomet Chah avait voulu<br />
pr<strong>en</strong>dre Bagdad: el<strong>le</strong> se composait de,quelques escadrons de
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 113<br />
cava<strong>le</strong>rie d'hommes volontaires qui se retir<strong>en</strong>t chez eux <strong>en</strong><br />
temps de paix, et qui se réuniss<strong>en</strong>t pour la guerre; v<strong>en</strong>ait<br />
<strong>en</strong>suite l'infanterie, pauvre troupe mal habillée, mal nourrie,<br />
pas armée et munie, et ignorant comme <strong>le</strong>ur chef<br />
complètem<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s manoeuvres. Le total de ces troupes pouvait<br />
s'é<strong>le</strong>ver à 25.000 hommes, el<strong>le</strong>s aurai<strong>en</strong>t pu <strong>par</strong> rapport â ce<br />
nombre t<strong>en</strong>ir tête aux tr<strong>en</strong>te mil<strong>le</strong> Turcs sortis de Bagdad<br />
pour <strong>le</strong>s recevoir, mais el<strong>le</strong>s euss<strong>en</strong>t, je crois, cédé à ces<br />
dernières, qui, quoique bi<strong>en</strong> ignorantes <strong>en</strong>core sur l'art de la<br />
guerre, ont pourtant sur el<strong>le</strong>s l'avantage de la discipline.<br />
Après <strong>le</strong>s fantassins v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t tous <strong>le</strong>s grands de la <strong>Perse</strong>,<br />
Mirza, et autres personnes, et, derrière ces notab<strong>le</strong>s, v<strong>en</strong>ait<br />
<strong>le</strong> peup<strong>le</strong> et ces marchands ambulants qui fourniss<strong>en</strong>t<br />
quelques subsistances au camp. D'autres chameaux et bêtes<br />
de somme vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t après, et il est inuti<strong>le</strong> de dire que,<br />
p<strong>en</strong>dant toute la route, la route est couverte de personnes <strong>en</strong><br />
retard, et qui se r<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t <strong>le</strong> même soir au gîte ou à la station<br />
désigné <strong>par</strong> <strong>le</strong> Chah. Voici la marche du camp. A la grande<br />
<strong>en</strong>vie et au grand mécont<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t de tous <strong>le</strong>s grands, dés<br />
que <strong>le</strong> Chah se mit <strong>en</strong> marche, nous bous approchâmes pour<br />
répondre à l'invitation qu'il nous avait faite, et force nous fut<br />
donc faite de laisser là tous ces grands ambitieux pour al<strong>le</strong>r<br />
pr<strong>en</strong>dre notre place. Nous arrivâmes au grand galop auprès<br />
des ministres qui nous reçur<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong>. Le Chah, <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dant<br />
derrière lui du bruit, demanda (1) ce que c'était: ((Ce sont <strong>le</strong>s<br />
officiers français. - Dites-<strong>le</strong>ur de v<strong>en</strong>ir . Nous nous approchâmes,<br />
nous voulilmes, d'abord, rester derrière lui, il ne <strong>le</strong><br />
voulutpas, et nous fitmettre àses côtés. Le Chah futplusaimab<strong>le</strong><br />
que jamais; selon l'habitude des Persahs il nous promettait<br />
beaucoup pour <strong>le</strong> temps à v<strong>en</strong>ir, et nous promit, à son<br />
arrivée à Téhéran, de s'occuper lui-même de nos destinations<br />
et de nos appointem<strong>en</strong>ts. Enfin, après une demi-heure d'un<br />
(t) Je dis qu'il demanda, <strong>par</strong>ce que <strong>le</strong> Chah de <strong>Perse</strong> rie dôtourne<br />
jamais la tête lorsqu'il est <strong>en</strong> voyage, il regardé toujours <strong>en</strong> avant.
114 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
<strong>en</strong>treti<strong>en</strong> semblab<strong>le</strong>, nous <strong>le</strong> quittâmes â. un embranchem<strong>en</strong>t<br />
de chemin qui devait, de cette route de —,<br />
Cashin, nous<br />
conduire sur cel<strong>le</strong> d'}iamadan à Téhéran; ce fut là que,nous<br />
nous arrêtâmes quelques instants pour voir défi<strong>le</strong>r tout ce<br />
peup<strong>le</strong> diversem<strong>en</strong>t divisé, comme je l'ai dit ci-dessus. Nous<br />
r<strong>en</strong>contrâmes, nous étant mis <strong>en</strong> Foute, quelques villages où,<br />
disait-on, on n'avait jamais vu d'Europé<strong>en</strong>s passer, ce qui<br />
est d'autant moins surpr<strong>en</strong>ant que «est dans une province<br />
peu fréqu<strong>en</strong>tée <strong>par</strong> <strong>le</strong>s voyageurs, et de plus dans un chemin<br />
de traverse. Nous <strong>en</strong>trâmes ce jour même dans la grande<br />
route qui conduit à Téhéran, où nous arrivâmes <strong>en</strong>fin après<br />
huit jours de bonne marche, <strong>le</strong> 16 août <strong>1840</strong>.<br />
Téhéran est situé sur une plaine se terminant non loin de<br />
là au pied de fortes montagnes. Au nord, est cel<strong>le</strong> dite<br />
Chimran, du nom d'un village situé \ son pied; cette montagne<br />
esttrès é<strong>le</strong>vée et a constamm<strong>en</strong>t de la neige, malgré <strong>le</strong>s<br />
fortes cha<strong>le</strong>urs qu'il fait dans ce pays. Au nord-est, se<br />
trouve <strong>le</strong> fameux pic du Démav<strong>en</strong>d.dont la cime se perd<br />
dans <strong>le</strong>snues,la neige, et<strong>en</strong> grande quantité,s'y trouve aussi<br />
p<strong>en</strong>dant toute l'année;' ce pic quoique <strong>par</strong>aissant être tout<br />
près de la vil<strong>le</strong> <strong>en</strong> est éloigné pourlant A quinze pharsangues<br />
<strong>en</strong>viron. La plaine de Téhéran est sèche et aride, el<strong>le</strong> l'est<br />
moins au pied du mont de Chimran; quelques sources qui<br />
s'y trouv<strong>en</strong>t rafraîchissant <strong>le</strong> sol permett<strong>en</strong>t de cultiver<br />
faci<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t la terre, et <strong>le</strong>s différ<strong>en</strong>ts petits villages qui, <strong>par</strong><br />
<strong>le</strong>ur <strong>en</strong>semb<strong>le</strong>, compos<strong>en</strong>t <strong>le</strong> gros village de Chimran est un<br />
séjour très agréab<strong>le</strong> où va camper <strong>le</strong> roi et sa suite p<strong>en</strong>dant<br />
<strong>le</strong>s fortes cha<strong>le</strong>urs4orsque quelque nuisib<strong>le</strong> intellig<strong>en</strong>ce dans<br />
quelques-unes de ses provinces n'exige pas son déplacem<strong>en</strong>t.<br />
La fraîcheur el<strong>le</strong>s saines eaux sont des causes majeures<br />
pouf abandonner la vil<strong>le</strong> de Téhéran p<strong>en</strong>dant <strong>le</strong>s cha<strong>le</strong>urs;<br />
mais la grande quantité de moustiques, qui y exist<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> es<br />
une aussi non-moins importante pour al<strong>le</strong>r dresser <strong>le</strong>ur<br />
t<strong>en</strong>te dès <strong>le</strong>s premiers jours d'avril.<br />
Ces moustiques sont réel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t un fléau, et <strong>le</strong>s premiers<br />
LI
- -*<br />
s<br />
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Jours, n'ayant aucun moy<strong>en</strong> de nous <strong>en</strong> préserver p<strong>en</strong>dant<br />
la nuit, c'était réel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t chose comique et pénib<strong>le</strong> de nous<br />
voir tous, au l<strong>en</strong>demain, avec <strong>le</strong>s bras etia figure <strong>en</strong>llés;plus<br />
tard, â l'instar des g<strong>en</strong>s du pays, nous nous couvrîmes de<br />
moustiquière, et nous nous <strong>en</strong> débarrassâmes ainsi. Ces moucherons<br />
dis<strong>par</strong>aiss<strong>en</strong>t vers <strong>le</strong>s premiers jours de septembre.<br />
Un peu avant d'arriver à Chimran et sur la droite, est <strong>le</strong><br />
château royal dit Takhti Kadjar qui signifie trne des Kadjars<br />
(<strong>le</strong>s Kadjars sont de la tribu régnante). Le château est bâti<br />
sur une élévation pourtant peu s<strong>en</strong>sib<strong>le</strong>, sa forme est d'un<br />
rectang<strong>le</strong>, <strong>le</strong> plus long côté étant <strong>par</strong>allè<strong>le</strong> à la montagne; sur<br />
la terrasse et au milieu est un petit pavillon dit <strong>le</strong> Délice de<br />
