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Journal d'une mission militaire en Perse, 1839-1840, par le ...

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; --<br />

JOURNAL<br />

D'UNE<br />

MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

(i83-x84o)<br />

<strong>par</strong> <strong>le</strong> lieut<strong>en</strong>ant fil<strong>le</strong>s Pichon<br />

En <strong>1839</strong>, la diplomatie Persane, qui, depuis Napoléon 1er, ne<br />

s'était guère soucié de la politique de la Fronce, voulut se rapprocher<br />

d'el<strong>le</strong>. Mébemet-Chh, qui règnait alors, <strong>en</strong>voya au roi Louis-<br />

Philippe un ambassadeur extraordinaire, Hussein-Khân, dont la<br />

<strong>mission</strong> était de r<strong>en</strong>ouer des relations diplomatiques interrompues<br />

depuis jusW tr<strong>en</strong>te ans, depuis que <strong>le</strong> généra) Gardanne, ambassadeur<br />

de France, avait quitté la <strong>Perse</strong> <strong>en</strong> 1809. Aucun rapport<br />

diplomatique n'avait existé depuis lors <strong>en</strong>tre <strong>le</strong>s deux pays, et <strong>le</strong><br />

Châh espérait bi<strong>en</strong>, <strong>en</strong> faisant cesser cet état de choses, <strong>en</strong> tirer<br />

quelque profit. Le souverain ne se trompait pas, et, outre <strong>le</strong>s<br />

prés<strong>en</strong>ts d'usage que son <strong>en</strong>voyé emportait, lorsqu'il quitta la<br />

Fronce, <strong>en</strong> septembre <strong>1839</strong>, et qui, dans ce cas étai<strong>en</strong>t magnifiques,<br />

il am<strong>en</strong>ait avec lui un groupe d'officiers français chargés d'al<strong>le</strong>r<br />

instruire <strong>le</strong>s soldats de l'empire <strong>Perse</strong>.<br />

Paris avait réservé à Hussein-Khân l'accueil qu'il fait d'ordinaire<br />

aux <strong>en</strong>voyés exotiques et cette <strong>mission</strong> avait été ferti<strong>le</strong> <strong>en</strong><br />

incid<strong>en</strong>ts. Nous n'<strong>en</strong> rappel<strong>le</strong>rons qu'un seul, qui semb<strong>le</strong>rait futi<strong>le</strong>,<br />

si <strong>le</strong> Moniteur Universel lui-même n'avait cru devoir l'<strong>en</strong>registrer.<br />

Sur <strong>le</strong> chemin du retour, à Montargis, un maréchal-ferrant fit<br />

remarquer que la voiture de l'ambassadeur manquait de quelques<br />

ferrures nécessaires. On <strong>le</strong> chargea de <strong>le</strong>s y mettre et, la besogne<br />

1.<br />

- Docum<strong>en</strong>t - - - L<br />

II 111111 11111 iIIII!I II 11111111<br />

0000005568185<br />

/


6 '<br />

s<br />

JOURNAL 1)'IJNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

achevée, il prés<strong>en</strong>ta sa note. Pour une besogne <strong>d'une</strong> dizaine de<br />

francs, l'ouvrier demandait 120 francs. Hussein fit in moue, mais<br />

paya et se remit <strong>en</strong> route. Encouragé sans doute <strong>par</strong> ]e succès de<br />

sa demande, <strong>le</strong> maréchal-ferrant pr<strong>en</strong>d lacourse derrière la vol-<br />

Lure et <strong>par</strong>vi<strong>en</strong>t à détacher <strong>en</strong>core <strong>en</strong> chemin quelques nouvel<strong>le</strong>s<br />

ferrures, dont l'abs<strong>en</strong>ce cause bi<strong>en</strong> vite une avarie. Nouvel arrêt.<br />

L'ouvrier propose <strong>en</strong>core ses services. Mais cette fois-ci, il avait<br />

compté sans son hôte: plainte futportéede ce procédé au procureur<br />

du roi qui fit arrêter <strong>le</strong> délinquant. e Avis donc, ajoute <strong>le</strong> Moniteur<br />

<strong>en</strong> guise de mora<strong>le</strong>, aux personnes qui cour<strong>en</strong>t la poste de se<br />

défier toujours


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN 1'JItSE<br />

drogman de l'ambassade de Constantinop<strong>le</strong>, et Biberstein de Kasimil'sIci,<br />

bi<strong>en</strong> connu pour ses travaux déjti nombreux sur la littérature<br />

de la <strong>Perse</strong>. C'était donc un personnel d'élite, bi<strong>en</strong> propre<br />

à faire impression sur des imaginations ori<strong>en</strong>ta<strong>le</strong>s. Ajoutons<br />

<strong>en</strong>core qu'un médecin, <strong>le</strong> docteur Lachèze, et qu'un aumônier,<br />

l'abbé Scafi, ccmpldtai<strong>en</strong>t l'<strong>en</strong>semb<strong>le</strong>, auquel deux artistes avai<strong>en</strong>t<br />

été adjoints <strong>par</strong> l'institut: un architecte, Pascal Caste, et un peintre,<br />

Eugène Flandin, pour rechercher et étudier, chemin faisant, tout<br />

ce qui pouvait intéresser l'archéologie.<br />

Cc dernier, <strong>le</strong> peintre Eugéne Flandin, e conté, de concert avec<br />

son compagnon Coste, <strong>le</strong>s incid<strong>en</strong>ts de cc Voyage <strong>en</strong> <strong>Perse</strong><br />

(Paris, 1851,2 volumes in-8). Tout <strong>le</strong> côté pittoresque de l'av<strong>en</strong>ture,<br />

la nouveauté du pays et de ses habitants, est noté <strong>d'une</strong> plume<br />

agréab<strong>le</strong>. Mais <strong>le</strong>s pages qui vont suivre ne saurai<strong>en</strong>t faire doub<strong>le</strong><br />

emploi avec <strong>le</strong> récit déjà connu. Outre que <strong>le</strong> changem<strong>en</strong>t da narrateur<br />

pourrait à lui seul donner de l'intérêt à un nouveau journal<br />

d'impressions de voyages durant la même expédition, la <strong>mission</strong><br />

d'instructeurs <strong>militaire</strong>s emm<strong>en</strong>ée de France <strong>par</strong> Hussein-Khân<br />

n'était pus id<strong>en</strong>tiques à l'ambassade extraordinaire <strong>en</strong>voyée <strong>en</strong><br />

<strong>Perse</strong> <strong>par</strong> Louis-Philippe; son itinéraire, comme ses av<strong>en</strong>tures de<br />

séjour, eu diflèreut s<strong>en</strong>sib<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t, et énumérer <strong>le</strong>s unes n'est pas<br />

<strong>le</strong> moins du monde déflorer lés autres. La <strong>mission</strong> d'instructeurs,<br />

placée sous la direction du commandant l3oissier, se composait de<br />

dix lieut<strong>en</strong>ants d'infanterie, d'artil<strong>le</strong>rie et de cava<strong>le</strong>rie : Boucherat,<br />

Chauvet, Vita rd, C!iapt, Delamarre, Ferrier, Bussière, Vergne,<br />

Delacroix et Pichon, dont la fonction devait être d'instruire <strong>le</strong>s<br />

soldats persans au maniem<strong>en</strong>t des armes achetées <strong>en</strong> France.<br />

Choisis dans <strong>le</strong>urs corps respectifs <strong>en</strong> vue de ce but <strong>par</strong>ticulier,<br />

ces officiers n'étai<strong>en</strong>t que temporairem<strong>en</strong>t détachés au service du<br />

Cliûh et conservai<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> France, dans <strong>le</strong>urs armes spécia<strong>le</strong>s, la<br />

position à laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong>urs services pouvai<strong>en</strong>t <strong>le</strong>ur donner droit.<br />

C'est l'un deux, <strong>le</strong> lieut<strong>en</strong>ant Ju<strong>le</strong>s Pichon, qui e tracé <strong>le</strong> récit<br />

que nous reproduisons ci-dessous. Nous ne savons pas grand<br />

chose de la carrière de cet officier, <strong>en</strong> dehors de ce qu'il va nous<br />

<strong>en</strong> dire lui-même. Quant à son caractère, il se dégage trop nettem<strong>en</strong>t<br />

du récit lui-même pour qu'il soit besoin de s'y arrêter ici.<br />

Séduit <strong>par</strong> la nouveauté dne <strong>en</strong>treprise qui pouvait <strong>par</strong>aitre uti<strong>le</strong><br />

et profitab<strong>le</strong>, <strong>le</strong>jeune homme s'était embarqué p<strong>le</strong>in d'espoir pour


S<br />

JOURNAL D'UNE MISSION nilLlTAIRE EN PERSE<br />

la <strong>Perse</strong>, mais mil<strong>le</strong> inconvéni<strong>en</strong>ts auxquels ils se vir<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong>-<br />

Lût <strong>en</strong> butte: ses compagnons tt lui, ne tardèr<strong>en</strong>t pas à <strong>le</strong>ur faire<br />

compr<strong>en</strong>dre combi<strong>en</strong> <strong>le</strong>ur espoir avait été téméraire. Seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t,<br />

comme il se piquait de littérature, Ju<strong>le</strong>s Pichon avait voulu retracer<br />

ses déboires pour que <strong>le</strong> souv<strong>en</strong>ir ne s'<strong>en</strong> perdit pas. On<br />

trouvera aussi des traces de cette désillusion dans un petit volume<br />

devers publié <strong>par</strong> lui <strong>en</strong> 1844 sous <strong>le</strong> titre suivant: Les cyprès de<br />

('Iran, suivis <strong>d'une</strong> épisode sar <strong>le</strong>s chevaliers de Rhodes (Paris, foyer,<br />

in-16). C'est un recueil de poèmes ori<strong>en</strong>taux dont quelques-uns<br />

sont dédiésà des camarades du poète, notamm<strong>en</strong>t Delacroix et<br />

Vergue. Ce sont des impressions de voyages d'un tour mélancolique<br />

et désabusé, des morceaux <strong>d'une</strong> inspiration assez triste,<br />

d'un acc<strong>en</strong>t mystique . et religieux. L'expéri<strong>en</strong>ce avait passé sur <strong>le</strong>s<br />

rêves du jeune homme.<br />

Quant au récit proprem<strong>en</strong>t dit du voyage, il n'a pas <strong>en</strong>core vu<br />

<strong>le</strong> jour. C'est à M. Camil<strong>le</strong> Coudcrc, sous-bibliothécaire à la Bibliothèque<br />

nationa<strong>le</strong>, que revi<strong>en</strong>t <strong>le</strong> mérite d'<strong>en</strong> avoir découvert <strong>le</strong><br />

manuscrit, dans une boite des quais, et c'est lui qui a bi<strong>en</strong> voulu <strong>le</strong><br />

mettre à notre dioiîn avec une amica<strong>le</strong> bonne grâce, avant<br />

&*1n u la conservation duquel il est attaché.<br />

Par malheur, cc récit n'est pas comp<strong>le</strong>t et la fin manque. Si<br />

nous savons que Ju<strong>le</strong>s Pichon demanda, comme la plu<strong>par</strong>t de ses<br />

compagnons, à r<strong>en</strong>trer <strong>en</strong> France vers <strong>le</strong> mois de mai 1842, après<br />

plus de deux ans d'exil et d'<strong>en</strong>nui, nous n'avons pas, retracé <strong>par</strong><br />

lui-même, Je récit de la conclusion de cette <strong>en</strong>treprise inuti<strong>le</strong>. Au<br />

risque d'anticiper sur <strong>le</strong>s événem<strong>en</strong>ts, nous emprunterons ii un<br />

autre et nous reproduirons ici un passage qui appr<strong>en</strong>dra comm<strong>en</strong>t<br />

<strong>le</strong>s choses se passèr<strong>en</strong>t.<br />

« Nous trouvâmes à Téhéran, dis<strong>en</strong>t Flandin et Coste, dans<br />

<strong>le</strong>ur Voyage <strong>en</strong> <strong>Perse</strong> (t. il, p. 439), réunis dans <strong>le</strong> même local, et<br />

dans <strong>le</strong> même désoeuvrem<strong>en</strong>t, tous <strong>le</strong>s officiers instructeurs dont<br />

j'ai déjà <strong>par</strong>lé. lis étai<strong>en</strong>t sans emploi, et presque sans arg<strong>en</strong>t;<br />

c'est-à-dire que ces malheureux jeunes g<strong>en</strong>s étai<strong>en</strong>t obligés, pour<br />

toucbr <strong>le</strong>s appointem<strong>en</strong>ts qu'on s'était <strong>en</strong>gagé à <strong>le</strong>ur payer chaque<br />

mois, de solliciter sans relâche. Ils passai<strong>en</strong>t quinze jours sur<br />

tr<strong>en</strong>te à réclamer <strong>le</strong>ur solde, et ce n'était qu'à force d'importunité<br />

qu'ils <strong>par</strong>v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t à la recevoir. Nous <strong>le</strong>s revîmes très découragés<br />

et n'espérant plus ri<strong>en</strong> des Persans. Ils nous racontèr<strong>en</strong>t toutes


't<br />

JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 9<br />

<strong>le</strong>s manoeuvres auxquel<strong>le</strong>s on avait eu recours pour persuader au<br />

roi de ne pas <strong>le</strong>s employer. Ri<strong>en</strong> ne dpnne mieux l'idée du caractère<br />

des Persans et do <strong>le</strong>ur insouciance que <strong>le</strong> fait de ces douze ou<br />

quinze talimdjts auxquels ils payai<strong>en</strong>t des émolum<strong>en</strong>ts é<strong>le</strong>vés, (lui<br />

étai<strong>en</strong>t une charge pour l'Etat, dont ils ne voulai<strong>en</strong>t point utiliser<br />

<strong>le</strong>s connaissances, bi<strong>en</strong> qu'ils <strong>le</strong>s euss<strong>en</strong>t, à grands frais, fait<br />

v<strong>en</strong>ir de Franco, et qu'ils ne pouvai<strong>en</strong>t cep<strong>en</strong>dant pr<strong>en</strong>dre sur eux<br />

de congédier. Au reste, ces jeunes g<strong>en</strong>s, découragés, perdant <strong>le</strong>ur<br />

carrière <strong>en</strong> France, ne voyant aucun av<strong>en</strong>ir (Levant eux <strong>en</strong> Asie,<br />

avai<strong>en</strong>t., à défaut (<strong>le</strong> l'initiative du CIIàh et de son vizir, pris la<br />

résolution de quitter prochainem<strong>en</strong>t la <strong>Perse</strong>. C'est ce qu'ils fir<strong>en</strong>t,<br />

<strong>en</strong> effet, quelques mois plus tard, après avoir passé plus de trois<br />

années dans ce pays, sans pouvoir dire, A <strong>le</strong>ur retour, qu'ils euss<strong>en</strong>t<br />

fait porter <strong>le</strong>s armes à un seul des serbûs de <strong>Perse</strong>. »<br />

Ainsi s'acheva lam<strong>en</strong>tab<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t une <strong>en</strong>treprise comm<strong>en</strong>cée sous<br />

des auspices plus heureux.<br />

« Partis de Marseil<strong>le</strong> <strong>le</strong> 21 septembre 1889, sur <strong>le</strong> bateaû à<br />

vapeur <strong>le</strong> M<strong>en</strong>tor, nous arrivâmes â Malte <strong>le</strong> 25 du même<br />

mois dans l'après-midi ; ri<strong>en</strong> de bi<strong>en</strong> <strong>par</strong>ticulier n'ayant<br />

signalé cette courte traversée que nous finies, aidés d'un bon<br />

v<strong>en</strong>t que nous eûmes dès <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain de notre dé<strong>par</strong>t seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t;<br />

car la veil<strong>le</strong>, au mom<strong>en</strong>t de quitter <strong>le</strong> port, nous eûmes<br />

un orage que j'aurai occasion de relater plus loin, je passerai<br />

sous sil<strong>en</strong>ce <strong>le</strong>s légers détails que je pourrais <strong>en</strong> donner.<br />

Arrivés â Malte, d'après <strong>le</strong>s ordres que nous reçûmes, nous<br />

ne desc<strong>en</strong>dîmes dans l'î<strong>le</strong> que <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain, accompagnés<br />

dans <strong>le</strong> débarquem<strong>en</strong>t <strong>d'une</strong>.salve d'artil<strong>le</strong>rie <strong>en</strong> l'honneur<br />

de Hussein Khân, ambassadeur du Cbâh de <strong>Perse</strong>; ce fut<br />

dans ce mom<strong>en</strong>t que nous ress<strong>en</strong>tîmes <strong>le</strong>s premières impressions<br />

qu'une imm<strong>en</strong>se population <strong>en</strong>tassée sur un quai<br />

étranger, et sur <strong>le</strong>s plates-formes des maisons placées <strong>en</strong><br />

amphithéâtre, faisait naître dans nos coeurs ; quel<strong>le</strong>s douces<br />

émotions n'éprouvions-nous pas à la vue des musici<strong>en</strong>s qui<br />

nous suivai<strong>en</strong>t sur <strong>le</strong>urs chaloupes, jouant la Marseillaise, la<br />

Parisi<strong>en</strong>ne et plusieurs airs patriotiques 1 Oui, nous <strong>le</strong> disons


10 JOURNAL D 'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

ici, el<strong>le</strong>s fur<strong>en</strong>t heureuses, ces émotions, â ces airs surtout si<br />

profondém<strong>en</strong>t gravés dans nos âmes; quel<strong>le</strong>s voix alors<br />

n'essayèr<strong>en</strong>t pas d'accompagner ces chants de joie et de<br />

ralliem<strong>en</strong>t que nous avions cru voir fuir comme notre patrie,<br />

derrière la poupe du M<strong>en</strong>tor. Nos âmes seu<strong>le</strong>s <strong>en</strong> avai<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s<br />

souv<strong>en</strong>irs éternels, et el<strong>le</strong>s se compr<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t assez. .Aussi tout<br />

ce qui devait é<strong>le</strong>ver <strong>le</strong> coeur d'un Français avait un écho et<br />

une place dans <strong>le</strong>s nôtres, et el<strong>le</strong>s fur<strong>en</strong>t émues à ces acc<strong>en</strong>ts<br />

prononcés <strong>par</strong> des bouches étrangères. O souv<strong>en</strong>irs de France,<br />

ils devai<strong>en</strong>t sans doute être bi<strong>en</strong> chers â des Maltais qui<br />

ne voulai<strong>en</strong>t d'autres maîtres que nous .....P<strong>en</strong>dant <strong>le</strong>s 24<br />

heures que nous y passâmes, nous visitâmes <strong>le</strong>s fortifications<br />

qui excitèr<strong>en</strong>t vivem<strong>en</strong>t notre admiration dans la bonne<br />

déf<strong>en</strong>se et l'abri qu'el<strong>le</strong>s prés<strong>en</strong>tai<strong>en</strong>t à ses différ<strong>en</strong>ts ports.<br />

Tout, dans cette malheureuse î<strong>le</strong> maint<strong>en</strong>ant sous la domination<br />

des Anglais, contribuAit à des souv<strong>en</strong>irs qu'on éprouve à<br />

la vue de la, construction des maisons et des personnes au type<br />

ori<strong>en</strong>tal, au teint hâlé et à la grande misère que peignait tout<br />

<strong>le</strong>ur être.<br />

MM. <strong>le</strong>s officiers du M<strong>en</strong>tor, qui nous avai<strong>en</strong>t témoigné la<br />

plus grande bi<strong>en</strong>veillance, reçur<strong>en</strong>t de nous aussi <strong>le</strong>s marques<br />

de notre amitié, (lue nous essayâmes de <strong>le</strong>ur faire<br />

compr<strong>en</strong>dre <strong>par</strong> l'expression de coeur <strong>le</strong> plus dévoué, dans<br />

• un repas que nous <strong>le</strong>ur donnâmes, plusieurs toasts fur<strong>en</strong>t<br />

- .. portés â toutes <strong>le</strong>s armes de France qui étai<strong>en</strong>t représ<strong>en</strong>tées<br />

là <strong>par</strong> un de ses membres, et <strong>le</strong>s poignées de main <strong>le</strong>s plus<br />

amica<strong>le</strong>s fur<strong>en</strong>t données, et on se sé<strong>par</strong>a, devant se revoir au<br />

bout de nos huit années.<br />

Le 27 au matin, nous nous embarquâmes sur <strong>le</strong> paquebot<br />

<strong>le</strong>sésostvis, nous passâmes successivem<strong>en</strong>t devant <strong>le</strong>s côtes<br />

de la Sici<strong>le</strong>, de, la Ces dernièrds surtout nous p<strong>par</strong>aissai<strong>en</strong>t<br />

sèches et arides; notre imagination fui déçue dans la<br />

beauté qu'el<strong>le</strong> s'<strong>en</strong> était promise aux récits de nos auteurs<br />

sur l'Ori<strong>en</strong>t. Nous aperçûmes même de loin <strong>le</strong>s côtes d'Afrique:<br />

<strong>le</strong> temps était beau, il nous fut assez faci<strong>le</strong> de <strong>le</strong>s voir;<br />

1..


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE Ii<br />

<strong>le</strong> Sésostris relâcha devant Syra, î<strong>le</strong> de l'archipel. P<strong>en</strong>dant<br />

<strong>le</strong>s deux heures que <strong>le</strong> capitaine du bâtim<strong>en</strong>t nous dit devoir<br />

y rester, nous visitâmes Syra, î<strong>le</strong> sa<strong>le</strong> et dégoûtante, mais<br />

d'un commerce assez ét<strong>en</strong>du; nous fûmes surtout visiter fa<br />

haLite vil<strong>le</strong>, appelée nouveau Syra. C'est une hauteur qui<br />

domine bi<strong>en</strong> loin. Depuis quelque temps on bâtit sur cette<br />

colline, et l'aspect <strong>en</strong> est agréab<strong>le</strong>; nous nous r<strong>en</strong>dîmes pour<br />

l'heure indiquée sur <strong>le</strong> Sésosiris; on <strong>par</strong>tit <strong>par</strong> un bon v<strong>en</strong>t.<br />

A la nuit tombante, tin orage s'é<strong>le</strong>va; il nous fit certes plus<br />

souffrir que <strong>le</strong> bâtim<strong>en</strong>t qui, sain et sauf, jeta l'ancre <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain<br />

devant Smyrne.<br />

P<strong>en</strong>dant <strong>le</strong>s quelques instants qu'on resta devant Smyrne,<br />

nous fûmes visiter la patrie d'Homère; bi<strong>en</strong> des choses nous<br />

étonnèr<strong>en</strong>t, <strong>en</strong>tr'autres <strong>le</strong>s bazars, <strong>le</strong>s premiers que nous<br />

voyions semblab<strong>le</strong>s â ceux qui exist<strong>en</strong>t dans <strong>le</strong>s principa<strong>le</strong>s<br />

vil<strong>le</strong>s d'Ori<strong>en</strong>t. Cont<strong>en</strong>ts de notre excursion, nous nous disposions<br />

d'al<strong>le</strong>r à bord, quand, au détour <strong>d'une</strong> rue, flous<br />

aperçI3mes une basse-cour, et, â son <strong>en</strong>trée, une jeune<br />

négresse nous t<strong>en</strong>dant la main pour recevoir quelques aumônes,<br />

nous faisant signe <strong>en</strong> même temps d'<strong>en</strong>trer pour voir un<br />

spectac<strong>le</strong> qu'el<strong>le</strong> croyait pour nous de grand intérêt. Nous<br />

<strong>en</strong>trâmes et vîmes, sous un figuier, un grand nombre d'esclaves<br />

comme el<strong>le</strong>, dans l'attitude la plus misérab<strong>le</strong>; dès<br />

qu'el<strong>le</strong>s nous vir<strong>en</strong>t, el<strong>le</strong>s se groupèr<strong>en</strong>t et, placées ainsi <strong>le</strong>s<br />

unes contre <strong>le</strong>s autres, el<strong>le</strong>s <strong>par</strong>aissai<strong>en</strong>t surprises <strong>d'une</strong><br />

tel<strong>le</strong> visite et plus <strong>en</strong>core de nos costumes français. El<strong>le</strong>s nous<br />

t<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t <strong>le</strong>urs mains noires; chacun se hâta d'y mettre la.<br />

monnaie de sa poche. C'était toutefois un horrib<strong>le</strong> coup d'oeil<br />

que de voir ces figuressouffrantes, habituées à la tristesse et<br />

à la plus affreuse misère, feindre même la joie que <strong>le</strong>ur<br />

recommandait <strong>le</strong>ur maître, lorsque quelques visiteurs se<br />

prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t; d'autres, véritab<strong>le</strong>s femmes de la nature, dont<br />

<strong>le</strong>s traits sonttoujours <strong>le</strong>s mêmes, peignai<strong>en</strong>t la plus affreuse<br />

détresse; quelques autres <strong>en</strong>core avai<strong>en</strong>t je ne sais quoi de<br />

diabolique qui, pour mon compte, je l'avoue, me faisait<br />

BlBt.lO ÎNEQIJF<br />

)1


12 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

frissonner. Pauvres femmes pauvres esclaves I nées sous<br />

l'arbre de l'infortune, ses branches ne <strong>le</strong>s mettront jamais à<br />

l'abri du malheur, el<strong>le</strong>s souffr<strong>en</strong>t. Pauvres âmes souffrantes,<br />

que doit-il se prés<strong>en</strong>ter à <strong>le</strong>ur imagination, quand vous<br />

voyez tant de g<strong>en</strong>s heureux? Oh I combi<strong>en</strong> vous devez<br />

accuser toutes <strong>le</strong>s justices humaines et divines. J'avoue que<br />

ce tab<strong>le</strong>au me laissa de tristes souv<strong>en</strong>irs et me fit faire de<br />

tristes réf<strong>le</strong>xions sur ces choses que j'ignorais tota<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t.<br />

Nous nous r<strong>en</strong>dîmes sur <strong>le</strong> Sésostris <strong>en</strong>suite, et bi<strong>en</strong>tôt<br />

Smyrne fuyait derrière nous, mais nonsans ses impressions. Le<br />

temps était superbe. Bi<strong>en</strong>tôt, un officier de bord nous montra<br />

de loin une î<strong>le</strong>: C'est là, Messieurs, nous dit-il, l'î<strong>le</strong> Ténédos;<br />

je me rappelai alors mes vi<strong>en</strong>xauteurs latins, surtout Virgi<strong>le</strong>,<br />

qui cacha dans son sein <strong>le</strong>s Grecs perfides. Je réfléchissais<br />

ainsi et nous touchions presque l'î<strong>le</strong>; je voyais cette terre, <strong>en</strong><br />

face de vastes champs quelque peu ferti<strong>le</strong>s, terminée non<br />

loin de là <strong>par</strong> des collines. Là, nous dit-il <strong>en</strong>core, s'é<strong>le</strong>vait jadis<br />

Troie. Pauvre Troie, voilà donc ce qui reste de ta puissance:<br />

pas une pierre ne témoigne ta grandeur; etje voyais alors<br />

ces terres où mon imagination plaçait <strong>en</strong>core quelques<br />

hommes. Oh I que je me serais cru heureux, bi<strong>en</strong> jeune<br />

<strong>en</strong>core, quand mes auteurs classiques me <strong>par</strong>lai<strong>en</strong>t de Troie,<br />

de voir au moins ces restes que j'avais alors sous mes yeux.<br />

Bi<strong>en</strong>tôt nous étions à l'<strong>en</strong>trée des Dardanel<strong>le</strong>s où étai<strong>en</strong>t 1e<br />

flottes française et anglaise; nous y.fîmes la station habituel<strong>le</strong><br />

pour la correspondanée, et nous <strong>par</strong>tîmes <strong>en</strong>suite. Nous admirions<strong>le</strong>ssites<br />

remarquab<strong>le</strong>s qu'on découvraitsur<strong>le</strong>s deux rivages<br />

où des forts étai<strong>en</strong>t construits de distance <strong>en</strong> distance pour<br />

garder ce détroit. Tityre, ce pâtre de Virgi<strong>le</strong> se fut <strong>en</strong>core<br />

arrêté sur ces superbes paysages, et aurait, à l'ombre de<br />

quelque cyprès, fait <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre <strong>le</strong>s sons harmonieux de son<br />

chalumeau. Je me montrai grand admirateur de cette nature<br />

et j'éprouvai <strong>le</strong>s vives s<strong>en</strong>sations qui quelques années au<strong>par</strong>avant<br />

naissai<strong>en</strong>t chez moi dans nos vallées du pays basque<br />

et <strong>le</strong> mont Tradoy. La nuit vint peu à peu assombrir tout <strong>le</strong>


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 13<br />

brillant de ces campagnes; nous la passâmes <strong>en</strong> <strong>par</strong>tie sur <strong>le</strong><br />

pont, â raconter différ<strong>en</strong>tes av<strong>en</strong>tures. Enfin, refroidis <strong>par</strong>ia<br />

brise, nous nous r<strong>en</strong>dîmes dans nos cabines, où nous passâmes<br />

<strong>le</strong> reste de la nuit, <strong>en</strong>dormis <strong>par</strong> un léger roulis.<br />

Le l<strong>en</strong>demain matin, au réveil, nous montâmes sur <strong>le</strong> pont<br />

et apprîmes que depuis quelques heures nous étions <strong>en</strong>trés<br />

dans la mer de Marmara. Bi<strong>en</strong>tôt poussés <strong>par</strong> un v<strong>en</strong>t qui<br />

nous pr<strong>en</strong>ait <strong>en</strong> poupe, nous aperçûmes au loin un amas<br />

considérab<strong>le</strong> de maisons surmontées de flèches très é<strong>le</strong>vées:<br />

C'était Constantinop<strong>le</strong>. De plus près nous fûmes â même de<br />

remarquer <strong>le</strong>s riches mosquées; nous débarquâmes â la suite<br />

dé Hussein-J(hân qui fut salué comme de coutume <strong>par</strong> 17<br />

coups de Canon. Arrivés â terre, <strong>le</strong> palais de l'ambassadeur<br />

étant loin de là, au fond de Stamboul, nous montâmes sur<br />

quelques chevaux efflanqués, â l'exception toutefois des<br />

Persans, et ï la tombée de la nuit nous prîmes, <strong>le</strong> 4 octobre,<br />

possession de notre salon décoré â l'ori<strong>en</strong>ta<strong>le</strong> ; des divans<br />

placés tout autour devai<strong>en</strong>t nous servir de couche, ce qui nous<br />

fit grand plaisir, puisque nous étions, <strong>par</strong> cette disposition,<br />

réunis p<strong>en</strong>dant <strong>le</strong>s quelques jours que nous devions passer â<br />

Constantinop<strong>le</strong>. De notre chambre on arrivait de p<strong>le</strong>in pied<br />

dans un jardin qui pouvait au besoin nous distraire des <strong>en</strong>nuis<br />

que nous aurions pu avoir dans une vil<strong>le</strong> inconnue, surtout<br />

dans <strong>le</strong> quartier où nous étions qui était un quartier turc<br />

nous ne pouvions avoir la distraction de la conversation des<br />

dames de ce pays, <strong>le</strong>ur religion s'opposant à toute espèce de<br />

relations avec des chréti<strong>en</strong>s.<br />

Les premiers jours de notre arrivée, nous<strong>par</strong>courions tous<br />

<strong>le</strong>s quartiers de la vil<strong>le</strong>, principa<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t ceux de Péra, <strong>par</strong>tie<br />

de la vil<strong>le</strong> occupée <strong>par</strong> tous <strong>le</strong>s Français qui sont dans <strong>le</strong> pays.<br />

On apprit bi<strong>en</strong>tôt que nous étions aussi Français, attachés au<br />

service de la Perèe <strong>en</strong> qualité de lieut<strong>en</strong>ants pour instruire<br />

<strong>le</strong>s troupes de ce pays; aussi bi<strong>en</strong>tôt, â une excursion que<br />

nous fîmes au quartier français, on se rangeait de toutes<br />

<strong>par</strong>ts aux f<strong>en</strong>êtres, et toutes <strong>le</strong>s figures que nous voyions


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JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

<strong>par</strong>aissai<strong>en</strong>t cont<strong>en</strong>tes rie revoir des <strong>militaire</strong>s français. Pourtant,<br />

à cette époque <strong>en</strong>core, nous n'avions aucun but. Nous<br />

courions çà et là pour tuer l'<strong>en</strong>nui qui nous obsédait <strong>par</strong>fois;<br />

un étranger <strong>par</strong>lant néanmoins la langue française et voyant<br />

notre course vagabonde, nous accosta et nous dit que <strong>le</strong> fils<br />

deMahmoud, (Ahdul .Medjid),Sultan delaTurquie, allaitpasser<br />

près de l'<strong>en</strong>droit où nous étions, sortant rie sa mosquée; nous<br />

y fûmes, et la haie formée de bi<strong>en</strong> loin nous assura la vérité<br />

de notre interlocuteur. Curieux à notre tour de voir ce jeune<br />

sultan, nous prîmes place. Ils aperçur<strong>en</strong>t hi<strong>en</strong>tôt <strong>le</strong>s costumes<br />

brillants français, et cela ne tarda pas à nous r<strong>en</strong>dre suspects<br />

aux yeux des officiers gardi<strong>en</strong>s du Sultan, car, àtroié reprises<br />

différ<strong>en</strong>tes, des émissaires étonnés v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t près de flous, et<br />

nous faisai<strong>en</strong>t demander, <strong>par</strong> notre cirogman, qui nous étions,<br />

ce que nous faisions à Constantinop<strong>le</strong>, et pourquoi nous étions<br />

lâ. A latin, <strong>en</strong>nuyésde tout cela, nous allions <strong>par</strong>tir, lorsqu'un<br />

officier turc, <strong>en</strong>voyé du Sultan, instruit rie nos dernaxides et<br />

de nos réponses, nous fit prier de l'att<strong>en</strong>dre à son passage<br />

désirant voir des Français. Nous ycons<strong>en</strong>times; alors, sousla<br />

protection de <strong>le</strong>urs gardes, on fitrecu<strong>le</strong>r <strong>le</strong> monde, et on nous<br />

fit une place au premier rang.<br />

Peud'instantsaprès, un mornesil<strong>en</strong>ce rêgna; chacun courba<br />

et son corps et sa tête, et <strong>le</strong> Sultan monté sur un joli cheval,<br />

précédé de son élite d'officiers marchani, sur cieux rangs,<br />

recevait ainsi <strong>le</strong>s hommages de son peup<strong>le</strong>. Bi<strong>en</strong>tôt, il arriva<br />

devant nous, et nous fixant réciproquem<strong>en</strong>t, nous <strong>le</strong> saluâmes<br />

portantla main à nos coiffures <strong>militaire</strong>s. Il y répondit, etnous<br />

poursuivîmes notre prom<strong>en</strong>ade, nous arrêtant et examinant<br />

tout; des g<strong>en</strong>s de nos provinces, arrivés sur nos remarquab<strong>le</strong>s<br />

bou<strong>le</strong>vards, n'étai<strong>en</strong>t pas plus étonnésque nous l'étions devant<br />

quelques habitudes ori<strong>en</strong>ta<strong>le</strong>s. Nous fûmes obligés de quitter<br />

cette aimab<strong>le</strong> Péra de bi<strong>en</strong> bonne heure, â cause des communications<br />

qui sont interceptées au coucher du so<strong>le</strong>il <strong>en</strong>tre <strong>le</strong>s<br />

musulmans et <strong>le</strong>s catholiques, et comme je j'ai déjàdit, notre<br />

ambassade, où nous demeurions, étant dans <strong>le</strong> quartier


JOURNAL D'UNE MiSSION MILITAIRE EN PERSE 15<br />

musulman, nous dûmes nous dépêcher pour ne pas <strong>en</strong>courir<br />

<strong>le</strong>s risques d'être obligés de coucher à Péra, ce qui ne nous<br />

aurait nul<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t amusés, n'y ayant, jusqu'alors, aucune<br />

connaissance. Cont<strong>en</strong>ts de notre journée, nous gagnâmes<br />

donc notre demeure; <strong>le</strong>s jours suivants nous reçûmes<br />

plusieurs visites qui toutes nous témoignèr<strong>en</strong>t l'amitié de nos<br />

compatriotes, car ces personnes étai<strong>en</strong>t presque toutes françaises<br />

ou avai<strong>en</strong>t habité longtemps la France. Quel que soit <strong>le</strong><br />

titre despersonnesqui v<strong>en</strong>aiéntnous voir, el<strong>le</strong>s noushonorai<strong>en</strong>t<br />

beaucoup, et el<strong>le</strong>s étai<strong>en</strong>t accueil lies âbras ouverts. Un couvert<br />

â notre tab<strong>le</strong> était mis pour el<strong>le</strong>s de bon coeur.<br />

Les jours suivants nous reçûmes plusieurs invitations, et<br />

bi<strong>en</strong>tôt notre société s'accrut tel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t, que, dans toutes nos<br />

réunions, nous étions toujours de 25 à 30 personnes, société<br />

nombreuse à 600 lieues de laFrance, où nous étions déjà.<br />

Quelquefois <strong>en</strong>core, <strong>par</strong>mi el<strong>le</strong>s, se trouvai<strong>en</strong>t des officiers<br />

turcs qui éprouvai<strong>en</strong>t â se mettre <strong>en</strong> rapport avec nous <strong>le</strong><br />

même plaisir que nous avions de trouver des amis chez des<br />

chefs <strong>d'une</strong> puissance éloignée de la nôtre. Parmi eux, je<br />

citerai Hussein Eff<strong>en</strong>di, capitaine des troupes ottomanes,<br />

jeune homme qui n'avait pas de peine â se faire remarquer,<br />

même <strong>par</strong>mi <strong>le</strong>s officiers supérieurs de son armée. Nous<br />

crûmes qu'il était de notre devoir, étant stationnés dans cette<br />

vil<strong>le</strong>, de faire quelques visites aux pachas â la tête de tous <strong>le</strong>s<br />

ministères; ils nous accueillir<strong>en</strong>t tous avec une bi<strong>en</strong>veillance<br />

et une bonté sans éga<strong>le</strong>. Ils nous assurèr<strong>en</strong>t de <strong>le</strong>urs bons<br />

s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts pour nous. L'un d'eux, Reschid Pacha, ministre<br />

des Affaires étrangères, qui, tout récemm<strong>en</strong>t, était arrivé .de<br />

France, nous témoigna une <strong>par</strong>ticulière bi<strong>en</strong>veillance, et eut<br />

l'extrême obligeance de nous faire délivrer ut' firman qui<br />

nous servit à visiter <strong>le</strong>s mosquées <strong>le</strong>s plus remarquab<strong>le</strong>s.<br />

Nous passâmes, <strong>en</strong> coMpagnie de toutes ces personnes, des<br />

journées très agréab<strong>le</strong>s. Je ne crois pas devoir passer sous<br />

sil<strong>en</strong>ce <strong>le</strong>s bontés qu'eut pour nous M. Soulié, directeur<br />

du Cirque, â Constantinop<strong>le</strong>. Ri<strong>en</strong> ne fut négligé de la


16 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

<strong>par</strong>t de cet aimab<strong>le</strong> com$triote pour ajouter à la société<br />

de quelques personnes aimab<strong>le</strong>s comme lui, tous <strong>le</strong>s agrém<strong>en</strong>ts<br />

qu'il était à même de nous procurer. M. Soulié, dans<br />

toutes ses représ<strong>en</strong>tations, réservait, pour nous autres ses<br />

compatriotes, une loge d'honneur, où <strong>le</strong> Sultan et <strong>le</strong>s premiers<br />

ministres de la Turquie pouvai<strong>en</strong>t seuls <strong>en</strong>trer. Soit, <strong>en</strong>suite,<br />

pour nous amuser davantage, soit pour essayer d'approcher,<br />

dans ses manoeuvres, de celte que nous avions été<br />

i même de voir <strong>en</strong> France, ri<strong>en</strong> n'était négligé <strong>par</strong> M. Soulié<br />

et ses premiers écuyers. Nous nous réunissions ainsi très<br />

souv<strong>en</strong>t au quartier français. Un jour, ces messieurs nous<br />

fir<strong>en</strong>t l'honneur de se r<strong>en</strong>dre à l'invitation que nous <strong>le</strong>ur<br />

avions faite de déjeûner avec nous è Péra. M. Soulié nous<br />

invita à son tour, après <strong>le</strong> déjeâner, à faire une cavalcade<br />

aux Eaux Douces, ce fut généra<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t accepté avec<br />

plaisir. On se r<strong>en</strong>dit au Cirque immédiatem<strong>en</strong>t après <strong>le</strong><br />

déjeûner, et nous trouvâmes <strong>le</strong>s chevaux sellés prêts à être<br />

montés, et lorsque <strong>le</strong>s quelques derniers cavaliers se fur<strong>en</strong>t<br />

r<strong>en</strong>dus maîtres de <strong>le</strong>urs chevaux <strong>en</strong> <strong>le</strong>s t<strong>en</strong>ant <strong>en</strong> bride, nous<br />

déifiâmes, <strong>par</strong> deux: la journée était charmante, la route<br />

assez bel<strong>le</strong>. Les plus adroits cavaliers, à l'instar de M. Soulié,<br />

se plaisai<strong>en</strong>t à faire caraco<strong>le</strong>r <strong>le</strong>urs chevaux. Nous aperçûmes,<br />

après I heure 1/2 de prom<strong>en</strong>ade, un bas-fond<br />

charmant; toutes <strong>le</strong>s terres étai<strong>en</strong>t recouvertes de mousse et<br />

autres herbes; au milieu passait la rivière; de chaque côté,<br />

deux prom<strong>en</strong>ades bordes d'arbres se prolongeai<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong><br />

loin suivant <strong>le</strong>s différ<strong>en</strong>ts contours rie la rivière. Nous eûmes<br />

occasion de voir la demeure agréab<strong>le</strong> du Sultan qui, à la<br />

bel<strong>le</strong> saison, y va passer quelques jours. Un peu plus loin<br />

était une prairie; nous nous y lançâmes au galop. Tout près<br />

de là étai<strong>en</strong>t deux maisons d'où sortir<strong>en</strong>t, à notre arrivée,<br />

plusieurs hommes. Nous <strong>le</strong>ur conflâmes nos chevaux et nous<br />

visitâmes <strong>le</strong>s <strong>en</strong>virons. Nous vîmes au détour d'un petit pont<br />

un poste de soldatsturcs; un poste dans un <strong>en</strong>droit aussi loin<br />

de la vil<strong>le</strong> et aussi désert nous surprit beaucoup, et nous


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

apprîmes <strong>en</strong>suite de ces messieurs qu'il était là pour fermer<br />

la barre de la maison de plaiswnce du Sultan. Après cette<br />

petite excursion â travers champs, nous nous r<strong>en</strong>dîmes â nos<br />

deux maisonnettes, où étai<strong>en</strong>t nos chevaux. Nous aperçûmes<br />

sous <strong>le</strong> hangar de l'une d'el<strong>le</strong>s des tabourets p1cés pour<br />

nous, et un Turc qui nous invitait ànousasseoir, nous offrant<br />

des chéhoucks (longues pipes turques) et du café. Nous<br />

fûmes tous décidés à accepter, ne fût-ce même que pour jouir<br />

plus longtemps de cette bel<strong>le</strong> campagne. Enfin <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il se<br />

cachait. Nous dûmes, pour éviter <strong>le</strong>s mouvem<strong>en</strong>ts que j'ai<br />

relatésci-dessus nous r<strong>en</strong>dre immédiâtem<strong>en</strong>tâconstantinop<strong>le</strong>.<br />

Nous montâmes à cheval bi<strong>en</strong> cont<strong>en</strong>ts; nous marchâmes<br />

tous <strong>le</strong>s uns près des autres pour <strong>le</strong> retour. Au haut de la<br />

colline <strong>par</strong>aissait une plaine assez vaste ou s'y r<strong>en</strong>dit au<br />

galop. Arrivés à l'extrémité, nous nous plaçâmes <strong>en</strong> batail<strong>le</strong>.<br />

Là, d'après <strong>le</strong> cons<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t de tous, M. Deia.marre, officier<br />

instructeur pour la cava<strong>le</strong>rie persane, prit <strong>le</strong> commandem<strong>en</strong>t<br />

des fantassins même, puisque montés à cheval, ils devai<strong>en</strong>t<br />

être, pour <strong>le</strong>s manoeuvres du mom<strong>en</strong>t, considérés, ma foi,<br />

pour de bons cavaliers.<br />

Quoiqu'il <strong>en</strong> soit, M. Delamarre, dont <strong>le</strong> caractère était assez<br />

gai et comique, surtout au sortir d'un bon repas, fit rompre<br />

<strong>par</strong> deux, <strong>par</strong> quatre, et <strong>le</strong> tout s'exécutait au commandem<strong>en</strong>t<br />

<strong>d'une</strong> grosse voix de dragon; et tout <strong>en</strong> marchant, il répétait<br />

<strong>le</strong>s observations de sa théorie, <strong>en</strong> faisait faire l'application<br />

<strong>par</strong> tout son petit détachem<strong>en</strong>t, et je prie de croire tous mes<br />

<strong>le</strong>cteurs que souv<strong>en</strong>t sa voix s'é<strong>le</strong>vait plus forte que jamais<br />

pour faire ses observations aux fantassins ; et comme je<br />

l'étais, je dus me résigner à <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre mot <strong>par</strong> mot toutes <strong>le</strong>s<br />

phrases de sa théorie. Ainsi, la route se fit très agréab<strong>le</strong>, et<br />

l'on ne tarda pas à découvrir Constantinop<strong>le</strong>. Plus sil<strong>en</strong>cieux<br />

que jamais, nous nous serrâmes sur deux rangs et nous<br />

<strong>en</strong>trâmes <strong>en</strong> vil<strong>le</strong> <strong>en</strong> ayant sur nous tous <strong>le</strong>s regards, attirés<br />

surtout <strong>par</strong> <strong>le</strong> brillant de nos costumes français. Nous<br />

<strong>en</strong>trâmes au Cirque où des écuyers se hâtèr<strong>en</strong>t de pr<strong>en</strong>dre


iS 3OURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

nos chevaux. Nous nous r<strong>en</strong>dîmes <strong>en</strong>suite au calé, nous<br />

prîmes <strong>en</strong> cette bonne comphgnie, un punch, et nous nous<br />

sé<strong>par</strong>âmes <strong>en</strong>suite, devant nous revoir <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain. Ce jourta<br />

s'écoula donc très agréab<strong>le</strong>. Le soir, nous nous mîmes un<br />

peu <strong>en</strong> retard, et, après avoir dépassé <strong>le</strong> pônt pour r<strong>en</strong>trer à<br />

Constantinop<strong>le</strong>, nous n'avions d'inquiétude que <strong>par</strong> rapport<br />

aux maudits chi<strong>en</strong>s qui se trouv<strong>en</strong>t dans <strong>le</strong>s rues, et nous<br />

faisai<strong>en</strong>t une guerre ouverte. Sur toute la route, nous avions<br />

donc à nous t<strong>en</strong>ir sur nos gardes, el<strong>le</strong> chi<strong>en</strong> téméraire devait,<br />

sans att<strong>en</strong>dre longtemps pour ne pas compromettre nos<br />

intérêts, recevoir quelques coups de gourdin. Nous remarquions<br />

surtout trois <strong>en</strong>droits où <strong>le</strong>s chi<strong>en</strong>s se portai<strong>en</strong>t <strong>en</strong><br />

grand nombre quand ils avai<strong>en</strong>t àattaquerun certain nombre<br />

de passants.. C'est , contre nous, Français, ou • mieux contre nos<br />

uniformes, que ces malheureuses bêtes se déchaînai<strong>en</strong>t.<br />

Plusieurs fois nous fûmes obligés de mettre sabre <strong>en</strong> main;<br />

cela dans <strong>le</strong>s dernierstemps était d'autant plus nécessaire et<br />

urg<strong>en</strong>t que <strong>le</strong>s Turcs, comme on <strong>le</strong>s saittoujours <strong>en</strong>nemis des<br />

chréti<strong>en</strong>s, <strong>le</strong>s excitai<strong>en</strong>t, <strong>le</strong>s agaçai<strong>en</strong>t à notre insu. Un de nos<br />

camarades, M. Delamarre, fut attaqué <strong>par</strong> quelques chi<strong>en</strong>s.<br />

Il criafort, nous appela à son secours; nous étions à une<br />

c<strong>en</strong>taine de pas <strong>en</strong> avant. A ces mots de secours nous nous<br />

arrêtâmes un instant et nous y volâmes. Lorsque nous eûmes<br />

découvert notre ami, couché sur son dos, faisant al<strong>le</strong>r ses<br />

jambes pour se déf<strong>en</strong>dre, il râclait la terre de son sabre, et<br />

faisait tous ces mouvem<strong>en</strong>ts avec, d'autant plus de vivacité<br />

qu'il nous voyait près de lui. Enfin nous approchâmes et<br />

<strong>par</strong>vînmes à chasser ces chi<strong>en</strong>s. Nous ne pmes nous empêcher<br />

de rire <strong>en</strong> voyant une figure rouge de tout l'embarras<br />

que lui occasionnait cette pénib<strong>le</strong> position. Nous l'aidâmes à<br />

se re<strong>le</strong>ver « Nom d'un Dieu, nous dit-il, <strong>en</strong> nous montrant<br />

te son mol<strong>le</strong>t et son pantalon, qui avai<strong>en</strong>t essuyés de grandes<br />

avaries, quel <strong>le</strong>attaqiïe 1 »; etil allaitsemettreà<strong>le</strong>urpoursuite<br />

• s'il n'ett eu à s'occuper de son pantalon et du plumet de son<br />

casque; p<strong>en</strong>dant ces quelques instants, sa colère se passa.