Fatey-Ali-Chah, quelques arbres y sont aussi plantés, et<br />
offr<strong>en</strong>t un charmant coup' d'oeil. Sur l devant sont quatre<br />
superbes terrasses, <strong>le</strong>s unes plus basses que <strong>le</strong>s autres; et<br />
imitant <strong>le</strong>s degrés d'escaliers, au milieu passe une eau très<br />
claire et limpide, et dans sa chute de ses degrés, imitant la<br />
cascade, cette eau se perd un instant et va r<strong>en</strong>ouve<strong>le</strong>r l'eau<br />
d'un charmant bassin qui se trouve dans un grand jardin et<br />
bosquet tout à la fois qui est situé devant <strong>le</strong> château; c'est<br />
réel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t un agréab<strong>le</strong> séjour d'autant plus remarquab<strong>le</strong> que<br />
tout l'<strong>en</strong>semb<strong>le</strong> <strong>en</strong> est charmant et que ]a plaine aride<br />
contraste fortem<strong>en</strong>t avec <strong>le</strong> frais et verdoyant jardin.<br />
Téhéran, comme toutes <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>sde l'ori<strong>en</strong>t, est <strong>en</strong>vironnée<br />
de murs qui ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t lieu de rem<strong>par</strong>t et qui ne permett<strong>en</strong>t<br />
pas â l'oeil du voyageur fatigué de se reposer sur <strong>le</strong>s maisons<br />
qui la compos<strong>en</strong>t; ce n'est que lorsqu'on est <strong>en</strong>tré que l'on<br />
aperçoit quelques murs qui vous cach<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core des maisons.<br />
Les rues sont sa<strong>le</strong>s, étroites et couvertes de pierres et<br />
d'accid<strong>en</strong>ts de terrains; il existe une infinité de trous à peu<br />
de distance <strong>le</strong>s uns des autres et qui peuv<strong>en</strong>t occasionner<br />
beaucoup d'accid<strong>en</strong>ts surtout la nuit. Les bazars y sont grands<br />
etfournis de diverses marchandises; il ya, <strong>en</strong> outre,une infinité<br />
de caravanserails. A la <strong>par</strong>tie ori<strong>en</strong>ta<strong>le</strong> de la vil<strong>le</strong> se trouve<br />
la citadel<strong>le</strong>, selon <strong>le</strong>s Persans; mais qui n'est autre chose que
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<strong>le</strong> prolongem<strong>en</strong>t de la vil<strong>le</strong> coupé <strong>par</strong> un fossé et un mur <strong>en</strong><br />
terre semblab<strong>le</strong> à celui qui <strong>en</strong>vironne la,.vil<strong>le</strong>. C'est dans son<br />
intérieur que se trouve <strong>le</strong> palais du Chah, ayant, devant, une<br />
grande place <strong>en</strong>vironnée de canons. Un plus énorme que <strong>le</strong>s<br />
autres se trouve au milieu et sur son affut ; cette pièce est<br />
sacrée, et sert de refuge aux musulmans coupab<strong>le</strong>s. A un des<br />
ang<strong>le</strong>s de cette place existe la sal<strong>le</strong> d'armes et diagona<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t<br />
àlui la cour où sont quelques pièces d'artil<strong>le</strong>rie, sans pourtant<br />
que ce soit l'ars<strong>en</strong>al dont nous avons <strong>par</strong>lé. -Du reste <strong>le</strong><br />
peup<strong>le</strong> et <strong>le</strong>s grands habit<strong>en</strong>t dans cette citadel<strong>le</strong>, qui, â peu<br />
de chose près, est aussi grande que <strong>le</strong> reste de la vil<strong>le</strong> de<br />
Téhéran. Il est très inuti<strong>le</strong> de dire que <strong>le</strong>s murs de circonvallation,<br />
comme ceux des autres vil<strong>le</strong>s, sont <strong>en</strong> ruines, et<br />
que <strong>le</strong>s <strong>en</strong>fants se cramponnant tant soit peu desc<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t<br />
du rem<strong>par</strong>t au fossé, et remont<strong>en</strong>t vice versa.<br />
Ce fut peu de jours après l'arrivée du Chah â Téhéran que<br />
nous apprîmes la mort de Ivime deLamarinière, dont j'ai <strong>par</strong>lé<br />
précédemm<strong>en</strong>t; el<strong>le</strong> nous affecta d'autant plus vivem<strong>en</strong>t que<br />
quelques circonstances <strong>par</strong>ticulières l'occasionnèr<strong>en</strong>t, <strong>en</strong><br />
nécessitant un déplacem<strong>en</strong>t qui, à l'âge où était cette dame,<br />
faisait toujours appréh<strong>en</strong>der <strong>le</strong>s mil<strong>le</strong> désagrém<strong>en</strong>ts et accid<strong>en</strong>ts,<br />
dans un pays comme la <strong>Perse</strong>. Mme de Lamarinière<br />
était p<strong>en</strong>sionnaire du Chah pour des services r<strong>en</strong>dus antérieurem<strong>en</strong>t<br />
et ceux qu'el<strong>le</strong> r<strong>en</strong>dait <strong>en</strong>core; p<strong>en</strong>dant quelque<br />
temps, sa p<strong>en</strong>sion lui était payée assez régulièrem<strong>en</strong>t et avec<br />
très peu de peine, mais plus tard, comme toutes <strong>le</strong>s personnes<br />
employées dans <strong>le</strong> pays, el<strong>le</strong> éprouva du retard qui ne<br />
lui était payé qu'<strong>en</strong> <strong>par</strong>tie, â force de réclamations ; el<strong>le</strong><br />
savait fort bi<strong>en</strong> que ces retards étai<strong>en</strong>t un usagé adopté dans<br />
<strong>le</strong> pays, aussi celte bonne dame ne se résignait à demander<br />
que lorsqu'el<strong>le</strong> <strong>en</strong> était à ses derniers toumans. El<strong>le</strong> se trouvait<br />
dans cette position lorsqué <strong>le</strong> Chah effectua son dé<strong>par</strong>t<br />
pour marcher sur Ispahan, comme je l'ai déjà dit. El<strong>le</strong><br />
se détermina dans la pénib<strong>le</strong> position où el<strong>le</strong> se trouvait,<br />
à suivre <strong>le</strong> Roi, p<strong>en</strong>sant se faire payer <strong>par</strong> l'intermédiaire de
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE II<br />
ses femmes, dans <strong>le</strong> harem desquel<strong>le</strong>s el<strong>le</strong> avait accès. El<strong>le</strong><br />
obtint ainsi à son arrivée â Ispahan, non de l'arg<strong>en</strong>t, mais bi<strong>en</strong><br />
un barat (bil<strong>le</strong>t signé du Roi et du Vizir, <strong>par</strong> <strong>le</strong>quel on peut<br />
<strong>le</strong>ver des impositions), payab<strong>le</strong> à Chiras; el<strong>le</strong> n'<strong>en</strong> témoigna<br />
aucun mécont<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t extérieur, et <strong>le</strong> Roi étant <strong>par</strong>ti<br />
plus tard pour se r<strong>en</strong>dre à Hamadan, el<strong>le</strong> s'achemina vers<br />
Chiras. De semblab<strong>le</strong>s besoins, et des voyages si diffici<strong>le</strong>s <strong>par</strong><br />
des routes si pénib<strong>le</strong>s, affectèr<strong>en</strong>t Mme de Lamarinière aussi -<br />
éprouva-t-el<strong>le</strong> â son arrivée à Chiras une indisposition qui,<br />
dans deux jours, la m<strong>en</strong>a au tombeau. P<strong>en</strong>dant quelques<br />
instants, nous doutâmes d'abord de la fidélité de ses domestiques,<br />
nous conçûmes un soupçon d'empoisonnem<strong>en</strong>t sur une<br />
femme seu<strong>le</strong> et faib<strong>le</strong>, mais non, nous nous trompions:<br />
<strong>le</strong> chagrin seul et de son éloignem<strong>en</strong>t de la France et<br />
peut-être sans l'espérance, fur<strong>en</strong>t, je crois, <strong>le</strong>s véritab<strong>le</strong>s<br />
causes de sa mort.<br />
Ce fut aussi à Téhéran que nous eûmes occasion de connaître<br />
une autre Française, maint<strong>en</strong>ant mariée à un Persan,<br />
nommé Hadji Mas, qui fut faire <strong>en</strong> France, il y a vingt ans<br />
<strong>en</strong>viron, un voyage d'agrém<strong>en</strong>t. Parmi ses bonnes fortunes,<br />
une demoisel<strong>le</strong> <strong>le</strong> fixa plus <strong>par</strong>ticulièrem<strong>en</strong>t, ils se promir<strong>en</strong>t<br />
de faire un voyage, et ils arrivèr<strong>en</strong>t <strong>en</strong>fin <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>, patrie de<br />
Hadji Abas, qui nous a été d'un grand secours quelquefois, <strong>en</strong><br />
voulant bi<strong>en</strong> être notre interprète, car, dans un voyage<br />
de deux années <strong>en</strong> France, il avait appris un peu de français..<br />