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 19<br />

On conçoit., d'après cet incid<strong>en</strong>t et cette très désagréab<strong>le</strong> plaisanterie,<br />

que nous devions pins que jamais nous t<strong>en</strong>ir sur nos<br />

gardes. 11 est aussi, d'après <strong>le</strong> dit-on, souv<strong>en</strong>t d'autres plus<br />

grands malheurs â déplorer. 0e sont <strong>le</strong>s personnes qui<br />

devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t victimes de ces animaux, et <strong>le</strong> passant isolé, qui,<br />

la nuit, se laisse abattre <strong>par</strong> <strong>le</strong> nombre et <strong>le</strong>ur aboiem<strong>en</strong>t, ne<br />

tarde pas, s'il n'estsecouru,â être disséqué etdévoré<strong>par</strong>eux.<br />

Que p<strong>en</strong>ser pourtant de tant d'abus, si on ne voit <strong>en</strong>core là<br />

une p<strong>en</strong>sée déplorab<strong>le</strong> des Musulmans qui, tout <strong>en</strong> <strong>le</strong>s regardant<br />

comme animaux impurs, s'oppos<strong>en</strong>t à ce qu'on <strong>le</strong>s tue,<br />

et <strong>le</strong>ur jett<strong>en</strong>t à des heures indiquées de grands morceaux de<br />

viande. Malheureuse vil<strong>le</strong>, tout vi<strong>en</strong>t contribuer â la r<strong>en</strong>verser,<br />

et une nouvel<strong>le</strong> Cons tantinop<strong>le</strong>,.d'ici à quelques années,<br />

vi<strong>en</strong>dra s'<strong>en</strong>ter sur de déplorab<strong>le</strong>s -ruines.<br />

Le 15 octobre, un inc<strong>en</strong>die horfib<strong>le</strong> éclata <strong>en</strong>core et de nombreux<br />

ma]heureuxeur<strong>en</strong>tàsejoindre à ceux dont Iesdemeures<br />

étai<strong>en</strong>t dev<strong>en</strong>ues la proie des flammes, à péra, deux mois <strong>en</strong>viron<br />

avant notre arrivée, etoû <strong>le</strong>s débris f minai <strong>en</strong>t<strong>en</strong>core un mois<br />

après l'inc<strong>en</strong>die. L'inc<strong>en</strong>die dont nous fûmes témoilis, <strong>le</strong> 15 octobre,<br />

éclata près de nos <strong>par</strong>ages. D'abord des cris, des hourras<br />

nous fir<strong>en</strong>t abandonner notre tab<strong>le</strong>. Que] fut notre étonnem<strong>en</strong>t<br />

de voirie ciel refléterd'épouvantab<strong>le</strong>s flammes qui, jusqu'àun<br />

quart de lieue, nous éclairai<strong>en</strong>t assez pour que chacun put<br />

voir dans la figure de son camarade, la stupeur. « Allons-y »,<br />

dit un de nous, et-, dominés du désir de <strong>le</strong>ur être uti<strong>le</strong>s, et un<br />

peu de la curiosité, nous prîmes nos armes et nous nous<br />

dirigeâmes vers <strong>le</strong> sinistre; <strong>par</strong>tout on voyait des.Musulmans<br />

s'y r<strong>en</strong>dant <strong>en</strong> courant. Une fois sur <strong>le</strong> lieu de l'inc<strong>en</strong>die, quel<br />

fut notre étorniem<strong>en</strong>tde voir <strong>le</strong> feu gagner de toutes <strong>par</strong>ts et<br />

de voir <strong>en</strong> même temps <strong>le</strong>s émin<strong>en</strong>ces voisines couvertes de<br />

spectateurs. Nous nous avançâmes plus près <strong>en</strong> passant dans<br />

an jardin déjà pillé et <strong>en</strong>vahi. Nous examinâmes un instant<br />

ces malheureuses demeures, tombant avec bruit et fracas.<br />

Nous vîmes <strong>en</strong> même temps quelques soldats armés de<br />

haches, longues perches et cordes. Nous, consci<strong>en</strong>cieux,


20 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

quoique n'ap<strong>par</strong>t<strong>en</strong>ant pas â la Turquie, de nous adresser au<br />

chef de ces hommes et de lui conseil<strong>le</strong>r d'abattre, sans délai,<br />

une maison qui, sans cela, hâterait l'inc<strong>en</strong>die; il nous écouta<br />

d'abord, et <strong>en</strong> un instant tous ces travail<strong>le</strong>urs mir<strong>en</strong>t la main<br />

à l'oeuvre; mais <strong>en</strong> même temps, d'autres lui observèr<strong>en</strong>t que<br />

dans cette maison il yavait un puits et la besogne cessa. Cette<br />

considération aurait pu être mise <strong>en</strong> balance avec cette<br />

maison à abattre pour arrêter tout progrès, si l'eau avait<br />

manqué, mais la mer était tout près. Pauvres g<strong>en</strong>s I pauvre<br />

vil<strong>le</strong> I!... Nous changeâmes alors de direction. Pour lors, <strong>le</strong>s<br />

secours v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t de toutes<strong>par</strong>ts; il y avait de la frénésie chez<br />

ces hommes, courant çàetlaet porteurs de pompes, et n'ayant<br />

point de garde de fou<strong>le</strong>r à <strong>le</strong>urs pieds ceux qui ne se<br />

rangeai<strong>en</strong>t pas assez tôt pour <strong>le</strong>ur faire place. A côté, on<br />

voyaitdes pachas, que <strong>le</strong>ur devoir avaitattiré vers cet <strong>en</strong>droit,<br />

fumer <strong>le</strong>ur chebouck avec la posture la plus tranquil<strong>le</strong>, et<br />

donnai<strong>en</strong>t ainsi <strong>le</strong>urs ordres.. Nous <strong>par</strong>courûmes plusieurs<br />

quartiers, tous alors différ<strong>en</strong>ts-théâtres de l'inc<strong>en</strong>die, et nous<br />

nous arrêtâmes au bord de la mer. Daprès notre précéd<strong>en</strong>t<br />

désappointem<strong>en</strong>t, nous donnions quelques conseils, mais sans<br />

beaucoup d'empressem<strong>en</strong>t. Là cep<strong>en</strong>dant, on nous écouta et<br />

nos conseils fur<strong>en</strong>t suivis. Nous remarquâmes cep<strong>en</strong>dant que<br />

tous<strong>le</strong>s secours, toutes<strong>le</strong>urs forces seportai<strong>en</strong>td'un seul côté,<br />

tandis qu'une longue fi<strong>le</strong> de maisons vers la mer restait sans<br />

secours et dev<strong>en</strong>ait de plus <strong>en</strong> plus la proie des flammes. Nous<br />

<strong>en</strong> demandâmes l'explication â un turc qui se trouvait là.<br />

« C'est, nous répondit-ii avecsa tranquillité habituel<strong>le</strong>, que ce<br />

quartier est celui des Musulmans, tandis que celui-là est aux<br />

chréti<strong>en</strong>s Arméni<strong>en</strong>s. Leur demeure peutbrû<strong>le</strong>r. » Nous nous<br />

retournâmes vers <strong>le</strong> quartier de ces malheureux Arméni<strong>en</strong>s<br />

et nous <strong>le</strong>s voyons <strong>le</strong>s larmes aux yeux III L'inc<strong>en</strong>die fut<br />

effroyab<strong>le</strong> et <strong>le</strong> doigt de Mahomet avait désigné bon nombre<br />

de maisons dont ]es habitants ne se doutai<strong>en</strong>t pas alors d'être<br />

réduits à être <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain sans aucunasi<strong>le</strong>. Nousremontâmes<br />

à notre position première, et la maison que nous avions voulu


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 21<br />

faire abattre n'était pins et avait occasionné des flammes<br />

é<strong>le</strong>vées plus loin <strong>en</strong>core sur <strong>le</strong>s faites des maisons qui<br />

craquai<strong>en</strong>t â nos pieds. Pour .lôrs tous <strong>le</strong>s passages étai<strong>en</strong>t<br />

obstrués, et nous eûmes toute la peine du monde â nous<br />

frayer un passage. Enfin, après de longues peines, nous nous<br />

<strong>en</strong> éloignâmes, grâce à notre uniforme qui invitait <strong>le</strong>s cavas<br />

â faire recu<strong>le</strong>r <strong>le</strong> monde, autant toutefois que la fou<strong>le</strong> <strong>le</strong><br />

permettait. Nous eussions été bi<strong>en</strong> â plaindre, si nous ne<br />

nous étions prémunis de nos uniformes. Certes, dès lors, flous<br />

eussions s<strong>en</strong>ti plus <strong>d'une</strong> fois <strong>le</strong>s bâtons des cavas s'appesantir<br />

sur nos reins, comme cela arriva à monsieur Delamarre, qui<br />

avait <strong>par</strong>dessus mis une blouse. Il fut sans doute arrêté, à<br />

notre dé<strong>par</strong>t de France, que tous <strong>le</strong>s incid<strong>en</strong>ts un peu<br />

comiques aurai<strong>en</strong>t eu lieu pour ce cher camarade. Enfin nous<br />

nous r<strong>en</strong>dîmes à l'ambassade persane. Le l<strong>en</strong>demain, au<br />

matin, nous voulûmes être témoins du sinistre; nous nous<br />

r<strong>en</strong>dimes au heu de l'inc<strong>en</strong>die; ri<strong>en</strong> n'étaitplus déplorab<strong>le</strong> et<br />

plus triste que ces raines qu'on apercevait de toutes <strong>par</strong>ts.<br />

Oh combi<strong>en</strong> nous eûmes à nous apitoyer sur <strong>le</strong> sort trop<br />

malheureux de tant de victimes. Des minarets s'é<strong>le</strong>vai<strong>en</strong>t de<br />

distance <strong>en</strong> distance; eux seuls tout de pierres et de<br />

briques étai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> <strong>par</strong>tie debout, comme pour être témoins<br />

d'un tel désastre. Un morne sil<strong>en</strong>ce régnait dans tous <strong>le</strong>s<br />

quartiers que nous <strong>par</strong>courions, et il n'était troublé que <strong>par</strong><br />

<strong>le</strong>s restes d'un édifice miné <strong>par</strong> l'horrib<strong>le</strong> élém<strong>en</strong>t et qui<br />

s'écroulait sous nos yeux. Plus loin, quelques décombres<br />

laissai<strong>en</strong>t échapper <strong>par</strong> <strong>le</strong>s crevasses une fumée étouffée.<br />

Ici, était un chi<strong>en</strong> tout ha<strong>le</strong>tant de la cha<strong>le</strong>ur qu'il éprouvait,<br />

et couché â l'<strong>en</strong>droit ou naguère habitai<strong>en</strong>t ses maîtres. Là<br />

était une fil<strong>le</strong>, la figure voilée, sil<strong>en</strong>cieuse, qui <strong>par</strong> mom<strong>en</strong>t<br />

priait sur <strong>le</strong>s c<strong>en</strong>dres qui peut-être r<strong>en</strong>fermai<strong>en</strong>t cel<strong>le</strong>s d'un<br />

père, <strong>d'une</strong> mère. A coté était l'imm<strong>en</strong>se mer fière d'être au<br />

niveau de tant de ruines. Plus loin, on apercevait un jeune<br />

<strong>en</strong>fant courant, çà et là, implorant la pitié d'un chacun et <strong>par</strong><br />

contraste horrib<strong>le</strong> étai<strong>en</strong>t quelques personnes victimes peut-<br />

2<br />

-


22<br />

JOURNAL DUNE MISSION MtL1TÀ1IIE IN PERSJ<br />

être indiffér<strong>en</strong>tes â. ce spectac<strong>le</strong>. Pour mon compte, j'avoue<br />

que jamais je n'éprouvai de si vives et pénib<strong>le</strong>s s<strong>en</strong>sations<br />

qu'a la vue de tant d'infortunes réunies. 3tmais je ne fis de<br />

plus justes réf<strong>le</strong>xions sur l'exist<strong>en</strong>ce humaine, frê<strong>le</strong> nacel<strong>le</strong><br />

se perdant au moindre orage. Nous quittâmes ce lieu vers <strong>le</strong>s<br />

9 heures du matin. Les flammes n'existai<strong>en</strong>t plus, <strong>le</strong> feu seul<br />

fumait <strong>en</strong>core; mais tout devait s'arrêter là, et à notre retour<br />

on lisait sur une planche dressée sur <strong>le</strong>s débris de la maison<br />

d'un boulanger « Ici a pris <strong>le</strong> feu ; 1,500 maisons ont été<br />

brûlées.<br />

Le 16 au soir, un autre inc<strong>en</strong>die éclâta aux <strong>en</strong>virons de<br />

notre demeure; nous <strong>en</strong> ftïmes avertis <strong>par</strong><strong>le</strong>s aboiem<strong>en</strong>ts des<br />

chi<strong>en</strong>s et <strong>par</strong> <strong>le</strong>s cris de la nombreuse populace se r<strong>en</strong>dant<br />

au lieu du sinistre. Nous y fûmes aussi, et malgré la fou<strong>le</strong><br />

qui s'y trouvait., nous <strong>par</strong>vînmes à nous frayer un chemin.<br />

Pour nous r<strong>en</strong>dre au théâtre de l'inc<strong>en</strong>die, nous dûmes<br />

passer sous une porte <strong>en</strong> <strong>par</strong>tie embrasée, qui donnait sur<br />

une grande cour, où jouai<strong>en</strong>t plusieurs pompes. Enfin après<br />

quelques secours mieux combinés, <strong>le</strong> feu s'éteignit., et<br />

on n'eut à déplorer que 300 maisons qui fur<strong>en</strong>t perdues et<br />

brûlées.<br />

Voilà donc cette malheureuse capita<strong>le</strong> de laTurquie, accourant<br />

à grands pas vers sa ruine. Oh I je me rappel<strong>le</strong> <strong>en</strong>core<br />

la grandeur de <strong>le</strong>ur empire et de <strong>le</strong>ur nom dans <strong>le</strong>s têtes des<br />

jeunes g<strong>en</strong>s, dont l'imagination est imprégnée des contes de<br />

la veillée et de différ<strong>en</strong>ts auteurs. Combi<strong>en</strong> de fois, moi-même,<br />

ai-je lu et relu ces vieux récits de <strong>le</strong>urs pères, ces batail<strong>le</strong>s<br />

d'où, vainqueurs, ils se retirai<strong>en</strong>t toujours; alors mon imagination<br />

d'<strong>en</strong>fant <strong>le</strong>s grandissait <strong>en</strong>core, et maint<strong>en</strong>ant je<br />

<strong>le</strong>s vois <strong>en</strong>core bi<strong>en</strong> pâ<strong>le</strong>s et bi<strong>en</strong>s petits <strong>le</strong>urs rejetons; cette<br />

race d'hommes que jadis on nous dépeignait si courageuse,<br />

si belliqueuse n'existe plus hélas t A la place de ces fiers<br />

Musulmans, on ne voit plus qu'une race chétive, et <strong>le</strong> plus<br />

souv<strong>en</strong>t on voit des jeunes g<strong>en</strong>s de l'âge de 13, 14, 15 ans,<br />

sans aucune force, sans aucune corpul<strong>en</strong>ce, armés d'un fusil,


JOURNAL D 'UNE M15S10t4 )IILftAIRE EN PERSE<br />

se t<strong>en</strong>ant près de ces guérites, 0(1 pourtant devrai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core se<br />

trouver de forts soldats. Et ces jeunes g<strong>en</strong>s peuv<strong>en</strong>t-il servir!<br />

Je <strong>le</strong> demande aux gouverneurs de la Turquie, lorsque<br />

surtout ils sont sans vêtem<strong>en</strong>ts, sans chaussures. Ouvrirontils<br />

<strong>en</strong>fin <strong>le</strong>s yeux pour voir que <strong>le</strong>ur race jadis si florissante<br />

n'existe plus, et que, dépérissant de jour <strong>en</strong> jour, ils ne<br />

laisseront de <strong>le</strong>ur anci<strong>en</strong>ne puissance que l'ombre de toute<br />

<strong>le</strong>ur grandeur?<br />

L'Egypte est <strong>en</strong>core, comme dans l'anci<strong>en</strong> temps, un<br />

gr<strong>en</strong>ier, et c'est là que la Turquie vi<strong>en</strong>t, dernièrem<strong>en</strong>t, de se<br />

faire expédier différ<strong>en</strong>ts grains; je <strong>le</strong>ur demanderai <strong>en</strong>core si<br />

un <strong>le</strong>i état de choses peut exister, si ils att<strong>en</strong>dront que la<br />

plus affreuse disette ne se mette dans <strong>le</strong>ur vil<strong>le</strong>, si <strong>le</strong><br />

peup<strong>le</strong> att<strong>en</strong>dra <strong>en</strong>core une heure à la porte du boulanger<br />

pour avoir un morceau de pain, quelquefois <strong>en</strong>core se<br />

retirant sans avoir l'espérance même d'assouvir sa faim ce<br />

jour même, et si un tel état de choses, dis-je, existeetcontin.ue;<br />

je <strong>le</strong>ur demanderai quels sont ceux qu'ils doiv<strong>en</strong>t accuser et<br />

condamner, et quels sont ceux <strong>en</strong>fin qui se trouveront au<br />

dernier jour pour re<strong>le</strong>ver <strong>le</strong>ur pouvoir et <strong>le</strong>ur nom?<br />

Nous fûmes aussi reçus très amica<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t <strong>par</strong> plusieurs<br />

prêtres qui étai<strong>en</strong>t à Constantinop<strong>le</strong>, dans <strong>le</strong> but d'instruire<br />

la jeunesse. Ils nous témoignèr<strong>en</strong>t la plus grande bi<strong>en</strong>veillance<br />

; qu'ils nous permett<strong>en</strong>t ici de conserver d'eux un bon<br />

souv<strong>en</strong>ir.<br />

Avant d'<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>dre <strong>le</strong> récit de la suite de notre voyage,<br />

je vais essayer de décrire un peu loT position de Constantinop<strong>le</strong><br />

et de son intérieur. Cette vil<strong>le</strong> offre un coup d'oeil<br />

agréab<strong>le</strong> lorsqu'on se cont<strong>en</strong>te de prom<strong>en</strong>er dessus son<br />

regard, et lorsque seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t on l'arrête <strong>en</strong>core sur <strong>le</strong>s nombreuses<br />

flèches s'é<strong>le</strong>vant à une hauteur prodigieuse et sur<br />

<strong>le</strong>s dômes des mosquées. De près, on admire <strong>le</strong>ur élégance et<br />

<strong>le</strong>ur hardiesse et d'un peu loin on admire non seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t <strong>le</strong><br />

coup d'oeil bi<strong>en</strong>-varié de cette vil<strong>le</strong>, mais <strong>en</strong>core ces mêmes<br />

flèches et ces mêmes dômes offrant un aspect imposant;


24 JOURNAL D'UNE TIISSI0NM1LITAIRE EN PERSE<br />

maïs aussi que tout se borne là, qu'on ne recherche pas <strong>le</strong><br />

détail, qu'on n'examine pas scrupu<strong>le</strong>usem<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s différ<strong>en</strong>tes<br />

constructions des maisons, que <strong>le</strong>s réf<strong>le</strong>xions qui <strong>en</strong> naîtront<br />

cess<strong>en</strong>t et s'arrêt<strong>en</strong>t, que de plus piteuses <strong>en</strong>core ne vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />

vous occuper sur la malpropreté et la sa<strong>le</strong>té des rues, car<br />

alors tombant de déception <strong>en</strong> déception, tout <strong>le</strong> beau dis<strong>par</strong>aîtra,<br />

et réel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t on s'apitoira sur cette malheureuse vil<strong>le</strong><br />

qui n'a même pas la moindre police ap<strong>par</strong><strong>en</strong>te. --<br />

Le fer novembre, nous <strong>par</strong>tîmes de Constantinop<strong>le</strong> sur <strong>le</strong><br />

bateau à vapeur <strong>le</strong> Metternich. Le temps était beau et vers <strong>le</strong>s<br />

une heure, nous quittions <strong>le</strong> port de cette vil<strong>le</strong>. Nous suivions<br />

<strong>le</strong> Bosphore dans la direction de la mer Noire. Le temps était<br />

un peu orageux, de légers nuages couvrai<strong>en</strong>t <strong>le</strong> ciel, et pourtant<br />

un so<strong>le</strong>il de la saison dorait <strong>le</strong>s collines voisines du<br />

Bosphore. Ri<strong>en</strong> n'était, si beau, si agréab<strong>le</strong> à voir que <strong>le</strong>s<br />

maisons de campagne placées sur ces hauteurs, et tous ces<br />

verdoyants jardins. Nous pouvions admirer <strong>le</strong>s deux rives<br />

très rapprochées surtout <strong>en</strong> bi<strong>en</strong> des <strong>en</strong>droits. C'est du<br />

Bosphore principa<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t que cette Constantinop<strong>le</strong> que nous<br />

v<strong>en</strong>ions de quitter nous ap<strong>par</strong>aissait grande et bel<strong>le</strong>. Quel<strong>le</strong><br />

vil<strong>le</strong> agréab<strong>le</strong> l'imagination ne voit-el<strong>le</strong> pas de cette distance,<br />

et je faisais qùelques réf<strong>le</strong>xions <strong>en</strong>core sur ce peup<strong>le</strong> indol<strong>en</strong>t<br />

qui vivait sur une terre tant favorisée de la nature; je fis face<br />

à la proue du navire et nous apercevions la mer Noire.<br />

Vers <strong>le</strong>s5 heures nous y <strong>en</strong>trâmes. Tout dis<strong>par</strong>aissait peu à<br />

peu à notre vue. Ce fut alors que tous tournés vers Constantinop<strong>le</strong>,<br />

cette vil<strong>le</strong> que nous v<strong>en</strong>ions de quitter. Constantinop<strong>le</strong><br />

dis-je, qui, quoique bi<strong>en</strong> loin de France, avait quelque attrait<br />

quelque agrém<strong>en</strong>t pour nous, Français, puisque des compatriotes,<br />

qui y étai<strong>en</strong>t, nous rappelai<strong>en</strong>t de chers souv<strong>en</strong>irs, vers<br />

el<strong>le</strong>, dis-je, <strong>en</strong>core nous nous retournions, et subitem<strong>en</strong>t une<br />

tristesse que nous ne pines vaincre s'em<strong>par</strong>a de nous. El<strong>le</strong><br />

se peignait sur nos physionomies. C'est que nous nous éloignions<br />

pour 8 ans c'est (lue, dès cet instant, nos relatibns<br />

cessai<strong>en</strong>t avec tout état français. Le v<strong>en</strong>t devint alors un peu


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 25<br />

favorab<strong>le</strong>; il <strong>en</strong>flait <strong>le</strong>s minces voi<strong>le</strong>s du bateau â vapeur autrichi<strong>en</strong>.<br />

Nous n'avions plus qu'un souv<strong>en</strong>ir du Bosphore. Tout<br />

avait dis<strong>par</strong>u à nos yeux. Nous voguions déjà <strong>en</strong> p<strong>le</strong>ine mer.<br />

Alors nous nous assîmes tous sur <strong>le</strong> tillac du bâtim<strong>en</strong>t<br />

où étai<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s premières, nous regardions de M tout <strong>le</strong> pont<br />

recouvert de passagers turcs, pê<strong>le</strong>-mê<strong>le</strong>. Ainsi, nous dit un<br />

officier du bord, vont rester p<strong>en</strong>dant toute la traversée qui<br />

dure ordinairem<strong>en</strong>t 4 à 5 jours, ces g<strong>en</strong>s qui ne se dérang<strong>en</strong>t<br />

que pour un seul besoin qu'exige la salubrité généra<strong>le</strong>. Nous<br />

observâmes <strong>en</strong>suite, <strong>par</strong> exception aux autres bateaux â<br />

vapeur, une balustrade divisant aux trois-quarts <strong>le</strong> pont dans<br />

sa longueur, et un petit coin surtout, que ce même officier<br />

nous dit r<strong>en</strong>fermer <strong>le</strong>s pestiférés quand, <strong>par</strong> malheur, se<br />

déclar<strong>en</strong>t ces maladies. Après quelques instants de marche,<br />

quoique <strong>le</strong> temps fut beau, nous filmes, <strong>en</strong> général indisposés<br />

du mal de cette mer <strong>le</strong> plus souv<strong>en</strong>t orageuse. Je ne pus résister<br />

davantage sur <strong>le</strong> pont; je desc<strong>en</strong>dis et je restai couché<br />

plus de 24 heures sans pouvoir ri<strong>en</strong> pr<strong>en</strong>dre, ne s<strong>en</strong>tant et<br />

ne mangeant que du citron ; <strong>le</strong> temps se calma, sur cette<br />

maudite mer, ou mieux <strong>le</strong>s vagues n'étant plus si é<strong>le</strong>vées<br />

et <strong>le</strong> roulis n'étant plus fort, je montai sur <strong>le</strong> pont et att<strong>en</strong>dis<br />

avec impati<strong>en</strong>ce <strong>le</strong> signal du déjeûner. -<br />

Nous relachâmes devant<strong>le</strong>s petites vil<strong>le</strong>s de Sinope, patriede<br />

Diogène, et Semson, qui n'offre ri<strong>en</strong> de remarquab<strong>le</strong>, si ce n'est<br />

quelques antiques fortifications que nouspmes remarquerdu<br />

bâtim<strong>en</strong>t. Nous quittâmes <strong>le</strong> petit port de Semson vers <strong>le</strong>s 2<br />

heuresdu4novembre. Pour lors nousétions tous rev<strong>en</strong>usd<strong>en</strong>os<br />

souffrances et chacun fumait â son tour <strong>le</strong> chéhouck après<br />

son dîner, se prom<strong>en</strong>ant amica<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t avec son compagnon<br />

dans l'étroit espace du pont que l'on avait réservé pour <strong>le</strong>s<br />

premières. Le ciel était étoilé, <strong>le</strong> temps calme. Que pouvait-on<br />

désirer de plus? Nous passâmes une <strong>par</strong>tie de la nuit, et <strong>le</strong>s<br />

différ<strong>en</strong>tes barcarol<strong>le</strong>s ne manquèr<strong>en</strong>t pas de se faire <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre<br />

et de se joindre à nos chansons de France ; on se<br />

r<strong>en</strong>dit à sa cabine pour y pr<strong>en</strong>dre quelque repos. Vers <strong>le</strong>s


26<br />

IOURNAt D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

• 3 heures 1/2 du matin, un coup de canon se fit <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre; il<br />

<strong>par</strong>tait du bord et annonçait aux habitants de Trébizonde<br />

• l'arrivée du bateau à vapeur. Nous débarquâmes <strong>le</strong> 5 vers <strong>le</strong>s<br />

iO heures. Hussein-Khân y fut, comme de coutume, accompagné<br />

<strong>d'une</strong> salve d'artil<strong>le</strong>rie du bord â laquel<strong>le</strong> répondit,<br />

d'un même nombre, cel<strong>le</strong> Ottomane. Nous abordâmes donc â<br />

Trébizonde sur la terre d'Asie, <strong>le</strong> 5 novembre à 10 heures.<br />

D'ici dat<strong>en</strong>t quelques-uns de nos malheurs. Les craintes que<br />

Hussein-Khân avaiteues sur la désertion qu'il supposait,â cause<br />

des vexations que nous avions éprouvées jusqu'à ce jour,<br />

dis<strong>par</strong>ur<strong>en</strong>t alors, je p<strong>en</strong>se, chez cet homme, car toute sa conduite<br />

nous <strong>le</strong> prouvait. Tout manquait, vivres et logem<strong>en</strong>ts,<br />

et même jusqu'à celte considération et ce respect auquel est<br />

habitué <strong>le</strong> <strong>militaire</strong> et Hussein-Khân dès lors comm<strong>en</strong>ça à<br />

nous confondre avec .es domestiques, et cet état de choses,<br />

que nous avions cru conséqu<strong>en</strong>ce des circonstances, nous<br />

confirma la mauvaise volonté de cet homme, d'après ses procédés<br />

<strong>en</strong> cette vil<strong>le</strong>. Nous étions souv<strong>en</strong>t <strong>le</strong> jouet de sa va<strong>le</strong>tail<strong>le</strong>;<br />

ils nous injuriai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> <strong>le</strong>ur langage, et aux rapports<br />

qu'on <strong>en</strong> faisait à Hussein, il promettait ré<strong>par</strong>ation, et que<br />

cela n'arriverait plus. Malheureusem<strong>en</strong>t ces promesses<br />

étai<strong>en</strong>t vaines, et ses injures se r<strong>en</strong>ouvelai<strong>en</strong>t sans cesse. Que<br />

devions-nous p<strong>en</strong>ser de cet ambassadeur? Ses craintes sur<br />

notre désertion dis<strong>par</strong>ur<strong>en</strong>t donc, car déjà nous étions bi<strong>en</strong><br />

loin des confins de l'Europe. La mer Noire que nous v<strong>en</strong>ions<br />

de traverser était une barrière insurmontab<strong>le</strong> pour ceux, qui,<br />

pour de nouveaux maltraite nie lits, se serai<strong>en</strong>t cru <strong>le</strong> droit, au<br />

- souv<strong>en</strong>ir de la liberté, de déserter ce peup<strong>le</strong> perfide; et pourtant,<br />

quoique des propositions avantageuses avai<strong>en</strong>t été faites<br />

à quelques-uns d'<strong>en</strong>tre nous pour servir â titre d'instructeur<br />

dans l'armée Ottomane, aucun de ceux-là ne conçut <strong>le</strong> projet<br />

de fausser sa <strong>par</strong>o<strong>le</strong> et son contrat; nous avions un <strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t,<br />

nous étions Français et <strong>en</strong>voyés <strong>par</strong> <strong>le</strong> gouvernem<strong>en</strong>t<br />

nous devions donc tout souffrir, sans proférer à l'av<strong>en</strong>ir une<br />

seu<strong>le</strong> <strong>par</strong>o<strong>le</strong>, et suivre jusqu'au bout la tâche qu'on nous avait


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN 1'E11E<br />

imposée. Ce fut là que chacun fit de mûres réf<strong>le</strong>xions, ce fut<br />

<strong>en</strong>core là que Hussein-Khân jeta <strong>le</strong> voi<strong>le</strong> qui cachait et son<br />

naturel cruel, et son caractère de vrai Persan, et que nous<br />

pûmes voir â découvert toute sa fourberie, et jeter â notre<br />

tour un triste regard vers <strong>le</strong> ciel qui couvrait notre patrie, et<br />

sur cette mer Noire ou peu de jours <strong>en</strong>core au<strong>par</strong>avant,<br />

naissait <strong>par</strong>fois dans notre âme une lueur, sinon de bonheur,<br />

du moins d'espérance. Nous devions <strong>en</strong>core espérer pourtant,<br />

et nous nous prîmes tous de bonne philosophie: ainsi nous<br />

vivions.<br />

Nous eûmes, p<strong>en</strong>dant notre séjour à Trébizonde, occasion<br />

de voir monsieur Outrey, consul français et nouspûmesnous<br />

convaincre de la vérité pour tous <strong>le</strong>s éloges qu'on nous avait<br />

faits de cet honorab<strong>le</strong> consul. Nous fûmes amica<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t reçus<br />

<strong>par</strong> lui et toute sa famil<strong>le</strong>. Nous passions <strong>en</strong>semb<strong>le</strong> des soirées<br />

charmantes et nous éprouvions un gram] regret, de pàrt et<br />

d'autre, à l'idée de notre sé<strong>par</strong>ation. Nous nous rappelions<br />

quelques bel<strong>le</strong>s journées que nous passions <strong>en</strong> France <strong>en</strong><br />

société de nos amis, nous abandonnant à toute la gaîté et la<br />

joie avec cette aimab<strong>le</strong> famil<strong>le</strong>.<br />

- Le l<strong>en</strong>demain de notre première visite, nous eûmes cel<strong>le</strong><br />

des fils de monsieur Outrey, avec <strong>le</strong>squels, après quelques<br />

instants d'<strong>en</strong>treti<strong>en</strong> dans notre modique salon, nous fûmes<br />

faire une prom<strong>en</strong>ade à la campagne. Nous nous dirigeâmes<br />

vers la colline, contre laquel<strong>le</strong> est adossée la vil<strong>le</strong>.Nous aperçûmes<br />

à mi-côte un vieux château, d'après <strong>le</strong> dire de ces<br />

messieurs, car à l'extérieur, ce n'était plus qu'un amas de<br />

ruines; nous y <strong>en</strong>trâmes et aperçûmes quelque prêtres grecs<br />

qui y font <strong>le</strong>ur séjour. Nous fûmes aussi voir la petite chapel<strong>le</strong>;<br />

<strong>le</strong> lieu où <strong>le</strong> prêtre fait son office est caché aux<br />

regards des personnes qui y vont faire <strong>le</strong>urs prières, <strong>par</strong> une<br />

faib<strong>le</strong> cloison; une source d'eau fraîche et excessivem<strong>en</strong>t<br />

limpide, tombe dans un bassin creusé dans cette chapel<strong>le</strong>.<br />

Nous montâmes <strong>en</strong>suite sur la plate-ferme, surmontée d'an<br />

mur tombant <strong>en</strong> lambeaux, mais nous pûmes, à l'aide de<br />

27


28 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

quelques créneaux qui y sont pratiqués, jouir d'un agréab<strong>le</strong><br />

coup d'oeil de la mer, de la vil<strong>le</strong> et des <strong>en</strong>virons, Après quoi,<br />

la nuit s'approchant, nous nous r<strong>en</strong>dîmes chacun chez nous,<br />

avec promesse de se revoir <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain. Que monsieur<br />

Outrey, sa dame et ses <strong>en</strong>fants, soi<strong>en</strong>t convaincus des bons<br />

souv<strong>en</strong>irs que mes camarades et moi conservons d'eux<br />

<strong>le</strong>urs bontés pour nous, <strong>le</strong>ur cordialité resteront pour toujours<br />

gravées dans nos coeurs, qui désir<strong>en</strong>t pouvoir trouver pour<br />

expression de <strong>le</strong>urs bons s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts la poignée de main qui<br />

se donne loin de sa patrie.<br />

Trébizonde n'est peinture vil<strong>le</strong> désagréab<strong>le</strong> au coup d'oeil;<br />

<strong>le</strong>s rues, quoiqu'étroites et sa<strong>le</strong>s, sont plus propres et plus<br />

commodes que la majeure <strong>par</strong>tie des rues de Constantinop<strong>le</strong>;<br />

la campagne y est ferti<strong>le</strong>, et <strong>le</strong> coteau dont j'ai déjà <strong>par</strong>lé produit<br />

toutes espèces de fruits, notamm<strong>en</strong>t des citrons. A l'est,<br />

cette vil<strong>le</strong> est abritée <strong>par</strong> <strong>le</strong> mont Taurus, qui se prolonge à<br />

travers toute l'Arménie; <strong>le</strong>s communications quoique <strong>par</strong>fois<br />

très diffici<strong>le</strong>s, lui permett<strong>en</strong>t pourtant <strong>le</strong> commerce avecconstantinop<strong>le</strong>,<br />

Erzeroum, la Grimée, Odessa, l'intérieur de l'Asie<br />

Mineure et de la <strong>Perse</strong>. P<strong>en</strong>dant <strong>le</strong> peu de jours que nous y<br />

passâmes, je passai rarem<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s matinées sans faire ma prom<strong>en</strong>ade<br />

favorite an sommet de cette colline qui domine<br />

Trébizonde. J'aimais â y respirer l'air frais et pur, j'aimais à<br />

voir la p<strong>le</strong>ine végétation de la campagne, surtout sur quelques<br />

montagnes, sur la gauche de cette vil<strong>le</strong>, et qui se perd<strong>en</strong>t<br />

dans l'horizon de la mer ; j'aimais aussi à voir cette mer<br />

calme <strong>par</strong>fois et, au loin, un bâtim<strong>en</strong>t, m'apportant peut-être<br />

une <strong>le</strong>ttre de France. Là, sur ce même plateau je voyais avec<br />

plaisir une vieil<strong>le</strong> chapel<strong>le</strong> que l'on me dit être des Arméni<strong>en</strong>S<br />

catholiques, et maint<strong>en</strong>ant quelques pierres s'élèv<strong>en</strong>t â<br />

peine au-dessus des ruines qui y sont <strong>en</strong>tassées. Je ne puis<br />

m'empêcher de m'apitoyer sur <strong>le</strong> sort de cette malheureuse<br />

vil<strong>le</strong> bâtie plus de '700 ans avant l'ère chréti<strong>en</strong>ne. Florissante<br />

alors, el<strong>le</strong> s'était gouvernée el<strong>le</strong>-même; plus tard, el<strong>le</strong><br />

passa successivem<strong>en</strong>t sous la domination des rois du Pont, de


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 29<br />

POlé[non, des empereurs d'Ori<strong>en</strong>t et <strong>en</strong>fin des Ottomans. El<strong>le</strong><br />

échappera peut-être bi<strong>en</strong>tôt des mains de ses derniers gouverneurs,<br />

car <strong>le</strong>ur pouvoir est sapé jusqu'aux fondem<strong>en</strong>ts <strong>par</strong><br />

<strong>le</strong>s victoires que <strong>le</strong>s Russes ont remportées sur <strong>le</strong> Croissant,<br />

et qui sembl<strong>en</strong>t annoncer <strong>le</strong>ur ruine et <strong>le</strong>ur destruction.<br />

Cette malheureuse vil<strong>le</strong> se divise <strong>en</strong> deux <strong>par</strong>ties, la <strong>par</strong>tie<br />

<strong>en</strong>vironnée de murs, ou mauvaise fortification, qu'habit<strong>en</strong>t<br />

exclusivem<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s Turcs, et la deuxième <strong>par</strong>tie n'ayant pas<br />

de limites, habitée <strong>par</strong> <strong>le</strong>s Grecs et <strong>le</strong>s Arméni<strong>en</strong>s. Cette cité<br />

est <strong>en</strong> proie, <strong>par</strong> an, à une ou deux pestes, etje crois, sans avoir<br />

égard à toutes <strong>le</strong>s considérations qui font naître ce fléau, la<br />

proprté est <strong>en</strong>core une des choses principa<strong>le</strong>s, ce qui n'a<br />

nul<strong>le</strong>m<strong>en</strong>tlieu, carun jour que je me prom<strong>en</strong>aissur <strong>le</strong>s bords<br />

de la mer, je vis ét<strong>en</strong>du sur <strong>le</strong> sab<strong>le</strong>, plus <strong>d'une</strong> tr<strong>en</strong>taine de<br />

chi<strong>en</strong>s, et qui répandai<strong>en</strong>t à une grande distance, une odeur<br />

infecte. li me semb<strong>le</strong> pourtant que cette vil<strong>le</strong> est déjà assez<br />

exposée à des maladies, <strong>par</strong> des bâtim<strong>en</strong>ts qui vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />

relâcher devant, pour que <strong>le</strong>s autorités ottomanes se dérangeass<strong>en</strong>t<br />

un instant de <strong>le</strong>ur harem, pour lui éviter de plus<br />

grandes calamités; mais il <strong>par</strong>ait que <strong>le</strong> doigt de Mahomet<br />

s'est arrêté sur el<strong>le</strong>, pour lui jeter toutes ses malédictions.<br />

Le 11, nous étions réunis dans notre chambre, lorsqu'on<br />

vint nous annoncer l'arrivée d'un bateau â vapeur autrichi<strong>en</strong>.<br />

Nous nous r<strong>en</strong>dîmes tous au bord de la mer, et nous aperçûmes<br />

bi<strong>en</strong>tôt <strong>le</strong> pavillon autrichi<strong>en</strong> et <strong>le</strong> drapeau français sur<br />

un des mâts. Nous savions déjà depuis quelques jours que <strong>le</strong><br />

prince de Joinvil<strong>le</strong> et <strong>le</strong> comte de Serèey devai<strong>en</strong>t débarquer<br />

Trébizonde, <strong>le</strong> premier pour y faire une prom<strong>en</strong>ade,<br />

et Monsieur de Sercey pour poursuivre sa <strong>mission</strong> <strong>en</strong> l'erse.<br />

Nous ne doutâmes donc pas un seul instant que ce ne fut l'un<br />

de ces messieurs...; nous att<strong>en</strong>dîmes avec anxiété que <strong>le</strong><br />

salut de rigueurpour de semblab<strong>le</strong>s personnages, se fit. Arrivés<br />

une foisâ la hauteur du pavillon de cettevil<strong>le</strong> del'Asie-M meure,<br />

la salve d'artil<strong>le</strong>rie comm<strong>en</strong>ça donc, comme cela devait être,<br />

et sur mer du bateau à vapeur autrichi<strong>en</strong>. â l'<strong>en</strong>droit


Eà<br />

30<br />

JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

que d'avance nous fixions sans grande certitude. Arrivé au<br />

dix-septième coup, chacun de nous répéta hautem<strong>en</strong>t C'est<br />

monsieur <strong>le</strong> comte de Sercey. On <strong>en</strong> était déjà presque<br />

persuadé lorsque la salve continua et <strong>le</strong> vingt-unième coup<br />

nous donna la certitude de l'arrivée de monsieur <strong>le</strong> Prince.<br />

Nous <strong>le</strong> vîmes débarquer avec son état-major; nous <strong>le</strong>s saluâmes;<br />

il y répondit avec <strong>le</strong> sourire, que veut bi<strong>en</strong> laisser, une<br />

seconde sur ses lèvres, un prince du gouvernem<strong>en</strong>t et de la<br />

couronne de 1880- Quoiqu'il <strong>en</strong> soit nous fûmes tous cont<strong>en</strong>ts<br />

de son arrivée; un compatriote sur une terre étrangère<br />

éveil<strong>le</strong> toujours un souv<strong>en</strong>ir cher frun coeur de Français<br />

tel, pour won compte, je considérais monsieur <strong>le</strong> Prinde.<br />

Reçu à son débarquem<strong>en</strong>t <strong>par</strong> monsieur <strong>le</strong> consul français<br />

Outrey, il se r<strong>en</strong>dit chez lui; et nous, après avoir donné une<br />

poignée de main â. ceux de. son état-major, que nous avions<br />

connus sur <strong>le</strong> bateau â vapeur <strong>le</strong> Sésostris, lorsque ces<br />

messieurs ap<strong>par</strong>t<strong>en</strong>ant à la flotte desPardanel<strong>le</strong>s se r<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t<br />