Malgré la grande sévérité avec laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s maris ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t t<br />
<strong>le</strong>urs f<strong>en</strong>imes <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>, néanmoins Hadji Abus, un peu moins<br />
fanatique que <strong>le</strong>s autres, <strong>par</strong> conséqu<strong>en</strong>t un peu plus raisonnab<strong>le</strong>,<br />
et <strong>par</strong> suite plus instruit, nous recevait chez lui.<br />
Plus tard, sa dame, qui était notre compatriote, avait sa<br />
per<strong>mission</strong> pour se trouver dans notre société, toutefois étant<br />
comp1ètemnt voilée de la tête aux pieds. El<strong>le</strong> avait une<br />
charmante voix, et tout <strong>le</strong> monde doit bi<strong>en</strong> compr<strong>en</strong>dre que,<br />
<strong>par</strong> esprit de nationalité, nous la voyions avec plaisir ou plutôt,<br />
nous l'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dions avec plaisir. Cette dame s'était faite<br />
- 8
uS JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSÉ<br />
musulmane, bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du, et à cela se joignant son titre d'anci<strong>en</strong>ne<br />
française, Mahomet Chah la voyait avec complaisance<br />
et formait très souv<strong>en</strong>t la société de ses femmes, circonstances<br />
qui, comme on <strong>le</strong> verra plus tard, fur<strong>en</strong>t la cause<br />
de la connaissance que nous eûmes de bi<strong>en</strong> des intrigues nous<br />
concernant.<br />
M. Duhame], ambassadeur de Russie, et toute sa suite ne<br />
suivir<strong>en</strong>t pas<strong>le</strong> Chah dansson expédition àHamadan ; un séjour<br />
- si prolongé dans lavil<strong>le</strong> d'Ispahan ne futoccasionné que <strong>par</strong>la<br />
position de Madame ]'ambassadrice qui se trouvait <strong>en</strong>ceinte,<br />
et presque 'à l'époque des couches. Pourtant <strong>le</strong> dizièrne et<br />
onzième mois, cette aimab<strong>le</strong> dame frayant pas vu <strong>le</strong> fruit de<br />
son amour, <strong>le</strong> ihédecin de l'ambassade russe décida que lui<br />
Pt tout <strong>le</strong> monde s'était trompé, que ce n'était qu'une hydropisie.<br />
Mme l'ambassadrice désespéra, faillit <strong>en</strong> mourir, mais<br />
M. Duhamel, homme plus sévère, et diplomate ne gécartant<br />
jamais de sa voie, se mit <strong>en</strong> route pour Téhéran. Le jour de<br />
son arrivée <strong>en</strong> celte vil<strong>le</strong>, nous n'allâmespoint â. sa r<strong>en</strong>contre,<br />
comme pu <strong>le</strong>p<strong>en</strong>se bi<strong>en</strong>, mais comme il se trouve <strong>par</strong>tout des<br />
g<strong>en</strong>s qui font tout <strong>par</strong> l'appat de l'arg<strong>en</strong>t, il ne sera pas diffici<strong>le</strong><br />
de deviner queM. Ferrier, après avoir avalé3ou t.jaunes<br />
d'oeuf pour adoucir un peu plus'sa voix, dut s'y r<strong>en</strong>dre; mais<br />
nous, dont <strong>le</strong>s chevaux étai<strong>en</strong>t malades, nous ne pûmes<br />
décemm<strong>en</strong>t pas nous y r<strong>en</strong>dre à pied. M. Duhamel fit donc<br />
son <strong>en</strong>trée triomphante dans la vil<strong>le</strong> de Téhéran, et vint<br />
<strong>en</strong>core imposer de nouveaux ordres à Sa Majesté <strong>le</strong> Chah de<br />
<strong>Perse</strong>; nous devinâmes bi<strong>en</strong> que nous étions un sujet principal<br />
de ses demandes, de sa colère contre <strong>le</strong>s instructeurs<br />
français; mais n'anticipons pas sur la marche des événem<strong>en</strong>ts<br />
et cont<strong>en</strong>tons-nous de dire, pour <strong>le</strong> mom<strong>en</strong>t, - que nous<br />
dûnies avoir des peines p<strong>en</strong>dant dix jours, et des factions et<br />
m<strong>en</strong>aces continuel<strong>le</strong>s pour nous faire payer. Déjà <strong>le</strong> Vizir, <strong>le</strong><br />
tout-puissant de la <strong>Perse</strong>, nous avait dit que <strong>le</strong> trésorier allait<br />
nbus payer, et il savait positivem<strong>en</strong>t qu'il n'avait pas un seul<br />
ducat dans son trésor; mais <strong>le</strong> Chah; qui voulait <strong>le</strong> bi<strong>en</strong> de
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 119<br />
son pays, nous paya sur sa propre cassette; et <strong>en</strong>core avec <strong>le</strong>s<br />
toumans de son prédécesseur Fatey-Ali-Chah qu'il fut obligé<br />
- de pr<strong>en</strong>dre bi<strong>en</strong> au fond de son trésor. Il y avait ainsi plus<br />
d'un an que nS'us étions au service de la <strong>Perse</strong>, et <strong>en</strong>core<br />
aucun de nous n'avait été employé malgré <strong>le</strong>s nombreuses<br />
demandes que nous <strong>le</strong>ur faisions <strong>en</strong> conséqu<strong>en</strong>ce; mais il<br />
<strong>par</strong>ait que certains personnages <strong>en</strong> <strong>mission</strong> <strong>en</strong> <strong>Perse</strong> avai<strong>en</strong>t<br />
trouvé moy<strong>en</strong> de retarder constamm<strong>en</strong>t. Cep<strong>en</strong>dant <strong>le</strong> 15<br />
septembre, nous reçûmes l'ordre de nous r<strong>en</strong>dre chez Hussein<br />
Khan qui était chargé de la <strong>par</strong>t du Chah de bus<br />
désigner nos destinations. Cette ré<strong>par</strong>tition était conçue<br />
ainsi<br />
Infanterie. - MM. Chauvet, â Casbin.<br />
Pichon, â Téhéran.<br />
Boucherat, â Firouskou.<br />
Polino, â Demav<strong>en</strong>d.<br />
- Boissier, â Hamadan.<br />
Artil<strong>le</strong>rie. - MM. Delacroix, àTéhéran.<br />
Vergne, à Téhéran.<br />
Bussière, à Téhéran. -<br />
Cava<strong>le</strong>rie. - MM. Delamarre, â Téhéran.<br />
Ferrier, â Téhéran.<br />
Chacun se retira bi<strong>en</strong> cont<strong>en</strong>t de la désignation qui v<strong>en</strong>ait<br />
de lui être faite, et se disposa â <strong>par</strong>tir de jour <strong>en</strong> jour; mais<br />
<strong>le</strong>s Persans ne vouluitnt pas déroger à <strong>le</strong>urs habitudes pour<br />
des affaires surtout qui <strong>le</strong>ur étai<strong>en</strong>t de grand intérêt-, car<strong>le</strong>urs<br />
pitoyab<strong>le</strong>s troupes sans ordre, sans <strong>en</strong>semb<strong>le</strong>, sans <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dem<strong>en</strong>t,<br />
étai<strong>en</strong>t incapab<strong>le</strong>s d'<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>dre la moindre campagne.<br />
Ajoutons à cela qu'ils étai<strong>en</strong>t obligés de nous payer, et<br />
quand <strong>le</strong>s appointem<strong>en</strong>ts de dix instructeurs sont, à défaut de<br />
trésor, pris dans la cassette du Roi et donnés <strong>par</strong> lui, combi<strong>en</strong><br />
alors ne sont-ils pas coupab<strong>le</strong>s de laisser perdre un temps si<br />
précieux de cette époque où <strong>le</strong> pays est tout sur <strong>le</strong> p<strong>en</strong>chant<br />
de la ruine. Mais pourtant plus malheureux peup<strong>le</strong> que<br />
blâmab<strong>le</strong>, car tous hs efforts qu'il fait pour se re<strong>le</strong>ver sont<br />
e<br />
M
120 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
<strong>par</strong>alysés <strong>par</strong> la Russie, dont l'intérêt est de <strong>le</strong> laisser dans<br />
l'ignorance, dans l'oubli des choses pour que toujours ses<br />
coups soi<strong>en</strong>t plus sûrs, et ses intérêts plus <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dus et<br />
satisfaits. Ce fut â l'époque où nous apprîmes nos destinations<br />
que <strong>le</strong>urs. intrigues agir<strong>en</strong>t plus fortem<strong>en</strong>t que jamais, et<br />
quelquefois el<strong>le</strong>s nous étai<strong>en</strong>t connues; sur ces <strong>en</strong>trefaites<br />
quelques relations nous appelèr<strong>en</strong>t auprès du Vizir, et ce fut<br />
dans <strong>le</strong> courant de la conversation que Hussein Khan, qui<br />
faisait <strong>par</strong>tie du Divan Kané, me dit: «Monsieur, voilà votre<br />
général». Je <strong>le</strong> saluai et lorsqu'il me l'eut r<strong>en</strong>du, je crus que<br />
nous nous étions <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dus; et nous nous retirâmes lorsqu'il<br />
eut été bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du que dès <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain il me ferait<br />
appe<strong>le</strong>r pour me faire reconnaître â mon bataillon; <strong>le</strong> général<br />
crut sans doute que cet ordre reçu devant <strong>le</strong> Vizir n'était pais<br />
suffisant, c'est du moins ce que je crus ne recevant aucun de<br />
ses avertissem<strong>en</strong>ts; je me résignai donc à al<strong>le</strong>r chez lui pour<br />
lui demanderb explication de son peu d'exactitude. Il répondit<br />
qu'il était prêt â mettre ses soldats sous mes ordres quand je<br />
<strong>le</strong> voudrais. Je désire que ce soit demain. Tel que cela fut<br />
conv<strong>en</strong>u, <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain nous nous r<strong>en</strong>dîmes sur <strong>le</strong> terrain, je<br />
pris mon bataillon, et nous comm<strong>en</strong>çâmes <strong>le</strong>s manoeuvres à la<br />
française; p<strong>en</strong>dant trois jours je fus satisfait du bataillon, du<br />
colonel et du général. Mais je n'eus pas lieu de l'être lé<br />
quatrième; car <strong>le</strong> généra) s'y étant r<strong>en</strong>du, voulut m'<strong>en</strong>gager<br />
â <strong>le</strong>s faire manoeuvrer à la persane, désapprouvant nos<br />
manoeuvres. Je lui répondis que je ne voudrais jamais<br />
tromper s ce point <strong>le</strong> Chah.de <strong>Perse</strong>, qu'il m'avait fait v<strong>en</strong>ir<br />
de France pour l'ordre europé<strong>en</strong>, et que je ne dérogerais<br />
jamais. Comme il récidivait je <strong>le</strong> priai de se taire; comme il<br />
<strong>par</strong>lait <strong>en</strong>core, je lui fis de graves remontrances; il persistait<br />
toujours et voulut pr<strong>en</strong>dre <strong>le</strong> commandem<strong>en</strong>t, j'y cons<strong>en</strong>tis,<br />
toutefois; devant répéter tout ce que je v<strong>en</strong>ais de faire; mais<br />
il n'<strong>en</strong> fut pas ainsi, il faisait faire <strong>le</strong> contraire de tout avec<br />
mauvaise int<strong>en</strong>tion. Je <strong>le</strong> priai de remettre son sabre dans <strong>le</strong><br />
fourreau, et que j'<strong>en</strong> r<strong>en</strong>drais compte au Roi. Je fis rompre
JOURNAL D'UNE ?,iISSION MILITAIRE EN PERSE 121<br />
<strong>le</strong>s rangs au bataillon et <strong>le</strong> général resta seul sur la place.<br />
J'étais résigné de faire mon rapport au Roi, mais pour éviter<br />
toute grave punition, qui aurait pu retomber sur la tête du<br />
général, je résolus de ne ri<strong>en</strong> dire, et de m'expliquer lorsque<br />
<strong>le</strong> Vizir ou <strong>le</strong> Chah s'apercevrai<strong>en</strong>t de mon abs<strong>en</strong>ce, car<br />
jusqu'à nouvel ordre j'abandonnais mon bataillon. 15 jours<br />
se passèr<strong>en</strong>t ainsi, et cela ne devant pas tarder à être<br />
découvert, Méhémet Mi. Khan, ce général, s'excusa auprès<br />
de moi, et me fit promettre d'y retourner, mais ce ne fut<br />
toutefois qu'après dé sévères conditions que je lui imposai et<br />
auxquel<strong>le</strong>s il souscrivit. Je poursuivis donc l'instruction de<br />
ces troupes et je croyais être débarrassé de toute intrigue;<br />
mais quel fut mon étonnemelit]orsque, quelques jours après,<br />
<strong>le</strong> colonel qui, jusque là, avait témoigné un grand désir de<br />
s'instruire dans l'art de la guerre et se montrait très att<strong>en</strong>tif<br />
aux premières théories que je faisais, vint sur <strong>le</strong> terrain de<br />
manoeuvres. Mes douze compagnies, qui formai<strong>en</strong>t ce bataillon,<br />
exécutai<strong>en</strong>t ce jour, d'après l'ordre que je v<strong>en</strong>ais de donner4<br />
l'éco<strong>le</strong> de peloton, et, pour que je pusse <strong>le</strong>ur apporter mes<br />
soins â tour de rô<strong>le</strong>, je <strong>le</strong>s avais r<strong>en</strong>fermées dans un étroit<br />
espace se trouvant ainsi peu éloignées <strong>le</strong>s unes des autres.<br />
Le colonel vint donc sur <strong>le</strong> terrain de manoeuvres, eteut soin<br />
de se r<strong>en</strong>dre furtivem<strong>en</strong>t à la gauche de tout mon bataillon,<br />
tandis que je me trouvais â la droite ; il ordonna immédiatem<strong>en</strong>t<br />
de manoeuvrer selon <strong>le</strong>urs habitudes, et de laisser de<br />
côté <strong>le</strong>s démonstrations â la française. Peu d'instant après je<br />
m'<strong>en</strong> aperçus, et me portai au galop â ce peloton qui,<br />
activem<strong>en</strong>t, obéissait déjà au colonel. Je m'adrèssai d'abord<br />
au capitaine et lui administrant deux coups de cravache<br />
((Pourquoi changez-vous, lui dis-je, ce que je vous ai démontré,<br />
pourquoi ne m'obéissez-vous pas, quand, <strong>par</strong> ordre du Chah,<br />
j'ai ici tout pouvoir, et que l'instruction m'est seu<strong>le</strong> confiée <strong>en</strong><br />
mêmetemps que je suisresponsab<strong>le</strong> de ses progrès-- C'est <strong>le</strong><br />
colonel qui est là qui me l'a ordonné. -Je vous répète <strong>en</strong>core<br />
que je suis ici seul chef, et faites à l'instant exécuter ce que
122 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
moi seul ai<strong>le</strong> droit de commander et d'<strong>en</strong>seigner ici ». Le<br />
capitaine revint alors à mes observations, puis, m'adressant<br />
an colonel, la colère et la m<strong>en</strong>ace dans tous mes traits:<br />
«Pourquoi, colonel, détruisez-vous ainsi, <strong>par</strong> l'exécution de vos<br />
anci<strong>en</strong>nes manoeuvres, ce que j'ai eu tant de peine à <strong>le</strong>ur<br />
appr<strong>en</strong>dre? Vous, monsieur, qui n'avez point mérité <strong>le</strong><br />
commandem<strong>en</strong>t d'un bataillon, ni <strong>par</strong> votre âge, ni <strong>par</strong> votre<br />
instruction, appr<strong>en</strong>ez avant, et ne vous avisez jamais de<br />
donner ici un ordre concernant l'instruction jusqu'à ce que<br />
vous <strong>en</strong> ayez pris vous-même une certaine <strong>par</strong>t. Ignorez-vous<br />
ici nos fonctions, et l'ordre suprême qui m'a conféré votre<br />
bataillon ». Le colonel ne répondit mot. Je poursuivis. «Une<br />
scène semblab<strong>le</strong> eut lieu-dernièrem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre votre général,<br />
votre père, et moi; à sa prière je promis de ne point faire au<br />
Chah <strong>le</strong> rapport dont je l'avais m<strong>en</strong>acé et que méritait sa<br />
conduite, mais c'est <strong>en</strong> vain que vous m'<strong>en</strong> prieriez, <strong>le</strong> Roi<br />
<strong>en</strong> sera instruit, et lui qui connaît <strong>le</strong>s mil<strong>le</strong> machinations<br />
dont il est <strong>le</strong> jouet dans son royaume, <strong>en</strong> verra peut-être une<br />
des causes dans votre conduite, et dès lors gare à votre tête.<br />
Du reste, vous n'ignorez pas la bi<strong>en</strong>veillance qu'il témoigne<br />
à nous dix Français qui sommes ici, et <strong>le</strong> grand intérêt qu'il<br />
nous porte<br />
Je ifs réunir <strong>en</strong>suite tous <strong>le</strong>s chefs de compagnie au c<strong>en</strong>tre<br />
et iour mettre de mon côté toutes <strong>le</strong>s bonnes raisons, je lés<br />
• convoquai pour une théorie dans la même journée, puis je fis<br />
rompre <strong>le</strong>s rangs, et je me retirai. Il est inuti<strong>le</strong> de dire que,<br />
sans doute, d'après <strong>le</strong>s instigations du colonel, mes officiers<br />
ne vinr<strong>en</strong>t point au r<strong>en</strong>dez-vous.<br />
Mes camarades, MM. Delacroix eI.Vergne, employés depuis<br />
trois jours avec l'artil<strong>le</strong>rie, eur<strong>en</strong>t aussi de semblab<strong>le</strong>s mécon-<br />
t<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>ts. -<br />
Nous sûmes faci<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t que tout cela t<strong>en</strong>dait â nous faire<br />
r<strong>en</strong>voyer, et que c'était une machination de l'ambassade<br />
russe (lui nous occasionnait tant de tracas. Nous <strong>en</strong> eûmes<br />
• la certitude à peu près à la même époque; voici comm<strong>en</strong>t.