à Constantinop<strong>le</strong>, nous nous r<strong>en</strong>dtmes à l'ambassade Persane,<br />

où nous étions logés. --<br />

Nous finies nos dernières dispositions, pour <strong>le</strong> dé<strong>par</strong>t du<br />

l<strong>en</strong>demain. Avant de ' nous <strong>en</strong>gager sur <strong>le</strong>s longues montagnes<br />

de l'Arménie, je crois devoir dire quelques mots sur la<br />

position d'un de nos camarades. -<br />

Monsieur V:itard sorti, comme ses camarades <strong>le</strong>s fantassins,<br />

du 140 régim<strong>en</strong>t de ligne, loisque l'ordre de <strong>par</strong>tir nous fut<br />

intimé, quoiqu'indisposé et à la veil<strong>le</strong> de faire une grave maladie,<br />

voulut <strong>par</strong>tir ainsi qu'il <strong>en</strong> avait contracté l'<strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t,<br />

et pourtant sa maladie aurait dû lui faire appréh<strong>en</strong>der un<br />

voyage si long, surtout avec la saison rigoureuse, qui allait<br />

comm<strong>en</strong>cer. Vaines étai<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s observations que nous pouvions<br />

lui faire et qui t<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t â lui faire r<strong>en</strong>oncerà un projet<br />

que son pauvre corps ne pouvait <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>dre. Le<br />

voyage de Paris ïMarseilIe, que nous ftmes <strong>en</strong> dilig<strong>en</strong>ce <strong>le</strong><br />

fatigua beaucoup. Nous nous aperçûmes alors que <strong>le</strong>s<br />

forces <strong>le</strong> quit!ai<strong>en</strong>t peu t peu. Arrivés â Marseil<strong>le</strong>, ses


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 31<br />

traits étai<strong>en</strong>t vivem<strong>en</strong>t altérés, et nous éprouvâmes une vive<br />

peine d'appr<strong>en</strong>dre que ce même jour, nous devions tous nous<br />

embarquer. Ce dé<strong>par</strong>t précipité nous fit regretter de ne pas<br />

faire séjour dans cette vil<strong>le</strong> pour que notre camarade put<br />

pr<strong>en</strong>dre quelques forces, et se pré<strong>par</strong>er â une route si longue<br />

et si pénib<strong>le</strong>, que cel<strong>le</strong> que nous allions <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>dre. J'éprouvai<br />

aussi une vive peine des quelques heures que nous<br />

restâmes seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t à Marseil<strong>le</strong>, car ma mère que je n'avais<br />

pas vue depuis quelque temps s'y était r<strong>en</strong>due pour me voir.<br />

Je me r<strong>en</strong>dis â 5011 hôtel, et dépêchâmes notre intime conversation,<br />

puisque, quelques instants après, je devais la quitter,<br />

pour ne plus la revoir peut-être. Je fis tous mes efforts pour<br />

l'empêcher de m'accompagner au port, où certe& devait dis<strong>par</strong>aître,<br />

à notre sé<strong>par</strong>ation, tout <strong>le</strong> courage et la fermeté de<br />

coeur qu'el<strong>le</strong> deùit avoir; ma pauvre mère, el<strong>le</strong>, voulait <strong>par</strong><br />

cela seul chercher à ne pas faire naître chez moi grande<br />

peine, voulant garder toute l'amertume pour el<strong>le</strong>.<br />

Nous n'avions pas <strong>en</strong>core fini de dîner qu'il fallut <strong>par</strong>tir<br />

et se r<strong>en</strong>dre au lieu du dé<strong>par</strong>t. P<strong>en</strong>dant la route, j'assurai<br />

ma mère, que, <strong>par</strong> toutes <strong>le</strong>s occasions que j'aurais, <strong>le</strong> ne<br />

manquerais jamais de lui donner de mes nouvel<strong>le</strong>s et que, du<br />

reste, laposition avec laquel<strong>le</strong> j'allais chez ces peup<strong>le</strong>s barbares<br />

devait la conso<strong>le</strong>r, et lui faire éloigner toutes ses craintes.<br />

Je la regardais tout <strong>en</strong> marchant et lui disant cela, et je la vis<br />

verser quelques larmes. Je <strong>le</strong>s essuyai, la suppliant de chasser<br />

son chagrin, el<strong>le</strong> me remit alors un portefeuil<strong>le</strong> où se<br />

trouvai<strong>en</strong>t consignés ses conseils et ses adieux, el<strong>le</strong> inc dicta<strong>en</strong><br />

bonne mère toute ma conduite, el<strong>le</strong> n'avait pas <strong>en</strong>core terminé<br />

que <strong>le</strong> canot qui devait nous am<strong>en</strong>er à bord allait <strong>par</strong>tir, il<br />

fallait se sé<strong>par</strong>er, ma mère répandit de chaudes larmes. J'eus<br />

beaucoup depeine,nousnousembrassâmes, etjem'embarquai.<br />

Je suivis aussi loin que je <strong>le</strong> pus ma mère qui, comme el<strong>le</strong><br />

me l'avait dit, se r<strong>en</strong>dait â la grande tour pour voir tous<br />

<strong>le</strong>s pré<strong>par</strong>atifs du dé<strong>par</strong>t et soulager sa dou<strong>le</strong>ur <strong>en</strong> versant<br />

quelques larmes, <strong>en</strong> prés<strong>en</strong>ce du bâtim<strong>en</strong>t qui devait me


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

porter siloin. Bi<strong>en</strong>tôt après, notre canot nous déposa à bord,<br />

et une fois l'appel de tous <strong>le</strong>s voyageurs fait, on allait <strong>par</strong>tir<br />

lorsqu'un viol<strong>en</strong>t orage nous surprit et retarda notre voyage.<br />

Déjà la nuit était bi<strong>en</strong> sombre, lorsqu'après avoir évité<br />

quelques dangers au port nous <strong>en</strong>trâmes <strong>en</strong> p<strong>le</strong>ine mer.<br />

Ma mère au haut de la tour était témoin de ce triste<br />

spectac<strong>le</strong>, je suis sûr que malgré l'orage el<strong>le</strong> sera restée â la<br />

tour, et qu'el<strong>le</strong> aura accompagné <strong>le</strong> M<strong>en</strong>tor bi<strong>en</strong> au loin<br />

dans la mer autant que <strong>le</strong> falot que l'on place assez ordinairem<strong>en</strong>t<br />

sur <strong>le</strong>s bâtim<strong>en</strong>ts, la nuit, pouvait <strong>le</strong> lui permettre.<br />

Pour rev<strong>en</strong>ir à monsieur Vitard, je dirai que <strong>le</strong> passage<br />

de la mer Noire <strong>le</strong> fatigua tel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t, que sa maladie devint<br />

plus grave, et d'après <strong>le</strong>s conseils que nous lui donnâmes, il se<br />

résolut de rester à Trébizonde pour se rétablir définitivem<strong>en</strong>t,<br />

avant d'<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>dre un voyage, et <strong>par</strong> terre, sans que <strong>le</strong>s<br />

moy<strong>en</strong>s de transport soi<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> faci<strong>le</strong>s, cominecelui que nous<br />

allons faire.<br />

Le 12 novembre, on nous conduisit des chevaux maigres et<br />

décharnés, quelques-uns avai<strong>en</strong>t des sel<strong>le</strong>s qui se composai<strong>en</strong>t<br />

de morceaux de bois joints et placés bi<strong>en</strong> haut sur <strong>le</strong> cheval,<br />

et recouvertes d'un morceau de cuir seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t, bi<strong>en</strong> peu<br />

d'<strong>en</strong>tre el<strong>le</strong>s étai<strong>en</strong>t garnies de coussins. Ainsi montés nous<br />

nous mîmes <strong>en</strong> marche. Nous eûmes à notre première journée<br />

assez mauvais temps, principa<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s deux ou trois<br />

premières heures, <strong>le</strong>s s<strong>en</strong>tiers <strong>par</strong> <strong>le</strong>squels nous passions<br />

étai<strong>en</strong>t quelquefois presque à pic taillés dans <strong>le</strong>s rocs.<br />

lYautres fois: <strong>le</strong>s chemins creusés, <strong>en</strong> certains <strong>en</strong>droits,<br />

<strong>par</strong> la mauvaise saison, nous faisai<strong>en</strong>t craindre que notre<br />

cheval ne s'abattit, et certes, tout autre cheval que ceux de<br />

la caravane, habitués â ces trajets, nous euss<strong>en</strong>t exposés<br />

bi<strong>en</strong> souv<strong>en</strong>t.<br />

Arrivés au sommet de la premièré montagne,' <strong>en</strong> <strong>par</strong>tant<br />

de Trébizonde, nous aperçûmes sur la gauche, une vallée<br />

charmait@.;l'ai quelquefois <strong>par</strong>couru des pays remarquab<strong>le</strong>s<br />

<strong>par</strong> <strong>le</strong>urs sites, et habitant desmontégnes, j'ai vu quelquefois


JOURNAL D 'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 33<br />

une bel<strong>le</strong> nature, de riants coteaux, mais jamais un où <strong>le</strong> coup<br />

d'oeil fut plus varié, plus piti.oresque <strong>par</strong> <strong>le</strong> subit contraste du<br />

coteau voisin, ,sec et aride. C'étai<strong>en</strong>t des terres labourées au<br />

• pied de la colline, d'énormes cyprès et autres arbres de<br />

différ<strong>en</strong>tes espèces s'é<strong>le</strong>vai<strong>en</strong>t dans <strong>le</strong> taillis qui <strong>en</strong> faisait la<br />

lisière. Plus haut s'offrai<strong>en</strong>t assez souv<strong>en</strong>t de petites platesformes<br />

où quelques Musulmans avai<strong>en</strong>t placé <strong>le</strong>urs cabanes.<br />

A côté, un troupeau se nourrissait de pâturages rafraîchis <strong>par</strong><br />

l'eau de quelques cascades,et une voix que] emurmure des eaux<br />

permettait d'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dreâpeine étaiLsans doute cel<strong>le</strong> du berger.<br />

Le sommet doit étre d'un diffici<strong>le</strong> accès, je dirai mêmequ'il nie<br />

<strong>par</strong>aissait impossib<strong>le</strong>. L'OurdarnBour& arrose cette vallée, il<br />

pr<strong>en</strong>d sa source, d'après ce que dis<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s g<strong>en</strong>s du pays, dans<br />

<strong>le</strong>s monts d'Arménie, et va se perdre dans la mer Noire ; et<br />

tandis que j'examinai sur nia droite, tout près d'un si riant -<br />

paysage, <strong>le</strong>s terres incultes et <strong>le</strong>s monts arides, nous aperçûmes<br />

plusieurs de nos compatriotes: c'était <strong>le</strong> prince de Joinvil<strong>le</strong><br />

et toute sa suite, arrivé de la veil<strong>le</strong> â Trébizonde et qui<br />

fut faire une prom<strong>en</strong>ade à travers champs; nous <strong>le</strong>s saluâmes,<br />

et <strong>en</strong> nous r<strong>en</strong>dant notre salut, nous reçûmes du prince ses<br />

souhaits pour notre bon voyage. Nous voyageâmes <strong>en</strong>core<br />

quelques instants, et la nuit allait nous surpr<strong>en</strong>dre lorsque<br />

nous arrivâmes au m<strong>en</strong>ril à Djevizelick.<br />

Nous fûmestous témoins, cette journée, du peu de soins qu'avait<br />

Hussein-Khân pour ses officiers, car non cont<strong>en</strong>t de nous<br />

voir si mal montés pour un semblab<strong>le</strong> voyage, .ilnousfltloger<br />

tous <strong>en</strong>semb<strong>le</strong>, dans une très petite chambre, exposésàtousies<br />

v<strong>en</strong>ts; <strong>le</strong>s t.apis,ornem<strong>en</strong>ts etmeab<strong>le</strong>s dans<strong>le</strong> pays manquai<strong>en</strong>t:<br />

force nous fut donc faite d'ét<strong>en</strong>dre une modeste et mince couverte<br />

et d'arranger ainsi sa couche. Ce soir aucun des nombreux<br />

va<strong>le</strong>ts de l'ambassadeur ne vinr<strong>en</strong>t s'informer de notre<br />

position et nous apporter <strong>le</strong>s vivres nécessaires. Il était bi<strong>en</strong><br />

tard, et n'avions <strong>en</strong>core ri<strong>en</strong> pris. Je me décidai à faire<br />

sel<strong>le</strong>r deux chevaux, et <strong>par</strong>tis pour faire une réclamation à<br />

Hussein-Khân, qui demeurait un peu plus haut dans la


34<br />

JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

montagne. Nous y arrivâmes bi<strong>en</strong>tôt avec assez de peine, à<br />

l'aide <strong>d'une</strong> lanterne que je fis pr<strong>en</strong>dre k mon drogman. Je<br />

demandai k être prés<strong>en</strong>té à hussein-Khân; l'audi<strong>en</strong>ce-me fut<br />

accordée. Il était avec <strong>le</strong>s premiers g<strong>en</strong>s de sa suite, autour<br />

d'un énorme brasier, fumant son chébouch et assis sur des<br />

tapis. Je lui fis prés<strong>en</strong>ter mes respects. Il s'informa - de la<br />

santé de mes camarades et dela mi<strong>en</strong>ne, puis il m'<strong>en</strong>gagea k<br />

m'asseoir. Je me plaignis amèrem<strong>en</strong>t; du logemént qu'il<br />

nous avait fait donner, du peu de soins qu'il pr<strong>en</strong>ait de nous,<br />

et <strong>en</strong>fin dumanque de vivres de la journée, etc., et?. Je<br />

terminai <strong>par</strong> lui dire qu'une tel<strong>le</strong> conduite était insupportab<strong>le</strong>,<br />

presqu'i .ndigne, et qu'il eût dorénavant à pr<strong>en</strong>dre de meil<strong>le</strong>ures<br />

dispositions et mesures. Hussein-Khân me fitrépondre<br />

qu'il n'était pas coupab<strong>le</strong>, qu'il avait donné (<strong>le</strong>s ordres sévères,<br />

qu'il n'avait pas été obéi. Il fit alors mander son premier<br />

cuisinier; il lui dit que dorénavant il eût k s'occuper de notre<br />

nourriture avant la si<strong>en</strong>ne, et qu'il nous donnait p<strong>le</strong>in droit<br />

- de lui demander tout ce que nous voudrions, et qu'au<br />

moindre rapport que nous lui ferions, il recevrait deux c<strong>en</strong>ts<br />

coups de bâton. Quant aux chevaux, dit-ii, incessamm<strong>en</strong>t, je<br />

vous <strong>en</strong> ferai donner de bons pour votre route.<br />

- Nous verrons plus tard, lui dis-je, ce que devi<strong>en</strong>dront<br />

toutes ces bel<strong>le</strong>s promesses. -- Nous nous saluâmes, et <strong>par</strong>tîmes<br />

après être passés à la 'cuisine, donner l'ordre de lions<br />

<strong>en</strong>voyer immédiatem<strong>en</strong>t quelques morceaux de viande que<br />

je choisis dans lacuisine de ces carnassiers. J'annonçai à mes<br />

camarades, d'abord, que <strong>le</strong> souper allait v<strong>en</strong>ir, puis tout ce<br />

que v<strong>en</strong>ait de dire notre ambassadeur. M<strong>en</strong>songes et fausses<br />

promesses, dir<strong>en</strong>t-ils-tous; un seul qui se trouvait alors au<br />

coin de l'humb<strong>le</strong> foyer, pr<strong>en</strong>ant quelques tasses de café, dit<br />

après avoir soufflé pour <strong>le</strong> refroidir Espérance. Quelques<br />

instants se passèr<strong>en</strong>t ainsi, lorsque <strong>en</strong>fin arriva un large<br />

plateau avec <strong>le</strong>s mets demandés ; chacun <strong>en</strong> prit sa bonne<br />

<strong>par</strong>t, fuma son chébouck, et se coucha désirant ardemm<strong>en</strong>t <strong>le</strong><br />

sommeil, pour oublier, au moins un instant, tant de misère, et


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

pourtant au comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t de notre voyage <strong>par</strong> terre. Le<br />

l<strong>en</strong>demain matin, nous <strong>par</strong>tîmes d'assez bonne heure. Les<br />

chemins étai<strong>en</strong>t détestab<strong>le</strong>s, et nous Mmes coucher au<br />

sommet du mont Zingana, recouvert de neige, où se trouvai<strong>en</strong>t<br />

deux cabanes occupées <strong>par</strong> deux viei]lardsqui,d'aprÉs<br />

ce qu'ils nous dir<strong>en</strong>t, n'avai<strong>en</strong>t desc<strong>en</strong>du <strong>le</strong>montquedeiïxou<br />

trois fois.<br />

Il serait inuti<strong>le</strong> de détail<strong>le</strong>r, jour <strong>par</strong> jour, nos marches<br />

l<strong>en</strong>tes et pénib<strong>le</strong>s, la monotonie d'un voyage se représ<strong>en</strong>tant<br />

<strong>par</strong>tout et tous <strong>le</strong>s jours; je ne m'arrêterai que sur ce<br />

qui a pu nous <strong>en</strong> retirer <strong>par</strong> <strong>le</strong>s quelques diverses s<strong>en</strong>sations<br />

qu'on éprouve <strong>par</strong> <strong>le</strong>s circonstances imprévues qui <strong>le</strong>s<br />

occasionn<strong>en</strong>t.<br />

Pourquoi me faire suivre pas à pas <strong>par</strong> mon <strong>le</strong>cteur sur<br />

des terrains dont <strong>le</strong>s accid<strong>en</strong>ts se produis<strong>en</strong>t sans cesse? Il<br />

lui suffira de savoir que nous n'avions qu'à tourner, contourner,<br />

gravir, desc<strong>en</strong>dre des montagnes, où bi<strong>en</strong> soilv<strong>en</strong>t nous<br />

courions <strong>le</strong>s dangers de nous perdre, car <strong>le</strong>s traces de ceux<br />

qui nous précédai<strong>en</strong>t de quelques pas étai<strong>en</strong>t effacées immédiatem<strong>en</strong>t;<br />

de tomber dans des précipices qui se trouvai<strong>en</strong>t<br />

devant nous et à nos côtés; d'avoir quelquefois à tomber au<br />

milieu de peup<strong>le</strong>s brigands et dépravés, qui n'euss<strong>en</strong>tpoint<br />

balancé de vous sacrifier â <strong>le</strong>ur inimitié; de desc<strong>en</strong>dre quelquefois<br />

et même <strong>le</strong> plus souv<strong>en</strong>t dans des villages, exposés,<br />

dans la rigoureuse saison, à coucher dans des écuries<br />

ouvertes à tous<strong>le</strong>s v<strong>en</strong>ts, ne point y trouver de couvertures,<br />

de vivres ; monter sur des chevaux qui nous laissai<strong>en</strong>t â miroute,<br />

après s'être abattus bon nombre de fois; trouver<br />

quelquefois, mais bi<strong>en</strong> rarem<strong>en</strong>t, des plaines, et <strong>le</strong> même<br />

soir, ne pas avoir <strong>le</strong> plus souv<strong>en</strong>t un gîte, tel<strong>le</strong>s sont <strong>le</strong>s choses<br />

et <strong>le</strong>s dangers auxquels nous étions habitués, et au<br />

milieu desquels nous voyagions avec monotonie et résignation.<br />

Mais tout <strong>en</strong> passant si <strong>le</strong>stem<strong>en</strong>t je ne manquerai<br />

jamais de m'appesantir sur <strong>le</strong>s incid<strong>en</strong>ts qui aurai<strong>en</strong>t<br />

pu nous arriver et <strong>le</strong>s choses qui nous ont <strong>le</strong> plus frappé.<br />

35


36 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

Le mont Zingana, où nous fîmes notre deuxième gîte, r<strong>en</strong>ferme<br />

plusieurs sources délicieuses qui roul<strong>en</strong>t avec fracas;<br />

<strong>le</strong> torr<strong>en</strong>t. Tchorgo formé de toutes ces sources, roulant<br />

et se grossissant de rochers <strong>en</strong> rochers, sont des choses<br />

qui nous attristèr<strong>en</strong>t, s'y joignant au pied une terre aride<br />

et sans culture.<br />

Le troisième jour, â Mad<strong>en</strong>]erg, situé sur la droite de la<br />

route etoi l'on arrive <strong>en</strong> tirant des bordées sur <strong>le</strong>s flancs de<br />

la montagne, car <strong>le</strong>s s<strong>en</strong>tiers n'y sont pas frayés, je remarquai<br />

une fonderie assez mal conditionnée, et ou travaillai<strong>en</strong>t<br />

quelques ouvriers à la fabrication de quelques lingots<br />

de plomb r<strong>en</strong>fermant,. d'après <strong>le</strong> dire de ces hommes, une<br />

certaine quantité d'or et d'arg<strong>en</strong>t, qu'on exploitait <strong>en</strong> <strong>par</strong>tie<br />

de Constantinop<strong>le</strong>, <strong>par</strong> Trébizonde, et <strong>en</strong> <strong>par</strong>tie d'Erzeroum,<br />

<strong>le</strong> pacha de cette vil<strong>le</strong> devant toutefois <strong>en</strong> r<strong>en</strong>dre bon<br />

compte â ses chefs à Constantinop<strong>le</strong>.<br />

A Balakor, gîte qui précède celui de Beïhoiit,ùous eilmes une<br />

fausse a<strong>le</strong>rte; <strong>le</strong>s g<strong>en</strong>s dela suite deHussein-Khan se montrèr<strong>en</strong>t<br />

très exigeants, non cont<strong>en</strong>ts de pr<strong>en</strong>dre sans payer tout ce<br />

qui était nécessaire à <strong>le</strong>ur subsistance, frappèr<strong>en</strong>t injustem<strong>en</strong>t<br />

<strong>le</strong>s maîtres des maisons qui étai<strong>en</strong>t trop l<strong>en</strong>ts â porter <strong>le</strong>ur<br />

tribut. Les habitants de Balakor se révoltèr<strong>en</strong>t, etdepuis quelques<br />

instants, des pierres énormes roulai<strong>en</strong>t de <strong>par</strong>t et<br />

d'autre, et des coups d'énormes gourdins s'administrai<strong>en</strong>t â<br />

merveil<strong>le</strong>, orsqu'on vint nous prév<strong>en</strong>ir dans notre chambre,<br />

qu'on assassinait un de nos camarades. Alors chacun prit ses<br />

pisto<strong>le</strong>ts et son sabre, et se hâta d'al<strong>le</strong>r au théâtre de<br />

cette guerre. Lorsque <strong>le</strong>s habitants nous vir<strong>en</strong>t déboucher,<br />

ils abandonnèr<strong>en</strong>t la <strong>par</strong>tie et se réfugièr<strong>en</strong>t sur la montagne<br />

contre laquel<strong>le</strong> est situé <strong>le</strong> village. Exaspérés que nous<br />

étions de voir, non un de nos camarades assassiné, car,<br />

après nous être appelés mutuel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t, chacun répondit, mais<br />

après avoir vu un Persan couché à terre et assommé <strong>par</strong> un<br />

coup de pierre, un de nous <strong>le</strong>ur tira un coup de pisto<strong>le</strong>t. U<br />

n'atteignit personne, mais il <strong>le</strong>s fit courir plus fort que


JOURNAL D'UNE D'UNE MISSION NILITÂU1F, EN PERSE<br />

jamais. Rev<strong>en</strong>us un peu de cette agitation, nous allions nous<br />

informer des causes de la dispute, lorsqu'avant de nous <strong>le</strong><br />

dire, on nous montra un Turc qui avait <strong>le</strong>s deux bras cassésa<br />

coup de bâton; et on ajouta que <strong>le</strong> mai comm<strong>en</strong>ça <strong>par</strong> là, et<br />

que ce fut avec justice, ce qui r<strong>en</strong>dit la cause généra<strong>le</strong>. Nous<br />

donnâmes tort aux Persans; mais p<strong>en</strong>dant ce temps, des<br />

femmes, placées sur <strong>le</strong>s terrasses de Balakor, invoquai<strong>en</strong>t<br />

Mahomet, nous exécrai<strong>en</strong>t et lui demandai<strong>en</strong>t de nous exterminer,<br />

â l'instant même, nous autres chréti<strong>en</strong>s. Partout et<br />

prononcé <strong>par</strong> des voix différ<strong>en</strong>tes, on n'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dait que <strong>le</strong> mot<br />

d'Allah, des p<strong>le</strong>urs, des sanglots, au milieu de mil<strong>le</strong> mains de<br />

femmes, cherchant à fixer sur el<strong>le</strong>s Mahomet.<br />

Nous eussions volontiers donné à tous <strong>le</strong>s diab<strong>le</strong>s ces femmes<br />

qui aurai<strong>en</strong>t très bi<strong>en</strong> pli exciter contre nous tous ces<br />

musulmans; mais force nous fut, faite de nous taire, car<br />

d'abord el<strong>le</strong>s étai<strong>en</strong>t femmes et <strong>en</strong>suite femmes musulmanes.<br />

Quel sujet, n'est-ce pas, de haine et guerre à mort contre <strong>le</strong>s<br />

fils de chi<strong>en</strong> qui se fuss<strong>en</strong>t avisés de <strong>le</strong>s frapper?<br />

Hussein-Khan arriva sur ces <strong>en</strong>trefaites, et soit que <strong>le</strong>s<br />

torts vinss<strong>en</strong>t de ses g<strong>en</strong>s ou lion, c'était beaucoup de s'être<br />

révoltés, et surtout de n'avoir ri<strong>en</strong> dit lorsque <strong>le</strong>s femmes<br />

nous insultai<strong>en</strong>t. Aussi donna-t-il l'ordre de s'em<strong>par</strong>er immédiatem<strong>en</strong>t<br />

de l'aga du village, et <strong>le</strong> cavas, pour n'avoir pas<br />

prévu et empêché cette scène, devait être mis aussitôt à<br />

mort. Peu d'instants après, on <strong>le</strong>s conduisit poings liés; •ces<br />

hommes p<strong>le</strong>urai<strong>en</strong>t à chaudes larmes, et sans doute n'étai<strong>en</strong>tils<br />

pas coupab<strong>le</strong>s. Hussein-Khan pourtant avant d'ordonner<br />

l'exécution nous <strong>le</strong>s <strong>en</strong>voya, laissant <strong>le</strong>ur sort <strong>en</strong>tre nos<br />

mains, pour n'avoir pas évité ce qui v<strong>en</strong>ait de se passer et<br />

qui nous avait attiré des insultes; nous <strong>le</strong>s fimes mettre <strong>en</strong><br />

liberté, et <strong>le</strong>s <strong>en</strong>gageâmes de faire dire aux habitants de<br />

Balakor, réfugiés <strong>en</strong> haut de la montagne, de desc<strong>en</strong>dre dans<br />

<strong>le</strong>urs habitations, qu'ils n'avai<strong>en</strong>t ri<strong>en</strong> â craindre, Ces g<strong>en</strong>s<br />

nous bénir<strong>en</strong>t mil<strong>le</strong> fois et <strong>en</strong>voyèr<strong>en</strong>t de suite prév<strong>en</strong>ir <strong>le</strong>s<br />

réfugiés de desc<strong>en</strong>dre. Ils ne <strong>le</strong> voulur<strong>en</strong>t pas. Le l<strong>en</strong>demain,.<br />

3


38<br />

JOURNAL DUNE M:IssioN MILITA1I&E EN PERSE<br />

au mom<strong>en</strong>t d<strong>en</strong> otre dé<strong>par</strong>t, nous <strong>le</strong>s aperçûmes couronnant un<br />

rocher, situé au haut de la montagne, et s'échapper dans <strong>le</strong>s<br />

airs la fumée du foyer qui <strong>le</strong>s avait réchauffés p<strong>en</strong>dant la nuit.<br />

Beïhout, que l'on ne découvre que lorsqu'on est presque<br />

dessus, est une vil<strong>le</strong> dont <strong>le</strong> coup d'oeil est agréab<strong>le</strong>; quelques<br />

peupliers plantés dans la vil<strong>le</strong>, de distance <strong>en</strong> distance. complais<strong>en</strong>t<br />

beaucoup. Les habitants y sont bons, hospitaliers; <strong>le</strong>s<br />

rues sont assez propres, <strong>le</strong>s maisons, quoique <strong>en</strong> terre, sont<br />

assez régulièrem<strong>en</strong>t bâties; la vil<strong>le</strong> est <strong>en</strong>vironnée de montagnes<br />

qui ne sont pas sans agrém<strong>en</strong>t. En y <strong>en</strong>trant du côté de<br />

Trébizonde, on remarque un fort <strong>en</strong> ruine maint<strong>en</strong>ant, <strong>en</strong><br />

forme de pyramide et dominant sur toute la gorge. Les Russes,<br />

à <strong>le</strong>ur dernière invasion, non cont<strong>en</strong>ts de <strong>le</strong> détruire presque<br />

<strong>en</strong> <strong>en</strong>tier, brâlèr<strong>en</strong>t tout ce quise trouvait à son pied, et <strong>le</strong>s<br />

ruines de plus de deux c<strong>en</strong>ts maisons attest<strong>en</strong>t un tel abus du<br />

droit du vainqueur.<br />

Erzeroum. - Erzeroum, situé au pied <strong>d'une</strong> montagne, est<br />

à l'extrémité <strong>d'une</strong> plaine imm<strong>en</strong>se et s'aperçoit à plus de 5<br />

ou 6 lieues. Vers <strong>le</strong> milieu de cette plaine, nous remarquâmes<br />

une source d'eau chaude <strong>en</strong>tourée de murs de à mètres<br />

d'élévation; un conduit s'y trouvait pratiqué et donnait cours<br />

à cette source, qui <strong>par</strong>aît stagnante <strong>en</strong> plusieurs <strong>en</strong>droits et<br />

où chacun va pr<strong>en</strong>dre un bain, selon <strong>le</strong> degré de cha<strong>le</strong>ur<br />

qu'il veut. Quand nous y passâmes, un troupeau de buff<strong>le</strong>s se<br />

baignait au 3 0 bassin, et avait de l'eau aux deux tiers de sa<br />

hauteur. Je fis <strong>par</strong>tie des curieux qui voulur<strong>en</strong>t desc<strong>en</strong>dre<br />

de cheval pour pouvoir juger de cette eau therma<strong>le</strong>. Nous<br />

avançant successivem<strong>en</strong>t sur une dal<strong>le</strong> d'où l'on pouvait faci<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t<br />

y mettre la main, je remarquai qu'el<strong>le</strong> était bouillante<br />

et qu'on ne pouvait y laisser la main plus <strong>d'une</strong> ou deux<br />

secondes. Je la goûtai <strong>en</strong>suite; el<strong>le</strong> a <strong>le</strong> goût de flQS eaux<br />

sulfureuses, ses propriétés principa<strong>le</strong>s et <strong>par</strong>ticulières ne<br />

pur<strong>en</strong>t nous être données, seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s fiévreux convalésé<strong>en</strong>ts<br />

<strong>en</strong> font un grand usage; <strong>en</strong> boisson surtout. Les habitants<br />

d'Erzeroum et des <strong>en</strong>virons, de <strong>le</strong>ur propre chef, sans


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE ÉN PEkSE<br />

doute, s'<strong>en</strong> serv<strong>en</strong>t pour toute espèce de maladie ; <strong>en</strong>suite<br />

<strong>le</strong>s personnes bi<strong>en</strong> portantes, comme el<strong>le</strong> n'est qu'à deux<br />

lieues et demi de la vil<strong>le</strong>, y vont <strong>en</strong> <strong>par</strong>tie de plaisir, s'y bai-<br />

gn<strong>en</strong>t quelques fois, et <strong>en</strong> boiv<strong>en</strong>t même.<br />

Comme la fou<strong>le</strong> qui accompagnait ilussein-Khan s'était<br />

<strong>en</strong>core grossie <strong>par</strong> bon nombre de Persans habitant cette<br />

vil<strong>le</strong>, nous crûmes devoir, pour notre r<strong>en</strong>trée, resterquelques<br />

pas <strong>en</strong> arrière. Néanmoins, nous découvrions faci<strong>le</strong>m<strong>en</strong>itous<br />

es cavaliers honoraires, v<strong>en</strong>us à la r<strong>en</strong>contre de l'ambassadeur<br />

pour célébrer son <strong>en</strong>trée, s'écarter <strong>par</strong> deux et <strong>par</strong><br />

trois de chaque côté de la route, puis obliquem<strong>en</strong>t rejoindre<br />

<strong>en</strong> avant la route, faisant quelque décharge d'armes à feu<br />

<strong>en</strong> l'honneur d'Hussein-Khan, simu<strong>le</strong>r une lutte, une petite<br />

guerre. J'avoue que nous n'étions pas indiffér<strong>en</strong>is à ces<br />

fêtes et à ces jeux qui ont quelque chose de sauvage. A.<br />

l'<strong>en</strong>trée d'Erzeroum, un piquet de c<strong>en</strong>t hommes turcs<br />

r<strong>en</strong>dir<strong>en</strong>t à l'ambassadeur <strong>le</strong>s honneurs <strong>militaire</strong>s, et après<br />

avo ir prés<strong>en</strong>té <strong>le</strong>s armes quand il passait devant eux, ils se<br />

retirèr<strong>en</strong>t vers <strong>le</strong>urs casernes; bi<strong>en</strong>tôt après, on comm<strong>en</strong>ça la<br />

salve d'artil<strong>le</strong>rie, el<strong>le</strong> n'était pas <strong>en</strong>core terminée comme<br />

nous <strong>en</strong>trions dans nos demeures.<br />

Erzeroum, vil<strong>le</strong> que quelques auteurs ont tant prônée et<br />

vantée, est une vil<strong>le</strong> sa<strong>le</strong>, dégoûtante; <strong>le</strong>s bazars quoiqu'assez<br />

bi<strong>en</strong> fournis répand<strong>en</strong>t une odeur infecte, ils sont irrégulièrem<strong>en</strong>t<br />

construits. J'y remarquai que quelques marchands<br />

laissant de côté <strong>le</strong>s bazars, lieux conv<strong>en</strong>us pour <strong>le</strong>s marchés,<br />

portai<strong>en</strong>t <strong>le</strong>urs marchandises <strong>en</strong> p<strong>le</strong>ine rue pour y faire <strong>le</strong>ur<br />

commerce; et pourtant chaque jour avance d'un pas vers <strong>le</strong>s<br />

bons résultats et <strong>le</strong>s hommes et <strong>le</strong>s choses, car un homme<br />

doué de bi<strong>en</strong> des qualités, un homme p<strong>le</strong>in de vigueur, de<br />

sagesse et d'instruction commande <strong>en</strong> cette vil<strong>le</strong>. Cet homme<br />

c'est Afis-Pacha que chaque Français désireux de connaître <strong>le</strong>s<br />

illustrations étrangères doit connaître <strong>par</strong> <strong>le</strong>s récits qu'on <strong>en</strong><br />

fait.<br />

Pour moi, je regrettai souv<strong>en</strong>t de ne l'avoir pas vu à mon<br />

39


40 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

passage à Erzeroum. Je l'eusse bi<strong>en</strong> désiré ainsi que tous<br />

mes camarades, mais n'ayant pas nos t<strong>en</strong>ues <strong>militaire</strong>s avec<br />

nous, nous ne pûmes al<strong>le</strong>r <strong>le</strong> voir; nous <strong>en</strong> fûmes bi<strong>en</strong> fâchés.<br />

Le commandant Boissier et un seul de ceux qui flous<br />

accompagnai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> <strong>Perse</strong> ayant <strong>le</strong>urs uniformes s'y prés<strong>en</strong>tèr<strong>en</strong>t.<br />

1.1 <strong>le</strong>s reçut avec affabilité et amabilité et <strong>le</strong>ur donna<br />

à chacun, pour souv<strong>en</strong>ir, une superbe longue vue. Ces<br />

messieurs à <strong>le</strong>ur r<strong>en</strong>trée nous <strong>en</strong> fir<strong>en</strong>t <strong>le</strong> plus grand éloge.<br />

Ails-Pacha aime beaucoup <strong>le</strong>s Europé<strong>en</strong>s, <strong>par</strong>ticulièrem<strong>en</strong>t<br />

<strong>le</strong>s Français, aussi fait-il tous ses efforts pour avoir des têtes<br />

françaises capab<strong>le</strong>s de diriger ses opérations. Plus tard<br />

j'appris que l'ambassade française qui se r<strong>en</strong>dait <strong>en</strong> <strong>Perse</strong><br />

fut ausi admirab<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t reçue <strong>par</strong> lui. Ii n'est pas de sorte<br />

de galanteries qu'il n'ait eu à l'égard de ces messieurs:<br />

banquets, chevaux, bel<strong>le</strong>s armes <strong>le</strong>ur étai<strong>en</strong>t donnés. Notre<br />

ambassadeur que nous vîmes plus tard à Tauris et Ispahan <strong>en</strong><br />

fut très satisfait.<br />

Une scène qui aurait pu avoir de tristes , résultats éclata à<br />

Erzeroum, <strong>le</strong> matin de notre dé<strong>par</strong>t, et comme cela arrive<br />

souv<strong>en</strong>t, pour de petites causes. Comme je l'ai déjà dit, nous<br />

<strong>par</strong>times de Trébizonde montés sur de piètres chevaux de<br />

caravane. Nous <strong>en</strong> exprimâmes tout <strong>le</strong> mécont<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t; à<br />

Hussein-Khan, et <strong>le</strong> peu de considération que tout cela pouvait<br />

nous donner auprès de ses domestiques qu'il avait tous<br />

très bi<strong>en</strong> montés. Nous ne lui sûmes pas beaucoup de gré de<br />

cette préfér<strong>en</strong>ce, et l'invitâmes <strong>le</strong> plus tôt possib<strong>le</strong> à nous<br />

mieux monter. Il promit qu'arrivé â Beïlout il s'<strong>en</strong> occuperait.<br />

Il n'<strong>en</strong> fit ri<strong>en</strong>. Lui mettant son m<strong>en</strong>songe <strong>en</strong> avant et<br />

notre exaspération, il promit que certainem<strong>en</strong>t il nous <strong>en</strong><br />

donnerait à Erzeroum. Le temps ne lui eût pas manqué, car<br />

nous y passâmes deux jours, et pourtant, au mom<strong>en</strong>t de <strong>par</strong>tir,<br />

on nous am<strong>en</strong>a des chevaux pires <strong>en</strong>core. Nous nous<br />

refusâmes tous à <strong>par</strong>tir, si immédiatem<strong>en</strong>t nous n'avions<br />

sinon des chevaux que notre position réclamait, du moins<br />

des chevaux capab<strong>le</strong>s de nous conduire jusqu'à Tauris, car


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 41<br />

tel<strong>le</strong> était <strong>le</strong>ur destination. Hussein-Khan, prév<strong>en</strong>u de nos<br />

dispositions, nous <strong>en</strong>voya un Mirza Fata, son premier secrétaire,<br />

et un Mirza Reza, colonel Persan, ainsi qu'unArméni<strong>en</strong><br />

nommé Gabriel, pour veil<strong>le</strong>r à ce que nous ayions de meil<strong>le</strong>urs<br />

chevaux, et faire <strong>en</strong> sorte d'éloigner la colère que tant<br />

de fautes de l'ambassadeur Persan avait fait naître. P<strong>en</strong>dant<br />

que ces fourbes Persans étai<strong>en</strong>t là pour nous cajo<strong>le</strong>r,<br />

monsieur Rive, Français, instructeur des soldats turcs, fondé<br />

de pouvoir d'un fabricant de verres qu'emm<strong>en</strong>ait aussi<br />

hussein-Khan, s'adressa <strong>d'une</strong> manière impolie aux membres<br />

de cette ambassade. Une dispute s'<strong>en</strong>gagea <strong>en</strong>tre lui et<br />

Gabriel et ils allai<strong>en</strong>t se frapper lorsqu'on <strong>le</strong>s sé<strong>par</strong>a. Fata,<br />

Resa et Gabriel dir<strong>en</strong>t qu'il allait à avoir â se justifier<br />

de sa conduite devant Afis Pacha, son chef. Ils se sé<strong>par</strong>èr<strong>en</strong>t<br />

et <strong>le</strong>s Persans r<strong>en</strong>trèr<strong>en</strong>t, après nous avoir donné des chevaux<br />

que je jugeai pouvoir nous conduire à trois journées de marche<br />

au moins, sans pouvoir boiter et s'affaisser. Il y <strong>en</strong> avait<br />

vingt, mais qu'importe <strong>le</strong> nombre chez des g<strong>en</strong>s qui sont<br />

assez ignorants pour savoir ce qu'il <strong>le</strong>ur faut un jour.<br />

Nous allions <strong>par</strong>tir et sortir Ses portes de la vil<strong>le</strong>, lorsque<br />

Gabriel y r<strong>en</strong>trant me prit <strong>par</strong> <strong>le</strong> bras, et m'<strong>en</strong>gagea à <strong>le</strong><br />

suivre. Il avait avec lui, <strong>en</strong> <strong>par</strong>tie, <strong>le</strong>s maîtres et va<strong>le</strong>ts de<br />

l'ambassade. Je crus d'abord qu'il me pr<strong>en</strong>ait pour <strong>le</strong> seconder<br />

dans sa <strong>par</strong>tie d'honneur, lorsque j'<strong>en</strong> fus bi<strong>en</strong> dissuadé.<br />

Ait détour <strong>d'une</strong> rue, où débouchait monsieur Rive <strong>en</strong> grande<br />

t<strong>en</strong>ue, il fut immédiatem<strong>en</strong>t cerné <strong>par</strong> <strong>le</strong>s g<strong>en</strong>s de l'ambassade<br />

qui reçur<strong>en</strong>t l'ordre de <strong>le</strong> conduire chez <strong>le</strong> pacha. L'ayant<br />

fait desc<strong>en</strong>dre de cheval, <strong>le</strong> prévins ces persans et <strong>par</strong>ticulièrem<strong>en</strong>t<br />

monsieur Gabriel, qui m'avait am<strong>en</strong>é là, de faire<br />

cesser devant moi, de <strong>par</strong>eils traitem<strong>en</strong>ts â l'égard d'un Français.<br />

Mais déjà monsieur Rive était à terre; il se re<strong>le</strong>va et<br />

cons<strong>en</strong>tit à al<strong>le</strong>r chez <strong>le</strong> pacha. En ce mom<strong>en</strong>t arrivèr<strong>en</strong>t trois<br />

de nos camarades qui <strong>le</strong> suivir<strong>en</strong>t. Quand à moi, je fus rejoindre<br />

la majeure <strong>par</strong>tie de mes camarades, qui cheminai<strong>en</strong>t<br />

vers Hassan-Rha<strong>le</strong>t, l'étape voisine; <strong>le</strong> soir, nous y arrivâmes


42 JOURNAL D'UNE MISSION MILI'.rAJ.RE EN PE11S<br />

de bonne heure. Lorsque nos trois compagnons de voyage<br />

que nous avions laissé à Erzeroum fur<strong>en</strong>t r<strong>en</strong>trés, voici ce<br />

que nous apprîmes.<br />

Nous apprîmes d'eux que l'affaire aurait pu dev<strong>en</strong>ir grave,<br />

car toutes <strong>le</strong>s lois que monsieur Rive voulait s'arrêter, comme<br />

cela est naturel <strong>en</strong> <strong>par</strong>eil<strong>le</strong> circonstance, pour »lieux<br />

faire compr<strong>en</strong>dre <strong>le</strong>s bonnes raisons que chacun a â donner,<br />

ces Persans <strong>le</strong> maltraitai<strong>en</strong>t; et, sans ceux des nôtres qui<br />

étai<strong>en</strong>t restés pour l'accompagner, monsieur Rive eut été <strong>en</strong><br />

.butte A bi<strong>en</strong> des mauvais traitem<strong>en</strong>ts. La nouvel<strong>le</strong> de cette<br />

mésintellig<strong>en</strong>ce ne tarda pas â être répétée de bouche <strong>en</strong><br />

bouche chez tous <strong>le</strong>s Persans qui habit<strong>en</strong>t Erzeroum; aussi<br />

chacun s'approchait-ii du groupe primitif, d'où <strong>par</strong>tai<strong>en</strong>t des<br />

cris de quelques personnes attachées A l'un et l'autre <strong>par</strong>ti.<br />

Enfin on maltraita de nouveau monsieur Rive; nos messieurs<br />

<strong>le</strong> déf<strong>en</strong>dir<strong>en</strong>t. Il y eût un mom<strong>en</strong>t ou chacun se raidissait et<br />

faisait tous ses efforts, mais pourtant 01) ne se battit pas. La<br />

fou<strong>le</strong> crut qu'on se révoltait et déjà on approchait <strong>en</strong> refermant<br />

dans un moindre cerc<strong>le</strong> tout <strong>le</strong> monde. On était armé<br />

de kandjars et autres armes. Nos compagnons d'armes ne<br />

sur<strong>en</strong>t que p<strong>en</strong>ser de cela. Toutefois <strong>le</strong>ur premier soin fut-il<br />

de se mettre sur l'off<strong>en</strong>sive et la déf<strong>en</strong>sive. Chacun mit ses<br />

-armes au poing. Cette sévère cont<strong>en</strong>ance , de <strong>le</strong>ur <strong>par</strong>t fit<br />

ouvrir <strong>le</strong>s yeux aux Persans; niais pour lors quelques Turcs<br />

du bataillon, sous <strong>le</strong>s ordres de monsieur Rive, s'étai<strong>en</strong>t approchés<br />

du théâtre de la dispute, <strong>le</strong> nombre dev<strong>en</strong>ant plus fort,<br />

on s'<strong>en</strong>gage et <strong>le</strong> bâton roulait. Ces officiers français étai<strong>en</strong>t<br />

décidés â faire payer bi<strong>en</strong> cher <strong>le</strong>s premiers coups qu'ils<br />

aurai<strong>en</strong>t reçus. Mais on se hatlait<strong>par</strong> rapport monsieur Rive<br />