3OURNÀL D'UNE MISSION MILITAiRE EN PERSE<br />
Une dame française dont j'ai déjà <strong>par</strong>lé et mariée, après<br />
avoir embrassé la religion musulmane, â un Persan nommé<br />
Hadji Abus, nous reçut avec bi<strong>en</strong>veillance dans <strong>le</strong>s visites que<br />
nous lui finies, d'aprèIa per<strong>mission</strong> de son mari. Cette<br />
dame avait accès â la cour, au harem, et se trouvait très souv<strong>en</strong>t<br />
<strong>en</strong> rapport avec <strong>le</strong>s femmes du Chah, mais plus<br />
<strong>par</strong>ticulièrem<strong>en</strong>t avec une princesse soeur deMéhémet Chah,<br />
roi actuel. Ces relations n'avai<strong>en</strong>t lieu qu'au harem, où se<br />
trouv<strong>en</strong>t constamm<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s dames comme il faut de la <strong>Perse</strong>.<br />
Cette bonne princesse qui n'ignorait pas lajalousie des Russes<br />
coutre notre arrivée <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>, ni <strong>le</strong>urs intrigues qui t<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t,<br />
toujours sous <strong>le</strong> voi<strong>le</strong> de la bi<strong>en</strong>veillance, â écraser<br />
son malheureux pays, s'intéressa â nous, et el<strong>le</strong> fut naturel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t<br />
appe<strong>le</strong> à <strong>en</strong> <strong>par</strong>ier â W' Hadji Abus, qui était d'origine<br />
française. El<strong>le</strong> lui apprit donc, <strong>en</strong> grande confid<strong>en</strong>ce, que<br />
l'ambassade russe avait, peu de jours avant celui-là, conversé<br />
<strong>en</strong> grande confid<strong>en</strong>ce avec <strong>le</strong> Chah, après avoir, contre<br />
l'habitude du pays, fait retirer tous <strong>le</strong>s domestiques. « Qui,<br />
Madaifie, ajouta la princesse, je <strong>le</strong> ti<strong>en</strong>s de mon frère <strong>le</strong> Chah;<br />
la Russie, non cont<strong>en</strong>te de ses intrigues, agit maint<strong>en</strong>ant<br />
ouvertem<strong>en</strong>t pour faire <strong>par</strong>tir d'ici vos compatriotes, appelés<br />
pour l'intérêt commun de la <strong>Perse</strong>. Oui, ma chère dame)<br />
l'ambassadeur russe a demandé au Roi de <strong>le</strong>s r<strong>en</strong>voyer,<br />
et pour ne pas perdre l'arg<strong>en</strong>t qu'ils aurai<strong>en</strong>t déjà reçu â titre<br />
d'appointem<strong>en</strong>ts, il a invité mon frèro à réclamer cette somme<br />
au Roi de France et il a ajouté qu'on <strong>en</strong>verrait de la Russie,<br />
des officiers et des armes pour remplacer <strong>le</strong> but qu'on s'était<br />
promis dans notre détachem<strong>en</strong>t. Mais fort heureusem<strong>en</strong>t,<br />
poursuivit la princesse, que <strong>le</strong> Chah ne lui a point répondu,<br />
prév<strong>en</strong>ez-<strong>en</strong> <strong>en</strong> sil<strong>en</strong>ce vos compatriotes ». C'est ce que.flt<br />
Mme Hadji Ahas, et c'est ce qui justifia ainsi nos prév<strong>en</strong>tions -<br />
contre la Russie. Le hasard, comme on <strong>le</strong> voit, nous servait<br />
merveil<strong>le</strong>, et ce lut <strong>par</strong> cette voie que nous voulûmes faire<br />
connaître au Chah toutes nos réclamations, et lui appr<strong>en</strong>dre<br />
123<br />
e<br />
-
i<br />
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
peut-être ce qu'il ignorait, que la plus grande <strong>par</strong>tie des<br />
instructeurs n'était pas employée.<br />
Peu de jours après nous adressâmes au Chah une <strong>le</strong>ttre<br />
concernant nos réc]alirntions, et <strong>par</strong>mi <strong>le</strong>s premières nous lui<br />
exposions surtout <strong>le</strong> peu de travail que nous avions fait<br />
jusque là. Nous lui demandions donc à être employés généra<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t.<br />
Madame Hadji Ahas, après avoir veillé à la traduction<br />
exacte de cette <strong>le</strong>ttre, voulut bi<strong>en</strong> se donner la peine de se<br />
r<strong>en</strong>dre au harem chez la princesse qui put après l'avoir lue la<br />
remettre, à l'insu de tout <strong>le</strong> monde, au Chah son frère. J'oubliai<br />
de dire que dans cette <strong>le</strong>ttre j'adressais une réclamation<br />
personnel<strong>le</strong> concernant <strong>le</strong> général et <strong>le</strong> colonel qui s'opposai<strong>en</strong>t<br />
tant à l'instruction qu'il m'était ordonné de donner aux<br />
troupes sous <strong>le</strong>urs ordres; mais ces deux personnages à<br />
l'avènem<strong>en</strong>t de Hadji Mina Agassi au grand Vizir fur<strong>en</strong>t,<br />
malgré <strong>le</strong>ur complète ignorance, é<strong>le</strong>vés aux charges qu'ils<br />
occup<strong>en</strong>t. :[ls se trouvai<strong>en</strong>t non-seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t protégés <strong>par</strong> <strong>le</strong><br />
Vizir, mais <strong>en</strong>core ses proches <strong>par</strong><strong>en</strong>ts. Ce fut ainsi que dans<br />
la crainte <strong>d'une</strong>punition grave pour eux, la princesse déchira<br />
de cette <strong>le</strong>ttre <strong>le</strong>s lignes qui <strong>le</strong>saccusai<strong>en</strong>t; <strong>le</strong> roi promit qu'il<br />
donnerait bonne suite à nos réclamations, et il nous tint<br />
<strong>par</strong>o<strong>le</strong>; quoi qu'il <strong>en</strong> fut, <strong>en</strong> att<strong>en</strong>dant de nouveaux ordres<br />
j'abandonnai <strong>le</strong> bataillon dont <strong>le</strong> vi<strong>en</strong>s de <strong>par</strong><strong>le</strong>r. Quelques<br />
jours après, <strong>le</strong> hasard me fit trouver , devant la garde du<br />
Vizir, et <strong>en</strong> sa propre prés<strong>en</strong>ce, il me reconnut pour celui<br />
qui avait eu à se plaindre du bataillon de son <strong>par</strong><strong>en</strong>t et crut<br />
me dédommager <strong>en</strong> me donnant sa garde à instruire, je ne<br />
l'<strong>en</strong>viais nul<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t, mais force me fut faite de faire bonne<br />
cont<strong>en</strong>ance. J'acceptai donc. Cette garde fut plus obéissante<br />
ainsi que ses chefs; mais un mois de carême, celui de ramazan,<br />
p<strong>en</strong>dant <strong>le</strong>quel <strong>le</strong>s musulmans ne font ri<strong>en</strong>, étant arrivé,<br />
je ne pus ri<strong>en</strong> faire, et pour l'époque à laquel<strong>le</strong> il se termina<br />
il était trop tard, la saison était trop avancée pour faire<br />
quelques manoeuvres puisque nous <strong>en</strong>trions <strong>en</strong> décembre.<br />
Maint<strong>en</strong>ant au coin de quelque petit foyer nous nous <strong>en</strong>tre -
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
- t<strong>en</strong>ons de la campagne que se propose de faire Mahomet<br />
Chah au printemps, et chacun a des rêves et des illusions<br />
de jeunesse,jouit des rêves de la gloire qui ne nous laisseront<br />
plus comme <strong>le</strong>s précéd<strong>en</strong>ts que tristes déceptions, et celui<br />
qui longtemps s'est trouvé loin de sa patrie, chez des peup<strong>le</strong>s<br />
barbares, sait que , là, plus qu'ail<strong>le</strong>urs, el<strong>le</strong>s sont cruel<strong>le</strong>s<br />
et que <strong>le</strong> réveil est pénib<strong>le</strong>.<br />
Un jour que <strong>le</strong> temps nous <strong>par</strong>ut favorab<strong>le</strong>, nousprojetâmes,<br />
pour faire une diversion à notre <strong>en</strong>nui et à notre monotonie,<br />
d'al<strong>le</strong>fvisiter <strong>le</strong>s ruines de l'anci<strong>en</strong>ne Rhey, la Rhagès des<br />
Grecs, célèbre <strong>par</strong> son antiquité, son anci<strong>en</strong>ne ét<strong>en</strong>due, et<strong>le</strong>s<br />
différ<strong>en</strong>tesscènes qui y eur<strong>en</strong>t lieu, èntr'a.utre cel<strong>le</strong> de Tobie.<br />
Après quelques légers pré<strong>par</strong>atifs que nous fîmes la veil<strong>le</strong>,<br />
montés sur nos chevaux, nous nous dirigeâmes <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain<br />
<strong>par</strong> un temps calme, vers <strong>le</strong>s 5 heures du matin, vers cette<br />
fameuse Rhey située à 2 lieues sud de Téhéran, au pied <strong>d'une</strong><br />
petite montagne de la chaîne de l'Elboirs, et où, d'après la<br />
mythologie des Persans, se trouvai<strong>en</strong>t anci<strong>en</strong>nem<strong>en</strong>t r<strong>en</strong>fermés<br />
<strong>le</strong>s Dives ou mauvais génies de la <strong>Perse</strong>. Tout est ruine:<br />
<strong>le</strong> génie de la destruction a tout détruit et <strong>en</strong>seveli, aussi.<br />
n'aperçoit-on maint<strong>en</strong>ant, <strong>par</strong>tout où se porte la vue, que<br />
monceaux de terre où s'é<strong>le</strong>vai<strong>en</strong>t, du temps de sa spl<strong>en</strong>deur,<br />
<strong>le</strong>s rem<strong>par</strong>ts et <strong>le</strong>s murs de circonvallation que j'ai.apetçus au<br />
nombre de deux Trois tours sont assez bi<strong>en</strong> conservées; une,<br />
pins remarquab<strong>le</strong> que <strong>le</strong>s autres <strong>par</strong> sa construction et son<br />
originalité, <strong>par</strong>aît vers <strong>le</strong> milieu des ruines; sa hauteur,<br />
quoique <strong>le</strong> temps ait fait écrou<strong>le</strong>r <strong>le</strong> tiers de son élévation,<br />
d'après<strong>le</strong> dire des g<strong>en</strong>s du pays, et <strong>en</strong>corede4o à 50mètres;<br />
1'inérieur, où l'on pénètre <strong>par</strong> <strong>le</strong> moy<strong>en</strong> de deux grandes<br />
portes et diamétra<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t opposées, est uni, et l'on remarque<br />
<strong>en</strong>core quelques arabesques. Quant à l'extérieur, el<strong>le</strong> prés<strong>en</strong>te<br />
des ang<strong>le</strong>s saillants et r<strong>en</strong>trants, et <strong>le</strong>s côtés de ces ang<strong>le</strong>s<br />
sont de I mètre <strong>en</strong>viron; tout est <strong>en</strong> brique, et comme je l'ai<br />
- déjà dit, assez bi<strong>en</strong> conservé; <strong>le</strong> diamètre de la tour est de 10<br />
à 12 mètres, la base de ce reste de la grandeur de Rhey ou<br />
125
126 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
Rhagès est sapé et miné, et la tour el<strong>le</strong>-même se res<strong>en</strong>t de —<br />
la destrution à 2 ou S mètres à<strong>par</strong>tir de sa base. On remarque<br />
<strong>en</strong>core â l'<strong>en</strong>trée des ruines <strong>en</strong> arrivant de Téhéran et taillé<br />
dans <strong>le</strong> roc, un tab<strong>le</strong>au représ<strong>en</strong>tant Fatey-Ali-Chah sur so'C<br />
trône, ayant à ses côtés, debout, ses Chah Adey ou princes,<br />
et ce tab<strong>le</strong>au royal, que termin<strong>en</strong>t deux colonnes toujours<br />
sculptées dans <strong>le</strong> roc, laisse <strong>en</strong>core apercevoir â côté de ces -<br />
colonnes deux personhages de chaque côté, l'un portant un<br />
épervier, l'autre un faucon, et <strong>le</strong>s autres port<strong>en</strong>t différ<strong>en</strong>tes<br />
choses nécessaires à multiplier <strong>le</strong>s plaisirs-du roi ; nais<br />
quoique j'aie <strong>par</strong>u, pour <strong>le</strong> tab<strong>le</strong>au de cesprsonnes, <strong>le</strong> diviser<br />
<strong>en</strong> deux, j'observerai pourtant qu'<strong>en</strong> supprimant <strong>le</strong>s colonnes<br />
<strong>en</strong> relief dont j'ai <strong>par</strong>lé, il n'<strong>en</strong> fait qu'un seul, ayantlOmètres<br />
de longueur et 8 de hauteur. Au-dessus sont <strong>le</strong>s''prolonge-'<br />
m<strong>en</strong>ts des rocs qui formai<strong>en</strong>t, à ce que je crois, un des prodigieux<br />
rem<strong>par</strong>ts de cette vil<strong>le</strong> antique; à son pied <strong>par</strong>àttune<br />
plateforme et â son pied passe un ruisseau v<strong>en</strong>ant sortir de<br />
dessous une arche. Cette eau est, dit-on, très bi<strong>en</strong>faisante, et<br />
guérit-el<strong>le</strong> de toute maladie; aussi <strong>le</strong>s Musulmans, qui l'ont —<br />
<strong>en</strong> vénération, y dépos<strong>en</strong>t-ils, <strong>en</strong> sign'è de reconnaissance, un<br />
petit morceau de <strong>le</strong>ur robe, on y aperçoit une branche <strong>en</strong><br />
travers de cette arche toute couverte de ces remerciem<strong>en</strong>ts<br />
au génie bi<strong>en</strong>heureux présid<strong>en</strong>t; tout â côté est établi maint<strong>en</strong>ant<br />
un kalianghi d'homme qui s'install<strong>en</strong>t sur <strong>le</strong>s routes,<br />
et moy<strong>en</strong>nant une faib<strong>le</strong> rétribution donn<strong>en</strong>t â fumer aux<br />
passants. Dans' <strong>le</strong> prolongem<strong>en</strong>t de la colline contre laquellé<br />
se trouve <strong>le</strong> tab<strong>le</strong>au dont je vi<strong>en</strong>s de <strong>par</strong><strong>le</strong>r, et <strong>en</strong> allant vers<br />
<strong>le</strong> nord, se trouve un autre tab<strong>le</strong>au représ<strong>en</strong>tant un Chah de<br />
<strong>Perse</strong> à cheval et à la chasse, la lance <strong>en</strong> main, perçant un<br />
]ion de son arme; du reste, je -<strong>le</strong> répèt tout est ruine et<br />
deuil, <strong>par</strong>tout on ne voit que <strong>le</strong> génie de la destruction, génie<br />
déplorab<strong>le</strong> qui efface tout et prive un malheureux pays <strong>d'une</strong><br />
vil<strong>le</strong> anci<strong>en</strong>ne, riche et opul<strong>en</strong>te, qui jadis re<strong>le</strong>vait un pays<br />