-et 01) devait avoir grand garde de toucher un des Français<br />

qui se r<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>. Dans <strong>le</strong> courant de la dispute,<br />

monsieur i3oucherat reçut un coup de bâton. Il dut cela à son<br />

accoutrem<strong>en</strong>t qui était presque 'Turc. 1.1 avait un fez et son<br />

manteau; on ne <strong>le</strong> )reconnut pas, et il reçut <strong>le</strong> coup de bâton<br />

<strong>par</strong>derrièreQuoi qu'il <strong>en</strong> soit, il poursuivit au galop<strong>le</strong> Persan


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

qui s'était mépris à ce point et lui plongea son épé' dans <strong>le</strong>s<br />

reins. (Je trait allait exaspérer <strong>le</strong>s Persans, et <strong>le</strong>s porter à<br />

toute extrémité, lorsque <strong>le</strong>s principaux de l'ambassade qui<br />

avai<strong>en</strong>t am<strong>en</strong>é cette scène se dissipèr<strong>en</strong>t et prièr<strong>en</strong>t <strong>en</strong> <strong>par</strong>tie<br />

<strong>le</strong>s Persans de r<strong>en</strong>trer et <strong>en</strong>gagèr<strong>en</strong>t à grands coups de<br />

bâton l'autre <strong>par</strong>tie â se retirer. Monsieur Gabriel avait eu<br />

déjà p<strong>le</strong>ine satisfaction de son affaire. Monsieur Rive lui mettait<br />

tous <strong>le</strong>s marchés â la main, car Ails-Pacha ne voulut pas<br />

se mê<strong>le</strong>r de cette affaire; mais il ne voulut ri<strong>en</strong> <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre et<br />

voulut se retirer <strong>le</strong> plus tôt possib<strong>le</strong>. Tous <strong>le</strong>s grands de l'ambassade<br />

Persane fur<strong>en</strong>t satisfaits aussi, car ils faillir<strong>en</strong>t faire<br />

un massacre général; et il s'<strong>en</strong> fallut de peu. Mais monsieur,<br />

Boucherat ne l'était pas. Il avait à coeur son coup de bâton,<br />

quoiqu'il s'<strong>en</strong> fut bi<strong>en</strong> v<strong>en</strong>gé. Il refusa de quitter, ainsi que<br />

tous ces messieurs, la place d'Erzeroum, si immédiatem<strong>en</strong>t<br />

on ne conduisait devant lui <strong>le</strong> coupab<strong>le</strong> qui avait osé <strong>le</strong>ver <strong>le</strong><br />

bâton sur lui, pour y recevoir <strong>en</strong> prés<strong>en</strong>ce de tout <strong>le</strong> monde sa<br />

punition d'un certain nombre de coups de bâton, qu'il désignerait<br />

au cas opportun. Les grands de l'ambassade l'<strong>en</strong>gagèr<strong>en</strong>t<br />

à se retirer, ce fut <strong>en</strong> vain. Il promit de n'<strong>en</strong> ri<strong>en</strong> faire, et<br />

dit â Mirza Fata, <strong>le</strong> premier secrétaire, qu'il devait lui-même<br />

veil<strong>le</strong>r â ce qu'on <strong>le</strong> lui conduisit. Voyant sa résolution, on se<br />

mit é la recherche du coupab<strong>le</strong> que l'on conduisit, mains liées<br />

derrière <strong>le</strong> dos. Il •se pré<strong>par</strong>ait à recevoir c<strong>en</strong>t cinquante<br />

coups de bâton, que M. BoucheraI prononçât, lorsque l'apprêt<br />

<strong>d'une</strong> tel<strong>le</strong> cérémonie, <strong>en</strong> prés<strong>en</strong>ce de toute la populace,<br />

<strong>en</strong>gagea monsieur Boucherat à <strong>le</strong> grâcier. Il se prosterna<br />

plusieurs fois devant lui. Le drogman lui dit qu'on lui <strong>par</strong>donnait,<br />

mais qu'il avait, lui et ses camarades, à appr<strong>en</strong>dre pour<br />

une autre fois, qu'on ne devait jamais insulter des voyageurs,<br />

qu'on devait surtout respecter <strong>le</strong>s Français; et tout étant r<strong>en</strong>tré<br />

à peu près dans l'ordre, on salua monsieur Rive, et on se<br />

mit <strong>en</strong> marche .pour Hassan-Khalèh.<br />

Plus tard, nous apprîmes relativem<strong>en</strong>t à cette affaire, <strong>par</strong><br />

la voie des journaux, que tous étai<strong>en</strong>t morts indistinctem<strong>en</strong>t,<br />

43<br />

1


44 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

ayant d'abord violé <strong>le</strong>s demeures qui <strong>le</strong>ur étai<strong>en</strong>t sacrées, et<br />

s'être <strong>en</strong>fin retirés chez <strong>le</strong> consul Anglais; toutes ces choses,<br />

comme on <strong>le</strong> voit, sont tota<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t fausses.<br />

Le surl<strong>en</strong>demain de cette affaire à G-ui]lassour, Hussein-<br />

Khan exprima au fabricant de verre Car<strong>en</strong>za tout son mécont<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t<br />

de la scène qu'il avait suscitée. Il lui annonça<br />

dans cette <strong>en</strong>trevue qu'il avait perdu toute sa confiance et<br />

qu'il ne voulait plus de lui, quand même il lui ferait des diamants.<br />

Il était arrêté qu'il allait <strong>par</strong>tir, lorsqu'il insista <strong>en</strong>core<br />

t Hussein-Khan, l'appréciant dès lors à sa juste va<strong>le</strong>ur, <strong>le</strong><br />

reprit, devant plus tard sur lui laisser appesantir tout son<br />

ress<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t.<br />

Toutefois, Hussein-Khan ne cons<strong>en</strong>tit à l'emm<strong>en</strong>er <strong>en</strong> <strong>Perse</strong><br />

qu'à la condition qu'il signerait une <strong>le</strong>ttre, comme il <strong>le</strong> disait,<br />

attestant qu'il n'avait nul<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t fondé de pouvoir monsieur<br />

Rive pour cette réclamation, que ce monsieur avait ainsi agi<br />

de son propre chef. Car<strong>en</strong>za y cons<strong>en</strong>tit. Que chacun p<strong>en</strong>se<br />

ce que nous dflmes p<strong>en</strong>ser de cet homme (l ui sacrifiait ainsi<br />

monsieur Rive, qui, <strong>par</strong> rapport à lui, allait peut-être se voir<br />

destitué, quand surt2ut il avait agi d'après ses instigations.<br />

Pour mon propre compte, j'avoue que depuis cette époque <strong>le</strong><br />

fabricant de verre était perdu dans mon esprit et n' trouvait<br />

pasla moindre estime que chaque honnête <strong>par</strong>ticulier est. <strong>en</strong><br />

droit de réclamer <strong>d'une</strong> autre, personne. Le but de Hussein-<br />

Khan, était, d'après <strong>le</strong> rapport que lui fir<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s g<strong>en</strong>s de sa<br />

suite, d'écrire â Ails-Pacha et <strong>par</strong> la signature de Oar<strong>en</strong>za de<br />

prouver <strong>le</strong> doub<strong>le</strong> tort de monsieur Rive. Nous ne pûmes<br />

savoir plus tard tout <strong>le</strong> résultat de cette affaire, mais ce qu'il<br />

y a de bi<strong>en</strong> certain, c'est que monsieur Rive est <strong>en</strong>core instructeur<br />

à Erzeroum.<br />

Je ne dois pas non plus tout pallier chez l'un pour ne faire<br />

ressortir que <strong>le</strong>s justes torts de l'autre. Quoiqu'<strong>en</strong> <strong>par</strong>eil<strong>le</strong><br />

circonstance l'int<strong>en</strong>tion de secourir des compatriotes soit à<br />

louer chez monsieur Rive, <strong>le</strong>s formes insultantes, <strong>en</strong> aucune<br />

circonstance, ne doiv<strong>en</strong>t être admises; J'ai à reprocher à


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 45<br />

monsieur Rive sa manière d'accoster <strong>le</strong>s g<strong>en</strong>s de l'ambassade<br />

persane, lorsque nous étions réunis devant notre maison,<br />

att<strong>en</strong>dant nos chevaux pour <strong>par</strong>tir. Cela se passait <strong>le</strong> 24 novembre<br />

<strong>1839</strong>.<br />

Khbi.— Les trois oit quatre derniers jours qui précédèr<strong>en</strong>t<br />

notre arrivée â Kiwi, nous eûmes â supporter des froids bi<strong>en</strong><br />

rigoureux, <strong>par</strong>ticulièrem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core <strong>le</strong> jour de notre <strong>en</strong>trée<br />

<strong>en</strong> cette vil<strong>le</strong>. C'était la première vil<strong>le</strong> un peu considérab<strong>le</strong><br />

dans laquel<strong>le</strong> nous <strong>en</strong>trions eu <strong>Perse</strong>, aussi r<strong>en</strong>contrâmesnous<br />

plusieurs groupes de personnes qui v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t à la r<strong>en</strong>contre<br />

de Hussein-Khân, grand honneur que l'on r<strong>en</strong>d aux<br />

g<strong>en</strong>s du pays quand ils voyag<strong>en</strong>t. Les jeux dont j'ai déjà<br />

<strong>par</strong>lé ne manquai<strong>en</strong>t pas dé se reproduire mieux que jamais.<br />

Il n'y avait aucun empêchem<strong>en</strong>t pour ces fous cavaliers, pas<br />

même <strong>le</strong>s glaçons qui pouvai<strong>en</strong>t se trouver dans <strong>le</strong>urs galops<br />

sous <strong>le</strong>s pieds des chevaux; il n'y eut pourtant pas de graves<br />

accid<strong>en</strong>ts, quelques chutes seu<strong>le</strong>s désappointèr<strong>en</strong>t quelques<br />

champions qui se s<strong>en</strong>tir<strong>en</strong>t ainsi piqués, et galopai<strong>en</strong>t avec<br />

pins de vitesse que jamais une fois placés sur <strong>le</strong>urs chevaux.<br />

Une lieue avant d'<strong>en</strong>trer <strong>en</strong> vil<strong>le</strong>, nous r<strong>en</strong>contrions, placés<br />

de distance <strong>en</strong> distance, plusieurs groupes de Persans â pied,<br />

autour de plusieurs beaux béliers ou moutons que l'on immolait<br />

<strong>en</strong> signe de sacrifice â Hussein-Khan quand il passait<br />

devant eux.<br />

Cela est une sorte de spéculation de la <strong>par</strong>t de ces g<strong>en</strong>s qui<br />

gard<strong>en</strong>t toujours vers eux la bête immolée et de plus la<br />

récomp<strong>en</strong>se que <strong>le</strong>ur donne <strong>le</strong> grand auquel ils ont fait cet<br />

honneur. Etant sur <strong>le</strong>s portes de la vil<strong>le</strong> de Khoi, nous n'apercevions<br />

<strong>en</strong>core que ce qu'on apercevait de bi<strong>en</strong> loin. Avant<br />

d'<strong>en</strong>trer <strong>en</strong> vil<strong>le</strong>, il fallut tourner et retourner mil<strong>le</strong> chemins<br />

couverts que nous aurions alors donnés â tous <strong>le</strong>s diab<strong>le</strong>s; â<br />

cause du grand froid que nous éprouvions. Enfin nous passâmes<br />

sur tin petit pont et nous ne tardâmes pas â <strong>en</strong>trer <strong>en</strong><br />

vil<strong>le</strong>. Il y avait beaucoup de boue, et <strong>le</strong>s rues étroites de cette<br />

vil<strong>le</strong>, r<strong>en</strong>dues, pour <strong>le</strong>s voyageurs montés et <strong>en</strong> nombre,


46<br />

JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

plus étroites <strong>en</strong>core â cause des sau<strong>le</strong>s qui sont plantés au<br />

milieu des rues, nécessitèr<strong>en</strong>t une longue suite, puisque nous<br />

qui ouvrions la marche étions obligés de marcher sur un<br />

rang. Enfin nous arrivâmes au lieu de notre logem<strong>en</strong>t. Nous<br />

filmes logés près de Hussein-Khan, dans de passab<strong>le</strong>s ap<strong>par</strong>tem<strong>en</strong>ts.<br />

Quelques instants après notre arrivée, nous reçûmes<br />

<strong>en</strong> cadeau de Hussein-Khan deux grands plateaux chargés<br />

de sucreries qui nous fir<strong>en</strong>t grand plaisir. Dans l'après-midi,<br />

nous fûmes visiter <strong>le</strong>s rem<strong>par</strong>ts, qui ne sont autre chose que<br />

deux murs de circonvallation, flanqués de tours de distance<br />

<strong>en</strong> distance. Ces murs sont très é<strong>le</strong>vés, sans épaisseur, et prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t<br />

(Fautant moins de résistance qu'ils sont é<strong>le</strong>vés sans<br />

avoir (<strong>le</strong> bonnes bases; aussi n'est-il pas rare à Khoi, comme<br />

dans <strong>le</strong>s autres vil<strong>le</strong>s de la <strong>Perse</strong>, de voir tomber lambeaux<br />

<strong>par</strong> lambeaux <strong>le</strong>s choses dans <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s surtout ils devrai<strong>en</strong>t<br />

mettre tout <strong>le</strong>ur salut. Les fortifications de Khoi,qui sont bi<strong>en</strong><br />

r<strong>en</strong>ommées <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>, me fir<strong>en</strong>t la plus grande pitié. Nous<br />

Mu<strong>le</strong>s visiter <strong>en</strong>suite ]a caserne, vieux amas de ruines; où se<br />

sont retirées quelques •femmes depuis que <strong>le</strong>s soldats log<strong>en</strong>t<br />

chez eux. Sans <strong>le</strong>s déranger nous désirâmes visiter l'extérieur.<br />

Nous aperçûmes â la basse-cour une pièce de canon de<br />

vieux modè<strong>le</strong>, dont la <strong>par</strong>eil<strong>le</strong> se trouvait à côté sous une<br />

casemate, et quelques soldats, excessivem<strong>en</strong>t mal accoutrés,<br />

formai<strong>en</strong>t à l'<strong>en</strong>trée la garde d'un poste. ils sur<strong>en</strong>t dès <strong>le</strong><br />

matin que nous v<strong>en</strong>ions pour <strong>le</strong>s commander, aussi nous<br />

r<strong>en</strong>dir<strong>en</strong>t-ils <strong>en</strong> grand tons <strong>le</strong>s honneurs de <strong>militaire</strong>s; ils<br />

fur<strong>en</strong>t très confiants <strong>en</strong> nous, â l'exception de quelques vieux<br />

sarcophages, qui noussuivai<strong>en</strong>tpourrious i nviter,profanesque<br />

nous étions, à nous retirer et il laisser <strong>le</strong>s femmes tranquil<strong>le</strong>s.<br />

J'assure ici que nous n'y p<strong>en</strong>sions nul<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t, mais nous<br />

devions, sauf à réprimer ces abus, comm<strong>en</strong>cer <strong>par</strong> respecter<br />

<strong>le</strong>s usages de ce peup<strong>le</strong> barbare. C'est â Khoi que se trouve<br />

<strong>en</strong>terré monsieur Bertrand, officier, qui était v<strong>en</strong>u attaché à<br />

l'ambassade du général Gardanne. Nous apprîmes plus tard,<br />

qu'<strong>en</strong> son honneur, l'ambassade française de monsieur de


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

Sercey fit dire <strong>par</strong> son aumônier une messe. Nous désirâmes<br />

visiter la tombe de ce compatriote ; mais il plût <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain<br />

â Hussein-Khan de <strong>par</strong>tir. Nous ne pûmes ainsi mettre ce<br />

projet â exécution.<br />

Je fus réel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t étonné des bazars que nous y visitâmes.<br />

Ils sont grands et sont sous de vastes voûtes assez régulièrem<strong>en</strong>t<br />

construites. La hardiesse de ces voûtes m'étonna beaucoup<br />

et était de beaucoup supérieure â cel<strong>le</strong>s d'Erzroum.<br />

Voici donc comm<strong>en</strong>t se compos<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s bazars d'Ori<strong>en</strong>t et ici<br />

ceux de Khoi: ce sont de longues et vastes ga<strong>le</strong>ries, sous des<br />

veil<strong>le</strong>s très é<strong>le</strong>vées et ayant â la <strong>par</strong>tie supérieure et. sur <strong>le</strong>s<br />

côtés des dessins persans, de distance <strong>en</strong> distance, dessins du<br />

reste grossièrem<strong>en</strong>t travaillés. Les boutiques sont sur la<br />

droite et sur la gauche. El<strong>le</strong>s ne se ferm<strong>en</strong>t point. Lés marchandises<br />

sont dans des rayonset <strong>le</strong> maître est assis â côté,<br />

sur ses talons. Les marchandises de même espèce se suiv<strong>en</strong>t<br />

assez ordinairem<strong>en</strong>t et sont sur chaque <strong>par</strong>tie d'un bazar. De<br />

distance eu distance sont <strong>le</strong>s caravansérails, où <strong>le</strong>smarchands<br />

Géorgi<strong>en</strong>s s'établiss<strong>en</strong>t d'ordinaire. Cette manière de placer<br />

<strong>par</strong> quartiers <strong>le</strong>s marchandises <strong>d'une</strong> même nature n'est pas<br />

chose généra<strong>le</strong> et de rigueur, cep<strong>en</strong>dant cela existe â Khoi.<br />

Après <strong>le</strong>s avoir visités notre aise et fait quelques achatspour<br />

poursuivre notre route, nous nous disposâmes à <strong>par</strong>tir.<br />

-<br />

Nous étions â Khoi <strong>le</strong> 7 décembre. Nous remarquâmes <strong>par</strong><br />

exemp<strong>le</strong> un très mauvais <strong>en</strong>treti<strong>en</strong> dans cette vil<strong>le</strong> plus<br />

<strong>en</strong>core que dans <strong>le</strong>s autres vil<strong>le</strong>s de la <strong>Perse</strong>, dontnous fûmes<br />

â même de juger plus tard; il y avait même, dans certains<br />

<strong>en</strong>droits, du danger à ne pas regarder à ses pieds, car nous<br />

aperçûmes plusieurs trous sur <strong>le</strong> milieu des rues qui avoisinai<strong>en</strong>t<br />

<strong>le</strong>s bazars. Nous sortîmes de Khoi <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain. Nous<br />

remarquâmes une av<strong>en</strong>ue charmante â l'autre côté de la vil<strong>le</strong>,<br />

quelques maisons de campagnes, ainsi que quelques arbres<br />

sur notre droite et notre gauche; cela nous fit IIfl vif plaisir;<br />

nous voyagions depuis si longtempssans <strong>en</strong> trouver. Je crois<br />

que nous <strong>le</strong>s laissâmes tousâ la valléeque nous r<strong>en</strong>contrâmes â


48 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

M<br />

notre ortie de Trébizonde; nous<strong>en</strong> vîmes <strong>en</strong>core quelques derniers<br />

â Beïbout. Nous arrivâmes bi<strong>en</strong> tard à Seid-Hadji-ed-flin,<br />

Petit village sifué à trois agaches de l{hoi, où nous passâmes<br />

la nuit. Le l<strong>en</strong>demain, nous nous mîmes <strong>en</strong> marche. Nous<br />

eûmes une dernière montagne â traverser. Au haut de la<br />

montagne, du plateau sur <strong>le</strong>quel on voyagep<strong>en</strong>dantquelques<br />

instants, nous aperçûmes <strong>le</strong> lac d'Ourmia, qui donne son nom<br />

à une des provinces de la <strong>Perse</strong>; son eau est salée, il n'a point<br />

de poissons. Quand nous ethnes achevé de franchir la montagne,<br />

nOUS lâiss qInes <strong>le</strong> lac sur la droite, allâmes vers la<br />

gauche. Au fond, bi<strong>en</strong> loin, presque â l'horizon, nous aperçumes<br />

plusieurspetits villages; c'étai<strong>en</strong>t ceux qui avoisin<strong>en</strong>t<br />

TauS. Néanmoins nous ne l'apercevions pas, cd ne fut que<br />

<strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain, 12 décembre, que nous aperçûmes et <strong>en</strong>trâmes<br />

dans Tauris.<br />

Tauris. - Tauris ou Tébris est adossé à des montagnes<br />

et se trouve à l'extrémité de celte plaine qui comm<strong>en</strong>ce<br />

immédiatem<strong>en</strong>t au pied de cette montagne dont nous aperçûmes<br />

<strong>le</strong> lac; el<strong>le</strong> a ainsi plus de huit agaches de longueur.<br />

Cette plaine est <strong>le</strong> plus souv<strong>en</strong>t inculte et n'est labourée et<br />

productive qu'aux al<strong>en</strong>tours des villages qui se trouv<strong>en</strong>t<br />

situés çà- et là sur cette plaine. Nous aperçûmes quelques.<br />

jardins <strong>en</strong>tourés d'un mur de 5 à G mètres d'élévation. Ces<br />

murs sont <strong>en</strong> terre, et n'ont presque pas d'épaisseur. Ces<br />

jardins ne nous <strong>par</strong>ur<strong>en</strong>t pas très mal, et nous <strong>en</strong> jugeâmes<br />

assez avantageusem<strong>en</strong>t quoique nous fussions dans la<br />

mauvaise saison. Ces jardins sontcommuns cl non seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t<br />

<strong>le</strong>s Musulmans peuv<strong>en</strong>t y <strong>en</strong>trer, mais c'est qu'<strong>en</strong>core on y<br />

voit avec plaisir des étrangers, car <strong>le</strong>s gardi<strong>en</strong>s sav<strong>en</strong>t alors<br />

qu'ils auront un bakchich (ou cadeau). Je ne <strong>par</strong><strong>le</strong>rai point de<br />

notre <strong>en</strong>trée et de cel<strong>le</strong> de l-iussei n-Khan à Tauris. Et <strong>le</strong> fut faite<br />

avec grande pompe et cérémonie, lies béliers immolés se<br />

trouvai <strong>en</strong>t à chaque pas sur notre passage. D'après un usage<br />

eu vigueur chez <strong>le</strong>s Persans, notamm<strong>en</strong>t chez <strong>le</strong>s grands, on<br />

ne peut sans vio<strong>le</strong>r fortem<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s lois de la déc<strong>en</strong>ce r<strong>en</strong>trer


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 4<br />

dans une vil<strong>le</strong> après un voyage, avant la première heure du<br />

soir â la Turque. Cette première heure répond â peu près à la<br />

sixième chez nous; aussi, arrivés vers <strong>le</strong>s 4 heures, dûmesnous<br />

att<strong>en</strong>dre aux portes de la vil<strong>le</strong> deux heures Avec <strong>le</strong><br />

froid rigoureux qu'il y faisait et <strong>en</strong> grande t<strong>en</strong>ue comme nous<br />

étions, nous nous impati<strong>en</strong>tâmes plusieurs fois. Enfin, l'ordre<br />

d'<strong>en</strong>trer nous <strong>par</strong>vint. Il faisait bi<strong>en</strong> nuit. Les rues n'étant pas<br />

éclairées, seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t quelques <strong>par</strong>ties de bazars où l'on passe<br />

nous ne pûmes nous aviser de conduire nos montures, et<br />

pourtant la route était couverte de trous. Au milieu de bi<strong>en</strong><br />

des transes nous arrivâmes chez nous, à 7heures du soir du<br />

12 décembre <strong>1839</strong>.<br />

Tant que nous étions <strong>en</strong> route, nous sûmes pati<strong>en</strong>ter, et, à<br />

la fin, nous sûmes juger de tous <strong>le</strong>s m<strong>en</strong>songes de Hussein-<br />

Khan. Peu nous importait, dans <strong>le</strong>s derniers temps, que cet<br />

homme nous promette ou non, cela rev<strong>en</strong>ant absolum<strong>en</strong>t au<br />

même. Mais, arrivés âTauris, tout devait changer l'atT aire<br />

aussi fûmes-nous indignés quand, <strong>en</strong> y arrivant, nous vîmes<br />

une petite chambre ou nous devions tous loger, et dès<br />

<strong>le</strong> soir, presque sans vivres. Cela ne nous accommodait<br />

nul<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t après <strong>le</strong>s souffrances que nous v<strong>en</strong>ions d'<strong>en</strong>durer.<br />

Nous nous <strong>en</strong> plaignions amèrem<strong>en</strong>t auprès d'Hussein-Khan.<br />

Nous cons<strong>en</strong>tîmes néanmoins â rester dans cette chambre,<br />

puisqu'on devait <strong>par</strong>tir huit jours après notre arrivée pour<br />

Téhéran; mais, quant aux vivres, nous fûmes résolus de faire<br />

mettre à exécution l'artic<strong>le</strong> du contrat qui y avait trait. Nous<br />

y fûmes d'autant plus <strong>en</strong>gagés qu'un nommé Askir-Bey,<br />

chargé de nos subsistances <strong>en</strong> route, nous ayant volés,<br />

continua, d'après l'ordre de Hussein-Khan, â être chargé de<br />

notre ordinaire. Nous nous apercevions que chaque jour il<br />

diminuait, et quand on tâchait de <strong>le</strong> pr<strong>en</strong>dre <strong>par</strong> <strong>le</strong>s s<strong>en</strong>ti-.<br />

m<strong>en</strong>ts, pourquoi il nous volait u Sur ma barbe et sur mes<br />

« yeux, ce n'est pas vous que je vo<strong>le</strong>, c'est mon <strong>par</strong><strong>en</strong>t<br />

e Hussein-Khan ».A de semblab<strong>le</strong>s discours, nous donnions<br />

ordre â nos g<strong>en</strong>s de <strong>le</strong> mettre â la porte, mais il n'avait point


5e<br />

JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE E?4 PERSE<br />

de coeur et ne se faisait pas de scrupu<strong>le</strong> de se placer <strong>en</strong> majordome<br />

au milieu de la cuisine. -<br />

Mais tout cela devait, dès <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain, avoir une fin. Nous<br />

nous proposâmes d'al<strong>le</strong>r chez Hussein-Khan. Le soir même, il<br />

nous fit donner l'ordre de nous r<strong>en</strong>dre<strong>en</strong> grande t<strong>en</strong>ue chezlui,<br />

devant de là nous r<strong>en</strong>dree chez l'émir Nizam Amiri, général <strong>en</strong><br />

chef des armées persanes. Nous y fûmes. Il nous reçut assez<br />

bi<strong>en</strong>, mais Hussein-Khan,qui était une de ses créatures, lui fit un<br />

rapport de ce qu'il appelait exig<strong>en</strong>ces (je <strong>le</strong> présume), aussi<br />

nous dit-il, que <strong>le</strong> contrat serait observé, puisque nous <strong>le</strong><br />

voulions, mais que nous ne devions avoir aucune autre<br />

prét<strong>en</strong>tion. Tout cela déclara <strong>en</strong>tre nous et Hussein-Khan<br />

une guerre où il devait être vaincu. Néanmoins, tout <strong>en</strong> la<br />

lui déclarant, nous ne voulûmes pas nous plaindre à l'émir<br />

Nizam de ce que, depuis notre <strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t avec la <strong>Perse</strong>, et<br />

il y avait trois mois, nous n'avions point reçu d'appointm<strong>en</strong>ts.<br />

Nous saluâmes l'émir Nizam. Hussein-Khan resta<br />

avec lui. Arrivés dans notre chambre, nous écrivîmes à<br />

Hussein-Khan, non pour lui demander une <strong>en</strong>trevue, mais<br />

pour la lui fixer pour <strong>le</strong>s neuf heures du matin. Il nous fit<br />

réponse qu'il nous recevrait avec plaisir. Le l<strong>en</strong>demain,<br />

nous ne manquâmes pas. Ii nous reçut très bi<strong>en</strong>, nous offrit<br />

<strong>le</strong> thé, te café. Alors nous comm<strong>en</strong>çâmes à lui faire un long<br />

récit de nos grandes indispositions de la route contre lui, que<br />

nous avions promis de <strong>le</strong>s cé<strong>le</strong>r, â condition qu'il ferait<br />

changer la face de toutes <strong>le</strong>s affaires, qu'au contraire tout<br />

recomm<strong>en</strong>çait et vexations et déconsidération. Nous finissions<br />

<strong>par</strong> lui dire qu'il avait à faire att<strong>en</strong>tion à sa conduite. Nous<br />

liii fîmes <strong>en</strong>suite nos rapports contre Askir-bey. Il donna<br />

ordre immédiatem<strong>en</strong>t à cet homme de ne plus se prés<strong>en</strong>ter<br />

chez nous, et dit que l'arg<strong>en</strong>t qu'il lui donnait, il nous <strong>le</strong><br />

donnerait. Comme notre contrat <strong>par</strong>lait d'un tain qu'avai<strong>en</strong>t<br />

<strong>le</strong>s officiers dans <strong>le</strong> pays, nOUS lui <strong>en</strong> demandions l'exécution:<br />

et, comme il n'y <strong>en</strong> avait pas, nous voulûmes ainsi attaquer<br />

toute sa fourberie. Nous fixâmes quelques délais à Hussein-


JOURNAL D 'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE Si<br />

Khan pour fixer notre taïn <strong>en</strong> arg<strong>en</strong>t; mais, avant toute<br />

chose, nous demandions <strong>le</strong> paiem<strong>en</strong>t de nos appointem<strong>en</strong>ts.<br />

Il répondit qu'il nous priait de nous mettre <strong>en</strong> grande t<strong>en</strong>ue<br />

pour <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain, devant al<strong>le</strong>r faire visite au prince<br />

Karaman Mirza, frère du chah actuel de la<strong>Perse</strong>, et, qu'avant<br />

d'y al<strong>le</strong>r, il nous paierait. Nous ne manquâmes pas au<br />

r<strong>en</strong>dez-vous, mais nous étions chez lui depuis une demiheure<br />

qu'il ne nous avait <strong>en</strong>core pas <strong>par</strong>lé d'arg<strong>en</strong>t. Un<br />

instant après, on vint nous dire d'al<strong>le</strong>r chez <strong>le</strong> prince. Nous<br />

sorttmes sans mot dire et nous nous dirigeâmes chez nous.<br />

Quelques jours se passèr<strong>en</strong>t ainsi dans une exaspération<br />

réciproque, mais Hussein-Khan nous fit demander et, <strong>en</strong>fin,<br />

il nous paya. Etant payés, nous promîmes alors d'al<strong>le</strong>r chez<br />

<strong>le</strong> prince, mais que nous allions nous occuper du tain.<br />

Le l<strong>en</strong>demain, il nous conduisit chez <strong>le</strong> prince. Le prince<br />

Karaman Mirza nous reçut très bi<strong>en</strong>. Il fut <strong>en</strong>chanté de notre<br />

arrivée <strong>en</strong> <strong>Perse</strong> et promit, <strong>en</strong> tout temps, qu'il serait notre<br />

protecteur et qu'il ferait <strong>en</strong> sorte de nous r<strong>en</strong>dre plus<br />

supportab<strong>le</strong> une si longue sé<strong>par</strong>ation de la France. Ces<br />

<strong>par</strong>o<strong>le</strong>s du prince avai<strong>en</strong>t certainem<strong>en</strong>t <strong>le</strong>ur portée. il avait<br />

appris notre mésintellig<strong>en</strong>ce avec Hussein-Khan, qui n'était<br />

pas de ses créatures, aussi <strong>le</strong> prince n'att<strong>en</strong>dait-il qu'un<br />

rapport de notre bouche contre l'ex-ambassadeur pour <strong>le</strong><br />

punir avec toute la sévérité des lois du pays. Tout exaspérés<br />

que nous étions, nous étions Français, nous devions nous <strong>en</strong><br />

abst<strong>en</strong>ir. Le prince nous donna ce jour des marques de toute<br />

sa bi<strong>en</strong>veillance pour nous. il nous fit un cadeau d'un cheval<br />

et quinze tomans àchacun, et nous pria, <strong>en</strong> nous retirant, de<br />

ne pas p<strong>en</strong>ser au passé. Nous sortîmes accompagnés <strong>en</strong>suite<br />

du maître des cérémonies de Sa Majesté, après nous être<br />

retournés, à quatre reprises différ<strong>en</strong>tes, pour saluer <strong>le</strong><br />

prince • qui s'était assis sur un fauteuil, près de sa croisée.<br />

J'oublie de dire que, dans celte séance, Hussein-Khan dit au<br />

prince que nous demandions un prix <strong>par</strong> jour pour notre<br />

tain, et qu'il <strong>le</strong> priait dé <strong>le</strong> fixer. Le prince lui répondit, et il


52 - JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

nous <strong>le</strong> fit dire, qu'il donnait tout pouvoir â Hussein-Khan<br />

pour traiter cette affaire comme nous l'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>drions. Le jour,<br />

pour fixer définitivem<strong>en</strong>t <strong>le</strong> tain, fut celui du l<strong>en</strong>demain.<br />

Nous eûmes <strong>le</strong> plaisir de trouver à Tauris un de nos<br />

compatriotes, monsieur Bord, membre de la Société asiatique,<br />

qui se trouve <strong>en</strong> <strong>Perse</strong> depuis deux ans, et qui y a déjà institué<br />

plusieurs éco<strong>le</strong>s. Monsieur Boré, t notre arrivée, était ret<strong>en</strong>u<br />

au lit <strong>par</strong> une grave fièvre; aussi, désireux qu'il était de nous<br />

voir, nous écrivit-il pour nous faire connaître sa position et<br />

nous prier d'al<strong>le</strong>r chez lui. Nous y fûmes. Il fut cont<strong>en</strong>t de<br />

nous voir. Je fus <strong>par</strong>ticulièrem<strong>en</strong>t recommandé à monsieur<br />

Doré <strong>par</strong> monsieur d'Abadie, un basque comme moi, membre<br />

de la même société, qui se r<strong>en</strong>dait <strong>en</strong> Abyssinie et que je<br />

r<strong>en</strong>contrai sur <strong>le</strong> M<strong>en</strong>tor. Monsieur d'Abadie était intimem<strong>en</strong>t<br />

lié avec monsieur Boré, aussi me donna-t-il une <strong>le</strong>ttre pour<br />

cet aimab<strong>le</strong> monsieur avec <strong>le</strong>quel j 'étais très bi<strong>en</strong> <strong>par</strong> la suite.<br />

Monsieur Doré nous promit, lorsqu'il serait mieux portant, de<br />

nous servir constamm<strong>en</strong>t de drogman. Et comme un jour nous<br />

nous plaignions du peu de fidélité dans <strong>le</strong>s <strong>par</strong>o<strong>le</strong>s du drogman<br />

de Hussein-Khan, il <strong>le</strong> crut certainem<strong>en</strong>t et promit d'être<br />

<strong>le</strong> nôtre dans <strong>le</strong>s affaires que nous aurions avec Hussein-Khan.<br />

Aussi monsieur Boré voulut-il bi<strong>en</strong>, d'après notre demande,<br />

v<strong>en</strong>ir <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain traiter notre taïn chez Hussein-Khan.<br />

A sa nob<strong>le</strong> habitude, l'ex-ambassadeur de <strong>Perse</strong> nous fit<br />

faire antichambre, et comme il était dans un des a<strong>par</strong>tem<strong>en</strong>ts<br />

du harem, il nous pria d'y <strong>en</strong>voyer notre drogman.<br />

Monsieur Boré qui s'était offert pour <strong>le</strong> nôtre dut avoir la<br />

complaisance d'y al<strong>le</strong>r, nous l'avions prié de lui demander<br />

5 francs <strong>par</strong> jour pour <strong>le</strong> tain de chacun de nous.<br />

Après une confér<strong>en</strong>ce <strong>d'une</strong> demi-heure, il arrive au salon où<br />

nous étions, à grands pas, et nous dit: Messieurs, j'ai joué ma<br />

tête pour vous, j 'espère que vous ne m'abandonnerez pas. »<br />

Nous cernâmes tous monsieur Boré et sortîmes tous aveclui de<br />

chez Hussein-Khan. En sortant nous étions arrêtés. Hussein-<br />

Khan aurait voulu nous ret<strong>en</strong>ir et traiter avec nous seuls, mais<br />

H


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAiRE EN PERSE 53<br />

c'était inuti<strong>le</strong>. Nous étions off<strong>en</strong>sés dans la personne de monsieur<br />

Bord. Nous dûmes sortir avec lui et savoir <strong>le</strong> résultat<br />

de l'<strong>en</strong>trevue. En nous r<strong>en</strong>dant chez nous, voici ce que nous<br />

dit Monsieur Bord.<br />

J'ai, Messieurs, fait connaître vos prét<strong>en</strong>tions à Hussein<br />

(C Khan, qui tout d'abord m'écoutait paisib<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t, et comme<br />

un instant après je l'<strong>en</strong>gageais pour l'honneur de son pays<br />

« à vous traiter avec considération, il jeta sur moi un regard<br />

« effroyab<strong>le</strong>, me tutoya et m<strong>en</strong>aça mes jours. A l'observation<br />

« rigoureuse que je lui fis, lorsqu'il vous traita avec mépris,<br />

« <strong>en</strong> disant que vous étiez ses domestiques, j'ai vu l'instant.,<br />

« Messieurs, où il allait donner l'ordre â ses g<strong>en</strong>s de me<br />

fustiger mais il <strong>en</strong> fut ret<strong>en</strong>u<strong>par</strong>ma cont<strong>en</strong>ance. Je sortis<br />

et me réfugiai vers vous sans lui dire un seul mot.. Il me<br />

((tutoya de nouveau <strong>en</strong> sortant et me ditque j'aurais bi<strong>en</strong>tôt<br />

((de ses nouvel<strong>le</strong>s <strong>en</strong> punition de ma démarche.))<br />

Nous rassurâmes Monsieur Bord de toutes cescraintes, et<br />

trois d'<strong>en</strong>tre nous, MM. Bussière, Ferrier et moi, nous nous<br />

r<strong>en</strong>dîmes chez Monsieur Bord pour lui faire une garde; et ne<br />

pas <strong>le</strong> laisser pr<strong>en</strong>dre à moins de tous nous écraser. Il nous<br />

fit dresser une tab<strong>le</strong>, pré<strong>par</strong>er une jolie chambre, et <strong>en</strong><br />

compagnie de nos armes bi<strong>en</strong> chargées, nous att<strong>en</strong>dions <strong>le</strong>s<br />

événem<strong>en</strong>ts- Fort heureusem<strong>en</strong>t pour <strong>le</strong>s uns et pour <strong>le</strong>s<br />

autres, Hussein-Khan ne donna aucun ordre relativem<strong>en</strong>t à<br />

Monsieur Bord. Avant de poursuivre plus loin, je dirai que<br />

logeant <strong>par</strong> suite de cette affaire chez Monsieur Bord, nous<br />

pr<strong>en</strong>ions nos repas <strong>en</strong>semb<strong>le</strong>, et passions nos soirées très<br />

agréab<strong>le</strong>s, <strong>en</strong> si bonne compagnie.<br />

Notre premier soin, une fois r<strong>en</strong>trés chacun chez nous,fut de<br />

faire une <strong>le</strong>ttre col<strong>le</strong>ctive, <strong>par</strong> laquel<strong>le</strong> nous mettions tous nos<br />

droits <strong>en</strong>tre <strong>le</strong>s mains de Monsieur Bord, jusqu'à l'arrivée de<br />

Monsieur de Sercey, ndtre ambassadeur, et de lui dire que nous<br />

nous proposions d'instruire<strong>le</strong> Chah de <strong>Perse</strong> de sa conduite à<br />

l'égard de la personne qui nousreprés<strong>en</strong>tait.Il nousfitrépondre<br />

qu'il était bi<strong>en</strong> peiné du <strong>par</strong>ti décidé que nous pr<strong>en</strong>ions.<br />

4


54<br />

M<br />

JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

Le lèndemain, Monsieur Boré écrivit une <strong>le</strong>ttre <strong>en</strong> persan<br />

â Hussein-Khan, dont voici la t<strong>en</strong>eur<br />

« Hussein Khan, jep<strong>en</strong>se quevous devez vous rep<strong>en</strong>tir aujourd'hui<br />

de tous vos mauvais procédés â mon égard, et<br />

rétracter tout ce que vous auriez dit de désobligeant et de<br />

déplacé moi, Khan, si je vous eusse dit quelque chose de<br />

déplacé, je serais maint<strong>en</strong>ant disposé â <strong>le</strong> rétracter. Sachez.<br />

que tout ce que j'ai dit était l'expression de la volonté de<br />

ces Messieurs; ils m'<strong>en</strong> avai<strong>en</strong>t prié ; je me devais â mes<br />

frères et compatriotes.<br />

Je vous salue, EUGÈNE B0RÉ. »<br />

Voici la traduction littéra<strong>le</strong> de la réponse del-Iussein-Ii'han.<br />

« Monsieur, je suis votre honoré llussei n-Khan. Vous avez<br />

eu tort de vous mê<strong>le</strong>r de l'affaire de nies officiers; el<strong>le</strong><br />

ne vous regardait pas. Si je suis â votre égard sorti hier des<br />

quelques bornes, c'est que j'avais cru que vous vouliez jeter<br />

la diss<strong>en</strong>sion <strong>par</strong>mi eux. Votre <strong>le</strong>ttre meprouve <strong>le</strong> contraire,<br />

j'<strong>en</strong> suis cont<strong>en</strong>t.<br />

Je vous salue, HUSSEIN KHAN. »<br />

Néanmoins, nous tînmes notre <strong>par</strong>o<strong>le</strong>S et nous ne voulûmes<br />

ri<strong>en</strong> faire jusqu'à l'arrivée de Monsieur de Sercey, notre ambassadeur.<br />

Gela se, passait <strong>le</strong> 23 décembre. Nous étions donc<br />

<strong>en</strong> de très mauvais termes avec I-Iussein-Khan, qui nous<br />

laissa depuis cette époque sans <strong>le</strong> modique taTn qu'il nous<br />

avait donné jusqu'alors. Nous fûmes loin de <strong>le</strong> lui demander.<br />

Nous att<strong>en</strong>dions depuis longtemps notre ambassadeur.<br />

Enfin, <strong>le</strong> 21 janvier, Monsieur Boré vint nous appr<strong>en</strong>dre qu'il<br />

faisait son <strong>en</strong>trée à Tauris <strong>le</strong> 22. Nous n'avions pas <strong>en</strong>core nos<br />

chevaux ; nous nous <strong>en</strong> procurâmes et allâmes â plus<br />

<strong>d'une</strong> lieue â sa r<strong>en</strong>contre. Nous trouvions <strong>par</strong>tout des troupes<br />

<strong>en</strong> batail<strong>le</strong> <strong>en</strong> son honneur, et une infinité de groupes de<br />

visiteurs. Nous desc<strong>en</strong>dîmes dans un bas-fonds et aperçûmes<br />

arrivés au haut, ai<strong>le</strong> forte troupe v<strong>en</strong>ant vers nous. Nous<br />

p<strong>en</strong>sâmes justem<strong>en</strong>t que c'était notre ambassadeur ayant


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

derrière lui tous <strong>le</strong>s différ<strong>en</strong>ts groupes de visiteurs qu'on<br />

r<strong>en</strong>contre échelonnés sur la route â l'arrivée de quelque<br />

personnage remarquab<strong>le</strong>. Nous nous mîmes tous de front,<br />

et au galop, une ligne d'officiers, <strong>en</strong> t<strong>en</strong>ue française,<br />

se dirigeait vers Monsieur <strong>le</strong> comte qui s'arrêta lorsqu'ils<br />

fur<strong>en</strong>t arrivés. Monsieur de Sercey nous reçut très bi<strong>en</strong> et<br />

poursuivit sa route. Nous marchâmes derrière avec toute<br />

l'ambassade et l'accompagnâmes jusque chez lui.<br />

Nous demandâmes une <strong>en</strong>trevue à Monsieur Je marquis de<br />

Lava<strong>le</strong>tte, premier secrétaire d'ambassade, pour lui exposer<br />

tous nos griefs et notre position, <strong>le</strong> priant de nous prés<strong>en</strong>ter<br />

<strong>en</strong>suite à Monsieur de Serce. Monsieur <strong>le</strong> marquis fut très<br />

affab<strong>le</strong> et nous dit que nous pourrions v<strong>en</strong>ir chez lui à toute<br />

heure, que non seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t c'était une politesse qu'il avait, <strong>en</strong><br />

nous faisant cette proposition, mais c'est qu'<strong>en</strong>core il nods y<br />

<strong>en</strong>gageait <strong>en</strong> ami. Nous arrêtâmes donc que nous nous<br />

r<strong>en</strong>drions chez lui pour <strong>le</strong>s Il heures du 23, <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain.<br />

Monsieur de Lava<strong>le</strong>tte nous reçut avec grande cordialité.<br />

Comme <strong>le</strong>s chaises manquai<strong>en</strong>t, nous nous assîmes à ses<br />

côtés sur <strong>le</strong>s tapis. Il nous offrit quelques cigares que nous<br />

fumâmes avec plaisir. Nous lui exposâmes <strong>en</strong>suite tous nos<br />

griefs, but ce que nous avions à reprocher â Hussein-Khan,<br />

et voyant la difficulté que nous avions déjà éprouvée pour <strong>le</strong><br />

paiem<strong>en</strong>t des appointem<strong>en</strong>ts, nous <strong>le</strong> priâmes de traiter avec<br />

cet homme. Monsieur de Lava<strong>le</strong>tte fut indigné de toute sa<br />

mauvaise foi et promit de faire changer avec Monsieur <strong>le</strong><br />

comte toute la face des affaires. Nous lui <strong>par</strong>lâmes aussi<br />

relativem<strong>en</strong>t au tain. Enfin après une <strong>en</strong>trevue <strong>d'une</strong> heure<br />

<strong>en</strong>viron chez Monsieur <strong>le</strong> marquis, nous <strong>le</strong> priâmes de nous<br />

prés<strong>en</strong>ter <strong>le</strong> soir chez notre ambassadeur, Monsieur <strong>le</strong> comte<br />

de Sercey.<br />

Dans <strong>le</strong> courant de la journée, nous fûmes faire notre<br />

visite a' iI..<strong>le</strong>s capitaines Daru et Beaufort d'Hautpoul.<br />

Je ne <strong>par</strong><strong>le</strong>rai pas des motifs de notre conversation; el<strong>le</strong><br />

roula toute, pour cette pr<strong>en</strong>iière fois, sur <strong>le</strong>urs voyages et<br />

55


56 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PEPSE<br />

<strong>le</strong>s nôtres, puis <strong>en</strong>fin sur notre position. Ces Messieurs nous<br />

témoignèr<strong>en</strong>t beaucoup d'amitié. Quant aux autres membres<br />

de l'ambassade, nous efimes occasion de <strong>le</strong>s voir <strong>le</strong> soir. Voici<br />

la composition de l'ambassade<br />

MM. <strong>le</strong> comte de Sercey, ambassadeur;<br />

Le marquis de Lava<strong>le</strong>tte, 1er secrétaire d'ambassade;<br />

Le vicomte d'Archiac, 2° secrétaire d'ambassade;<br />

Le comte de Chazel<strong>le</strong>s, attaché;<br />

Le vicomte Gérard, attaché<br />

Le vicomte Daru, capitaine de hussards, attaché;<br />

Le marquis de Beaufort d'Hautpoul, capitaine d'état-major,<br />

attaché<br />

Monsieur Flandin,peintre;<br />

Monsieur Coste, architecte;<br />

Monsieur Lachèze, docteur;<br />

Monsieur Desgranges, P r drogman;<br />

Monsieur Biberstein-Kazimirski,2o drogman;<br />

Monsieur Outrey, 3 e drogman;<br />

L'abbé Scaffi;<br />

Lambert, attaché.<br />

Nous ne pimes. dés <strong>le</strong> premier jour, faire notre visite à fous<br />

ces messieurs. Nous nous l'étions proposé pour <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain,<br />

mais <strong>le</strong> soir, à la visite que nous finies à Monsieur de Sercey,<br />

tous s'y trouvai<strong>en</strong>t et ne voulai<strong>en</strong>t pas permettre, disai<strong>en</strong>t-ils,<br />

que nous nous dérangions pour al<strong>le</strong>r chez eux. Ils fur<strong>en</strong>t pour<br />

chacun de nous <strong>d'une</strong> obligeance et dune prév<strong>en</strong>ance que<br />

ri<strong>en</strong> ne pouvait éga<strong>le</strong>r. Monsieur <strong>le</strong> comte, comme ambassadeur,<br />

nous offrit tous ses bons services et promit de <strong>le</strong>s<br />

employer pour nous à Tauris, avant môme qu'il Il ait été<br />

accrédité, car <strong>le</strong> Roi se trouvait à Téhéran dans ce mom<strong>en</strong>t.<br />

Nous éprouvâmes quelque gêne d'abord <strong>en</strong> si nombreuse<br />

compagnie, mais bi<strong>en</strong>tôt chacun avait son cerc<strong>le</strong> dans cette<br />

soirée, et l'on put s'abandonner à toute sa joie. La soirée se<br />

prolongea assez avant, et tous ces messieurs ne nous


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

laissèr<strong>en</strong>t retirer qu'après nous avoir assurés de toute <strong>le</strong>ur<br />

obligeance pour nous, nous avoir <strong>en</strong>gagés â v<strong>en</strong>ir passer<br />

toutes nos soirées au salon de M. <strong>le</strong> comte, que <strong>le</strong> jour même<br />

n'importe â quel<strong>le</strong> heure il était ouvert pour nous.<br />

Hussein-Khan n'avait pas t<strong>en</strong>u à Paris une conduite tout-àfait<br />

digne d'un ambassadeur, et il savait que M. <strong>le</strong> comte <strong>en</strong><br />

avait été instruit officiel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t pour la mettre à jour auprès<br />

de son maître <strong>le</strong> Chah, toutefois au cas échéant ; aussi<br />

avait-il tous ses intér&s â bi<strong>en</strong> se faire v<strong>en</strong>ir auprès de notre<br />

ambassadeur. Ces g<strong>en</strong>s-là n'ont point de terme moy<strong>en</strong>, ils ne<br />

connaiss<strong>en</strong>t que <strong>le</strong>s extrêmes, ou bas ou arrogant. Dans la<br />

visite qu'il fit a notre ambassadeur à son arrivée à Tauris, il<br />

comm<strong>en</strong>ça avec son premier secrétaire Fata â ramper depuis<br />

la porte jusqu'à ce qu'il fO.t auprès du comte. A cette première<br />

visite, Monsieurde Sercey ne voulut <strong>par</strong><strong>le</strong>r deri<strong>en</strong>, quoique<br />

déjà il fut instruit de tout.<br />

Mais <strong>le</strong> l<strong>en</strong>démain Monsieur de Lava<strong>le</strong>tta se r<strong>en</strong>dit chez<br />

Hussein-Khan, lui adresser au nom de Monsieur de Sercey<br />

de vifs reproches sur la manière avec laquel<strong>le</strong> il nous avait<br />

traités, lui exposa <strong>en</strong>fin toute sa conduite. l-Iussein-Khan<br />

s'avoua coupab<strong>le</strong>, promit que tout cela ne se r<strong>en</strong>ouvel<strong>le</strong>rait<br />

plus; mais tout <strong>en</strong> assurant Monsieur de Laval el<strong>le</strong> de ses bons<br />

s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts pour nous, â l'av<strong>en</strong>ir, il lui fit un exposé des torts<br />

qu'il croyait devoir nous reprocher.. Monsieur <strong>le</strong> marquis ne<br />

crut pas devoir lui ri<strong>en</strong> céder et ri<strong>en</strong> retrancher sur la conduite<br />

qu'il v<strong>en</strong>ait de lui retracer. Il lui <strong>par</strong>la <strong>en</strong>suite du taïn,<br />

lui fit de viol<strong>en</strong>ts reproches de nous avoir laissés si longtemps<br />

sans vivres. D'abord, ils fur<strong>en</strong>t loin de s'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre sur la<br />

somme allouée â chacun rie nous à titre de taïn. Enfin, après<br />

quelques débats, ils tombèr<strong>en</strong>t SIU' 1.000 francs <strong>par</strong> an.Toutefois.Mousieur<br />

de Lavaiette naccepta cela que provisoirem<strong>en</strong>t,<br />

se proposant, une fois accrédité, rie faire augm<strong>en</strong>ter ce<br />

taïn, ainsi que nos appointem<strong>en</strong>ts. Il obtint pour <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain<br />

<strong>le</strong> paiem<strong>en</strong>t de deux mois d'appointem<strong>en</strong>ts échus,<br />

des quinze tomans qu'il devait nous donner <strong>par</strong> ordre du


58<br />

JOURNAL DUNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

prince liaraman Mirza ainsi que <strong>le</strong>. cheval. Tout devait être<br />

donné pour <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain.<br />

A la suite de toutes <strong>le</strong>s fautes de Hussein-Khan, nous lui<br />

promîmes d'<strong>en</strong> r<strong>en</strong>dre compte au Chah â la visite que nous<br />

lui ferions, et il savait très bi<strong>en</strong> que nous ti<strong>en</strong>drions notre<br />

<strong>par</strong>o<strong>le</strong>. L'ex-ambassadeur voulut éviter cela. Aussi, quand tout<br />

fut réglé <strong>en</strong>tre lui et Monsieur de Lava<strong>le</strong>tte, il <strong>le</strong> pria de<br />

nous faire donner <strong>par</strong> écrit un certificat attestant que nous<br />

n'avions ri<strong>en</strong> àreprocherà Hussein-Khan. Monsieur de Lava<strong>le</strong>tte.<br />

dans son esprit de conciliation, nous <strong>en</strong>gagea <strong>en</strong> riant<br />

à <strong>le</strong> lui donner; puisque Monsieur <strong>le</strong> marquis <strong>le</strong> désirait,<br />

nous ne devions pas <strong>par</strong>aître diffici<strong>le</strong>s; nous <strong>le</strong> lui donnâmes.<br />

En <strong>le</strong> recevant il assura Monsieur <strong>le</strong> marquis que ri<strong>en</strong> de ces<br />

scènes du passé ne devrait se r<strong>en</strong>ouve<strong>le</strong>r ; que pour son<br />

compte, il <strong>en</strong> répondait.<br />

Tout fut réglé au jour prescrit, et nous voilà <strong>en</strong>core une<br />

fois <strong>en</strong> de bons termes avec Hussein-Khan, qui agissait ainsi<br />

plutôt <strong>par</strong> la crainte qu'il avait de l'ambassade de France que<br />

<strong>par</strong> <strong>le</strong> désir qu'il avait de lui plaire, ainsi qu'à nous.<br />

Le même jour, nous eûmes la visite de Monsieur <strong>le</strong> marquis<br />

de Lava<strong>le</strong>tte ; il fut <strong>d'une</strong> amabilité sans éga<strong>le</strong> ; notre<br />

conversation roula longtemps sur la légèreté des personnes<br />

qui nous avai<strong>en</strong>t ainsi sacrifiés peut-être à une question<br />

politique; toujours, quelque chose qu'il <strong>en</strong> soit, avait-on<br />

à accuser d'ignorance des lieux et du pays ceux qui si<br />

faci<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t avai<strong>en</strong>t conçu <strong>le</strong> projet de nous <strong>en</strong>voyer <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>.<br />

En se retirant Faimab<strong>le</strong> marquis nous manifesta <strong>le</strong> désir de<br />

Monsieur de Sercey de nous avoir tous âsa tab<strong>le</strong>, mais<br />

comme el<strong>le</strong> n'était qu'à peu près suffisante pour <strong>le</strong>s MM. de<br />

l'ambassade, il fut arrêté que tous <strong>le</strong>s jours deux d'<strong>en</strong>tre nous,<br />

à tour de rô<strong>le</strong>, irai<strong>en</strong>t se placer à la tab<strong>le</strong> de l'ambassadeur.<br />

Les jours suivants, nous eûmes <strong>en</strong>core la visite du marquis<br />

et du vicomte d'Archiac, cel<strong>le</strong> <strong>en</strong>suite de MM. Daru et<br />

d'Hautpoul, presque tous <strong>le</strong>s soirs nous allions â l'amba.s-


5GURTÀL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

sade y passer d'agréab<strong>le</strong>s soirées, nous étions auprès d'eux<br />

constamm<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s bi<strong>en</strong> v<strong>en</strong>us.<br />

P<strong>en</strong>dant notre séjour â Tauris, nous fîmes la connaissance<br />

de Monsieur <strong>le</strong> docteur Berthoni, Itali<strong>en</strong> d'origine, qui, ayant<br />

été condamné à mort pour délit politique, trouva moy<strong>en</strong> de<br />

se réfugier d'abord <strong>en</strong> Grèce, où il passa quelques années.<br />

Ensuite <strong>le</strong> docteur Berthoni vint <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>, et y avait trouvé<br />

<strong>le</strong> prince Ma<strong>le</strong>ck 1-Jassan Mirza qui <strong>le</strong> prit pour son docteur, et<br />

<strong>en</strong> même temps pour son professeur de langue française. Le<br />

docteur Berthoni a maint<strong>en</strong>ant soixante années, il est <strong>en</strong>core<br />

vert, vif, de bonne santé, et certes sa figure ne porte pas son<br />

-âge sa longue barbe blanche donne je ne sais quoi de<br />

remarquab<strong>le</strong> à cet homme, d'un caractère gai; il ne se passait<br />

pas de jour qu'il ne vint nous voir et <strong>le</strong> plus souv<strong>en</strong>t<br />

<strong>par</strong>tageait nos repas. Nous aimions beaucoup <strong>le</strong> cosmopolite<br />

docteur. Il avait pour chaussures de grandes bottes du pays<br />

qui passai<strong>en</strong>t <strong>par</strong> dessus son pantalon qui était de bure<br />

grossière et excessivem<strong>en</strong>t large; il avait une redingote qui<br />

v<strong>en</strong>ait jusqu'aux g<strong>en</strong>oux, de cou<strong>le</strong>ur noire à col<strong>le</strong>t russe et<br />

boutonnant du haut <strong>en</strong> bas; sa barbe, comme je j'ai déjà dit,<br />

était grande et sa blancheur contrastait avec <strong>le</strong> noir de ses<br />

effets. Il avait <strong>en</strong>suite <strong>le</strong> coula, coiffure persane et une<br />

grande visière fixée <strong>par</strong> <strong>le</strong> moy<strong>en</strong> <strong>d'une</strong> ficel<strong>le</strong>, lui cachant<br />

tout <strong>le</strong> front, où, avec un peu d'att<strong>en</strong>tion, on remarquait<br />

quelques rides. Il avait <strong>en</strong>suite, ? sa ceinture de cuir verni,<br />

un poignard qui ne <strong>le</strong> quittait jamais, et son compagnon de<br />

voyage était un gros gourdin, cachant dans son intérieur<br />

une épée, de laquel<strong>le</strong> il avait, d'après ce qu'il disait, eu<br />

souv<strong>en</strong>t besoin dans ses fréqu<strong>en</strong>ts voyages <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>.<br />

Il nous avait, depuis quelques jours, annoncé l'arrivée<br />

prochaine du prince Ma<strong>le</strong>k Hassan Mirza, et ce prince étant<br />

arrivé à Tauris, <strong>le</strong> docteur Berthoni, qui <strong>en</strong> était bi<strong>en</strong> connu,<br />

proposa de nous y prés<strong>en</strong>ter. Nous acceptâmes son offre avec<br />

plaisir, nous nous r<strong>en</strong>dîmes au palais où il demeurait, <strong>en</strong><br />

grande t<strong>en</strong>ue. Il était assis près de son feu, et avait un<br />

59


60 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN l'ERSE<br />

costume demi-europé<strong>en</strong>; il fut très cont<strong>en</strong>t de nous voir et<br />

nous <strong>en</strong> exprima lui-même tout son cont<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t, car il<br />

<strong>par</strong>lait français; il nous <strong>par</strong>la des souffrances que nous avions<br />

éprouvées <strong>en</strong> route, et finit <strong>par</strong> nous donner de bonnes espérances.<br />

Le prince Ma<strong>le</strong>k Hassan Mirza avait fait plàcer des<br />

fauteuils dans son salon et nons.y fit asseoir, contre l'habitude<br />

des princes Persans qui font constamm<strong>en</strong>t rester debout<br />

<strong>le</strong>s personnes, de quelques rangs qu'el<strong>le</strong>s soi<strong>en</strong>t, lorsqu'el<strong>le</strong>s<br />

vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s visiter; il nous offrit <strong>en</strong>suite ses services, devant<br />

<strong>en</strong> user si nous <strong>en</strong> avions besoin.<br />

Ma<strong>le</strong>k Hassan Mina est un des hommes <strong>le</strong>s plus éclairés de<br />

la <strong>Perse</strong>, et es conseils tournerai<strong>en</strong>t à bi<strong>en</strong> pour son pays<br />

si ]a jalousie des princes régnants, <strong>par</strong>ticulièrem<strong>en</strong>t du Roi,<br />

ne <strong>le</strong>s éloignait du haut pouvoir <strong>par</strong> <strong>le</strong>s craintes qu'ils ont de<br />

<strong>le</strong>ur ambition ; néanmoins ce prince obtint du Chah, un<br />

firman de voyage pour tous <strong>le</strong>s Europé<strong>en</strong>s artistes qui<br />

vi<strong>en</strong>drai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>.<br />

Ma<strong>le</strong>k Hassan Mirza était souv<strong>en</strong>t à la tab<strong>le</strong> et au salon de<br />

Monsieur de Sercey; nous efimes depuis occasion de l'y voir<br />

quelques fois et il s'y montrait, pour nous, excessivem<strong>en</strong>t<br />

affab<strong>le</strong> ; il avait souv<strong>en</strong>t avec lui un jeune poète du sang<br />

royal, qui était marié avec une des soeurs de Mahomet Chah,<br />

roi de <strong>Perse</strong> actuel.<br />

Monsieur <strong>le</strong> comte de Sercey nous recommandait souv<strong>en</strong>t<br />

à toutes ses boutés. Ce fut à cette même époque que Monsieur<br />

Delacroix, officier d'artil<strong>le</strong>rie, reçut une <strong>le</strong>ttre de Monsieur<br />

Maxime Outrey, qu'il avait eu occasion de connaître <strong>par</strong>ticulièrem<strong>en</strong>t<br />

à son passage à Trebizonde. Il lui appr<strong>en</strong>ait, <strong>par</strong><br />

cette <strong>le</strong>ttre, que noire pauvre camarade Monsieurvitard, que<br />

nous avions laissé sous la garde du consul Outrey, v<strong>en</strong>ait de<br />

mourir et que, <strong>le</strong> 18 novembre. [otite la famil<strong>le</strong> du consul<br />

avait assisté à ses funérail<strong>le</strong>s; il nous appr<strong>en</strong>ait aussi qu'on<br />

lui avait r<strong>en</strong>du ainsi <strong>le</strong>s derniers honneurs, tandis que <strong>le</strong><br />

pavillon du consulat était desc<strong>en</strong>du à demi <strong>en</strong> signe de deuil.<br />

Nous <strong>en</strong> fûmes très vio<strong>le</strong>mm<strong>en</strong>t affectés, mais nous y étions


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE Gi<br />

déjà pré<strong>par</strong>és <strong>par</strong> ses longues souffrances dont nous avions<br />

été témoins et qui nous faisai<strong>en</strong>t appréh<strong>en</strong>der sa fin prochaine.<br />

Cette <strong>le</strong>ttre éprouva du retard, mais el<strong>le</strong> nous <strong>par</strong>vint<br />

avant l'arrivée de l'ambassade, quoique pourtant ce fait soit<br />

m<strong>en</strong>tionné après la <strong>le</strong>ttre qui nous appr<strong>en</strong>ait cette triste<br />

nouvel<strong>le</strong> nous fut remise <strong>le</strong> 4janvier.<br />

Nous avions aussi fait à Tauris la connaissance de<br />

Monsieur Bernardi, major au service de la <strong>Perse</strong> depuis de<br />

longues années. Il était marié et avait déjà des <strong>en</strong>fants bi<strong>en</strong><br />

grands. Cette famil<strong>le</strong> fut subitem<strong>en</strong>t plongée dans la misère<br />

<strong>par</strong> la mort subite de Monsieur Bernardi, qui eut lieu p<strong>en</strong>dant<br />

notre séjour à Tauris ; nous assistâmes à son <strong>en</strong>terrem<strong>en</strong>t<br />

on déposa son corps au cimetière des Arméni<strong>en</strong>s.<br />

Le 12 février, l'ambassade française quitta Tauris pour se<br />

r<strong>en</strong>dre auprès de ]a cour de <strong>Perse</strong> à Téhéran. Nousne pûmes<br />

<strong>par</strong>tir avec el<strong>le</strong>; seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t Hussein Khan promit â Monsieur<br />

de Lava<strong>le</strong>tte, qui s'était spécia<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t chargé de nous, avant<br />

son dé<strong>par</strong>t, que 4 jours après son dé<strong>par</strong>t il se mettrait cii<br />

route et qu'ainsi il nous ramènerait près d'eux sous ce peu<br />

de jours. Nous montâmes sur nos chevaux et fûmes<br />

accompagner notre bel<strong>le</strong> ambassade augm<strong>en</strong>tée de Monsieur<br />

Bord. Arrivés au pied de la côte, Monsieur de Sercey ne<br />

voulut pas permettre que nous allions plus loin ; il nous<br />

souhaita toute espèce de bonheur et nous assura qu'il<br />

s'occuperait, une fois accrédité, de l'amélioration de notre<br />

position. Monsieur Lambert, qui faisait <strong>par</strong>tie de l'ambassade,<br />

prit au contraire la route de France, chargé de quelques<br />

dépêches de Monsieur <strong>le</strong> comte.<br />

Le 18 février, Monsieur <strong>le</strong> docteur Bertboni. ainsi<br />

que <strong>le</strong> fabricant de verres et sa femme, <strong>en</strong>gagés<br />

au service du prince Ma<strong>le</strong>k Hassan Mirza, <strong>par</strong>tir<strong>en</strong>t avec<br />

ce prince pour Ourmiah, province dont était gouverneur<br />

cet aimab<strong>le</strong> prince ; avec eux, <strong>par</strong>tait aussi Monsieur<br />

Doliouski, Polonais, exerçant aussi la médecine et que<br />

nous avions aussi l'honneur de voir, quelques fois, à Tau ris.


62 JOURNAL D'UNE MISSION MILITATRE EN PERSE<br />

Sur tant de Français qui, quelques jours au<strong>par</strong>avant,<br />

formai<strong>en</strong>t notre société, nous fûmes réduits â <strong>le</strong>s voir tous<br />

<strong>par</strong>tir successivem<strong>en</strong>t ; nous fûmes réduits, dis-je, à nous<br />

mêmes; c'était pénib<strong>le</strong> et <strong>en</strong>nuyeux,car, malgré la promesse<br />

de Hussein Khan, nous savions de bonne <strong>par</strong>t ne pouvoir<br />

nous mettre <strong>en</strong> route il est vrai que, quelques jours après,<br />

nous nous trouvâmes <strong>en</strong> compagnie de plusieurs de nos<br />

compatriotes, mais malheureusem<strong>en</strong>t nous eûmes dans <strong>le</strong>s<br />

mom<strong>en</strong>ts de notre liaison avec eux û nous rappe<strong>le</strong>r quelques<br />

précéd<strong>en</strong>ts fâcheux.<br />

Nous apprîmes <strong>le</strong> 20 février que des compatriotes étai<strong>en</strong>t<br />

de la veil<strong>le</strong> arrivés âTauris, nous nous att<strong>en</strong>dions àavoir <strong>le</strong>ur<br />

visite, mais ces messieurs p<strong>en</strong>sèr<strong>en</strong>t que nous devions nous<br />

prés<strong>en</strong>ter <strong>le</strong>s premiers chez eux; mais loin de se cont<strong>en</strong>ter de<br />

la froideur qu'aurait dû occasionner une tel<strong>le</strong> méprise, toutes<br />

<strong>le</strong>s fois que ces messieurs nous apercevai<strong>en</strong>t, ils étai<strong>en</strong>t â<br />

ions lancer quelques insultes. Nous crûmes devoir mépriser<br />

celà la première fois, mais comme el<strong>le</strong>s se r<strong>en</strong>ouvelai<strong>en</strong>t<br />

nous fûmes,àun nombre égal au <strong>le</strong>ur,<strong>le</strong>ur demander raison de<br />

cette conduite. Ces messieurs étai<strong>en</strong>t, au mom<strong>en</strong>t où nous y<br />

fûmes, assis dans <strong>le</strong>ursalon. Nous <strong>le</strong>ur demandâmes <strong>d'une</strong> voix<br />

é<strong>le</strong>vée, où <strong>en</strong>fin ils prét<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t aboutir avec <strong>le</strong>ur conduite<br />

â notre égard. Après quelques instants d'embarras de <strong>le</strong>ur<br />

<strong>par</strong>t, et une interpellation <strong>par</strong>ticulière que je fis à Monsieur<br />

Ardouin que j'avais <strong>par</strong>ticulièrem<strong>en</strong>t remarqué aussi, nous<br />

<strong>le</strong>ur mîmes <strong>le</strong> marché <strong>en</strong> main ou une guerre â mort <strong>en</strong>tre<br />

nous, ou la paix et point d'insultes. Ces messieurs fur<strong>en</strong>t très<br />

accommodants et nous nous sé<strong>par</strong>âmes bons amis après nous<br />

être donné <strong>le</strong>s poignées de main de rigueur.<br />

II me répugnait de <strong>le</strong>s nommer tant que j'avais â raconter<br />

notre brouil<strong>le</strong>, mais maint<strong>en</strong>ant que je me suis hâlé d'<strong>en</strong><br />

donner un aperçu, et que nous vivons <strong>en</strong> <strong>par</strong>faite intellig<strong>en</strong>ce<br />

je vais <strong>le</strong>s faire connaitre. Ces messieurs étai<strong>en</strong>t MM. de<br />

Breuilly, consul <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>, <strong>le</strong> comte deChapedelaine, ex-Saint-<br />

Cyri<strong>en</strong>, Ardoui n, ex-Saint-Cyri<strong>en</strong>, Delort, ex-Saint-Cyri<strong>en</strong>.


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

Ces Messieurs, après avoir éprouvé quelques désagrém<strong>en</strong>ts<br />

â Saint-Cyr et avoir été obligés de quitter celte éco<strong>le</strong>,<br />

projetèr<strong>en</strong>t un voyage <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>, tout d'agrém<strong>en</strong>t, disai<strong>en</strong>t-ils.<br />

Monsieur de l3reuilly, qui avait un recouvrem<strong>en</strong>t <strong>d'une</strong> forte<br />

somme d'arg<strong>en</strong>t à faire auprès du gouvernem<strong>en</strong>t, se joignit<br />

âeux pour <strong>le</strong>ur voyage <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>. D'après cette explication<br />

nous vivions <strong>en</strong> <strong>par</strong>faite intellig<strong>en</strong>ce, il y eut même plus<br />

tard de l'intimité. Le l<strong>en</strong>demain de notre explication vinr<strong>en</strong>t<br />

nous faire une visite MM. de Breuilly et Delort, <strong>le</strong> surl<strong>en</strong>demain<br />

MM. de Chapedelaine et Ardouin, et depuis constamm<strong>en</strong>t<br />

nous étions ou chez eux ou chez nous. Ces messieurs <strong>en</strong> faisai<strong>en</strong>t<br />

autant de <strong>le</strong>ur côté, quelques fois même nous faisions<br />

quelques prom<strong>en</strong>ades <strong>en</strong>semb<strong>le</strong>.Ces messieurs nous invitèr<strong>en</strong>t<br />

à un superbe repas, je ne m'att<strong>en</strong>dais pas Tauris à trouver un<br />

semblab<strong>le</strong> service. Dans <strong>le</strong> courant du repas, Monsieur <strong>le</strong><br />

comte de Chapedelaine témoigna <strong>le</strong> désir qu'il aurait d'avoir<br />

un sabre du pays; j'<strong>en</strong> avais un assez remarquab<strong>le</strong>, je<br />

l'<strong>en</strong>voyai chercher à son insu et <strong>le</strong> lui offris <strong>en</strong>suite : il<br />

l'accepta. Monsieur de Chapedelaine voulut que j'acceptasse<br />

<strong>en</strong> revanche un fsil qu'il <strong>en</strong>voya <strong>le</strong> soir même chez moi.<br />

Nous étions, comme on <strong>le</strong> voit, <strong>en</strong> famil<strong>le</strong> avec ces messieurs,<br />

aussi éprouvâmes-nous beaucoup de peine, quand <strong>le</strong>QO mars il<br />

fallut se sé<strong>par</strong>er de MM. de Chapedelaine et Ardouin, qui<br />

<strong>en</strong>treprir<strong>en</strong>t un voyage pour se r<strong>en</strong>dre d'abord à Bagdad,<br />

devant faire plusieurs autres excursions plus tard avant de<br />

r<strong>en</strong>trer <strong>en</strong> France. Nous <strong>le</strong>s accompagnâmes à deux lieues<br />

sur <strong>le</strong>ur nouvel<strong>le</strong> route et r<strong>en</strong>trâmes <strong>en</strong>suite <strong>en</strong> compagnie<br />

de MM. de Breuil]y etDelorl.<br />

Le 25 mars, nous reçûmes la visite d'un de nos compatrio<strong>le</strong>s<br />

Monsieur Théophane, qui v<strong>en</strong>ait se joindre à Monsieur<br />

Boré pour monter quelques éco<strong>le</strong>s. Mônsieur Boré étant<br />

abs<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ce mom<strong>en</strong>t, il fut reçu <strong>par</strong> Monsieur ri lournier , qui<br />

avait déjà été installé <strong>par</strong> Monsieur Boré. Monsieur Tournier<br />

aura toujours une place dans mon souv<strong>en</strong>ir, car ri<strong>en</strong> peut-il<br />

y donner plus de droitsque delongues souffrances <strong>par</strong>tagées<br />

63


64 JOURNAL D 'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

comme l'étai<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s nôtres depuis que nous <strong>en</strong>treprîmes<br />

notre voyage <strong>en</strong>semb<strong>le</strong> à <strong>par</strong>tir de Constantinop<strong>le</strong>?<br />

P<strong>en</strong>dant <strong>le</strong>s premiers jours de notre séjour â Tauris.<br />

Monsieur <strong>le</strong> docteur Berthoni, dont j'ai déjà <strong>par</strong>lé, nous<br />

prés<strong>en</strong>ta Monsieur iViarca, Itali<strong>en</strong> d'origine et qui était<br />

employé auprès des troupes du Chah de <strong>Perse</strong>, à titre de<br />

chef de musique nous emes, <strong>en</strong> bi<strong>en</strong> des circonstances. â.<br />

nous louer de son obligeance. Monsieur Marca nous prés<strong>en</strong>ta<br />

plus tard Monsieur Colombari, Itali<strong>en</strong> comme lui, attaché<br />

auprès du prince iCaraman Mirza, à titre de peintre.<br />

Tauris, sans contredit la vil<strong>le</strong> la plus commerçante de la<br />

<strong>Perse</strong>, est grande et resserrée. Avant <strong>le</strong>s tremb<strong>le</strong>m<strong>en</strong>ts de<br />

terre qu'attest<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core beaucoup de ruines, Tauris était<br />

très vaste et très considérab<strong>le</strong> aujourd'hui cette vil<strong>le</strong> est<br />

<strong>en</strong>vironnée de deux murs de circonvallation, flanquée de<br />

tours dans son plus grand mur,mais ri<strong>en</strong> n'est <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>u, tout<br />

tombe peut-être pour toujours. Vi<strong>en</strong>t <strong>en</strong>suite un large fossé<br />

dont <strong>le</strong> talus de contrescarpe est taillé à pic dans la terre qui,<br />

â certaines distances, comm<strong>en</strong>ce de s'ébou<strong>le</strong>r. Des portes et<br />

des ponts assez mal construits donn<strong>en</strong>t sortie assez faci<strong>le</strong> sur<br />

ce qu'on pourrait appe<strong>le</strong>r â la rigueur glacis ; on peut assez<br />

faci<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t faire dessus <strong>le</strong> tour de la vil<strong>le</strong>. Au pied de<br />

quelques <strong>en</strong>droits de ce glacis, comm<strong>en</strong>ce la ligne des<br />

faubourgs qui s'ét<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t irrégulièrem<strong>en</strong>t plus ou moins loin,<br />

quelques-uns se termin<strong>en</strong>t au pied des montagnes. Quant.<br />

l'intérieur de la vil<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s rues sont sa<strong>le</strong>s, dégoûtantes de<br />

boue <strong>en</strong> hiver. Une infinité de trous sont placés, de distance<br />

<strong>en</strong> distance, et serv<strong>en</strong>t à recevoir toutes <strong>le</strong>s ordures, et ne<br />

sont couverts de terre et mis au niveau avec <strong>le</strong> reste du sol,<br />

que lorsqu'ils sont comblés de ces mdmes ordures. Quoiqu'il<br />

cil soit, cela est <strong>d'une</strong> grande ijicommodi té. et ils peuv<strong>en</strong>t<br />

occasi onn er; surtout la nuit, de grands dangers. Quant aux<br />

bazars ils sont grands, vastes, ce sont de superbes votes<br />

dans la construction desquel<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s Persans excell<strong>en</strong>t; ils sont<br />

disposés <strong>par</strong> marchandises de même espèce ; de distance <strong>en</strong>


JOURNAL DUNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 65<br />

distance, sur ]adroite et sur la gauche, sont des caravanserails;<br />

<strong>le</strong> nombre <strong>en</strong> est assez considérab<strong>le</strong> à Tauris. Les bazars sont,<br />

â chaque instant du jour, remplis de monde; aussi a-t-on<br />

besoin, lorsqu'on veut <strong>le</strong>s visiter, de personnes pour écarter<br />

<strong>le</strong> monde et vous faire place. Le commerce y est très ét<strong>en</strong>du.<br />

Tauris a un commerce ouvert et journalier avec Erzeroum<br />

et toute la Turquie, avec Tiflis et quelques provinces de la<br />

Russie, et <strong>en</strong>fin avec <strong>le</strong> restant de la <strong>Perse</strong> qui, el<strong>le</strong>-même,<br />

commerce beaucoup avec l'Inde. Dans <strong>le</strong>s bazars de la <strong>Perse</strong>,<br />

notamm<strong>en</strong>t de Tauris, on remarque de superbes béliers<br />

teints sur <strong>le</strong> dos et attachés aux pieds des murs des bazars.<br />

Comme je m'<strong>en</strong> informais un jour, on me répondit qu'à<br />

certains jours de fête des Musulmans, on <strong>le</strong>s faisait battre<br />

à mort.<br />

Au sortir de la vil<strong>le</strong> et immédiatem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> <strong>en</strong>trant sur la<br />

route de Téhéran, est une vieil<strong>le</strong> mosquée fort remarquab<strong>le</strong>,<br />

qui fut détruite au tremb<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t de terre qui bou<strong>le</strong>versaTauris.<br />

Toutes <strong>le</strong>s bases et des murs é<strong>le</strong>vés sont conservés, seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t<br />

<strong>le</strong> dôme n'existe plus. Selon Drouvil<strong>le</strong> cette mosquée<br />

aurait ap<strong>par</strong>t<strong>en</strong>u aux Guèbres, adorateurs du feu, qui anci<strong>en</strong>nem<strong>en</strong>t<br />

habitai<strong>en</strong>t Tauris et l'Aderbidjan, -province dans<br />

laquel<strong>le</strong> il se trouve. Selon <strong>le</strong>s habitants du pays, cette mosquée<br />

était aux Musulmans, et la grande vénération qu'ils ont<br />

pour el<strong>le</strong> prouve, selon moi, la vérité de cette dernière hypothèse.<br />

Aderbidjan, nom de la province dont <strong>le</strong> chef-lieu est Tauris,<br />

signifie terre de feu. Voilà pourquoi <strong>le</strong>s Guèbres, adorateurs<br />

du feu, habitai<strong>en</strong>t anci<strong>en</strong>nem<strong>en</strong>t cette province; maint<strong>en</strong>ant<br />

<strong>en</strong>core il y <strong>en</strong> a quelques-uns. Plus tard ayant étéméconnus<br />

daus<strong>le</strong>urpatrie, qui était cette province même, et ayant étéplus<br />

maltraités que <strong>le</strong>s juifs et <strong>le</strong>s chréti<strong>en</strong>s, ils fur<strong>en</strong>t habiter <strong>le</strong>s<br />

<strong>par</strong>ties <strong>le</strong>s plus ori<strong>en</strong>ta<strong>le</strong>s de la <strong>Perse</strong>, aL se réfugièr<strong>en</strong>t dans<br />

<strong>le</strong> Kabul, <strong>le</strong> Kirman et <strong>le</strong> Sind.<br />

P<strong>en</strong>dant <strong>le</strong>s premiers jours de mars, nous étions à cheval<br />

et faisions quelques prom<strong>en</strong>ades aux <strong>en</strong>virons de la vil<strong>le</strong>.


66 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

Ri<strong>en</strong> de bi<strong>en</strong> remarquab<strong>le</strong> ne nous frappa si ce ne fut<br />

d'abord Serdery, village situé à deux lieues de Tauris du côté<br />

d'Ourmiah. Ce village est dominé <strong>par</strong> devastes ruines qu'y laiss<strong>en</strong>t<br />

<strong>le</strong>s débris l'une citadel<strong>le</strong> ou espèce de château fort. Le<br />

mur de circonvallation de rigueur, dont on découvre <strong>en</strong>core<br />

quelques pas, atteste bi<strong>en</strong> certainem<strong>en</strong>t, avec sa position et<br />

ses ruines, la vérité que nous avions apprise de quelques habi-<br />

tants de ce village.<br />

Ensuite nous fûmes surpris <strong>d'une</strong> maison de plaisance<br />

ap<strong>par</strong>t<strong>en</strong>ant au prince Karaman Mirza, située â deux<br />

lieues et sur la gauche sur la route de Téhéran. Voici <strong>en</strong><br />

peu de lignes sa description. Arrivé à une hauteur, on<br />

découvre une espèce de petit bosquet taillé et percé avec<br />

soin. En y avançant une bel<strong>le</strong> av<strong>en</strong>ue se prés<strong>en</strong>te <strong>en</strong>trecoupée<br />

de superbes bassins d'eau; el<strong>le</strong> conduit à unjoli pavillon <strong>en</strong>touré<br />

d'eau et qui y donne accès <strong>par</strong><strong>le</strong> moy<strong>en</strong> d'un pont. Ce<br />

pavillon est très bi<strong>en</strong> distribué et est dans son intérieur<br />

<strong>en</strong>vironné de dessins Persans. Ce pavillon se trouve au milieu<br />

de l'av<strong>en</strong>ue qui se prolonge <strong>en</strong>suite, à cinq ou six c<strong>en</strong>ts mètres,<br />

et se perd <strong>en</strong>suite dans <strong>le</strong>s champs; N6us y allions souv<strong>en</strong>t,<br />

d'abord, pour jouir du joli coup d'oeil, mais plus <strong>en</strong>core pour<br />

nous mettre à l'aftut de quelques lièvres qui ne sont jamais<br />

chassés <strong>en</strong> ce lieu. A l'exception de ces deux <strong>en</strong>droits que je<br />

vi<strong>en</strong>s de citer, <strong>le</strong> charme de nos prom<strong>en</strong>ades ne prov<strong>en</strong>ait<br />

pas de la position physique des lieux.<br />

Déjà un mois et demi s'était écoulé depuis <strong>le</strong> dé<strong>par</strong>t de<br />

l'ambassade pour Téhéran, et notre dé<strong>par</strong>t, qui devait s'effectuer<br />

quatre lours après celui-là, ne l'était pas <strong>en</strong>core.<br />

Ennuyés nous fîmes dire à Hussein-Khan que nous l'att<strong>en</strong>drions<br />

jusqu'au 30 mars, mais que s'il ne <strong>par</strong>tait pas â cette<br />

époque, nous nous mettrions <strong>en</strong> route; il y cons<strong>en</strong>tit.<br />

Le 30 mars, Ilussein-Khan nous demanda jusqu'au l<strong>en</strong>demain<br />

31; quelques-uns de nos camarades ne crur<strong>en</strong>t pas<br />

devoir lui donner ce délai; ils étai<strong>en</strong>t au nombre de<br />

quatre ; ils <strong>par</strong>tir<strong>en</strong>t donc <strong>le</strong> 30 mars <strong>1840</strong>. M. de l3reuilly,


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

après m'avoir confié ses bagages, <strong>par</strong>tit avec eux, ainsi que<br />

M. Delord.<br />

Four <strong>par</strong>tir <strong>le</strong> 31 <strong>d'une</strong> manière ou d'autre nous nous<br />

tînmes prêts. A deux heures de l'après-midi un <strong>en</strong>voyé<br />

d'Hussein-Khan vint; nous prév<strong>en</strong>ir qu'il était <strong>par</strong>ti et qu'il<br />

nous priait de <strong>le</strong> rejoindre. Tout était chargé pour lors et<br />

après avoir fait nos adieux à Madame Seraman Khan, femme<br />

d'un général Persan de ce nom, mais Arméni<strong>en</strong> d'origine et<br />

qui commandait à Ispahan, nous nous mîmes <strong>en</strong> route. Nous<br />

rejoignîmes Hussein-Khan à la propriété g<strong>en</strong>til<strong>le</strong> de Karamail<br />

Mirza; il était assis et écrivait une <strong>le</strong>ttre sur <strong>le</strong> polit.<br />

Nous fûmes 'lui prés<strong>en</strong>ter nos respects et re<strong>par</strong>tîmes immédiatem<strong>en</strong>t<br />

après. Monsieur de Breuilly et Hussein-Khan<br />

étai<strong>en</strong>t intéressés dans de mêmes affaires et Monsieur de<br />

Breuilly n'était<strong>par</strong>ti <strong>le</strong> 30 qu'étant sous la<strong>par</strong>faite persuasion<br />

qu'il ne pourrait <strong>par</strong>tir <strong>le</strong> 31; mais Hussein <strong>par</strong>ti lui fit promettre<br />

de l'att<strong>en</strong>dre, s'il <strong>par</strong>tait <strong>le</strong> 31 ;alors Hussein-Khan lui<br />

écrivit. Aussi <strong>le</strong> 3 avril r<strong>en</strong>contrâmes - nous à Djedemas<br />

MM. de Breuilly et Delord avec <strong>le</strong>squels nous fîmes la route.<br />

Nous avions appris, quelques jours avant notre dé<strong>par</strong>t, que<br />

<strong>le</strong> Chah avec toute sa cour s'était r<strong>en</strong>du à Ispahan pour soumettre<br />

quelques loutis qui ravageai<strong>en</strong>t cette malheureuse<br />

vil<strong>le</strong>; aussi notre destination fut-el<strong>le</strong> Ispahan et non Téhéran.<br />

P<strong>en</strong>dant <strong>le</strong>s premiers jours de notre dé<strong>par</strong>t, nous eûmes<br />

quelques mauvais temps, mais ils n'étai<strong>en</strong>t pas rigoureux et<br />

nous pûmes espérer bi<strong>en</strong>tôt quelques bel<strong>le</strong>s journées.<br />

Nous éprouvâmes <strong>le</strong>s plus grandes difficultés à sortir de<br />

Djedemas, qui se trouve à trois quarts de lieues sur la droite<br />

des s<strong>en</strong>tiers pratiqués <strong>par</strong> <strong>le</strong>s caravanes. A chaque instant,<br />

nous nous <strong>en</strong>foncions ainsi que nos chevauxj usqu'à mi-corps.<br />

Enfin, après quelques peines, nous rejoignîmes la route ; <strong>le</strong>s<br />

exécrab<strong>le</strong>s chemins durèr<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core une demi-heure, et<br />

nous <strong>en</strong>trâmes <strong>en</strong>suite dans une charmante vallée. Cette<br />

journée de marche, nous r<strong>en</strong>contrâmes une infinité de villages<br />

très rapprochés <strong>le</strong>s uns des autres et arrosés <strong>par</strong> un


68 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

ruisseau qui cou<strong>le</strong> tout <strong>le</strong> long de cette gorge; nous longeâmes<br />

ce ruisseau p<strong>en</strong>dant toute la marche de cette journée.<br />

Nous arrivâmes <strong>le</strong> soir à Karachima où Hussein-Khan nous<br />

fit la galanterie de nous inviter â dîner et de nous offrir du<br />

vin que nous n'avions pu trouver nul<strong>le</strong> <strong>par</strong>t depuis Tauris.<br />

Enfin, <strong>le</strong> .5avril. nous arrivâmes à Turkmam. La neige ne<br />

nous laissa pas un seul instant de répit, aussi y arrivâmesnous<br />

mouillés et trempés jusqu'aux os. Turkmam est assez<br />

considérab<strong>le</strong> eL nous <strong>par</strong>ut, sans com<strong>par</strong>aison, plus grand<br />

que tous ceux <strong>par</strong> <strong>le</strong>squels nous étions passés depuis noire<br />

dé<strong>par</strong>t de Tauris. Le l<strong>en</strong>demain nous <strong>par</strong>tîmes de bi<strong>en</strong> bonne<br />

heure, et avec un so<strong>le</strong>il des plus chauds, nous voyageâmes à<br />

travers <strong>le</strong>s gorges et <strong>le</strong>s rivières. Enfla nous aperçûmes dans<br />

<strong>le</strong> lointain, presqu'au milieu <strong>d'une</strong> vaste plaine, une infinité<br />

de maisons: c'était Mianeh, où nous campâmes dans une petite<br />

prairie tota<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t fermée; quelques pans de murs déjà<br />

abattus y donnai<strong>en</strong>t quelques accès.<br />

Miane/t. - Nous arrivâmes <strong>le</strong> 6 avril à Mianeh; à cause<br />

d'un barat que Hussein-Khan eut â recouvrer dans cette vil<strong>le</strong>,<br />

nous fûmes obligés de passer deux journées <strong>en</strong>tières campés,<br />

ce qui assurém<strong>en</strong>t n'était pas agréab<strong>le</strong> <strong>le</strong> moins du monde,<br />

auprès de Mianeh qui, quoique mise au nombre des grandes<br />

vil<strong>le</strong>s, n'avait pour nous aucun attrait. Nous fûmes visiter<br />

la vil<strong>le</strong> et <strong>le</strong>s bazars, qui étai<strong>en</strong>t dégoûtants, et à peine comptait-on<br />

quelques faib<strong>le</strong>s boutiques. Il existe dans cette vil<strong>le</strong><br />

une infinité de punaises dont la piqûre est mortel<strong>le</strong>, et quoiqu'on<br />

ait voulu nous citer quelques exemp<strong>le</strong>s malheureux,<br />

je n'<strong>en</strong> crus ri<strong>en</strong>. Ces bêtes, absolum<strong>en</strong>t comme <strong>le</strong>s nôtres,<br />

mais <strong>d'une</strong> cou<strong>le</strong>ur tirant davantage sur <strong>le</strong> gris de fer, sont,<br />

je crois, dangereuses, et peuv<strong>en</strong>t occasionner quelques maladies,<br />

mais je ne crois pas la mort. Les étrangers au pays et<br />

tout ce qui est du pays n'habitant pas seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t Mianeh<br />

évit<strong>en</strong>t pourtant, avec grande précaution, de se mettre <strong>en</strong><br />

contact avec ces punaises, et notre campem<strong>en</strong>t dût être<br />

attribué à cet espèce de fléau. Deux <strong>par</strong>ties compos<strong>en</strong>t main-


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 69<br />

t<strong>en</strong>ant Mianeli, <strong>le</strong> vieux Mianeh qu'habite tout ce qui est<br />

misérab<strong>le</strong> et pauvre, et <strong>le</strong> nouveau qu'habit<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s g<strong>en</strong>s aisés<br />

du pays. Tous <strong>le</strong>s jours on bâtit et laisse tomber <strong>en</strong> ruine tout<br />

ce qui est des anci<strong>en</strong>nes constructions et cela dans <strong>le</strong> but de<br />

se débarrasser des punaises. Mais tout <strong>le</strong> monde doit concevoir<br />

que ce serait effectivem<strong>en</strong>t un bon comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t; mais<br />

tant que d'autres mesures ne seront pas prises, Mianeh nouveau<br />

ou anci<strong>en</strong> aura constamm<strong>en</strong>t de ces bêtes et sera la vil<strong>le</strong><br />

bi<strong>en</strong> peu désirée <strong>par</strong> tous <strong>le</strong>s voyageurs. Nous remarquâmes,<br />