qui court maint<strong>en</strong>ant â grands pas vers sa ruine. Ce fut .vers - -<br />
<strong>le</strong> mois d'avril 1841 que nos camarades Vergne et Bussièr,<br />
D<br />
M<br />
I'<br />
n<br />
's
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
<strong>par</strong> suite des mécont<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>ts qu'ils éprouvèr<strong>en</strong>t, se r<strong>en</strong>dir<strong>en</strong>t<br />
<strong>en</strong> France où <strong>le</strong> maréchal <strong>le</strong>s employa comme officiers<br />
d'artil<strong>le</strong>rie.<br />
Nous emes,comme on doit bi<strong>en</strong> <strong>le</strong> p<strong>en</strong>ser, l'occasion de<br />
faire connaissance avec plusieurs princes et grands de l'Iran,<br />
ce qui fions permit de juger de <strong>le</strong>urs mœurs'et de <strong>le</strong>urs<br />
habitudes. Nous fûmes aussi admis au Salam, saIitation<br />
généra<strong>le</strong> que l'on fait au Chah, â certains jours de l'année.<br />
Le premier auquel nous assistâmes eut lieu dans la cour du<br />
palais près des sal<strong>le</strong>s <strong>par</strong>ticulières du Chah ; lorsque nous<br />
arrivâmes d'abord tous <strong>le</strong>s soldats étai<strong>en</strong>t placés autour du<br />
jardin, et devant une sal<strong>le</strong> richem<strong>en</strong>t décorée où se trouvai<strong>en</strong>t<br />
près de la f<strong>en</strong>être deux coussins couverts de diamants pour<br />
former <strong>le</strong> trône du roi, et rangés au dehors, plusieurs lignes<br />
de moustophin ou conseil<strong>le</strong>rs du roi; ils sont habillés de rouge,<br />
ayant une toque et <strong>le</strong>s bas de la même cou<strong>le</strong>ur. Lé chef<br />
d'audi<strong>en</strong>ce vint nous recevoir et nous plaça au milieu d'eux,<br />
<strong>le</strong> plus grand honneur qu'on ait fait â des europé<strong>en</strong>s jusquelà;<br />
v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t derrière<strong>le</strong>s lignes des maréchaux, des généraux,<br />
des colonels et autres officiers. Dés, nous étions là depuis<br />
quelques instants lorsqu'un certain bruit qui se fit dans la<br />
chambre du Roi vint nous annoncer son arrivée; et nous <strong>en</strong><br />
fûmes bi<strong>en</strong>tôt assurés,car après une première salve d'artil<strong>le</strong>rie,<br />
<strong>le</strong> Roi, couvert de diamants, vint s'asseoir à l'<strong>en</strong>droit<br />
désigné et sil<strong>en</strong>cieusem<strong>en</strong>t tout <strong>le</strong> monde att<strong>en</strong>dit que<br />
l'artil<strong>le</strong>rie cessât son feu. Quand il fut terminé, un grand<br />
prêtre s'avança et chanta <strong>le</strong>s louanges du Chah, et son<br />
discours fut suivi d'un autre pour la divinité ; après quoi <strong>le</strong><br />
Chah adressa quelques <strong>par</strong>o<strong>le</strong>s à ses conseil<strong>le</strong>rs, et l'ayant<br />
salué très respectueusem<strong>en</strong>t on se retira <strong>en</strong>suite. Cette fête<br />
était après <strong>le</strong> Mo<strong>par</strong>r<strong>en</strong>, mois de jeûne. Nous assistâmes<br />
<strong>en</strong>suite â un autre Salam, celui du 21 mars, premier de l'an<br />
des Persans. Celui-là se fait dans la grande sal<strong>le</strong> du trône du<br />
- Paon, ou du Mogol, que Nadir Chah, roi de l'Iran, apporta<br />
de l'Inde; cette cérémonie à laquel<strong>le</strong> assist<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s mêmes<br />
127
128 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
personnes que <strong>le</strong>s précéd<strong>en</strong>tes, se fait pourtant plus majestueusem<strong>en</strong>t,<br />
car <strong>le</strong> Roi y a presque toutes ses richesses. La<br />
cérémonie comm<strong>en</strong>ce <strong>par</strong> offrir toute espèce de chose comme<br />
augure <strong>d'une</strong> bonne année, et ellé se termine <strong>par</strong> <strong>le</strong>s salutations<br />
que vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t faire dix énormes éléphants que nourrit<br />
la province. d'Hamadàn; après quoi, <strong>le</strong> Roi, après avoir été<br />
salué, se retire ainsi que tous <strong>le</strong>s assistants.<br />
Peu de jours après, <strong>le</strong> Roi nous employa et nous donna<br />
â instruire deux régim<strong>en</strong>ts, l'un de sa garde, l'autre de<br />
Cashin; ils témoignèr<strong>en</strong>t une grande volonté de s'instruire,<br />
et nous <strong>par</strong>vînmes après peu de temps à <strong>le</strong>s mettre <strong>en</strong> état<br />
de manoeuvrer passab<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t. Le Roi et son fils assistai<strong>en</strong>t<br />
souv<strong>en</strong>t à cette nouvel<strong>le</strong> instruction et <strong>par</strong>aissai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>chantés<br />
de ces premiers succès.<br />
Le Chah de <strong>Perse</strong> témoignait <strong>en</strong> général toute sa satisfaction<br />
ettoute sa bi<strong>en</strong>veillance, et une nouvel<strong>le</strong> marque <strong>en</strong>core de<br />
sa bonté fut la concession qu'il nous fit de son château J(asre<br />
Kadjar pour passer quelques temps à. la campagne.<br />
Kasre Kadjar est situé à une lieue <strong>en</strong>viron nord-est de la<br />
vil<strong>le</strong> de Téhéran et est bâti sur une légère émin<strong>en</strong>ce, <strong>le</strong>s<br />
ap<strong>par</strong>tem<strong>en</strong>ts ne sont qu'à l'intérieur du château autour d'un<br />
vastelardin où se trouve un bassin, au milieu. On<strong>par</strong>vi<strong>en</strong>t<strong>par</strong><br />
une route à la porte principa<strong>le</strong>, cel<strong>le</strong> de l'<strong>en</strong>trée, et après cinq<br />
ou six marches on se trouve sur une terrasse d'où l'on<br />
découvre une vue lointaine et délicieuse. De cel<strong>le</strong>-ci on desc<strong>en</strong>d<br />
dans une autre, et ainsi de suite, on passe <strong>par</strong> quatre -<br />
terrasses successives qui, de loin, imit<strong>en</strong>t <strong>par</strong>faitem<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s<br />
différ<strong>en</strong>ts étages <strong>d'une</strong> maison; vi<strong>en</strong>t, toujours <strong>en</strong> desc<strong>en</strong>dant<br />
de la quatrième terrasse, <strong>le</strong> jardin énorme de Kasre Nad jar.<br />
Au-dessus du château, tout <strong>en</strong> haut de la terrasse de la<br />
maison, se trouve une chambre, toute tapissée de glaces et<br />
que l'on appel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s délides des Kadjars.<br />
Nous passâmes <strong>en</strong>viron trois mois à Kasre Kadjar, d'où<br />
nous <strong>par</strong>ttmes pour al<strong>le</strong>r asseoir notre camp à Chimran qui<br />
se trouve situé au pied de la montagne de ce nom à la <strong>par</strong>tie.