â notre arrivée à Mianeh, que presque toutes <strong>le</strong>s terrasses<br />

étai<strong>en</strong>t recouvertes de lits et couvertures; c'était une mesure<br />

de salubrité.<br />

En quittant Mianeh nous eûmes â traverser une rivière, et<br />

assez dangereuse à certains <strong>en</strong>droits, car nous aperçumes des<br />

hommes placés sans doute <strong>par</strong> <strong>le</strong>s autorités de la vil<strong>le</strong> pour<br />

conduire <strong>par</strong> la bride <strong>le</strong> cheval de chaque voyageur, ces<br />

hommes ayant à certains <strong>en</strong>droits du passage de l'eau<br />

jusqu'au v<strong>en</strong>tre. Nous eûmes quelques instants après à gravir<br />

une montagne qui fatigua nos chevaux; nous nous arrêtâmes<br />

au sommet p<strong>en</strong>dant quelques instants et poursuivîmes<br />

<strong>en</strong>suite.<br />

Le village désigné poûr la station de ce jour était<br />

Kultapeh, situé sur la gauche de la route â 4agaches de Mianeh.<br />

-A l'exception de trois ou quatre maisons, tout <strong>le</strong> reste n'était<br />

que ruine, nous ne pûmes même espérer d'y avoir des vivres.<br />

Aussi à notre arrivée nous trouvâmes Ferchoula-Bey, int<strong>en</strong>dant<br />

de Hussein Khan, qui était là à se débattre contre <strong>le</strong>s<br />

habitants de ce village, qui ne pouvai<strong>en</strong>t réel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t pas lui<br />

donner ce qu'ils n'avai<strong>en</strong>t pas. Nous remontâmes â cheval<br />

et prîmes sur nous, dans <strong>le</strong> cas où Hussein Khan vi<strong>en</strong>drait à<br />

<strong>en</strong> faire <strong>le</strong> reproche â Ferchoula-Bey, d'<strong>en</strong> faire l'observation<br />

â l'ex-ambassadeur, et nous poursuivîmes plus loin.<br />

Nous arrivâmes une heure après à Ak<strong>en</strong>t, village qui<br />

représ<strong>en</strong>te assez vu de loin, mais qui de près offre, comme<br />

tous <strong>le</strong>s villages de la <strong>Perse</strong>, la misère la plus complète. Le<br />

5


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

w -<br />

l<strong>en</strong>demain, Hussein-Khan nous fit dire de ne pas faire de<br />

pré<strong>par</strong>atifs de dé<strong>par</strong>t, que sou int<strong>en</strong>tion était de séjourner.<br />

Le jour suivant, 11 avril, nous fîmes notre station àArman-<br />

Khaneh, adossé à de vastes montagnes. Ce village a été et est<br />

<strong>en</strong>core soumis, quelques fois, à des invasions de Kurdes Persans;<br />

aussi jadis avai<strong>en</strong>t-ils <strong>en</strong>vironné <strong>le</strong>ur village d'un mur<br />

pour pouvoir offrir quelque résistance. Ce château4ort constitue<br />

l'anei<strong>en</strong>nevil<strong>le</strong>. Plus tard, <strong>le</strong> gouverneur de ce village<br />

ayant été disgràcié au comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t du règne de Fatey-Ali-<br />

Chah, on y <strong>en</strong>voya un deuxième gouverneur; mais <strong>le</strong> premier<br />

ne voulu! pas si faci<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t donner sadé<strong>mission</strong>, et ayant offert<br />

quelque résistance, il força <strong>le</strong> gouverneui accrédité à faire<br />

construire un fort où il s'installa avec sa faction. Cela fut<br />

cause de ce deuxième château-fort qu'on voit <strong>en</strong> face de<br />

l'autre, et si l'on a quelque peine à concevoir comme ce<br />

gouverneur <strong>en</strong>voyé <strong>par</strong><strong>le</strong> gouvernem<strong>en</strong>t pour commander à<br />

Arman4illaI<strong>le</strong>h n'ait pas réussi, sans s'être retranché avec des<br />

soldats, on son <strong>par</strong>ti, on n'a qu'à se rappe<strong>le</strong>r que <strong>le</strong> gouverneur<br />

disgrâcié allait à la tête des Kurdes Persans et se<br />

réfugiai<strong>en</strong>t dans <strong>le</strong>s montagnes <strong>en</strong>vironnantes. Le 12 avril,<br />

après avoir marché tonte la journée sur une plaine superbe,<br />

nous limes notre <strong>en</strong>trée à Z<strong>en</strong>guian. T -<br />

Z<strong>en</strong>guian. - Cette vil<strong>le</strong> très considérab<strong>le</strong> est située au<br />

milieu de cette plaine dont je vi<strong>en</strong>s de <strong>par</strong><strong>le</strong>r et qui est sèche<br />

et rocail<strong>le</strong>use. El<strong>le</strong> fait <strong>par</strong>tie du district de Hamzet, qui a<br />

donné son nom à la rivière qui passe; el<strong>le</strong> a souv<strong>en</strong>t été<br />

détruite. En mil-huit-c<strong>en</strong>t-tr<strong>en</strong>te-cinq, lorsque <strong>le</strong>s Russes y<br />

fir<strong>en</strong>t une invasion, el<strong>le</strong> fut de nouveau ravagée. 11 y a de<br />

cette dernière excursion des marques bi<strong>en</strong> certaines, dans <strong>le</strong><br />

palais surtout, où nous fûmes logés avec Hussein-Khan Nous<br />

y aperçumes de superbes ap<strong>par</strong>tem<strong>en</strong>ts démolis à demi <strong>par</strong><br />

<strong>le</strong>s Russes; <strong>le</strong> palais est maint<strong>en</strong>ant dans un état de délabrem<strong>en</strong>t<br />

comp<strong>le</strong>t.<br />

Cette vil<strong>le</strong>, qui anci<strong>en</strong>nem<strong>en</strong>t s'était toujours re<strong>le</strong>vée<br />

de ses ruines, lorsqu'el<strong>le</strong> fut même ravagée <strong>par</strong> Tamer-


JOURNAL D'UNE MISSION MIIEFAII1E EN i'EItSE ji<br />

ion, travail<strong>le</strong>ra-t-el<strong>le</strong> â faire dis<strong>par</strong>aître ce qui atteste sa<br />

honte aujourd'hui, <strong>en</strong> ré<strong>par</strong>ant un palais qui certainem<strong>en</strong>t<br />

est digne de remarque? Quant à moi, j'<strong>en</strong> doute beaucoup;<br />

cette vil<strong>le</strong> est aussi <strong>en</strong>vironnée d'un mur, mais de si faib<strong>le</strong><br />

construction que je ne crois pas qu'il pourrait lutter longtemps<br />

contre une bonne fusillade. Nous visitâmes <strong>en</strong>suite<br />

<strong>le</strong>s bazars, ils sont généra<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t beauf et vastes; quelquesuns<br />

pourtânt <strong>en</strong>core attest<strong>en</strong>t <strong>le</strong> malheureux passage des<br />

Russes.<br />

Nous passâmes à Z<strong>en</strong>guiàn notre journée du l<strong>en</strong>demain<br />

13 avril, p<strong>en</strong>sant que <strong>le</strong> mauvais temps que l'horizon faisait<br />

présager se dissiperait. Nous fûmes un peu déçus dans notre<br />

att<strong>en</strong>te, car <strong>le</strong> 14 avril pour nous rndre au gîte suivant,<br />

Némécur, nous eûmes un v<strong>en</strong>t épouvantab<strong>le</strong>; pour ce jour<br />

nous filmes débarrassés de lapluie. 11 n'<strong>en</strong> fut pas ainsi pour<br />

• notre journée de marche du 15, car Sultanieb qui, d'après<br />

l'itinéraire d'I-Tussein-Khan, n'était que <strong>le</strong> milieu de l'étape,<br />

fut notre station, â cause du fort mauvais temps qui nous<br />

surprit, <strong>en</strong> rou<strong>le</strong> et qui empêcha nos bê<strong>le</strong>s de somme, chargées'<br />

de nos bagages, d'al<strong>le</strong>r plus loin. Nous fîmes donc, avec un<br />

temps horrib<strong>le</strong>, notre <strong>en</strong>trée à Sultan ieb, où nous passâmes <strong>le</strong>s<br />

premières heures de notre arrivée à allumei' .un grand feu<br />

et â y faire sécher nos effets.<br />

Sultaniek. - Malgré la pluie que nous eûmes à notre<br />

arrivée à Sullanieh, nous découvrîmes cette vil<strong>le</strong> de bi<strong>en</strong><br />

loin de la vaste plaine que l'on <strong>par</strong>court pour y arriver. Nous<br />

aperçûmes une infinité de ruines <strong>en</strong>tourant la vil<strong>le</strong> existant<br />

<strong>en</strong>core. Sultanieh, qui anci<strong>en</strong>nem<strong>en</strong>t a été <strong>le</strong> séjour des rois<br />

de <strong>Perse</strong>, lorsqu'el<strong>le</strong> était florissante et <strong>par</strong> son ét<strong>en</strong>due et ses<br />

habitants nombreux, n'est plus aujourd'hui qu'un grand amas<br />

de ruines, à ]'excetion de quelques maisons réunies au milieu<br />

de tant de désastres. En approchant de cette vil<strong>le</strong>, nous prîmes<br />

à droite, successivem<strong>en</strong>t devant une espèce de caravansérail<br />

où était située la poste, et un peu plus loin <strong>d'une</strong> hel<strong>le</strong>etriche<br />

mosquée jadis, car maint<strong>en</strong>ant ruinée aux trois quarts, el<strong>le</strong>


JOURNAL DUNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

sert d'abri aux chameaux et aux autres bêtes de somme des<br />

caravanes; un tombeau d'an des rois de <strong>Perse</strong> s'y trouve, et<br />

est <strong>en</strong> grande vénération dans <strong>le</strong> pays ; l'<strong>en</strong>droit où il se<br />

trouve est sacré. Là seuiemeûtne peuv<strong>en</strong>t rester<strong>le</strong>sbêtes des<br />

caravanes dont je vi<strong>en</strong>s de <strong>par</strong><strong>le</strong>r.<br />

Nous passâmes dans une petite maison près de la mosquée<br />

<strong>le</strong> restant du 15 avril, journée de notre arrivée à Suitanieh, et<br />

<strong>en</strong> re<strong>par</strong>tîmes <strong>le</strong> 16, pour nous r<strong>en</strong>dre â Kbouramdara situé<br />

sur <strong>le</strong> prolongem<strong>en</strong>t de la même plaine et à 9 lieues de<br />

distance <strong>en</strong>viron. Ce village offre un joli aspect et a ses<br />

<strong>en</strong>virons boisés ; pour y arriver la pluie nous avait quitté<br />

quelques instants après notre dé<strong>par</strong>t; nous eûmes depuis de<br />

superbes journées.<br />

Nous arrivâmes <strong>le</strong> 22, â Sava <strong>en</strong> passant <strong>par</strong> Ziahat,<br />

Kriarda, un caravansérail et Dauquel. Siva qu'on aperçoit<br />

de la côte qu'on desc<strong>en</strong>d pour y arriver, est situé dans<br />

la plaine, a tous ses <strong>en</strong>virons boisés, et ces masses de<br />

verdure, que l'on pr<strong>en</strong>drait de loin pour autant de bosquets,<br />

me sont que de petits villages ayant de superbes jardins' . Sava<br />

ressemblant à un de ces groupes, nous laissa même dans<br />

l'incertitude de notre route, car nous ne savions vers laquel<strong>le</strong><br />

de ces masses nous diriger; <strong>en</strong>fin après quelques r<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts<br />

que nous prîmes auprès d'un berger, après nous être<br />

expliqués <strong>en</strong> sa langue tant bi<strong>en</strong> que mal, nous nois dirigeâmes<br />

vers Sava. Nous r<strong>en</strong>contrâmes un peu plus loin, avant<br />

d'<strong>en</strong>trer, <strong>le</strong> Khaù de cette vil<strong>le</strong> se r<strong>en</strong>dant, comme cela se fait<br />

dans <strong>le</strong> pays, au devant del-Iussein-Khan. Cela est de rigueur<br />

lorsque la personne est d'un rang, surtout d'un grade, plus<br />

é<strong>le</strong>vé que <strong>le</strong> Khan gouverneur; et lorsque celui-ci est plus<br />

é<strong>le</strong>vé, et même du même rang, et qu'il ne lui plait pas de se<br />

déranger, il <strong>en</strong>voie toujours ou son fils ou quelques grands<br />

de l'<strong>en</strong>droit. Arrivés à Sava, nous eûmes l'honneur de recevoir<br />

la visite du fils du gouverneur avec d'autres grands et mirzas<br />

du pays. Nous <strong>le</strong>s reçumes avec plaisir, et deux d'<strong>en</strong>tr'eux<br />

nous témoignèr<strong>en</strong>t <strong>le</strong> désir de pr<strong>en</strong>dre <strong>le</strong>ur repas avec nous,


JOURNAL D'UNE MISSION. MÏL!TAIRE EN PERSE<br />

nous y cons<strong>en</strong>tîmes volontiers. Le soir après <strong>le</strong> dîner, nous<br />

<strong>le</strong>ur chantâmes quelques unes de nos romances, ils fur<strong>en</strong>t<br />

surpris du goût et de l'expression qu'on y mettait; nous <strong>le</strong>s<br />

priâmes <strong>en</strong>suite de nous chanter quelque chose de <strong>le</strong>ur pays;<br />

ils ne se fir<strong>en</strong>t pas prier, ils chantèr<strong>en</strong>t â tour de rô<strong>le</strong>, et<br />

après quelques efforts que nous fîmes pour ne pas éclater,<br />

nous nous mîmes â <strong>le</strong>s approuver et applaudir tel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t,<br />

qu'il fut très diffici<strong>le</strong> â la fin de <strong>le</strong>ur faire compr<strong>en</strong>dre qu'ils<br />

devai<strong>en</strong>t être fatigués, et qu'il y <strong>en</strong> avait assez.<br />

Le 23, nous <strong>par</strong>tîmes pour faire un gîte â Arragal. Nous<br />

eûmes à passer une rivière assez forte, mais pourtant il ne<br />

nous survint aucun accid<strong>en</strong>t, et arrivâmes de bonne heure au<br />

village dont je vi<strong>en</strong>s de <strong>par</strong><strong>le</strong>r. Nous eûmes <strong>le</strong>s trois dernières<br />

heures de notre arrivée, constamm<strong>en</strong>t devant nous, la vue<br />

<strong>d'une</strong> montagne appelée Koumtelisme qui, de loin, nous <strong>par</strong>aissait<br />

excessivem<strong>en</strong>t noire, qu'on nous dit être si dangereuse<br />

qu'on y ferait pas al<strong>le</strong>r un Persan pour tout l'or du monde,<br />

tous ceux qui y ont été n'<strong>en</strong> étant jamais rev<strong>en</strong>us. Nous nous<br />

mîmes â rire d'abord des diverses fab<strong>le</strong>s qu'on nous <strong>en</strong> fit, et<br />

promîmes que <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain, puisqu'on passait <strong>en</strong>viron à une<br />

demi-lieue de là, d'y al<strong>le</strong>r faire un tour, et de nous assurer<br />

de ce qu'il pourrait y avoir. Nous nous dirigeâmes, <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain,<br />

pour faire notre déjeûner, vers des cabanes qui se<br />

trouvai<strong>en</strong>t â notre droite. Ces cabanes sont occupées <strong>par</strong> des<br />

g<strong>en</strong>s errants â travers <strong>le</strong>s montagnes, de fort mauvaise mine,<br />

et qui desc<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t dans la plaine â cause des pâturages. Nous<br />

avions depuis quelques jours pris l'habitude de déjeùner <strong>en</strong><br />

route, et <strong>le</strong> plus souv<strong>en</strong>t c'était près <strong>d'une</strong> de ces cabanes,<br />

où nous trouvions d'excell<strong>en</strong>t lait<br />

Le l<strong>en</strong>demain donc après notre dé<strong>par</strong>t d'Arragal, et <strong>le</strong><br />

déjeuner pris près de ces cabanes, MM. Delamarre, Cary et<br />

moi quittâmes la route et arrivâmes au pied de cette montagne<br />

située à une demi-lieue de la route sur une vaste plaine.<br />

Arrivés au pied, nous hésitâmes si nous y laisserions nos<br />

chevaux, mais, après peu de délibération, nous comm<strong>en</strong>-


74 - JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

çâmes â <strong>le</strong>s faire monter et nous dessus; nous gravîmes<br />

ainsi <strong>le</strong>s quelques premières p<strong>en</strong>tes, y montant <strong>en</strong>suite<br />

obliquem<strong>en</strong>t â cause de nos chevaux, lorsqu'el<strong>le</strong>s dev<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t<br />

plus rapides.Arrivésaprès quelques instants vers <strong>le</strong>cinquième<br />

de la montagne nous pûmes, placés sur <strong>le</strong> sommet d'un<br />

coteau, juger de tous <strong>le</strong>s dangers que, non seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t, on<br />

devait <strong>en</strong>courir, mais plus <strong>en</strong>core de la mort certaine qu'on<br />

devait y trouver, car nous apercevions, <strong>en</strong>tre <strong>le</strong>s différ<strong>en</strong>tes<br />

p<strong>en</strong>tes de cette montagne, une certaine distance, comme dans<br />

une plaine <strong>par</strong>faitem<strong>en</strong>t unie; la terre qui s'y trouvait<br />

ressemblait â la vase, <strong>par</strong>aissait iuisante et était de mil<strong>le</strong><br />

cou<strong>le</strong>urs, â cause de la grande quantité de sel qui s'y trouve.<br />

La cou<strong>le</strong>ur dominante était <strong>le</strong> blanc, nous remarquâmes aussi<br />

beaucoup de jaune, c'était sans doute du soufre de cette<br />

montagne que je crois volcanique. Il y avait donc là beaucoup<br />

de danger de s'<strong>en</strong>foncer et de dis<strong>par</strong>aître et de mourir ainsi,<br />

tandis qu'il serait impossib<strong>le</strong> de donner quelques secours.<br />

Plus loin nous découvrîmes une terre rougeâtre, et <strong>le</strong>s<br />

différ<strong>en</strong>tes formes, sinuosités et crevasses que nous remarquâmes,<br />

nous tir<strong>en</strong>t juger de la vérité de ce que nous dir<strong>en</strong>t<br />

<strong>le</strong>s Persans, que la terre s'ouvrait et se retournait. Mais<br />

voici, selon moi, où on est perdu sans ressource. La terre sur<br />

tout <strong>le</strong> p<strong>en</strong>chant de la montagne, a une inânité de petites<br />

élévations qui sont autant de voûtes  plusieurs <strong>en</strong>droits il<br />

y a des trous qui nous permir<strong>en</strong>t de voir l'épaisseur de ces<br />

prét<strong>en</strong>dues voûtes, el<strong>le</strong> n'était guère de plus de huit pouces,<br />

IJTI pied. Comm<strong>en</strong>t donc alors la terre ne s'<strong>en</strong>foncerait-el<strong>le</strong><br />

pas? Comm<strong>en</strong>t pourrait-il faire <strong>le</strong> téméraire pour ne pas<br />

dis<strong>par</strong>aître sous ces vofrtes? Voilà tout ce que nous découvrîmes<br />

à nos pieds, aussi, sans faire un pas de plus, nous<br />

dépêchâmes-nous de desc<strong>en</strong>dre la montagne. De 50f) intérieur<br />

décou<strong>le</strong> une eau qui est salée et qui a la cou<strong>le</strong>ur rouge, nous<br />

la remarquâmes à notre desc<strong>en</strong>te. Nous traversâmes <strong>en</strong>suite<br />

cette plaine où l'on voyait <strong>le</strong> sel déposé <strong>par</strong> masses, et nous<br />

nous dirigeâmes vers notre gîte. Non loin de là, nous


JOUI1RAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

découvrîmes deux dômes dorés, un <strong>par</strong>ticulièrem<strong>en</strong>t plus<br />

grand que l'autre, <strong>le</strong> plus grand était <strong>le</strong> dôme <strong>d'une</strong> riche<br />

rnosqttée où se trouv<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s tombeaux de Fatiné, fil<strong>le</strong> de<br />

Mirza-J{asem, un des douze califes de la <strong>Perse</strong>, et de<br />

plusieurs rois du pays. C'était la vil<strong>le</strong> sainte, c'était IChoum.<br />

Kiwum. - Les <strong>en</strong>virons de Rhoum nous <strong>par</strong>ur<strong>en</strong>t ferti<strong>le</strong>s.<br />

Sur -la route, avant d'y. arriver, nous remarquions quelques<br />

petites maisonnettes, espèce de maisons de plaisance <strong>en</strong>tourées<br />

de très jolis jardins. A un rayon de dix lieues de cette<br />

vil<strong>le</strong>, trois ou quatre cailloux placés <strong>le</strong>s uns sur <strong>le</strong>s autres, et<br />

cela <strong>en</strong> plusieurs <strong>en</strong>droits, doiv<strong>en</strong>t frapper la curiosité des<br />

voyageurs: ce sont des signes certains du passage <strong>en</strong> ce lieu<br />

des Persans se r<strong>en</strong>dant <strong>en</strong> pé<strong>le</strong>rinage à Khoum, vil<strong>le</strong> sainte<br />

comme je vi<strong>en</strong>s de <strong>le</strong> dire. Les bords des routes <strong>en</strong> sont<br />

couverts, et cette infinité de petites pyramides couvr<strong>en</strong>t plus<br />

<strong>par</strong>ticulièrem<strong>en</strong>t tous <strong>le</strong>s mamelons qui se trouv<strong>en</strong>t sur <strong>le</strong>s<br />

flancs de la route. Les Persans <strong>le</strong>s respect<strong>en</strong>ton ne peut plus,<br />

et serai<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> coupab<strong>le</strong>s devant Mahomet ceux qui déran-<br />

gerai<strong>en</strong>t ce témoignage de <strong>le</strong>ur dévotion.<br />

Nous passâmes sur un pont assez grand (sous <strong>le</strong>quel passe<br />

un f<strong>le</strong>uve appelé Soubadgali), avant d'<strong>en</strong>trer dans <strong>le</strong>s bazars,<br />

<strong>par</strong>tie desquels nous <strong>par</strong>courûmes pour nous r<strong>en</strong>dre à un<br />

palais vaste, et jadis superbe, à <strong>en</strong> juger <strong>par</strong> ses restes, et<br />

résid<strong>en</strong>ce, il y a quelque temps, des princes, gouverneurs<br />

de cette vil<strong>le</strong>. Lorsque nous y logeâmes, il était inhabité, tout<br />

y était <strong>en</strong> destruction complète, et pourtant avec quelques<br />

frais, on pourrait re<strong>le</strong>ver ce palais et <strong>en</strong> faire une demeure<br />

agréab<strong>le</strong>. Il est <strong>en</strong> carré long, ayant au milieu une cour<br />

imm<strong>en</strong>se; el<strong>le</strong> a, à son c<strong>en</strong>tre, un vaste bassin d'eau; <strong>le</strong>reste a<br />

Clé subdivisé <strong>en</strong> différ<strong>en</strong>ts carrés où pousse une herbe qui<br />

lui donne un coup d'oeil agréab<strong>le</strong>. Derrière la face qu'on a<br />

devant soi, <strong>en</strong> <strong>en</strong>trant dans cette cour, est un superbe jardin,<br />

mais que nous vîmes tota<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t abandonné.<br />

Nous fûmes,- dans <strong>le</strong> courant de la journée, visiter <strong>le</strong>s<br />

bazars; ils sont grands, vastes et très bi<strong>en</strong> t<strong>en</strong>us. Les bouti-


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

ques sont assez bi<strong>en</strong> fournies et pourtant Klioum n'a pas un<br />

commerce très ét<strong>en</strong>du. On y fabrique la plus bel<strong>le</strong> poterie<br />

de la <strong>Perse</strong> qui constitue une des choses principa<strong>le</strong>s de son<br />

commerce. On travaillait à notre passage â l'agrandissem<strong>en</strong>t<br />

des bazars. En nousy prom<strong>en</strong>ant, nous aperçûmes une petite<br />

verrerie, nous y <strong>en</strong>trâmes: nous fûmes surpris de <strong>le</strong>ur travail,<br />

dans cette <strong>par</strong>tie que nous ne p<strong>en</strong>sions pas exister <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>.<br />

Nous quittâmes Klioum, pour poursuivre notre route vers<br />

Ispahan. Nous arrivâmes assez de bonne heure à notre caravansérail,<br />

situé à la frontière du grand désert salé, où nous<br />

ne trouvâmes presqu'aucuns vivres; aussi nous hâtâmes-nous,<br />

au jour suivant, d'<strong>en</strong> re<strong>par</strong>tirde bonne heure. Toute cette journée<br />

nous voyageâmes dans <strong>le</strong> désert, et arrivâmes <strong>en</strong>fin,<br />

après une route très <strong>en</strong>nuyeuse, à un petit village situé 4 la<br />

lisière de ce désert et au pied d'un mont. Du caravansérail<br />

ce village la route est infestée de brigands Persans; <strong>le</strong> village<br />

et ses <strong>en</strong>virons, composés <strong>d'une</strong> infinité d'autres ivitlages <strong>en</strong><br />

ruine, sont <strong>le</strong>s refuges <strong>d'une</strong> infinité d'autres g<strong>en</strong>s de mauvaise<br />

foi et tournure. Les <strong>en</strong>virons du village, dont je vi<strong>en</strong>s de<br />

<strong>par</strong><strong>le</strong>r et où nous couchâmes, sont très ferti<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s arbres<br />

que nous yremarquâmes étai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> grande <strong>par</strong>tie des muriers,<br />

arMés peu rares <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>. Le l<strong>en</strong>demain 27 avril, après 5<br />

heures de marche à travers des champs <strong>en</strong> p<strong>le</strong>ine végétation,<br />

nous arrivâmes à Kachan.<br />

.Kachan. - Kachan, situé sur une plaine près <strong>d'une</strong><br />

montagne, est <strong>en</strong>vironné <strong>d'une</strong> infinité de villages, Quoiqu'il<br />

n'y ait pas de f<strong>le</strong>uve, pourtant <strong>le</strong>s terres sont rafraîchies <strong>par</strong> des<br />

sources dont <strong>le</strong>s eaux s'écoul<strong>en</strong>t sousterre. La vil<strong>le</strong> de Kachan<br />

offre un joli coup d'oeil, surtout de loin, el<strong>le</strong> est <strong>en</strong>vironnée<br />

d'un doub<strong>le</strong> mur, flanquée de tours, <strong>le</strong>s maisons y sont assez<br />

bi<strong>en</strong> construites, el<strong>le</strong>s sont de terre et de brique, <strong>le</strong>s bazars y<br />

sont très bi<strong>en</strong> t<strong>en</strong>us. Nous y arrivâmes de bonne heure, après<br />

avoir fait six lieues <strong>en</strong>viron. Nous fûmes ]ogés à une maison<br />

de plaisance roya<strong>le</strong> )! appelée Finfine, distante <strong>d'une</strong> lieue de<br />

la vil<strong>le</strong> du -côté de la haute montagne. Cette maison de plai.


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 77<br />

sance est sans contredit, à mon avis, de cel<strong>le</strong>s que j'ai vues<br />

jusqu'à prés<strong>en</strong>t <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>, la plus agréab<strong>le</strong>. En voici une<br />

courte description.<br />

Après avoir quitté <strong>le</strong>s champs de la plaine de Kachan et<br />

fait quelques détours occasionnés <strong>par</strong> l'importunité de<br />

quelques jardins, nous arrivâmes à une av<strong>en</strong>ue pavée, à<br />

l'extrémité de laquel<strong>le</strong> se trouvait une maison <strong>en</strong> forme<br />

octogona<strong>le</strong>. La porte était sur celui de ses côtés qui faisait<br />

face à l'av<strong>en</strong>ue. Cette maison était assez é<strong>le</strong>vée et avait<br />

quelques jolis ap<strong>par</strong>tem<strong>en</strong>ts. Après la porte, v<strong>en</strong>ait une<br />

voûte, mais quelque peu ruinée qu'el<strong>le</strong> fut <strong>par</strong> <strong>le</strong> plâtre qui<br />

s'<strong>en</strong> était détaché, qui ainsi avait fait dis<strong>par</strong>aître une <strong>par</strong>tie<br />

des dessins et peintures qui s'y trouvai<strong>en</strong>t, el<strong>le</strong> n'était pas<br />

sans offrir quelque intérêt. Deux escaliers pratiqués de<br />

chaque côté, allai<strong>en</strong>t aboutir à une même porte donnant<br />

<strong>en</strong>trée à un imm<strong>en</strong>se jardin. Face àla porte, une eau limpide<br />

coulait dans une espèce de long bassin construit <strong>en</strong> bel<strong>le</strong>s<br />

pierres de tail<strong>le</strong> et se perdant aux pieds de la personne qui y<br />

<strong>en</strong>tre; ce bassin avait, <strong>en</strong> longueur. de 60 à 70 pas, et avait k<br />

son extrémité intérieure un autre bassin rond et très grand,<br />

qui recevait l'eau <strong>par</strong> <strong>le</strong> moy<strong>en</strong> <strong>d'une</strong> nasse, d'où l'eau tombait<br />

avec bruit et retombait <strong>en</strong>suite, <strong>par</strong> une autre nasse, dans<br />

celui dont je vi<strong>en</strong>s de <strong>par</strong><strong>le</strong>r. où l'eau dis<strong>par</strong>aissait sous de<br />

larges do<strong>le</strong>s. Mais 4 pas après, une ouverture était pratiquée<br />

où se r<strong>en</strong>dait toute l'eau, <strong>par</strong> <strong>le</strong> moy<strong>en</strong> d'autres conduits<br />

<strong>en</strong> pierres, <strong>d'une</strong> source qui, <strong>en</strong>trant <strong>par</strong> la base inférieure<br />

d'un profond bassin oui se trouvait un trou d'un pied et demi<br />

de diamètre, et qui naturel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t débordait constamm<strong>en</strong>t.<br />

Cette source se trouve au milieu d'un superbe pavillon<br />

des ouvertures y sont pratiquées aux quatre faces. On doit<br />

compr<strong>en</strong>dre qu'ainsi l'intérieur n'étant qu'une voute imm<strong>en</strong>se,<strong>le</strong><br />

tout est supporté <strong>par</strong> quatre carrés énormes qui ont<br />

dans <strong>le</strong>ur intérieur des chambres charmantes. Les peintures<br />

y sont très bi<strong>en</strong> conservées ; el<strong>le</strong>s représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t Fatey-Ali-<br />

Chah sur son trône, ses nombreux <strong>en</strong>fants, une <strong>par</strong>tie de


78 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

chasse, où <strong>le</strong> souverain est devint un tigre et d'autres sujets<br />

de ce g<strong>en</strong>re. Au-dessus de ces chambres, au premier étage,<br />

il y<strong>en</strong> a d'autres symétriquem<strong>en</strong>t disosées. Enfin j'aurais<br />

fort à faire si je devais décrire tous <strong>le</strong>s conduits d'eau qui -<br />

charm<strong>en</strong>t ce lieu, qu'on sache seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t qu'<strong>en</strong> plusieurs<br />

s<strong>en</strong>s, ils cern<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s différ<strong>en</strong>ts carrés de ce jardin.<br />

Au fond se trouve 1111 autre pavillon; celui-là n'a qu'une<br />

seu<strong>le</strong> chambre, mais el<strong>le</strong> est très grande. Les dessins y sont<br />

superbes, un tab<strong>le</strong>au surtout est digne de remarque: c'est<br />

celui du fond, qui représ<strong>en</strong>te une grande <strong>par</strong>tie de chasse<br />

de Fatey-Ali-Chah. Les sujets y sont de grandeur naturel<strong>le</strong>.<br />

et <strong>le</strong>s seigneurs de la cour l'accompagnant dans cette <strong>par</strong>tie<br />

sont <strong>en</strong> grand nombre. La voûte est dorée, et malgré <strong>le</strong> peu<br />

de soin que je suis persuade qu'on y porte, el<strong>le</strong> est très bièn<br />

conservée. Devant est un péristy<strong>le</strong> richem<strong>en</strong>t décoré, porté<br />

<strong>par</strong> deux fortes colonnes, <strong>le</strong> reste étant joint au corps du<br />

pavillon. Sous ce péristy<strong>le</strong>, est un nouveau bassin plus vaste<br />

et plus profond que <strong>le</strong>s précéd<strong>en</strong>ts, d'où l'eau s'échappe avec<br />

un agréab<strong>le</strong> murmure. Sur <strong>le</strong>s faces latéra<strong>le</strong>s de ce grand<br />

jardin sont d'autres bâtim<strong>en</strong>ts mais pas si agréab<strong>le</strong>s et si<br />

beaux que ceux dont je vi<strong>en</strong>s de <strong>par</strong><strong>le</strong>r, ayant été destinés<br />

pour <strong>le</strong>s nombreux domestiques qui suiv<strong>en</strong>t ordinairem<strong>en</strong>t<br />

tous <strong>le</strong>s grands de la <strong>Perse</strong>, surtout <strong>le</strong>s membres de la<br />

famil<strong>le</strong> roya<strong>le</strong>. Et puis <strong>en</strong>fin sont çà et là, dans <strong>le</strong> jardin, de<br />

superbes platanes et cyprès. Ces derniers arbres surtout<br />

n'étai<strong>en</strong>t pas sans. faire naître chez chacun de nous, l'accord<br />

de la solitude de ce nom avec la tristesse que donne sans<br />

cesse <strong>le</strong> cyprès.<br />

Voilà FinfirÇe, cette maison de plaisance où je me suis<br />

tant plu, et qui est réel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t faite pour charmer, <strong>par</strong><br />

ses délices, <strong>le</strong> voyageur habitué, comme nous depuis si<br />

longtemps, à ne voir que des maisons cachées sous terre, et<br />

quelquefois seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t s'é<strong>le</strong>vant à qielques pieds au-dessus<br />

du sol.<br />

Nous séjournâmes 211 heures de plus que nous ne <strong>le</strong> faisions


JOURNAL D'UNE MISSION r.HLITAIRE EN PERSE 79<br />

dans <strong>le</strong>s antres gîtes; aussi <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain, montés sur nos<br />

chevaux, nous nous r<strong>en</strong>dîmes à Kachan. Nous vîmes sur notre<br />

route, e t un quart de lieue de notre demeure, une pyramide<br />

de têtes humaines qui avait une base de deux pieds <strong>en</strong>viron<br />

et une hauteur de deux mètres. El<strong>le</strong> faisait <strong>par</strong>tie d'un mur,<br />

aussi ne pûmes-nous voir que ce qui se trouvait du côté de<br />

notre route, on y distingue <strong>par</strong>faitem<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s crâneset surtout<br />

<strong>le</strong>s cheveux. Ces tètes étai<strong>en</strong>t cel<strong>le</strong>s de quelques mutins de<br />

Kachan que <strong>le</strong> prince gouverneur , de Kachan fit abattre<br />

quelque temps au<strong>par</strong>avant.<br />

Le jour suivant, nous nous mîmes <strong>en</strong> route, et après une<br />

marche de trois heures dans une plaine dev<strong>en</strong>ant de plus <strong>en</strong><br />

plus rocail<strong>le</strong>use, nous nous <strong>en</strong>gageâmes dans la montagne<br />

la route y est très pratiquab<strong>le</strong>. Une lieue plus loin, nous r<strong>en</strong>contrâmes<br />

un beau caravansérail, mais à l'intérieur mal.<br />

<strong>en</strong>tret<strong>en</strong>u comme tous <strong>le</strong>s précéd<strong>en</strong>ts. Un peu plus loin, sur<br />

un plateau à moitié de la montagne, nous apercûmes un<br />

grand lac, dont <strong>le</strong>s eaux sont lâchées dans <strong>le</strong>s fortes cha<strong>le</strong>urs<br />

pour arroser la plaine de Kachan. Il fut construit sous Abas<br />

<strong>le</strong> grand.<br />

Peu après comm<strong>en</strong>ça la ferti<strong>le</strong> vallée de Kouroud,<br />

ois, d'après quelques écrivains, fut assassiné Darius <strong>par</strong> Dessus<br />

et Nabarzanes qui se sé<strong>par</strong>èr<strong>en</strong>t après avoir commis <strong>le</strong><br />

crime, pour fuir, <strong>le</strong> premier dans l'Hircanie et l'autre dans<br />

la Bactriane, r<strong>en</strong>fermée maint<strong>en</strong>ant dans <strong>le</strong> Korassan. Ce<br />

village est, très long, c'est-à-dire qu'il y a une infinité de<br />

maisons ça et là, cela pourtant ne formant pas <strong>le</strong> gros du<br />

village qui est situé sur deux mamelons <strong>en</strong> amphithéâtre.<br />

Nous poursuivîmes <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain notre route et nous nous<br />

r<strong>en</strong>dîmes â Sou. Nous logeâmes dans un caravansérail,<br />

tout <strong>le</strong> village n'étant que ruines, ou â la veil<strong>le</strong> de ne former<br />

qu'un amas de décombres. Ses <strong>en</strong>virons sont aussi ferti<strong>le</strong>s<br />

que ceux de Kourond. Nous <strong>par</strong>tîmes, <strong>le</strong> soir même, de ce<br />

caravansérail pour éviter la forte cha<strong>le</strong>ur; nous fîmes <strong>en</strong>core,<br />

à travers une infinité de villages <strong>en</strong> ruines, quelques lieues,


So JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

et nous apercûmes une grande et longue vil<strong>le</strong>; c'était Ispahan.<br />

Ispahan. - Nous finies notre <strong>en</strong>trée <strong>en</strong> cette vil<strong>le</strong> <strong>en</strong><br />

grande t<strong>en</strong>ue, et tant que la route <strong>le</strong> permettait, placés <strong>en</strong><br />

batail<strong>le</strong> à la droite de Hussein-Khan, qui aussi avait <strong>en</strong>dossé<br />

son uniforme de général persan et décoré sa poitrine de tous<br />

<strong>le</strong>s ordres persans. Les domestiques de cet ambassadeur <strong>en</strong><br />

grand nombre étai<strong>en</strong>t placés, pè<strong>le</strong>-mê<strong>le</strong>, sans ordre, derrière<br />

nous. Un piquet de vingt-cinq artil<strong>le</strong>urs vint à une lieue <strong>en</strong><br />

avant à sa r<strong>en</strong>contre. Ils . mir<strong>en</strong>t pied à terre à son approche,<br />

et étant remontés <strong>en</strong>suite sur <strong>le</strong>urs chevaux, ils se placèr<strong>en</strong>t<br />

derrière sans nul<strong>le</strong> distinction.<br />

Les faubourgs, quoiqu'<strong>en</strong> <strong>par</strong>tie <strong>en</strong> ruine, étai<strong>en</strong>t si longs<br />

que nous eûmes à <strong>le</strong>s <strong>par</strong>courir une heure avant que d'<strong>en</strong>trer<br />

dans la vil<strong>le</strong>. Enfin, y étant arrivés, Hussein-Khan <strong>en</strong>tra<br />

dans un vaste jardin et nous y restâmes près de deux heures.<br />

Selon l'usage du pays, il fit prév<strong>en</strong>ir Hadji Mirza Agassi,<br />

premier ministre, qu'il était arrivé avec ses officiers et qu'il<br />

att<strong>en</strong>dait son ordre pour <strong>en</strong>trer dans la vil<strong>le</strong>. D'après la<br />

réponse affirmative du ministre, nous montûmes tous à<br />

cheval et nous nous mîmes de nouveau <strong>en</strong> route.<br />

Nous passâmes dans plusieurs bazars qui sont excessive<br />

m<strong>en</strong>t longs, et, après quelques détours dans quelques petites<br />

rues, nous arrivâmes au pont de Chiras. De l'autre côté nous<br />

aperçûmes une grande quantité de t<strong>en</strong>tes, c'était <strong>le</strong> camp<br />

d'Ispahan dont je <strong>par</strong><strong>le</strong>rai plus tard. Quelques instants après,<br />

des murs plus é<strong>le</strong>vés que <strong>le</strong>s arbres frappèr<strong>en</strong>t nos<br />

regards, c'était <strong>le</strong> palais qu'habitait <strong>le</strong> Chah. il se trouvait<br />

sur la gauche et au bord du Z<strong>en</strong>derout, f<strong>le</strong>uve qui longe<br />

Ispahan; et quoique à l'extérieur ri<strong>en</strong> n'annonce un palais,<br />

l'intérieur, et nous punies <strong>en</strong> juger plus tard, n'était pas sans<br />

annoncer quelques restes de la munific<strong>en</strong>ce roya<strong>le</strong>. Avant<br />

d'y arriver, une heure de marche s'écoula depuis notre dernière<br />

station au jardin à l'<strong>en</strong>trée de la vil<strong>le</strong>. Arrivés ail camp<br />

et arrêtés devant <strong>le</strong> palais où desc<strong>en</strong>dit Hussein-Khan, pour<br />

faire sa visite d'arrivée au premier ministre qui y demeurait,


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE Si<br />

ainsi qu'au Chah, puis conduits <strong>par</strong> un meimandar, nous<br />

nous r<strong>en</strong>dîmes âDjulfa. faubourg des Arméni<strong>en</strong>s, et <strong>en</strong>core â<br />

une demi-lieue d'où nous étions.<br />

Notre ambassade française y était depuis quelques jours,<br />

car une fois arrivés â Téhéran, <strong>le</strong> Roi ayant été obligé de<br />

marcher sur Ispalian avec quelques troupes, pour des motifs<br />

que j'exposerai <strong>en</strong> temps opportun, Monsieur <strong>le</strong> comte de<br />

Sercey l'y suivait, avec <strong>le</strong>s deux autres ambassades Turque<br />

et Russe. A notre arrivée, Monsieur <strong>le</strong> marquis de Lava<strong>le</strong>tte<br />

nous fit l'honneur de v<strong>en</strong>ir nous voir. Nos camarades, <strong>par</strong>tis<br />

de Tauris seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t un jour avant nous et qui pourtant, <strong>par</strong><br />

<strong>le</strong>s marches forcées qu'ils fir<strong>en</strong>t, arrivés 10 jours avant nous,<br />

vinr<strong>en</strong>t aussi nous visiter, et, tous, nous donnèr<strong>en</strong>t d'assez<br />

bonnés nouvel<strong>le</strong>s. Tout cela se passait <strong>le</strong> deux mai. Nous<br />

apprîmes avec grand plaisir de nos camarades que la veil<strong>le</strong>,<br />

<strong>le</strong> premier mai, invités <strong>par</strong> Monsieur de Sercey et toute<br />

l'ambassade, ils avai<strong>en</strong>t célébré la fête de notre roi Louis<br />

Philippe. Ri<strong>en</strong> ne fut négligé <strong>par</strong> notre ambassade pour<br />

donner â cette fête tout i'écla.t qu'el<strong>le</strong> méritait. Voici la descripLion<br />

qu'ils nous <strong>en</strong> fir<strong>en</strong>t. De vastes t<strong>en</strong>tes étai<strong>en</strong>t dressées<br />

dans <strong>le</strong> jardin ou, <strong>en</strong> aimab<strong>le</strong> compagnie, on att<strong>en</strong>dait l'heure<br />

du dîner. Selon l'usage du pays, de beaux tapis y couvrai<strong>en</strong>t<br />

la terre. L'heure étant arrivée, on se r<strong>en</strong>dit au salon et on<br />

prit la place désignée <strong>par</strong> Monsieur <strong>le</strong> Comte. Les convives<br />

étai<strong>en</strong>t toute notre ambassade française, MM. Duhamel,<br />

ambassadeur de Russie, et Je baron Bande, son premier<br />

secrétaire, Sémino, général, itali<strong>en</strong> d'origine, et qui vint, il<br />

y a vingt ans, chercher fortune dans <strong>le</strong> pays, Mirza Ah,<br />

ministre des affaires étrangères, jeune homme âgé de 23 ans<br />

et <strong>par</strong>tant un peu français, Mirza Baba, premier médecin du<br />

Roi, et p<strong>le</strong>in de ses pouvoirs, Nasir Ali Khan, <strong>le</strong> meimandar<br />

de Monsieur de Sercey, Abas Khan, son père, et puis <strong>en</strong>fin<br />

nos camarades, qui fur<strong>en</strong>t très bi<strong>en</strong> traités <strong>par</strong> notre ambassadeur<br />

qui avait mil<strong>le</strong> soins et prév<strong>en</strong>ances pour eux, qu'il<br />

prés<strong>en</strong>ta â MM. Duhamel, Mirza Baba, Baba Khan et Mirza


82 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

Mi. Au milieu du repas, un émissaire se prés<strong>en</strong>ta à Monsieur<br />

de Sercey. Il était colon& et v<strong>en</strong>ait de la <strong>par</strong>t du Chali de<br />

<strong>Perse</strong> <strong>le</strong>ur dire qu'il avait appris qu'il célébrait ce jour la fête<br />

de son Roi et qu'il voulut <strong>en</strong> son nom agréer tous <strong>le</strong>s voeux<br />

qu'il faisait pour son bonheur. Le repas fut très gai et, une<br />

fois terminé, on se r<strong>en</strong>dit sous la t<strong>en</strong>te où on y prit <strong>le</strong> café,<br />

<strong>le</strong> punch, etc., etc. Tout, dans la soirée, était illuminé;<br />

c'était, disai<strong>en</strong>t-ils, une de nos jolies fêtes de France et el<strong>le</strong><br />

avait lieu <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>, si loin d'el<strong>le</strong>.<br />

Nous priâmes Monsieur de Lava<strong>le</strong>tte de nous excuser<br />

auprès clés MM. de l'ambassade, <strong>par</strong>ticulièrem<strong>en</strong>t auprès de<br />

Monsieur <strong>le</strong> Comte, de ce que nous n'allions pas ce jour de<br />

notre arrivée lui r<strong>en</strong>dre nos hommages, niais fatigués comme<br />

nous l'étions, que nous allions pr<strong>en</strong>dre un peu de repos dont<br />

nous avions bi<strong>en</strong> besoin.<br />

Le l<strong>en</strong>demain trois mai, nous nous r<strong>en</strong>dîmes àl'amhassade<br />

où nous fûmes bi<strong>en</strong> accueillis; tous nous manifestèr<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s<br />

regrets qu'ils avai<strong>en</strong>t eus de ne pas nous avoir auprès d'eux<br />

pour <strong>le</strong> premier niai. Là, comme à Tauris, nous y passions nos<br />

soirées très agréab<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t, <strong>le</strong>s plus habi<strong>le</strong>s chanteurs quelquefois<br />

chantai<strong>en</strong>t la t<strong>en</strong>dre romance, ou la tant soit peu<br />

plus forte chanson <strong>militaire</strong>. Quelquefois même <strong>le</strong> saltimbanque<br />

Codés imitait <strong>le</strong>spas grbcieux de la barrière, <strong>en</strong> p<strong>en</strong>chant<br />

avec int<strong>en</strong>tion sa tête tant soit peu difforme sur une épau<strong>le</strong><br />

<strong>en</strong> accompagnant <strong>le</strong> tout d'un sourire amoureux. Lorsque <strong>par</strong><br />

un portrait que j'<strong>en</strong> ferai sous peu on connaîtra notre grotesque<br />

personnage,on me dira saMdoute «oft diabiel'amour va-til<br />

se nicher». Quoiqu'il <strong>en</strong> soit nous <strong>en</strong>riionsbi<strong>en</strong>, quand surtout<br />

l'aimab<strong>le</strong> docteur Lachaise s'y joignait, pr<strong>en</strong>ant toutes <strong>le</strong>s<br />

poses et faisant tous <strong>le</strong>s gestes du joueur d'orgue, <strong>en</strong> criant<br />

de temps <strong>en</strong> temps, avec une voix aigre et vieil<strong>le</strong> Cinquante<br />

c<strong>en</strong>times, cinquante c<strong>en</strong>times, dix sous, La <strong>Perse</strong>.<br />

Visite chez <strong>le</strong> Chah de <strong>Perse</strong>. - 4Mai. Hussein-Khan <strong>le</strong><br />

3 nous <strong>en</strong>voya un de ses g<strong>en</strong>s pour nous dire que, <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain<br />

â 11 heures, nous avions â nous mettre <strong>en</strong> t<strong>en</strong>ue et que,


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 83<br />

nous étant d'abord r<strong>en</strong>dus chez lui, nous aurions de là à nous<br />

r<strong>en</strong>dre au palais pour être prés<strong>en</strong>tés au Chah. Nous ne manquâmes<br />

pas au r<strong>en</strong>dez-vous, et pour l'heure indiquée nous<br />

étions chez Hussein-Khan qui, â notre tête, Sus conduisit<br />

chez <strong>le</strong> Chah.<br />

On fit annoncer notre visite. Le Chah faisait sa prière, nous<br />

dit-on, et après cinq minutes d'att<strong>en</strong>te dans un vaste jardin;<br />

on nous fit avancer dans une allée. Les corps de bâtim<strong>en</strong>ts se<br />

trouvai<strong>en</strong>t à notre droite, â 25 ou 30 pas. Arrivés près <strong>d'une</strong><br />

petite maisonnette, nous nous arrêtâmes et lui fîmes face,<br />

Hussein-Khan ôta ses souliers et att<strong>en</strong>dit l'ordre ou un signe<br />

du Chah pour s'avancer. Bi<strong>en</strong>tôt nous fîmes quelques pas et<br />

nous arrêtâmes; un nouveau geste fait â Hussein-Khan <strong>le</strong> fit<br />

avancer. Nous <strong>le</strong> suivîmes, et arrivâmes ainsi sous <strong>le</strong>is croisées<br />

du Chah qui était dans cette chambre au rez-de-chaussée,<br />

assis au fond comme <strong>le</strong>s Turcs. Sa chambre avait de riches<br />

tapis, il était assis sur de plus beaux <strong>en</strong>core. A sa droite était<br />

un traversin qui avait des pail<strong>le</strong>ttes et franges <strong>en</strong> or, à sa<br />

gauche et assez loin, il avait <strong>le</strong> ministre des affaires étrangères.<br />

Nous nous plaçâmes <strong>en</strong> cerc<strong>le</strong> devant ses croisées, il<br />

nous fit demander <strong>par</strong> la voie de l'interprète si nous nous<br />

portions bi<strong>en</strong>.<br />

Nous <strong>le</strong> remerciâmes de sa bonté â s'informer de notre<br />

santé.<br />

Ii nous demanda si nous avions bi<strong>en</strong> fait cette dernière<br />

route de Tauris à Ispahan, qu'il avait appris avec beaucoup<br />

de peine que nous avions bi<strong>en</strong> souffert pour arriver<br />

â cette première vil<strong>le</strong>.<br />

Nous lui dîmes qu'effectivem<strong>en</strong>t nous avions bi<strong>en</strong> souffert<br />

mais que sa prés<strong>en</strong>ce faisait tout oublier.<br />

Il nous dit <strong>en</strong>suite qu'il était bi<strong>en</strong> cont<strong>en</strong>t de nous voir<br />

arriver, qu'il avait beaucoup d'espoir <strong>en</strong> nous, que nous<br />

serions cont<strong>en</strong>ts de lui et de la <strong>Perse</strong>. La conversation fut<br />

assez longue <strong>en</strong> ce g<strong>en</strong>re de complim<strong>en</strong>ts. Il nous fit avancer<br />

<strong>en</strong>suite arme <strong>par</strong> arme il fut émerveillé.


84 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

Je fis au Chah la demande d'un homme qui chargé de<br />

quelques pouvoirs nous ferait respecter. Le Chah y cons<strong>en</strong>tit<br />

et quelques jours après il fit <strong>en</strong>voyerà chacun de nous un<br />

soldat. Nous nous retirâmes assez satisfaits du Chah.<br />

Visite à Hadji Mina Agassi, premier ministre. - Avant<br />

de nous sé<strong>par</strong>er avec Hussein-Khan, il fut conv<strong>en</strong>u <strong>d'une</strong><br />

heure du l<strong>en</strong>demain pour visiter Hadji, <strong>le</strong> premier ministre.<br />

Comme je l'ai déjà dit, il demeurait au palais du Roi. Des<br />

cérémonies semblab<strong>le</strong>s â cel<strong>le</strong>s que nous fîmes pour nous<br />

approcher du Roi se répétèr<strong>en</strong>t auprès du premier ministre.<br />

Seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t celui-ci, an lieu de setrouver au fond de la chambre<br />

comme l'était <strong>le</strong> Roi étaità deux pas de la porte, assis sur un<br />

tout simp<strong>le</strong> fauteuil, ayant derrière lui toute une suite de<br />

domestiques. Avant de rapporter <strong>le</strong>s <strong>par</strong>o<strong>le</strong>s qu'il nous tint, je<br />

crois nécessaire de <strong>par</strong><strong>le</strong>r un peu de son origine, de sa profession<br />

première, etc., etc. -<br />

Dans <strong>le</strong> principe Hadji Mirza Agassi était un Mollah<br />

(docteur de la religion musulmane), ap<strong>par</strong>t<strong>en</strong>ant â une<br />

bonne famil<strong>le</strong> de la tribu des Badjards (branche régnante<br />

actuel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t). Ce Mollah qui, dans <strong>le</strong> pays, avait une grande<br />

réputation d'instruction fut désigné pour instruire et diriger<br />

<strong>le</strong> jeune Mahomet Chah. Fatey Ali Chah étant mort <strong>en</strong> 1835,<br />

et son fils Abas Mirza, gouverneur de l'Adzerbidjan qui<br />

devait lui succéder, étant mort avant son père, son fils<br />

Mahomet Chah monta sur <strong>le</strong> trône, et il plaça comme<br />

premier ministre son instituteur, son Mollah Hadji, et <strong>le</strong> Roi<br />

a un respect aveug<strong>le</strong>, ainsi qu'une grande défér<strong>en</strong>ce, pour<br />

lui. Il ne fait ri<strong>en</strong> sans <strong>le</strong> consulter, et mieux même il<br />

fait tout sans consulter <strong>le</strong> Roi. Ainsi il abuse quelquefois de<br />

la trop grande confiance dii Roi, <strong>en</strong> lui laissant ignorer des<br />

affaires importantes,qu'il travail<strong>le</strong>âson gré et â son bon caprice,<br />

lui disant seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t dans ses <strong>en</strong>treti<strong>en</strong>s avec lui desminuties<br />

la plu<strong>par</strong>t du temps. Qu'est pourtant cet Hadji ? C'est à l'avis<br />

de toutes <strong>le</strong>s personnes de bon s<strong>en</strong>s, un ignorant, un fou, un<br />

vo<strong>le</strong>ur et un m<strong>en</strong>teur comme <strong>le</strong>s autres; voilà ce qu'on nous


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 85<br />

disait de cet homme, avant que nous n'ayions l'honneur d'être<br />

prés<strong>en</strong>tés à lui. J'oubliais qu'il a pour femme légitime une<br />

des femmes de Fatey Mi Chah, et pour fils adoptif Eht-<br />

Khan, un des fils de ce Roi. Mahomet Chah; qui certes est<br />

un des hommes instruits de son royaume, a<strong>en</strong> ce ministre non<br />

seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t un grand respect, mais c'est qu'<strong>en</strong>core il <strong>le</strong> croit<br />

inspiré de Mahomet tous <strong>le</strong>s v<strong>en</strong>dredis, jours de fête des<br />

musulmans, et <strong>le</strong> brave ministre profite aussi du samedi pour<br />

faire auprès du Chah tout ce qu'il voudra.<br />

Voilà donc <strong>le</strong> ministre devant <strong>le</strong>quel nous étions, <strong>le</strong> 5 mai<br />

<strong>1840</strong>, â 11 heures 1/2 du matin. II s'informa de nos santés, de<br />

noire route pénib<strong>le</strong>, nous fit â peu près <strong>le</strong>s mêmes complim<strong>en</strong>ts<br />

que la veil<strong>le</strong> nous <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dîmes de la bouche du Roi. Il<br />

nous dit<strong>en</strong>suite que ceux qui <strong>le</strong>s premiers avai<strong>en</strong>t misl'armée<br />

Persane sur un assez bon pied, étai<strong>en</strong>t des Françai, qu'il<br />

espérait que ce serait <strong>le</strong>s Français <strong>en</strong>core qui relèverai<strong>en</strong>t<br />

l'armée.<br />

Nous l'assurâmes qu'<strong>en</strong> tout temps la <strong>Perse</strong> pouvait compter<br />

sur nous, et que nous ne tromperions pas son att<strong>en</strong>te.<br />

Bareck-Allah (bravo), dit-il, <strong>en</strong> donnant un grand coup<br />

de poing de la main gauche sur <strong>le</strong> barreau de la chaise, et de<br />

la droite frappant â plat sur son goula qui <strong>par</strong> ce coup fut<br />

tant soit peu écarté de la perp<strong>en</strong>diculaire rigoureuse qu'il lui<br />

avait fait pr<strong>en</strong>dre pour nous recevoir. Il nous vit <strong>en</strong>suite<br />

arme <strong>par</strong> arme, f ut très cont<strong>en</strong>t, p<strong>en</strong>dant que Hussein Khan<br />

lui disait nos noms et qu'il lui disait <strong>le</strong> désir que nous avions<br />

manifesté de connaître <strong>en</strong>fin des provinces où chacun de<br />

nous irait y pr<strong>en</strong>dre <strong>le</strong> plus tôt possib<strong>le</strong> son commandem<strong>en</strong>t<br />

de troupes. 11 sautait de joie dans son fauteuil <strong>en</strong> frappant<br />

cette fois sur son goula de la main gauche. Quoi qu'il <strong>en</strong> soit,<br />

nous <strong>en</strong> fûmes très cont<strong>en</strong>ts et très satisfaits, peu nous importait<br />

ce que nous <strong>en</strong> avions <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du, nous n'avions j usq u 'alors<br />

qu'à nous <strong>en</strong> louer. Nous r<strong>en</strong>trâmes chez nous, la cha<strong>le</strong>ur était<br />

accablante, et nous ne sortîmes plus de la journée.<br />

Ce fut <strong>le</strong> Soir de cette journée que M. <strong>le</strong> marquis de<br />

6


86 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN L'ERSE<br />

Laval<strong>le</strong>tte, devant <strong>par</strong>tir <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain, voulut nous remettre<br />

<strong>le</strong>s nouveaux contrats <strong>par</strong> <strong>le</strong>squels nous étions promus au<br />

grade de capitaine, ayant un toman (12 fr. 50) <strong>par</strong> jour, plus<br />

<strong>en</strong>viron 2 fr. pour la nourriture Øe deux chevaux, devant<br />

avoir, pour un déplacem<strong>en</strong>t quelconque, deux mu<strong>le</strong>ts avec<br />

<strong>le</strong>ur conducteur, une t<strong>en</strong>te de colonel, et une autorité p<strong>le</strong>ine<br />

et <strong>en</strong>tière sur toutes nos troupes puis ceux qui <strong>par</strong>tirai<strong>en</strong>t au<br />

bout de <strong>le</strong>urs S années, une somme pour <strong>le</strong>ur voyage de 250<br />

tomans, <strong>en</strong>viron 3.125 francs de notre monnaie. Le contrat<br />

fait au nom du Roi <strong>par</strong> Hadji, qui y apposa son cachet, nous fut<br />

remis, et au-dessous du cachet quelques lignes de la main<br />

d'lladji résumai<strong>en</strong>t ceci: Sur ma barbe, sur mes yeux,j'observerni<br />

toutes <strong>le</strong>s clauses de ce contrat.<br />

Voilà ma foi un bi<strong>en</strong> beau . contrat, dîmes-nous, mais<br />

il est probab<strong>le</strong> qu'ils ne l'observeront jamais, nous<br />

sommes <strong>en</strong>core au beau comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t, qu'arrivera-t-il?<br />

Nous n'<strong>en</strong> pouvons ri<strong>en</strong> assurer, mais n'anticipons pas<br />

sur <strong>le</strong>s événem<strong>en</strong>ts. Nous <strong>en</strong> exprimâmes tout notre<br />

cont<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t à M. de Sercey et à M. de Lava<strong>le</strong>tte,.<br />

qui conjointem<strong>en</strong>t avai<strong>en</strong>t travaillé à nous faire donner<br />

ce contrat, avec d'aidant plus de raison que jusque-là<br />

nous n'<strong>en</strong> avions qu'un seul col<strong>le</strong>ctif. Un peu à l'écart se<br />

trouvait Mina Ah, ministre des affaires étrangères, jeune<br />

homme de 23 ans comme je l'ai déjà dit, causant avec<br />

M. de Sercey. M. <strong>le</strong> marquis, qui ne négligeait aucune des<br />

• circonstances pour nous donnerdes protecteurs, nous prés<strong>en</strong>ta<br />

.à ce ministre, qui promit de nous seconder dans<br />

tous <strong>le</strong>s mauvais pas qui pourrai<strong>en</strong>t nous surv<strong>en</strong>ir. Nous ne<br />

.fâmes point voir ce ministre <strong>en</strong> corps, nous y ffiiies plus tard<br />

individuel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t poui' des motif communs.<br />

Le l<strong>en</strong>demain M. de Lava<strong>le</strong>tte et M. Félix Desgranges,<br />

premier drogman, <strong>par</strong>tir<strong>en</strong>t d'Ispaha.n pour passer <strong>par</strong><br />

la même route que nous v<strong>en</strong>ions de faire. Nous montâmes<br />

à cheval, toute l'ambassade sans distinction <strong>en</strong> fit autant, et<br />

nous accompagnâmes ces deux Messieurs. A une lieue 1/2 on


JOURNAL D'UNE MISSION 3IILITAIRE EN PERSE 87<br />

s'arrêta, chacun fit ses adieux à ces Messieurs, ils fur<strong>en</strong>t<br />

sincères <strong>le</strong>s voeux que nous faisions tous pour <strong>le</strong>ur bon<br />

voyage. 0n se sé<strong>par</strong>a et on se r<strong>en</strong>dit à Ispahan, faisant quelques<br />

courses de temps <strong>en</strong> temps.<br />

J'ai oublié de dire qu'à notre arrivée à Ispahan nous n'y<br />

trouvâmes plus MM. Beaufort d'Hautpoul et Daru; ces deux<br />

capitaines avai<strong>en</strong>t poursuivi plus loin du côté de Curas, y<br />

faire des reconnaissances <strong>militaire</strong>s.<br />

Prom<strong>en</strong>ade au camp et sa description. - Nous lûmes, <strong>le</strong><br />

jour suivant, faire une prom<strong>en</strong>ade à ce qu'ils appelai<strong>en</strong>t <strong>le</strong><br />

camp d'ispahan. il se trouvait contigu à la maison roya<strong>le</strong>, et<br />

s'ét<strong>en</strong>dait irrégulièrem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> tout s<strong>en</strong>s, ce n'était qu'un amas<br />

confus de t<strong>en</strong>tes, tout était pê<strong>le</strong>-mê<strong>le</strong>. iln'y avait de distinction<br />

que <strong>par</strong> catégorie. C'était qu'un point avait été assigné<br />

pour être <strong>le</strong> c<strong>en</strong>tre du camp d'artil<strong>le</strong>rie, un autre pour<br />

l'infanterie, un autre pour la cava<strong>le</strong>rie, mais dès lors chacun<br />

plaçant sa t<strong>en</strong>te conimeil l'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dait, <strong>le</strong>s chevaux se trouvant<br />

près d'el<strong>le</strong>s, il n'y a ait point d'ordre. A el<strong>le</strong>s se joignai<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s<br />

t<strong>en</strong>tes de tous <strong>le</strong>s marchands, tels que fruitiers, brocanteurs,<br />

etc., etc. Les t<strong>en</strong>tes <strong>en</strong> majeure <strong>par</strong>tie sont circulaires de5 à G<br />

mètres de diamètre, et chacune d'el<strong>le</strong> doit cont<strong>en</strong>ir 20 à 25<br />

hommes. Cel<strong>le</strong>s des officiers subalternes sont de mème nature,<br />

seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t pour trois, cieux, et quelquefois un officier; cel<strong>le</strong><br />

des officiers supérieurs est de la forme <strong>d'une</strong> petite maisonnette,<br />

plus bel<strong>le</strong> et plus agréab<strong>le</strong>. Quelques grands de la<br />

<strong>Perse</strong> et <strong>le</strong>s généraux ont une imm<strong>en</strong>se t<strong>en</strong>te de forme<br />

circulaire, r<strong>en</strong>fermant dans son intérieur une t<strong>en</strong>te à peu<br />

près semblab<strong>le</strong> à cel<strong>le</strong> du colonel. On serait vivem<strong>en</strong>t dans<br />

l'erreur si l'on croyait que ce camp est tout <strong>militaire</strong> : non.<br />

Le ministre MirzaAliy avait <strong>le</strong>s si<strong>en</strong>nes, et d'autres serviteurs<br />

du Roi, dont <strong>le</strong>s fonctions ne sont nul<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t <strong>militaire</strong>s.<br />

Jamais on n'y fait des corvées de propreté, aussi <strong>le</strong> camp<br />

infecte-t-il.<br />

Les t<strong>en</strong>tes des grands personnages sont é<strong>le</strong>vées à6 à 8<br />

pouces du sol, c'est pour remédier à l'inconvéni<strong>en</strong>t, dans <strong>le</strong>s


88 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

temps de pluie bi<strong>en</strong> rares, de ne pàs avoir d'eau. Ils ont<br />

<strong>en</strong>suite devant la t<strong>en</strong>te, des bassins qui réserv<strong>en</strong>t l'eau <strong>par</strong><br />

des saignées pratiquées <strong>le</strong> plus souv<strong>en</strong>tà un ruisseau lorsque<br />

la disposition <strong>le</strong> permet; dans <strong>le</strong> cas où l'eau serait un peu<br />

écartée et ne pourrait être conduite jusque-là, el<strong>le</strong> y est<br />

apportée â bras. On éprouve <strong>le</strong> plaisir d'un coup d'oeil varié<br />

quoique sur des choses à peu près semblab<strong>le</strong>s, mais bi<strong>en</strong>tôt<br />

ce chaos pitoyab<strong>le</strong> vous <strong>le</strong>s fait regarder avec indiffér<strong>en</strong>ce.<br />

Du Z<strong>en</strong>derout. —La vil<strong>le</strong> d'Ispahan est bâtie <strong>le</strong> long d'un<br />

f<strong>le</strong>uve que <strong>le</strong>s Persans appell<strong>en</strong>t Z<strong>en</strong>derout. 11 a sa source<br />

dans <strong>le</strong>s montagnes de Jayabat, <strong>en</strong>viron â Bjournéesdela vil<strong>le</strong>,<br />

du côté du Nord. Ce f<strong>le</strong>uve, qui <strong>par</strong> lui-même ne serait pas<br />

considérab<strong>le</strong>, reçoit, <strong>par</strong> des travaux qu'Abas <strong>le</strong> Grand y a fait<br />

faire <strong>en</strong> perçant à grands frais <strong>le</strong>s monts Acrocerontes qui<br />

sont <strong>en</strong>viron à 25 ou .30 lieues de la vil<strong>le</strong>, <strong>le</strong> Mahmoud<br />

Ker. Ce f<strong>le</strong>uve se perd sous terre <strong>en</strong>tre la vil<strong>le</strong> d'ispahan et<br />

cel<strong>le</strong> de Kirman, passe dans cette dernière vil<strong>le</strong> après être<br />

re<strong>par</strong>u un peu avant que d'y arriver, et <strong>en</strong>fin il va se perdre<br />

dans la merdes Indes.<br />

Les montagnes <strong>par</strong> <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s sort <strong>le</strong> Mahmoud-Ker sont<br />

des roches vives, crevassées <strong>en</strong> plusieurs s<strong>en</strong>s; <strong>le</strong>au cou<strong>le</strong> à<br />

travers <strong>le</strong>s montagnes, et il existe, dit-on, une ouverture de<br />

la grosseur de quatre tonneaux <strong>par</strong> où el<strong>le</strong> sort comme <strong>par</strong><br />

un tuyau tombant dans un grand bassin et fort profond,<br />

formé selon quelques-uns <strong>par</strong> Ahas <strong>le</strong> Grand, selon d'autres<br />

<strong>par</strong> la chute de l'eau el<strong>le</strong>-même -je crois cette dernière<br />

supposition plus probab<strong>le</strong> - et va <strong>en</strong>fin passant çà et la, se<br />

r<strong>en</strong>dre dans <strong>le</strong> Z<strong>en</strong>derout. En allant un peu plus haut dans<br />

la montagne, on voit, <strong>par</strong> un trou qui y est pratiqué, l'eau<br />

dans l'intérieur de la montagne, comme si el<strong>le</strong> seu<strong>le</strong> était <strong>le</strong><br />

grand réservoir.<br />

Le chevalier d'Argout. -Un beau jour nous eûmes la<br />

visite d'un homme âgé <strong>d'une</strong> quarantaine d'années, vif et<br />

bi<strong>en</strong> portant, à longue barbe, avec des habits anglais<br />

chamarrés d'or et d'arg<strong>en</strong>t; et, pour toute coiffure <strong>militaire</strong>, il


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

avait un grand bonnet rouge, excessivem<strong>en</strong>t large, et<br />

recouvert d'un énorme galon à la <strong>par</strong>tie qui <strong>en</strong>tourait sa<br />

tête. « Je suis Français comme vous, Messieurs, et de plus<br />

<strong>militaire</strong>, » nous dit-il <strong>en</strong> se prés<strong>en</strong>tant chez nous. Sans <strong>en</strong><br />

vouloir savoir davantage, nous <strong>le</strong> priâmes de s'asseoir, nous<br />

apprîmes de lui que d'abord il avait, sous Napoléon, servi <strong>en</strong><br />

France, qu'il était <strong>par</strong>v<strong>en</strong>u au grade d'officier et puis;<br />

qu'ayant donné sa dé<strong>mission</strong> à sa déchéance, il fut t<strong>en</strong>ter<br />

fortune. Il s'était arrêté d'abord <strong>en</strong> Turquie; <strong>en</strong>suite, que<br />

pour quelques appointem<strong>en</strong>ts arriérés, il l'avait abandonnée<br />

pour servir <strong>en</strong> Egypte; que ne s'y trouvant pas heureux, il<br />

avait voulu faire un voyage dans l'Inde, où se trouvai<strong>en</strong>t<br />

déjà MM. Iialard et V<strong>en</strong>toura, aux faîtes de la fortune et des<br />

honneurs; que, recommandé dans <strong>le</strong> principe à M. ilalard,<br />

il fut placé avec d'énormes appointem<strong>en</strong>ts comme instructeur;<br />

'qu'<strong>en</strong>fin, au bout de bi<strong>en</strong> des années, quelque mésintellig<strong>en</strong>ce<br />

ayant eu lieu <strong>en</strong>tre M. V<strong>en</strong>toura et lui, il avait voulu quitter<br />

<strong>le</strong> service. -<br />

Dans l'Inde, il avait appris <strong>en</strong>suite, d'après ce qu'il nous<br />

dit, que des instructeurs français s'étai<strong>en</strong>t r<strong>en</strong>dus '<strong>en</strong> <strong>Perse</strong>, et<br />

il s'était r<strong>en</strong>du là pour se joindre à nous; mais nos avantages<br />

étai<strong>en</strong>t si petits qu'il pria M. <strong>le</strong> comte de Sercey de <strong>le</strong><br />

ram<strong>en</strong>er <strong>en</strong> France; il y cons<strong>en</strong>tit, et son dé<strong>par</strong>t d'ispahan<br />

dût se faire avec IvfM. dArchiac et Gérard. M. d'Argoflt,<br />

<strong>d'une</strong> gaîté continuel<strong>le</strong>, était très agréab<strong>le</strong>; il fit de longs<br />

voyages, et nous exposait ses relations; dans <strong>le</strong>s derniers<br />

temps nous <strong>le</strong>s connaissions toutes, el<strong>le</strong>s nous intéressai<strong>en</strong>t<br />

beaucoup.<br />

Le 11 mai, nous fîmes quelques démarches pour ' nos<br />

appointem<strong>en</strong>ts. On nous amusa, à <strong>le</strong>ur nob<strong>le</strong> habitude,<br />

p<strong>en</strong>dant quelques jours, <strong>en</strong> nous r<strong>en</strong>voyant de jour <strong>en</strong> jour,<br />

mais nous signifiâmes à Mirza-Ali que si, à tel<strong>le</strong> heure du<br />

l<strong>en</strong>demain qu'il nous indiqua, nous n'étions pas payés, que<br />

nous demandions à notre ambassade française à r<strong>en</strong>trer avec<br />

el<strong>le</strong>. Le jour suivant, 13 mai à midi, <strong>le</strong>s tomans étai<strong>en</strong>t chez<br />

u


90 - JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN-PERSE<br />

Hussein-Khan, nous fûmes <strong>le</strong>s chercher. On nous paya sur<br />

<strong>le</strong> pied du nouveau contrat, à <strong>par</strong>tir du jour oit il avait été<br />

si g n é.<br />

Causes qui forcêr<strong>en</strong>.t <strong>le</strong> Chah à faire un voyage 4<br />

ispahan avec des forces. - Les <strong>en</strong>fants des Rois, ainsi que<br />

ses frères, sont presque toujours, tant qu'ils n'ont pas<br />

démérité la confiance du Maître, placés comme gouverneurs<br />

dans <strong>le</strong>s provinces. Un des frères du Roi actuel, Mahomet<br />

Chah, avait été à son avènem<strong>en</strong>t au trône désigné pour<br />

commander la province appelée Fars ou -Farsistan, dont la<br />

capita<strong>le</strong> est Chiras. Ce prince tramait <strong>en</strong> dessous pour<br />

détrôner son frère et pr<strong>en</strong>dre sa place, et lorsque <strong>le</strong> Roi <strong>en</strong><br />

fut instruit, il avait déjà attiré dans son <strong>par</strong>ti la nombreuse<br />

populace de Chiras, et marchait vers Ispahan, l'anci<strong>en</strong>ne<br />

capita<strong>le</strong> de la <strong>Perse</strong>, pour s'y faire des <strong>par</strong>tisans <strong>par</strong>mi une<br />

espèce de tribu errante, du g<strong>en</strong>re des bohémi<strong>en</strong>s, tous<br />

malfaiteurs et appelés Loutis qui se trouvai<strong>en</strong>t pour <strong>le</strong>urs<br />

ravages, viols et autres abominations,, tels qu'assassinats,<br />

commandés dans cette malheureuse vil<strong>le</strong> <strong>par</strong> <strong>le</strong> fils d'un<br />

grand-piétre, Mousteide. Cet homme est considéré comme<br />

un des saints de la <strong>Perse</strong>, aussi <strong>le</strong>s habitants d'ispahan, de<br />

crainte <strong>d'une</strong> malédiction, ne disai<strong>en</strong>t-ils ri<strong>en</strong>, et selaissai<strong>en</strong>tils<br />

<strong>en</strong><strong>le</strong>ver <strong>le</strong>urs bi<strong>en</strong>s <strong>le</strong>s plus précieux, et <strong>le</strong>s voyai<strong>en</strong>t-ils sur<br />

<strong>le</strong>urs femmes désolées assouvir <strong>par</strong> <strong>le</strong>urs viol<strong>en</strong>ces toute<br />

espèce (<strong>le</strong> brutalité.<br />

Ces bandits euss<strong>en</strong>t été pour l'ambitieux prince des<br />

<strong>par</strong>tisans assurés. Mais Mahomet-Chah ne <strong>le</strong>ur <strong>en</strong> donna<br />

pas <strong>le</strong> temps; il quitta Téhéran, sa capital?, vers la Mn<br />

de mars et arriva fi Ispahan avec ses troupes <strong>le</strong>s premiers<br />

jours d'avril. Contre l'habitude ordinaire, il ne fut pas voir<br />

<strong>le</strong> grand-prêtre qui <strong>en</strong> fat <strong>le</strong>ilêm<strong>en</strong>t exaspéré, qu'il dit aux<br />

habitants de la vil<strong>le</strong>, qu'il allait pour ce motif quitter la vil<strong>le</strong>.<br />

Ce peup<strong>le</strong> qui, <strong>le</strong> voyant s'éloigner, se croyait perdu et<br />

damné, criait et allait peut-être susciter une révolte. Le Chah<br />

la prévint <strong>en</strong> <strong>en</strong>voyant de grands et richés cadeaux A ce


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN!PERSE 91<br />

prêtre qui, <strong>en</strong>fin, cons<strong>en</strong>tit à rester et remit ainsi un peu<br />

d'ordre chez <strong>le</strong>s habitants. Son frère, sachant que <strong>le</strong> Roi<br />

marchait vers ispahah et, pour sa punition, prévoyant une<br />

mort certaine, se réfugia î travers monts à IÇoum, à ]a<br />

mosquée sacrée, où il va passer toute sa vie, car, étant garde<br />

<strong>par</strong> <strong>le</strong>s g<strong>en</strong>s du Roi, il sera mis à mort dès qu'il dépassera <strong>le</strong><br />

seuil de la mosquée.<br />

A peine arrivé A Ispahan, <strong>le</strong> Roi se mit à la recherche de<br />

ces Loutis. Chaque jour on <strong>en</strong> pr<strong>en</strong>ait un certain nombre<br />

qui, immédiatem<strong>en</strong>t, étai<strong>en</strong>t mis à mort. Le Roi <strong>en</strong> fit ainsi<br />

périr 79, <strong>par</strong>mi <strong>le</strong>squels se trouvai<strong>en</strong>t <strong>le</strong> fils du Mousteide,<br />

et, sans l'interv<strong>en</strong>tion des ambassadeurs de France et<br />

de Russie, 300 autres prisonniers euss<strong>en</strong>t eu <strong>le</strong> même<br />

sort mais ces Messieurs obtinr<strong>en</strong>t du Chah qu'ils<br />

serai<strong>en</strong>t emprisonnés tour <strong>le</strong> reste de <strong>le</strong>urs jours: Les<br />

habitants d'Ispahan fur<strong>en</strong>t cont<strong>en</strong>ts de la mort de ces<br />

brigands.<br />

Mort des Loutis. - Ces hommes, tous mal habillés et de<br />

mauvaise tournure, étai<strong>en</strong>t conduits sur <strong>le</strong> lieu d'exécution,<br />

qui était derrière <strong>le</strong> camp, liés et garrotés. Une fois là, <strong>le</strong><br />

bourreau <strong>en</strong> détachait un de la chaire, à laquel<strong>le</strong> <strong>en</strong> outre<br />

ils étai<strong>en</strong>t tous attachés, et après l'avoir couché à terre,<br />

étourdi <strong>par</strong> un coup de marteau qu'il <strong>le</strong>ur donnait sur la tête,<br />

il pr<strong>en</strong>ait un petit couteau et lui coupait <strong>le</strong> cou. Ainsi mourai<strong>en</strong>t<br />

ceux qui ne <strong>le</strong>ur étai<strong>en</strong>t bas signalés pour quelques crimes<br />

<strong>par</strong>ticuliers; mais il n'était pas de mort cruel<strong>le</strong> qu'on ne<br />

putinv<strong>en</strong>ter pour <strong>le</strong>s plus grands coupab<strong>le</strong>s. Voici un fait incroyab<strong>le</strong>,<br />

mais véridique, sur la mort du fils du Nousteide. Une<br />

femme de 18 ans qui, d'après son exemp<strong>le</strong>, avait eu à supporter<br />

toutes <strong>le</strong>s insultes d'un grand nombre d'<strong>en</strong>tr'eux,<br />

cachait son ress<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t et sav<strong>en</strong>geance. Lorsque vint <strong>en</strong>fin<br />

<strong>le</strong> jour où <strong>le</strong> rus du grand Mollah dM être exécuté, la femme<br />

de 18 ans, écartant son voi<strong>le</strong>, se montra au bourreau, et lui<br />

demanda <strong>en</strong> grâce de lui céder ses fonctions pour la mort de<br />

cet homme seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t. Le bourreau n'y cons<strong>en</strong>tit pas, dfit


92 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

l'exécuter lui-même. Il <strong>le</strong> ferra comme un cheval, lui arracha<br />

toutes ses d<strong>en</strong>ts, <strong>le</strong>s lui <strong>en</strong>fonça à grands coups dans la tête,<br />

puislui coupa <strong>le</strong> cou, morthorrib<strong>le</strong>, mais que méritait ce chef<br />

de <strong>par</strong>ti! P<strong>en</strong>dant tout ce temps, la jeune femme était là,<br />

heureuse et cont<strong>en</strong>te de sa mort, car el<strong>le</strong> était v<strong>en</strong>gée.<br />

Madame de Lamariniére. - Il y a 25 ou. 30 ans, M.<br />

et Mme de Lamarinière vinr<strong>en</strong>t <strong>en</strong> <strong>Perse</strong> à la tête de<br />

• - quelques marchandises pour y chercher fortune, mais malheureusem<strong>en</strong>t<br />

M. de Lamarinière n'y ayant trouvé, peu<br />

de temps après, que la mort, laissa une femme bi<strong>en</strong> loin<br />

de la France, sa patrie. Ce fut alors que, selon quelques uns,<br />

cette dame conçut <strong>le</strong> projet de faire de la <strong>Perse</strong> sa nouvel<strong>le</strong><br />

patrie, et, après avoir v<strong>en</strong>du ses marchandises, el<strong>le</strong> se proposa<br />

comme institutrice auprès de la cour, et selon d'autres,<br />

quelque intrigue qu'el<strong>le</strong> y noua fut <strong>le</strong> motif qui l'<strong>en</strong>gagea à<br />

rester. Mais il arrive un temps où nous ne sommes plus bons<br />

• qu'à cracher, assis au coin d'un feu, sur quelques tisons, et<br />

Mme de Lamarinière est maint<strong>en</strong>ant à cette malheureuse<br />

époque de la vie, et quoique ayant une p<strong>en</strong>sion du Roi, el<strong>le</strong><br />

n'est pas très heureuse. Cette dame avait son couvert mis à<br />

la tab<strong>le</strong> de notre ambassadeur, c'est là que nous eûmes occasion<br />

de la voir. Nous nous informâmes de sa demeure, nous<br />

allions quelques fois la visiter, el<strong>le</strong> nous recevait bi<strong>en</strong> et était<br />

très aimab<strong>le</strong>. Mme de Lamarinière avait tout à fait <strong>le</strong> costume<br />

des femmes persanes, mais l'avait point pour nous<br />

<strong>le</strong>ur rigueur, cela ne devait pas être non plus avec des coin-<br />

Ïatriotes.<br />

Dé<strong>par</strong>t d'ispahan de MM. d'Archiac et Gérard, attachés<br />

à l'ambassade, et de M. <strong>le</strong> chevalier d'Argout. - MM.<br />

d'Archiac et Gérard s'étant proposé de r<strong>en</strong>trer <strong>en</strong> France<br />

<strong>en</strong> se r<strong>en</strong>dant à Tiflis et de là <strong>en</strong> Russie où ils devai<strong>en</strong>t rester<br />

quelques jours avant de poursuivre plus loin, et cet itinéraire<br />

n'étant pas celui de M. de Sercey, <strong>le</strong> devancèr<strong>en</strong>l, dans<br />

son dé<strong>par</strong>t <strong>en</strong> <strong>par</strong>tant <strong>le</strong> 24 mai. M. d'Argout <strong>par</strong>tit aussi<br />

avec eux, devant voyager avec ces membres de l'arn-


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

bassade jusqu'à Tauris, o ils se sé<strong>par</strong>erai<strong>en</strong>t, <strong>le</strong>s uns pour<br />

al<strong>le</strong>r à Tiflis et l'autre pour se r<strong>en</strong>dre à Trébizonde <strong>par</strong><br />

Erzeroum, où il s'embarquerait pour la France. Nous montâmes<br />

tous à cheval et allâmes <strong>le</strong>s conduire jusqu'à une lieue<br />

<strong>en</strong>viron, où nous nous fîmes <strong>le</strong>s adieux.<br />

Position et description d'ispahan. - La vil<strong>le</strong> d'ispahan<br />

est au pied et <strong>le</strong> long du mont Kousopha et <strong>par</strong>ait peu large<br />

<strong>par</strong> rapport à sa longueur dans laquel<strong>le</strong> je compr<strong>en</strong>ds ses<br />

faubourgs. Vue de loin, cette malheureuse vil<strong>le</strong> pourrait être<br />

considérée comme un imm<strong>en</strong>se cimetière où sont placés <strong>en</strong><br />

grand nombre et ça et Iâ des arbres, qui de temps <strong>en</strong> temps<br />

laiss<strong>en</strong>t apercevoir <strong>en</strong>tre eux quelques tours, quelques mosquées,<br />

quelques maisons toutes <strong>en</strong> ruines. Voilà l'effet que<br />

cela nous fit lorsque nous étions <strong>en</strong>core à une lieue <strong>le</strong> jour<br />

où nous y fimes notre première <strong>en</strong>trée. C'est, je l'avoue, un<br />

contraste bi<strong>en</strong> pitoyab<strong>le</strong> de voir une vil<strong>le</strong> si grande, si spi<strong>en</strong>dideque<br />

cel<strong>le</strong>-là l'avait été jadis, presque toute <strong>en</strong>tière gisante<br />

sur la terre, et <strong>par</strong>tout sur <strong>le</strong>s ruines et près d'el<strong>le</strong>s, des<br />

arbres que la saison r<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t tout verdoyants, contraste<br />

réel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t frappant, quand surtout on n'y découvre maint<strong>en</strong>ant<br />

que quelques personnes dans son sein, dont <strong>le</strong>s habitants<br />

jadis s'é<strong>le</strong>vai<strong>en</strong>t à un nombre de douze c<strong>en</strong>t mil<strong>le</strong>.<br />

Quand on vit dans la vil<strong>le</strong> même, on n'éprouve pas de<br />

moindres s<strong>en</strong>sations à la vue de tant de désastres, à l'exception<br />

de quelques faib<strong>le</strong>s quartiers et de quelques maisons<br />

isolées conservés, ou plutôt rebâtis. Lavue, quelque loin qu'el<strong>le</strong><br />

se porte et n'importe <strong>en</strong> quel s<strong>en</strong>s, ne découvre que monceaux<br />

de terre sur monceaux de terre, et tous ces pénib<strong>le</strong>s souv<strong>en</strong>irs<br />

se rattach<strong>en</strong>t surtout aux faubourgs et tout ce qui <strong>en</strong>toure <strong>le</strong><br />

c<strong>en</strong>tré d'ispahan, Quelques mauvais bazars ont été reconstruits<br />

ou se mainti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core, ré<strong>par</strong>és sur <strong>le</strong>urs bases<br />

orgueil<strong>le</strong>uses, pour <strong>le</strong> commerce de l'extérieur et celui des<br />

habitants de la vil<strong>le</strong> même 'é<strong>le</strong>vant maint<strong>en</strong>ant un nombre<br />

de 40 à 50 mil<strong>le</strong>. Quelques bel<strong>le</strong>s mosquées <strong>par</strong>aiss<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core,


94<br />

- -<br />

JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE'<br />

et souv<strong>en</strong>t restaurées et embellies form<strong>en</strong>t des monum<strong>en</strong>ts<br />

remarquab<strong>le</strong>s.<br />

Deux ponts <strong>d'une</strong> construction vieil<strong>le</strong> et magnifique se<br />

sont bi<strong>en</strong> conservés, ils sont construits <strong>en</strong> brique, un<br />

appelé pont de Chiras se trouve sur <strong>le</strong> Z<strong>en</strong>derout à la<br />

<strong>par</strong>tie occid<strong>en</strong>ta<strong>le</strong> de la vil<strong>le</strong> pour al<strong>le</strong>r à Chiras, l'autre<br />

appelé Babarout se trouve sur la même rivière, et est situé à<br />

la <strong>par</strong>tie ori<strong>en</strong>ta<strong>le</strong> de la vil<strong>le</strong>. Par celui-ci on se r<strong>en</strong>d au<br />

faubourg Julfa, peut-être <strong>le</strong> plus grand faubourg du monde,<br />

et a de longueur une lieue et demie, et de largeur une lieue.<br />

Il est occupé <strong>par</strong> <strong>le</strong>s catholiques Arméni<strong>en</strong>s et se divise <strong>en</strong><br />

vieil<strong>le</strong> et nouvel<strong>le</strong> colonie. Dans la vieil<strong>le</strong>, qui fut établie <strong>par</strong><br />

Abas <strong>le</strong> Grand, il y à plus de trois c<strong>en</strong>ts ans, il n'existe point<br />

d'arbres au milieu des rues qui, du reste, ne <strong>le</strong> permettai<strong>en</strong>t<br />

pas, à cause du peu d'interval<strong>le</strong> qui sé<strong>par</strong>ait <strong>le</strong>s deux rangées<br />

de maisons, mais aussi <strong>le</strong>s maisons étai<strong>en</strong>t mieux construites<br />

que dans la nouvel<strong>le</strong> colonie, qui fut établie <strong>par</strong> Ahas 11<br />

postérieurem<strong>en</strong>t. Dans cette dernière, <strong>le</strong>s rues sont plus<br />

larges et spacieuses, plantées d'arbres et baignées d'eau.<br />

Julfa est selon moi, plus agréab<strong>le</strong> qu'Ispahan lui-même,<br />

quoiqu'il n'y ait pourtant pas <strong>le</strong>s richesses de quelques<br />

bâtim<strong>en</strong>ts qui, <strong>par</strong> <strong>le</strong>s soins du Roi auxquels ils ap<strong>par</strong>ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />

<strong>en</strong> <strong>par</strong>tie, exist<strong>en</strong>t aujourd'hui. Qu'on n'ait pas non plus une<br />

idée trop absolue de l'agrém<strong>en</strong>t de ce faubourg catholique,<br />

dotit tout l'intérêt consiste <strong>en</strong> quelques eaux courantes et<br />

quelques arbres, comme je J'ai déjà dit, plantés dans <strong>le</strong>s rues,<br />

et dans <strong>le</strong>s malheureuses ruines que Ion voit aux portes dé ce<br />

faubourg, isolées au milieu de champs cu]tivés. C'est aussi<br />

dans ce faubotirg que sont logés tous <strong>le</strong>s étrangers, aussi y<br />

fûmes-nous relégués avec notre ambassade française; nous y<br />

remarquâmes plusieurs soeurs de charité vêtues toutes de<br />

noir. Le monastère des moines qui s'y installèr<strong>en</strong>t jadis<br />

n'existe plus et <strong>le</strong>s moines eux-mêmes se dissipèr<strong>en</strong>t peu à<br />

peu, mais s'élève toujours haute et bel<strong>le</strong>, surmontée <strong>d'une</strong><br />

croix, l'église catholique qui fut bâtie sous Ahas <strong>le</strong> Grand,


JOIJRNAF D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

Sauf donc quelques intérêts qui se rattach<strong>en</strong>t aux choses<br />

antiques existant <strong>en</strong>core dans Ispahan et JÙlfa, cette vil<strong>le</strong><br />

n'offre plus qu'un déplorab<strong>le</strong> coup d'oeil qui bi<strong>en</strong>tôt, est<br />

remplacé <strong>par</strong> l'<strong>en</strong>nui d'être abandonné, isolé, et constam-m<strong>en</strong>t<br />

au milieu de tantdechoses du néant; et lorsque quelque<br />

bruit vous dérange vos p<strong>en</strong>sées, vous cherchez et vous voyez<br />

quelques hommes, vos <strong>en</strong>nemis; et indistinctem<strong>en</strong>t catholiques<br />

et musulmans vous dépouil<strong>le</strong>rai<strong>en</strong>t de tout ce que<br />

vous avez pour un malheureux sou. Voilà ce qui toujours<br />

vous distrait de tant de motifs tristes, c'est <strong>en</strong> un mot un<br />

peup<strong>le</strong> sauvage- -<br />

Les Loutis e comme je l'ai dit plus haut, se rejetèr<strong>en</strong>t<br />

<strong>en</strong>core à Ispahan pour y faire des prosélytes et marcher<br />

contre <strong>le</strong> Chah dans l'int<strong>en</strong>tion de placer sur <strong>le</strong> trône un de<br />

ses frères, mais si j'admets ce motif qui <strong>le</strong>s fit <strong>en</strong> nombre<br />

s'amasser à Ispahan, je crois aussi plus probab<strong>le</strong> <strong>le</strong>s motifs<br />

de vols, de viols, d'assassinats, etc., etc.. dont ils se r<strong>en</strong>dir<strong>en</strong>t<br />

coupab<strong>le</strong>s; eues quelques habitants de la vieil<strong>le</strong> cité loin de<br />