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 129<br />
nord de la vil<strong>le</strong> de Téhéran et à une distance de trois lieues<br />
<strong>en</strong>viron. Tous <strong>le</strong>s ans, vers<strong>le</strong> mois de niai, la cour et toute la<br />
troupe quitt<strong>en</strong>t la vil<strong>le</strong> soit pour se garantir de la cha<strong>le</strong>ur,<br />
pour échapper aux maladies et aux moustiques, soit <strong>en</strong>core<br />
pour jouir â <strong>le</strong>ur aise de la fraîcheur de quelque <strong>en</strong>droit<br />
favorab<strong>le</strong>. Les lieux du campem<strong>en</strong>t ne sont pas fixés, ils sont<br />
subordonnés au caprice du Chah, lorsque quelque excursion<br />
hosti<strong>le</strong> ne l'oblige pas à marcher contre ses <strong>en</strong>nemis; cep<strong>en</strong>dant<br />
<strong>le</strong> plus souv<strong>en</strong>t c'est à Chimran que <strong>le</strong> Chah va passer<br />
l'époque des cha<strong>le</strong>urs. Il quitte ainsi Téhéran et va passer 8<br />
jours â Lalazar, propriété roya<strong>le</strong> située près de la porte<br />
flau<strong>le</strong>t, de là il se r<strong>en</strong>d â Négaristan, résid<strong>en</strong>ce roya<strong>le</strong> peu<br />
distante de la précéd<strong>en</strong>te; <strong>en</strong>fin, il monte <strong>en</strong> voiture et se<br />
r<strong>en</strong>d <strong>en</strong>fin à Chimran dans une bi<strong>en</strong> petite propriété roya<strong>le</strong>;<br />
<strong>le</strong>s troupes formées <strong>en</strong> régim<strong>en</strong>t <strong>par</strong> province plac<strong>en</strong>t <strong>le</strong>ur<br />
camp autour du Roi, et <strong>le</strong>s grands de sa cour plac<strong>en</strong>t <strong>le</strong>urs<br />
t<strong>en</strong>tes dans des jardins voisins. Nos camarades, Messieurs <strong>le</strong>s<br />
officiers français, fur<strong>en</strong>t campés dans un agréab<strong>le</strong> jardin aux<br />
<strong>en</strong>virons du Roi. M. Lacroix et moi, qui nous trouvions<br />
attachés auprès du général comte Damas <strong>en</strong> qualité d'aidede-camp<br />
et qui nous trouvions, <strong>par</strong> cela même qu'ils étai<strong>en</strong>t<br />
<strong>en</strong>nemis du général, éloignés d'eux, fûmes camper avec <strong>le</strong><br />
général et sa famil<strong>le</strong> dans un bouquet d'arbres assez avancé<br />
dans la montagne et se trouvant <strong>en</strong>tre deux montagnes. Cet<br />
<strong>en</strong>droit assez éloigné du camp fut ainsi choisi <strong>par</strong> <strong>le</strong> comte<br />
de Damas: 1° pour la tranquillité, et lacommodité des dames,<br />
<strong>en</strong>suite â cause de la bonté de l'eau qui jaillit de terre à 20<br />
pas <strong>en</strong>viron du camp lui-même. Quoique dans <strong>le</strong>s camps tout<br />
s'y trouve hors de prix, néanmoins <strong>le</strong>s Persans, dans ces<br />
déplacem<strong>en</strong>ts comme dans tous <strong>le</strong>s autres, ne manqu<strong>en</strong>t de<br />
ri<strong>en</strong>, du moins tout ce qu'ils trouv<strong>en</strong>t à la vil<strong>le</strong> s'y trouve-t-il<br />
aussi, des bazars suivant constamm<strong>en</strong>t <strong>le</strong> camp. Je continuai<br />
avec M. Lacroix l'instruction des troupes et nous étions<br />
déjà <strong>par</strong>v<strong>en</strong>us à des résultats satisfaisants qui attinr<strong>en</strong>t au<br />
camp de Chimran la perfection que l'on peut att<strong>en</strong>dre chez
i3o JOURNAL MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />
des peup<strong>le</strong>s sans .discipline, sans officiérs, car ceux qu'ils ont<br />
sont aussi ignorants que <strong>le</strong>s soldats, cep<strong>en</strong>dant ces mêmes<br />
officiers nous <strong>le</strong>s dégrossimes. Le Chah assistait, comme il<br />
faisait du reste quand nous étions â Téhéran, souv<strong>en</strong>t aux<br />
manoeuvres, et il ne manquait pas, <strong>par</strong> des <strong>par</strong>o<strong>le</strong>s bi<strong>en</strong>veillantes,<br />
d<strong>en</strong>ous <strong>en</strong>térnoignertout son cont<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t. J'oubliais<br />
de dire que <strong>le</strong> général comte de Damas assistait toujours aux<br />
manoeuvres; ce n'était probab<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t pas pour <strong>le</strong> bi<strong>en</strong> et <strong>le</strong><br />
progrès, mais je p<strong>en</strong>se pour son intérêt propre, puisqu'il<br />
<strong>par</strong>aissait aux yeux du Roi; c'est ce but d'intérêt sans nul<br />
doute qui <strong>le</strong> faisait agir, car non seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t il ne pouvait<br />
ri<strong>en</strong> faire, puisqu'il ignorait la langue, mais c'est que c'est<br />
pourla <strong>par</strong>tie <strong>militaire</strong> l'homme <strong>le</strong>plusstupide que j'aie jamais<br />
connu; il ne savait faire qu'une seu<strong>le</strong> chose, c'était de répondre<br />
(étouffant dans sa peau) aux saluts <strong>militaire</strong>s que je lui faisais<br />
r<strong>en</strong>dre <strong>par</strong> <strong>le</strong>s troupes rangées, lorsqu'il arrivait. Puis, quand<br />
<strong>le</strong> Chah v<strong>en</strong>ait p<strong>en</strong>dant que je faisais cesser réco<strong>le</strong> du détail<br />
pour faire <strong>en</strong>trer <strong>le</strong>s bataillons <strong>en</strong> ligne, il dégainait son<br />
imm<strong>en</strong>se sabre et faisait <strong>en</strong> français des commandem<strong>en</strong>ts que<br />
j'étais c<strong>en</strong>sé répéter <strong>en</strong> persan, mais loin de répéter des<br />
commandem<strong>en</strong>tsqui n'avai<strong>en</strong>tni queue ni tête, je commandais<br />
<strong>en</strong> persan comme je l'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dais. Cep<strong>en</strong>dant comme il n'y avait<br />
ni gestes, ni discussions, Ies . Persans croyai<strong>en</strong>t que c'était <strong>le</strong><br />
général qui faisait tout agir; il trompe ainsi <strong>le</strong> Roi, la troupe<br />
et tous <strong>le</strong>s grands, mais plustard comme on s'<strong>en</strong> aperçut on<br />
<strong>en</strong> fitla risée généra<strong>le</strong>. Ce fut p<strong>en</strong>dant notre séjour à Chimran<br />
que <strong>le</strong> Roi me nomma avec M. de Lacroix, officier<br />
impérial de l'ordre du so<strong>le</strong>il et du lion, et lieut<strong>en</strong>ant-colonel;<br />
il trouvait que la peine que nous pr<strong>en</strong>ions, et <strong>le</strong>s succès<br />
obt<strong>en</strong>us méritai<strong>en</strong>t cette récomp<strong>en</strong>se. Comme on <strong>le</strong> p<strong>en</strong>se<br />
bi<strong>en</strong>, nous ne fûmes pas fâchés de sa bi<strong>en</strong>veillance qui nous<br />
donnait ces légers honneurs à <strong>par</strong>tir du jor juil<strong>le</strong>t 18 141. Nos<br />
camarades, nos amis de coeur, desquels comme je ]'ai déjà<br />
dit nous nous trouvions sé<strong>par</strong>és <strong>par</strong> <strong>le</strong>s circonstances, ne<br />
tardèr<strong>en</strong>t pas à avoir cette décoration aussi, malgré toutes
D<br />
=<br />
JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN Î'ERSE II<br />
<strong>le</strong>s démarches que la jalousie de Damas occasionnait. Déja<br />
quelques mois s'écoulèr<strong>en</strong>t, depuis notre arrivée chez cet<br />
homme, déja aussi nous comm<strong>en</strong>cions à <strong>le</strong> connaître insupportab<strong>le</strong><br />
<strong>par</strong> tous <strong>le</strong>s mil<strong>le</strong> défauts de son caractère. Qu'arrivera-t-il?<br />
.Te n'<strong>en</strong> sais ri<strong>en</strong> ; je ne veux pas m'appuyer sur<br />
d'autres choses que je crois prév<strong>en</strong>tion. Suivons, marchons,<br />
<strong>par</strong>courons...<br />
(t) Le manuscrit original s'arrête ici et la fin du récit manque.
AUXERRE. - IMPRIMERIE ALBERT LAMER, 4.3, RUE DE PARIS.