<strong>le</strong>ur opposer quelques résistances, <strong>le</strong>sabre au poing, fuyai<strong>en</strong>t;<br />

et ces avares et ces cupides laissai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre <strong>le</strong>urs mains <strong>le</strong>urs<br />

femmes et <strong>le</strong>ur arg<strong>en</strong>t. Comme on <strong>le</strong> sait, ils n'y séjournèr<strong>en</strong>t<br />

pas longtemps et cessèr<strong>en</strong>t tant d'infamies, lorsque <strong>le</strong> Roi<br />

instruit s'y r<strong>en</strong>dit avec ses troupes.<br />

Mais avant son arrivée, ces mêmes Loutis tir<strong>en</strong>t quelques<br />

excursions à Julfa pour y agir de même qu'à Ispahan ; mais<br />

<strong>le</strong>s Arméni<strong>en</strong>s, poltrons de<strong>le</strong>ur naturel, opposèr<strong>en</strong>t pourtant<br />

• cette fois de viol<strong>en</strong>tes résistances, et fortem<strong>en</strong>t barricadés,<br />

<strong>le</strong>s assiégeants et <strong>le</strong>s assiégés se faisai<strong>en</strong>t la guerre et ceux-ci<br />

<strong>par</strong>v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t ainsi à <strong>le</strong>s chasser. Aussi y remarque-t-ou<br />

quelques fois <strong>le</strong>s rues coupées perp<strong>en</strong>diculairem<strong>en</strong>t <strong>par</strong> un<br />

mur crénelé, et ayant au besôin passage <strong>par</strong> une lourde<br />

porte. Ces déf<strong>en</strong>ses, sans beaucoup d'art, mais qu'un instinct<br />

naturel <strong>le</strong>ur inspira, fur<strong>en</strong>t construites pour <strong>le</strong>s di Iîér<strong>en</strong>tes<br />

attaques qu'ils eur<strong>en</strong>t à supporter antérieurem<strong>en</strong>t contre des<br />

malfaiteurs <strong>en</strong>vieux des sous qui peuv<strong>en</strong>t à peine cacher <strong>le</strong>ur<br />

95


JOURNAL D'UNE MISSTON MILITAIRE EN PERSE<br />

misère, ou bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>core portés contre eux à. cause des<br />

différ<strong>en</strong>tes religions. Ce fut donc dans ces espèces de<br />

retranchem<strong>en</strong>ts que se portèr<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s plus hardis des Arméni<strong>en</strong>s,<br />

dernièrem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core se déf<strong>en</strong>dant contre <strong>le</strong>s Loutis.<br />

Au tiers de la montagne de Kousopha, qui se trouve la<br />

plus près de Julfa, on doit y remarquer un petit ermitage<br />

où conduis<strong>en</strong>t des s<strong>en</strong>tiers accessib<strong>le</strong>s même aux chevaux.<br />

Gel ermitage quoique bâti sous Ahas <strong>le</strong> Grand était au<strong>par</strong>avant<br />

un lieu de délice à cause de la fraîche eau qui <strong>en</strong> sortait<br />

et de l'ombre que donnai<strong>en</strong>t quelques arbres. On l'appelait<br />

Trône de Salomon <strong>par</strong>ce qu'il aimait souv<strong>en</strong>t à y al<strong>le</strong>r; ce fut<br />

seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t Abas <strong>le</strong> Grand qui y rît bâtir une petite maison de<br />

plaisance qui comme toutes <strong>le</strong>s choses du pays tombe aussi<br />

<strong>en</strong> ruine. Tous <strong>le</strong>s <strong>en</strong>virons d'ispahan, excepté la plaine que<br />

l'on trouve <strong>en</strong> sortant de . la vil<strong>le</strong> pour al<strong>le</strong>r à Chiras, sont<br />

bi<strong>en</strong> ferti<strong>le</strong>s et assez bi<strong>en</strong> cultivés, niais <strong>par</strong>ticulièrem<strong>en</strong>t<br />

<strong>le</strong>s terres qui <strong>en</strong>vironn<strong>en</strong>t Julfa. On y remarque aussi<br />

d'imm<strong>en</strong>ses cimetières qui sont autour de la vil<strong>le</strong>.<br />

Julfa, comme on <strong>le</strong> p<strong>en</strong>se b<strong>le</strong>u, tout comme <strong>le</strong>s autres<br />

<strong>en</strong>droits a beaucoup d'inconvéni<strong>en</strong>ts, mais un plus notab<strong>le</strong> et<br />

remarquab<strong>le</strong> que tous <strong>le</strong>s antres c'est <strong>le</strong> bruit continuel des<br />

chacals p<strong>en</strong>dant la nuit. Ces cris font de la peine à <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre,<br />

ils ressembl<strong>en</strong>t beaucoup aux cris des <strong>en</strong>fants, des femmes,<br />

des hommes, â celui de quelque personne qu'on assassine, et<br />

tons réunis form<strong>en</strong>t un composé desons étourdissants ne vous<br />

laissant pas dormir, et vous inspirant <strong>par</strong> mom<strong>en</strong>t de la<br />

tristesse, de la peine et de l'effroi. Ces bêtes ne manqu<strong>en</strong>tpas<br />

de faire <strong>le</strong>ur sortie dans <strong>le</strong> faubourg d'abord et d'al<strong>le</strong>r à la<br />

nuit avancée dans <strong>le</strong>s bazars y pr<strong>en</strong>dre tout ce qu'ils peuv<strong>en</strong>t<br />

trouver, et cela chaque soir; nous <strong>le</strong>s avions surnommés <strong>le</strong>s<br />

angés de ,TuTfa.<br />

Visite à l'ambassade Russe, et puis au général &mino.-<br />

M. Duhamel, ambassadeur Russe, et toute sa suite qui avai<strong>en</strong>t<br />

suivi Te Chah se trouvai<strong>en</strong>t alors logés comme nous au<br />

faubourg Julfa. M. Duhamel, invité <strong>le</strong> <strong>le</strong>r hiai <strong>1840</strong> à la fête de


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 97<br />

notre Roi et à laquel<strong>le</strong> M. de Sercey donna toute la grandeur<br />

possib<strong>le</strong>, s'était montré assez aimab<strong>le</strong> â l'égard de nos camarades,<br />

arrivés à Ispahan, comme je l'ai dit, quelques jours<br />

avant nous. Nous crûmes devoir une visite toute de politesse,<br />

à cet ambassadeur étranger. Il se prés<strong>en</strong>ta seul au salon où<br />

nous fûmes conduits et, quoique poli, nous reçut avec<br />

beaucoup de froideur. Après quelques <strong>par</strong>o<strong>le</strong>s échangées et<br />

assez insignifiantes, nousnous ret.irâmes,nous promettanthi<strong>en</strong><br />

la majeure <strong>par</strong>tie d'<strong>en</strong>tre nous de ne plus y retourner. Nous<br />

nous att<strong>en</strong>dions chaque jour à ce qu'on r<strong>en</strong>dit cette visite.<br />

Mais cette politesse, si ordinaire chez <strong>le</strong>s Français,, n'<strong>en</strong>tra<br />

sans doute pas dans la tâte de M. Duhamel ni de sa suite<br />

Aucun de ces Messieurs ne vinr<strong>en</strong>t nous voir, et cette haine<br />

de la <strong>par</strong>t des Russes qui ont la haute main dans <strong>le</strong> pays, et de<br />

laquel<strong>le</strong> on nous assurait tant, quand nous ne voulions même<br />

pas <strong>le</strong> croire, fut <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t â jour dès ce mom<strong>en</strong>t. Ce qu'on<br />

nous avait dit était donc vrai: notre arrivée <strong>en</strong> <strong>Perse</strong> comme<br />

officiers instructeurs des troupes Persanes <strong>le</strong>ur avait sans<br />

doute donné quelques craintes. M. Duhamel dut nous laisser<br />

voir impolim<strong>en</strong>t toute sa politique relative au but que nous<br />

nous proposions. Désespérés de ne pouvoir <strong>en</strong>trer dans ses<br />

opinions, nousrestâmes chacun chez nous. Que survi<strong>en</strong>dra-t-il<br />

plus tard ? Que devi<strong>en</strong>dront plus tard aussi quelques-uns<br />

d'<strong>en</strong>tre nous? C'est ce que nous verrons.<br />

On nous avait <strong>en</strong>gagés à faire une visite â M. Sémino<br />

<strong>par</strong>lant très bi<strong>en</strong> français. Ce Monsieur pouvait nous être<br />

dans <strong>le</strong> pays, â cause de la connaissance qu'il <strong>en</strong> avait, <strong>d'une</strong><br />

très grande utilité. Arrivé dans <strong>le</strong> pays, il y a <strong>en</strong>viron<br />

15 ou 20 ans, dans l'int<strong>en</strong>tion de ramasser fortune, il était<br />

<strong>par</strong>v<strong>en</strong>u au grade de général, il se montra un peu plus<br />

affab<strong>le</strong> et aimab<strong>le</strong> que l'ambassadeur Russe; nous <strong>en</strong> fûmes<br />

<strong>en</strong>chantés.<br />

Dé<strong>par</strong>t de quelques Messieurs de l'ambassade française.<br />

- Le 1- juin, MM. F]andin, peintre, et Coste, architecte,<br />

<strong>par</strong>tir<strong>en</strong>t, non point pour se r<strong>en</strong>dre <strong>en</strong> France, ils avai<strong>en</strong>t


JOURNAL D'UNE 1111SS]QN MILITAIRE EN PERSE<br />

une plus longue <strong>mission</strong> que.cel<strong>le</strong>-là, et devait-el<strong>le</strong> <strong>en</strong>core<br />

durer plus <strong>d'une</strong> année. Ces. Messieurs <strong>par</strong>tir<strong>en</strong>t donc<br />

pour se r<strong>en</strong>dre à Chiras, et (<strong>le</strong> là, al<strong>le</strong>r visiter et pr<strong>en</strong>dre<br />

quelques runes de la fameuse <strong>Perse</strong>polis. Nous <strong>le</strong>s accompagnâmes<br />

seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t jusqu'à la porte du faubourg, à cause de<br />

la nuit trop avancée, et nous nous donnâmes la poignée de<br />

main de rigueur, espérant nous revoir sous peu â Téhéran,<br />

où, nous disai<strong>en</strong>t-ils, ils devai<strong>en</strong>t se r<strong>en</strong>dre après cette<br />

première excursion, pour <strong>en</strong> poursuivre <strong>en</strong>suite de. nouvel<strong>le</strong>s.<br />

Entrevue relative d notre position <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>, avec M. de<br />

Sercey, ambassadeur, et son dé<strong>par</strong>t. - La veil<strong>le</strong> de 5011<br />

dé<strong>par</strong>t, M. de Sercey voulut s'<strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ir avec nous, relativem<strong>en</strong>t<br />

à toute la malheureuse position de la <strong>Perse</strong>, que nous<br />

connaissions bi<strong>en</strong>, sur notre position future qu'il appréh<strong>en</strong>dait,<br />

d'après ce qu'il avait été à même de juger dans ses relations<br />

avec <strong>le</strong>s g<strong>en</strong>s du pays. «Pourtant, Messieurs, nous disait-il,je<br />

ne veux pas donner aucun conseil, ca r si la fortune secondait<br />

ceux d'<strong>en</strong>tre vous qui pourrai<strong>en</strong>t rester, vous pourriez plus<br />

tard m'<strong>en</strong> faire un reproche, vous <strong>en</strong>gageant à r<strong>en</strong>trer avec<br />

moi dans votre patrie. Si dans <strong>le</strong> cas contraire,je me refusais,<br />

selon votre volonté, â vous ram<strong>en</strong>er, et qu'uné condition au<br />

dessous . de l'ordinaire vint aussi à être votre <strong>par</strong>tage,<br />

je m'exposerais <strong>en</strong>core à des reproches. Ainsi donc vous<br />

connaissez tous <strong>le</strong> pays, tout aussi bi<strong>en</strong> que moi ; ma<br />

conviction est que vous ne serez pas payés. Vous avez p<strong>en</strong>sé<br />

et jugé ; vouiez-vous rester, vou<strong>le</strong>z-vous <strong>par</strong>tir? D'un autre<br />

côté, <strong>par</strong>tir maint<strong>en</strong>ant, <strong>le</strong>s Persans n'ont pas <strong>en</strong>core manqué<br />

à <strong>le</strong>ur <strong>par</strong>o<strong>le</strong>, votre conduite ne seraitpas fondée; puis <strong>en</strong>suite<br />

Messieurs, - l'honneur de la nation Française <strong>en</strong>tre un<br />

peu dans votre <strong>mission</strong>. Il faut montrer aux puissances qui<br />

domin<strong>en</strong>t ce pays une plus grande persévérance que cel<strong>le</strong><br />

que vous montreriez <strong>par</strong> ce dé<strong>par</strong>t, alors surtout que vous<br />

n'avez point <strong>en</strong>core mis la main à l'oeuvre ; mais <strong>le</strong> <strong>le</strong> répète,<br />

si, appréh<strong>en</strong>dant' justem<strong>en</strong>t un malheureux av<strong>en</strong>ir dans


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 99<br />

ce pays, vous vou<strong>le</strong>z r<strong>en</strong>trer, je vais demain chez <strong>le</strong> Roi, et<br />

devant lui,je passe <strong>en</strong> votre nom vos contrats. »<br />

Nous remerçiâmes M. de Sercey de cette nouvel<strong>le</strong> marque<br />

de sa bi<strong>en</strong>veillance, et après nous être <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>us grandem<strong>en</strong>t<br />

de ce pays, nous cons<strong>en</strong>tîmes à rester, <strong>le</strong> priant<br />

toutefois de dire au Roi et au premier Ministre que nous<br />

serions fidè<strong>le</strong>s â servir la <strong>Perse</strong>, et que <strong>le</strong>s autres conditions<br />

du contrat, nous <strong>le</strong>s observerions rigoureusem<strong>en</strong>t tant qu'ils<br />

nous paierai<strong>en</strong>t; mais que dès l'instant que nous aurions à<br />

nous plaindre d'eux, il nous autoriserait à r<strong>en</strong>trer au nom de<br />

la France qu'il remplaçait. M. deSercey fit <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain cette<br />

demande et on y adhéra. Ce fut là que M. de Sercey nous <strong>en</strong>gagea<br />

tous <strong>en</strong> corps à dîner avec lui et toute l'ambassade,<br />

jusque-là <strong>le</strong>s invitations avai<strong>en</strong>t été <strong>par</strong>tiel<strong>le</strong>s et â. tour de rô<strong>le</strong>.<br />

Nous profitâmes de cet instant, tous réunis au fond du jardin<br />

avec M. <strong>le</strong>comte, pour l'assurer de tous nos souv<strong>en</strong>irs éternels<br />

pour tous <strong>le</strong>s divers traitem<strong>en</strong>ts qu'il avait eu pour nous. Ce<br />

fut alors qu'il nous fit ses offres de service <strong>en</strong> tout temps et<br />

<strong>en</strong> toutlieu. Cette confér<strong>en</strong>ce assez longue et toute cordia<strong>le</strong><br />

ayant ététerminée, nous nous dirigeâmes au salon, où<br />

se trouvai<strong>en</strong>t tous <strong>le</strong>s autres membres de l'ambassade Française.<br />

Le l<strong>en</strong>demain, â 4 heures du soir, on se mit à tab<strong>le</strong>. La<br />

plus grande gaité fsida chez tous <strong>le</strong>s convives; on prit un<br />

grand plaisii- à savourer <strong>le</strong>s différ<strong>en</strong>ts vins que ces Messieurs<br />

fir<strong>en</strong>t servir et qui v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t de France, car -<strong>le</strong> pays n'eû<br />

âbônde pas; <strong>en</strong>core à l'excetion de ceux de Chiras, sont-ils<br />

mauvais et très capiteux. M. de Sercey porta un toast sur <strong>le</strong>s<br />

voeux qu'il faisait pour la réussite des Français <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>,<br />

M. Flandin se <strong>le</strong>va, un instant après, <strong>en</strong> porta un autre pour<br />

tout <strong>le</strong> bonheur qu'il nous souhaitait. Nous <strong>le</strong>ur répondîmes<br />

que nous ne faisions point de voeux pour <strong>le</strong>ur bonheur, car<br />

ils l'étai<strong>en</strong>t assez de revoir sous peu la France, mais que nous<br />

<strong>en</strong> faisions de bi<strong>en</strong> sincères pour <strong>le</strong>ur voyage. La soirée fut<br />

très agréab<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t prolongée, et l'heure du dé<strong>par</strong>t de ces


100 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

Messieurs ayant été fixée pour <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain, nous nous retirâmes.<br />

Nous accompagnâmes ces Messieurs sur la route de<br />

Bagdad <strong>le</strong> 2 juin, et <strong>le</strong>s quittâmes bi<strong>en</strong> loin d'Ispahan, avec<br />

beaucoup de peine. Cette fois nous r<strong>en</strong>trâmes â la vil<strong>le</strong>, seuls<br />

accompagnés de M. Boré, qui s'était installé à Julfa pour<br />

l'agrandissem<strong>en</strong>t de son éco<strong>le</strong>.<br />

Dé<strong>par</strong>t du Chah et de son camp. - Nos appointem<strong>en</strong>ts<br />

nous fur<strong>en</strong>t payés avant. Un mot sur Polino, <strong>en</strong>fin notre<br />

dé<strong>par</strong>t.<br />

Le 4juin, on nous annonça <strong>le</strong> dé<strong>par</strong>t du Chah et de toute sa<br />

suite,et ne pouvant â ce sujet traiter<strong>le</strong> soir même,nous nous<br />

r<strong>en</strong>dîmes au camp<strong>le</strong>5 au matin. Lamajeure <strong>par</strong>tie du camp était<br />

<strong>le</strong>vée, <strong>le</strong> dé<strong>par</strong>t detoute la suite qui avait accompagné <strong>le</strong> Chah<br />

devant définitivem<strong>en</strong>t s'effectuer <strong>le</strong> C. Nous n'avions aucun<br />

ordre pour <strong>par</strong>tir, que devions-nous p<strong>en</strong>ser des autorités de<br />

ce pays qui nous laissai<strong>en</strong>t à Julfa, sans nos appointem<strong>en</strong>ts,<br />

sans garanties et sans savoir quand nous devions <strong>par</strong>tir? Nous<br />

fûmes immédiatem<strong>en</strong>t trouver Mirza Ah, ministre des affaires<br />

étrangères, et <strong>le</strong> prier d'adresser de notre <strong>par</strong>t à Hadji Mirza<br />

Agassi, grand vizir, <strong>le</strong>s questions suivantes, devant <strong>en</strong> avoir<br />

une prompte réponse, car nous étions disposés â rester chez<br />

lui jusqu'à ce que nous ayions <strong>en</strong>tière solution.<br />

1° D'abord, devons-nous <strong>par</strong>tir avec vous ou rester; que<br />

faire dans l'un et l'autre cas; quel<strong>le</strong> est notre marche à<br />

suivre?<br />

2° Devant voyager nous exigeons notre t<strong>en</strong>te de colonel<br />

comme <strong>le</strong> porte <strong>le</strong> contrat.<br />

3° Si nous restons, pour <strong>par</strong>tir dans quelquesjours, que chacun<br />

de nous ait trois mu<strong>le</strong>ts de transport, et cela pour <strong>le</strong> jour<br />

ordonné <strong>par</strong> <strong>le</strong> vizir.<br />

40 Nous exigeons aussi que <strong>le</strong>s appointem<strong>en</strong>ts après <strong>le</strong>squels<br />

nous courrons depuis plusieurs jours et qu'on nous promet<br />

toujours pour <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain, nous soi<strong>en</strong>t payés aujourd'hui<br />

même.


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE TOI<br />

S'il est un seul point de ces demandes sur <strong>le</strong>quel nous ne<br />

soylons pas satisfaits, nous rompons notre contrat, et r<strong>en</strong>trons<br />

<strong>en</strong> France. -<br />

Cette juste exaspération de chacun de nous, peu timide<br />

devant <strong>le</strong> ministre, lui fit p<strong>en</strong>ser justem<strong>en</strong>t que nous ferions<br />

exactem<strong>en</strong>t ce que nous disions. 11 se r<strong>en</strong>dit chez <strong>le</strong> grand<br />

vizir, qui nous satisfit sur tous <strong>le</strong>s points et nous donna<br />

l'ordre de <strong>par</strong>tir non pour Amadan (Echathane anci<strong>en</strong>ne)<br />

où tout <strong>le</strong> camp se r<strong>en</strong>dait, mais bi<strong>en</strong> pour Téhéran, <strong>le</strong> 10<br />

juin.<br />

Le Chah <strong>par</strong>tit dispahan à 3 heures du soir, sa suite qui se<br />

composait de tout <strong>le</strong> camp était considérab<strong>le</strong>, je dépeindrai<br />

plus tard un tel dé<strong>par</strong>t qui n'est pas sans curiosité. MM. de<br />

Breuilly et Delord, que <strong>le</strong> paiem<strong>en</strong>t d'un emprunt de<br />

150.000 fr. fait <strong>par</strong> Hussein Khan <strong>en</strong> France avait attirés près<br />

du Chah,<strong>par</strong>tir<strong>en</strong>t <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain, pour terminer définitivem<strong>en</strong>t<br />

cette affaire à Amadan. Tout <strong>le</strong> monde <strong>par</strong>tit, ces derniers<br />

emportant nos adieux, et nous restâmes avec M. Boré,<br />

seuls sur tant de Français qu'il y avait peu au<strong>par</strong>avant.<br />

Avant de <strong>par</strong>tir d'Ispahan je. dois pour la suite de mes<br />

petites relations de voyage faire connaître M. Polino<br />

qui n'était point compris sur la liste des dix <strong>par</strong>tants â<br />

Paris, et qui, û Ispahan, fut é<strong>le</strong>vé à notre rang de grade.<br />

On ne sait peut-être pas toutes <strong>le</strong>s intrigues qui eur<strong>en</strong>t<br />

lieu lors de notre promotion et prochain dé<strong>par</strong>t pour la<br />

<strong>Perse</strong>? El<strong>le</strong>s fur<strong>en</strong>t nombreuses, car chacun voulait faire <strong>par</strong>tie<br />

de notre expédition. Nous vîmes un jeune homme de 4 pieds<br />

11 pouces, ayant une capote de chasseur et un képi rouge<br />

s'approcher de nous <strong>le</strong> jour de notre arrivée à Marseil<strong>le</strong>, et<br />

questionnant <strong>d'une</strong> voix de v<strong>en</strong>triloque chacun de nous qu'il<br />

r<strong>en</strong>contrait. Nous n'y fimes pas beaucoup de cas, mais quel<br />

fut notre étonnem<strong>en</strong>t quand nous l'aperçûmes <strong>le</strong> même jour<br />

à bord da M<strong>en</strong>tor, et affectant la familiarité avec nous.J)'abord<br />

nous <strong>le</strong> retmes très froidem<strong>en</strong>t, mais quand nous apprîmes<br />

toutes ses infortunes passées et cel<strong>le</strong>s qui l'accablai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core,<br />

7


loQ LOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

chacun alla â son secours, il était des nôtres puisqu'il voulait<br />

t<strong>en</strong>ter d'avoir <strong>en</strong> <strong>Perse</strong> une place comme la nôtre; il avait du<br />

reste une promesse de Gabriel,qui, disait-il, s'emploierait pour<br />

lui. Arrivé â Constantinop<strong>le</strong> il apprit que Gabriel r<strong>en</strong>iait ce<br />

qu'il lui avait promis, et il dut rester sur <strong>le</strong> bateau à vapeur<br />

tandis que nous nous r<strong>en</strong>dions à Arc-Serail. A peine installés,<br />

nous nous informâmes de son abs<strong>en</strong>ce, et appr<strong>en</strong>ant tout ce<br />

que je vi<strong>en</strong>s de dire, nous l'<strong>en</strong>voyâmes chercher pour <strong>par</strong>tir;<br />

et notre chambre et nos vivres il accepta et flous remercia.<br />

HusseinKhan était peu porté pour lui, mais <strong>par</strong> rapport â<br />

nous, il lui paya son passage sur la mer Noire. Apeine arrivé<br />

- <strong>en</strong> Asie (à Trébizonde) il dit <strong>en</strong> plusieurs occasions que ce<br />

jeune homme ne serait pas placé <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>. qu'il avait tort de<br />

v<strong>en</strong>ir. Mais Hussein Khan <strong>par</strong>lait trop tard, il était Français -<br />

nous nous devions à un compatriote, aussi nous chargeâmesnous<br />

de lui jusquàTauris. Là,p<strong>en</strong>dant trois mois,il était notre<br />

frère, nous <strong>par</strong>tîmes<strong>en</strong>core de cette vil<strong>le</strong> pour nous r<strong>en</strong>dre â.<br />

Ispahan, ayant pour lui tous <strong>le</strong>s soins qu'on doit à un malheureux,<br />

et allant contre la <strong>par</strong>o<strong>le</strong> de Hussein Khan, nous<br />

promîmes de lui faire avoir notre grade et cela <strong>par</strong> la<br />

demande que nous <strong>en</strong> ferions à notre ambassadeur, qui, âune<br />

seu<strong>le</strong> plainte contre lui, et même à notre désir de ne pas avoir<br />

dans nos rangs un inconnu, ne l'aurait certes pas accepté.<br />

Mais nous priâmes M. de Sorcey de <strong>le</strong> faire compr<strong>en</strong>dre<br />

sur la liste et à notre arrivée à Ispahan son contrat lui fut<br />

remis. Eh! bi<strong>en</strong>, cet homme qui nous devait tout se rangea<br />

plus tard d'un <strong>par</strong>ti contraire au nôtre, qui était celui que tout<br />

homme d'honneur devait suivre nous <strong>en</strong> ferons juges nos<br />

<strong>le</strong>cteurs eux-mêmes-<br />

Notre dé<strong>par</strong>t d'ispahan pour Téhéran et notre séjour<br />

dans cette vil<strong>le</strong>. - A cause des grandes cha<strong>le</strong>urs qu'il faisait<br />

dans <strong>le</strong> pays, il fut arrêté que nous camperions à chaque gîte<br />

et pour que notre petit détachem<strong>en</strong>t puisse se reposer, et se<br />

mettre à l'ombre immédiatem<strong>en</strong>t après son arrivée, on décida<br />

que <strong>le</strong> marcherais avec l'avant-garde et nos bagages pour


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE ioS<br />

faire mettre tout<strong>en</strong>ordreetétablir <strong>le</strong>camp. En conséqu<strong>en</strong>ce vu<br />

la petite journée (<strong>le</strong> marche que nous avions â faire <strong>le</strong> premier<br />

jour, je <strong>par</strong>tis vers <strong>le</strong>s 3heures de l'après-midi du 10 juin; <strong>le</strong><br />

détachem<strong>en</strong>t davait <strong>par</strong>tir deux heures après moi. Après plusieurs<br />

détours dans <strong>le</strong>s faubourgs d'ispahan nous gagnâmes<br />

la plaine, et arrivâmes vers <strong>le</strong>s 9 heures près d'un caravansérail<br />

bâti <strong>en</strong> face d'un village dont on n'apercevait plus que<br />

des ruines et (<strong>le</strong>s décombres. Ce fut là que j'établis mon camp,<br />

ou du moins que je l'aurais établi selon <strong>le</strong> plan dont nous<br />

étions conv<strong>en</strong>u, lorsqu'une demi-heure après mon arrivée se<br />

prés<strong>en</strong>ta un de nos camarades qui depuis notre dé<strong>par</strong>t de<br />

France avait cherché <strong>en</strong> mil<strong>le</strong> circonstances à semer <strong>par</strong>mi<br />

nous la discorde. Il voulut <strong>en</strong>core la semer de nouveau : il y<br />

réussit, et dès ce jour il y eut une sé<strong>par</strong>ation <strong>en</strong>tre nous.<br />

M. Ferrier ne voulut sans doute pas que je fisse dresser<br />

sa t<strong>en</strong>te, car il la prit et fut ]adresser à côté de cel<strong>le</strong>s de<br />

mes camarades: el<strong>le</strong> lui ap<strong>par</strong>t<strong>en</strong>ait, je n'avais point <strong>le</strong> droit<br />

de m'y opposer. J'<strong>en</strong> r<strong>en</strong>dis compte à mes amis (lui m'<strong>en</strong>gagèr<strong>en</strong>t<br />

à donner ma dé<strong>mission</strong> pour ne plus avoir aucun<br />

rapport avec lui. Deux <strong>par</strong>tis opposés <strong>par</strong> la conduite que<br />

chacun s'était tracée, et qui existai<strong>en</strong>t depuis longtemps<br />

quoique l'on fit tout son possib<strong>le</strong> pour <strong>le</strong> cacher aux yeux des<br />

Persans, <strong>par</strong>ur<strong>en</strong>t, et tels bi<strong>en</strong>tôt ils fur<strong>en</strong>tconnus. De Vergne,<br />

de Lamar.re, ljoucherat, Chauvet, Cary et moi, voulions<br />

suivre sans cesse <strong>le</strong>s devoirs du vrai <strong>militaire</strong>. MM. Boissier,<br />

commandant, Ferrier, Bussière et ce Polino, dont j'ai <strong>par</strong>lé<br />

ci-contre, formèr<strong>en</strong>t la deuxième <strong>par</strong>tie. Ces Messieurs,<br />

<strong>par</strong>ticulièrem<strong>en</strong>t Ferrier, homme perdit de réputation et de<br />

dettes, sejetèreut dans ]e <strong>par</strong>ti des Russes qui domin<strong>en</strong>t sur<br />

la <strong>Perse</strong>. Nous voyant de plus attachés à l'honneur <strong>d'une</strong><br />

manière irrévocab<strong>le</strong>, sourdem<strong>en</strong>t ils essayèr<strong>en</strong>t de nous faire<br />

tort et de nous porter tout <strong>le</strong> préjudice possib<strong>le</strong>; nous y<br />

mîmes boit comme on <strong>le</strong> verra plus lard. Dès <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain<br />

ils <strong>par</strong>tir<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s premiers et accélérèr<strong>en</strong>t tel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t <strong>le</strong><br />

pas de <strong>le</strong>urs chevaux que nous <strong>le</strong>s perdîmes, ils doublai<strong>en</strong>t


1 o4 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

<strong>le</strong>s gîtes; comme ri<strong>en</strong> ne pressait, nous allions â petites journées<br />

et même nous arrêtâmes-nous 24 heures â Koum, vil<strong>le</strong><br />

dont j'ai déjà <strong>par</strong>lé à mon voyage de Tauris â Ispahan. La<br />

rivière y était presque desséchée <strong>par</strong> <strong>le</strong>s grandes cha<strong>le</strong>urs,<br />

et ce fut dans son lit, tout auprès du pont, que nous fûmes<br />

camper.<br />

Unprince Indi<strong>en</strong>, que nous avions eu. l'occasion de connaître<br />

à Trébizonde, ne manqua pas de v<strong>en</strong>ir nous voir <strong>le</strong> soir,<br />

sous la t<strong>en</strong>te; nous conversâmes p<strong>en</strong>dant une heure <strong>en</strong>viron<br />

et il nous exprima tout <strong>le</strong> plaisir qu'il avait de nous revoir,<br />

nous invita pour <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain à un repas servi selon <strong>le</strong> g<strong>en</strong>re<br />

ori<strong>en</strong>tal. Ri<strong>en</strong> n'y manquait, c'était <strong>le</strong> mieux assorti que nous<br />

avions fait depuis que nous étions <strong>en</strong> Ori<strong>en</strong>t. Devant <strong>par</strong>tir <strong>le</strong><br />

soir même, nous <strong>le</strong> quittâmes à une heure de l'après-midi<br />

après nous être promis de nous revoir â Téhéran où il se r<strong>en</strong>dait.<br />

Un accid<strong>en</strong>t qui coûta la vie â un de mes hommes vint<br />

nous accab<strong>le</strong>r à l'instant où on chargeait nos mu<strong>le</strong>ts- On doit<br />

se rappe<strong>le</strong>r qu'un poste de soldats nous fut confié pour notre<br />

garde et pour <strong>le</strong> respect qui nous était dû chez un peup<strong>le</strong><br />

<strong>en</strong>nemij uré deschréti<strong>en</strong>s. Ces hommes aidai<strong>en</strong>t à charger nos<br />

mu<strong>le</strong>ts et l'un d'eux, furtivem<strong>en</strong>t, fut pr<strong>en</strong>dre pour sa route<br />

celui plus vigoureux qu'il avait lorgné au<strong>par</strong>avant; celui â<br />

qui il ap<strong>par</strong>t<strong>en</strong>ait ne voulut pas <strong>le</strong> laisser pr<strong>en</strong>dre, ils se<br />

battai<strong>en</strong>t lorsqu'un de nous qui avait ses pisto<strong>le</strong>ts à sa ceinture,<br />

pour qu'on ne <strong>le</strong>s lui volât pas dans <strong>le</strong> déménagem<strong>en</strong>t,<br />

arriva et <strong>le</strong>s sé<strong>par</strong>a à coup de fouet:. Dans la débâc<strong>le</strong> un<br />

pisto<strong>le</strong>t tomba et la malheureuse bal<strong>le</strong> fut atteindre à côté du<br />

cerc<strong>le</strong> oi nous étions tous, mon soldat <strong>le</strong> pauvre Makchasdé;<br />

el<strong>le</strong> porta à la cuisse, il chancela et tomba. Désespérés que<br />

nous étions, on demande tous <strong>le</strong> médecin, un plus capab<strong>le</strong>;<br />

nous lui faisons un brancard, on lui donne de l'arg<strong>en</strong>t, ainsi<br />

qu'au médecin, et pour ses soins nous lui donnons un domesque;<br />

mais <strong>le</strong>s médecins ne connaiss<strong>en</strong>t ri<strong>en</strong> <strong>en</strong> ces sortes de<br />

choses, personne ne put <strong>le</strong> guérir, il mourut huit jours après.<br />

Nous re<strong>par</strong>tîmes <strong>le</strong> même soir laissant à gauche la route de


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

Tauris, et après une route bi<strong>en</strong> pénib<strong>le</strong> bous arrivâmes à<br />

Téhéran <strong>le</strong> 25. Nous y trouvâmes nos Messieurs ii stallés dans<br />

des ap<strong>par</strong>tem<strong>en</strong>ts â <strong>le</strong>ur choix dans <strong>le</strong> palais que <strong>le</strong> gouverneur<br />

nous avait donné. Ce palais qui ap<strong>par</strong>t<strong>en</strong>ait â Fatey Ail<br />

Chah était une grande maison démantelée. Nous dûmes ne<br />

ri<strong>en</strong> dire <strong>en</strong>core pour cette marque de supériorité qu'ils voulur<strong>en</strong>t<br />

pr<strong>en</strong>dre aux yeux d'un peup<strong>le</strong> sauvage auquel on ne<br />

frappe et on ne <strong>par</strong><strong>le</strong> que <strong>par</strong> <strong>le</strong> clinquant, <strong>le</strong> charlatanisme;<br />

nous pati<strong>en</strong>tâmes donc, devant incessamm<strong>en</strong>t, dans une<br />

même maison, trouver quelque occasion de <strong>le</strong>ur faire <strong>en</strong>fin<br />

connaître tout ce qu'ils étai<strong>en</strong>t. Nous nous souv<strong>en</strong>ions, dans<br />

<strong>le</strong> temps de notre feinte amitié, d'avoir appris, de la bouche<br />

même de Ferrier, que pour de l'arg<strong>en</strong>t, il laissait là l'honneur<br />

et qu'il <strong>en</strong> aurait à quelque prix que ce fut; il avait <strong>en</strong>suite<br />

agi de mauvaise foi dans nos relations avec M. de<br />

<strong>le</strong>tte et Hussein Khan. il laissa même p<strong>en</strong>ser à un qu'il croyait<br />

être des si<strong>en</strong>s, qu'il était un ag<strong>en</strong>t de la Turquie, qui, nous<br />

voyant avec jalousie nous r<strong>en</strong>dre <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>, l'avait chargé de<br />

nous faire <strong>par</strong>tir soit <strong>par</strong> la diss<strong>en</strong>sion, soit <strong>par</strong> <strong>le</strong>s mauvais<br />

traitem<strong>en</strong>ts, ou autres motifs qu'il aurait pu faire naître<br />

contre nous. Nous savions <strong>en</strong>suite que ne se cont<strong>en</strong>tant pas<br />

de son traitem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>, dans <strong>le</strong> cas ou on <strong>le</strong> paierait, il<br />

voulait volontiers la laisser l, si on lui donnait une bonne -<br />

place dans <strong>le</strong>s Indes, et plus tard nous apprîmes qu'il voulait,<br />

<strong>en</strong> cachette, nous sacrifier à ses projets. Quant à M. Bois-<br />

51er, que M. de Sercey, pour notre bi<strong>en</strong>, voyant son incapacité<br />

<strong>en</strong> toute chose, ne voulut même pas laisser à notre tête, <strong>par</strong><br />

un contrat individuel qui ne nous mettait <strong>en</strong> relation qu'avec<br />

<strong>le</strong> Grand Vizir seul, quant à M. Boissier, dis-je, c'était un<br />

vieux fou, un vieil officier des cuirassiers d'Orléans, sans<br />

aucune capacité, surtout <strong>militaire</strong>; il était de la plus sotte<br />

présomption et faisait <strong>le</strong> jouet de tout <strong>le</strong> monde, il avait<br />

constamm<strong>en</strong>t peur d'être assassiné où empoisonné, aussi ne<br />

mangeait-il que des gr<strong>en</strong>ades et des oeufs â la coque, ce qui<br />

prêta , beaucoup à mil<strong>le</strong> farces qu'on lui faisait et à mil<strong>le</strong><br />

105


106 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

frayeurs qui. subitem<strong>en</strong>t v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t décomposer son charmant<br />

visage.. Il est indisp<strong>en</strong>sab<strong>le</strong> avec tout cela de ne pas<br />

supposer qu'il n'ait la figure la plus comique, portéar un<br />

corps qui ne serait point incompatib<strong>le</strong> avec l'idéal. Quant<br />

â ses s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts, ils n'étai<strong>en</strong>t pas si vils que ceux de<br />

Ferrier, mais qu'il écouta pour son malheur; il était d'un<br />

<strong>par</strong>ti, sans pourtant avoir jamais (selon moi) l'idée du déshonneur.<br />

Bussiêre était un gros berger, un ours, continuel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t<br />

seul, mais brave homme; il n'avait que <strong>le</strong>s mêmes torts du<br />

commandant. Polino, <strong>le</strong> héros de juil<strong>le</strong>t, avait appris souv<strong>en</strong>t<br />

que si jamais pour de réels motifs nous quittions la <strong>Perse</strong>,<br />

nous nous r<strong>en</strong>drions <strong>en</strong> France sans t<strong>en</strong>ter d'autre fortune;<br />

lui qui avait; exercé <strong>le</strong>s mil<strong>le</strong> professions sans avoir jamais<br />

réussi, ne rêvaj qu'or et diamants, et comme <strong>en</strong> suivant <strong>le</strong><br />

<strong>par</strong>ti des autres, l'or pouvait v<strong>en</strong>ir de doub<strong>le</strong> et trip<strong>le</strong> source,<br />

il s'y jeta. Voilà ainsi toute notre bande opposée. Nous voulions<br />

<strong>en</strong>fin la corriger, l'occasion s'<strong>en</strong> prés<strong>en</strong>ta: ils arrêtèr<strong>en</strong>t<br />

<strong>en</strong>tr'eux de nous priver d'un commun drogrnai que nous<br />

v<strong>en</strong>ions de pr<strong>en</strong>dre. Un de nous l'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dit, on se concerta,<br />

j'<strong>en</strong> fus instruit <strong>en</strong> r<strong>en</strong>trant <strong>d'une</strong> prom<strong>en</strong>ade; je sors de la<br />

chambre, je n'aperçois que Bussière dans la si<strong>en</strong>ne, je l'interpel<strong>le</strong>,<br />

il se met â la f<strong>en</strong>être, je l'accablai devant tous mes<br />

camarades de tous ses torts, de toutes ses fautes. Je lui dis<br />

que sa place n'était pas d'être <strong>par</strong>mi nous, qu'il s'était v<strong>en</strong>du,<br />

qu'il n'avait aucun honneur et point de coeur. Je lui mis tous<br />

<strong>le</strong>s marchés <strong>en</strong> main, il ne voulut <strong>en</strong> accepter aucun. «Et<br />

bi<strong>en</strong> appr<strong>en</strong>ez, lui dis-je, et instruisez <strong>le</strong>s vôtres que nous<br />

<strong>par</strong>tîmes de Paris tous <strong>militaire</strong>s et formant un même détachem<strong>en</strong>t.<br />

En <strong>par</strong>eil cas, lorsqu'il n'y a point de chefs, <strong>le</strong>s<br />

fautes graves et <strong>le</strong>s égarem<strong>en</strong>ts des uns sont <strong>en</strong>tre <strong>le</strong>s mains<br />

des autres, nous sommes donc responsab<strong>le</strong>s du nom françis<br />

et de son honneur ; si donc vous continuez une si sa<strong>le</strong> vie,<br />

sabre <strong>en</strong> main nous vous exterminerons tous, la France <strong>en</strong><br />

sera cont<strong>en</strong>te; ou si la réf<strong>le</strong>xion adoucit notre juste colère,


C<br />

e.<br />

OUI1NAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 107<br />

nous vous conduirons <strong>en</strong> France pieds et poings liés, et nous<br />

vous soumettrons à la justice de nos compatriotes. Voilà mes<br />

dernières <strong>par</strong>o<strong>le</strong>s, et qu'el<strong>le</strong>s vous serv<strong>en</strong>t de hase, Monsieuri<br />

». Boucherat, qui se trouvait à côté, aj6tfta: «Puisque<br />

vous êtes indigne de mettre un sabre â votre main, je casserai<br />

sur votre dos la poignée du mi<strong>en</strong>. » Ils quittèr<strong>en</strong>t dès ce<br />

jour la maison et, tous tremblants, ils fui<strong>en</strong>t plus loin se<br />

loger. Depuis cette époque, nous ne nous voyions plus, et si <strong>par</strong><br />

hasard deux d'<strong>en</strong>tre nous, mais d'un <strong>par</strong>ti opposé, se r<strong>en</strong>contrai<strong>en</strong>t<br />

quelque <strong>par</strong>t, on ne s'ad ressaitmêmé pas la <strong>par</strong>o<strong>le</strong>, et<br />

l'on <strong>par</strong>aissait aussi étranger comme si jamais de la vie on<br />

ne se fut vu. Depuiscette époque aussi nous faisions sé<strong>par</strong>ém<strong>en</strong>t<br />

nos visites chez tes ministres et chez <strong>le</strong>s personnes<br />

avec <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s nous devions nous trouver <strong>en</strong> relation; et aux<br />

propositions de paix qu'ils nous faisai<strong>en</strong>t faire <strong>par</strong> des personnes<br />

intermédiaires, nous répondions crue trop souv<strong>en</strong>t<br />

nous <strong>le</strong>ur avions, avec complaisance et bonté, <strong>par</strong>donné toue<br />

<strong>le</strong>s torts qu'ils avai<strong>en</strong>t, CIls <strong>en</strong> di ér<strong>en</strong>tes circonstances, depuis<br />

notre dépait de Marseil<strong>le</strong>; mais que cette fois notre <strong>par</strong>o<strong>le</strong><br />

était sacrée, que nous ne pouvions la vio<strong>le</strong>r; tout ce que nous<br />

pouvons faire, c'est de permettre qu'ils •se joign<strong>en</strong>t.â nous<br />

pour la visite que nous allons faire incessamm<strong>en</strong>t au Chah,<br />

pour cacher à ses yeux et i ceux des Persans notre mésintellig<strong>en</strong>ce,<br />

toutefois <strong>en</strong> <strong>en</strong> exceptant. Ferrier, l'auteur et <strong>le</strong><br />

provocateur de toutes nos inquiétudes et vissicituc<strong>le</strong>s, l'ag<strong>en</strong>t<br />

comptab<strong>le</strong> <strong>d'une</strong> consci<strong>en</strong>ce qui n'a plus de prix, tant il a<br />

prié et supplié de l'acheter de fois. Oui, nous <strong>le</strong> répétons: <strong>en</strong><br />

l'exceptant; nous nous montrerons plus conciliants avec<br />

M. Boissier que nous respectons malgré ses fautes, ainsi<br />

qu'avec <strong>le</strong>s autres, toutefois <strong>en</strong>core <strong>en</strong> éloignant toute<br />

amitié aussi bi<strong>en</strong> que la haine.<br />

D'après notre irrévocab<strong>le</strong> résolution on doit compr<strong>en</strong>dre<br />

qu'ils devai<strong>en</strong>t p'articulièrein<strong>en</strong>t se t<strong>en</strong>ir sulA <strong>le</strong>urs gardes,<br />

sans quoi nous allions, <strong>en</strong> justes compatriotes faisant <strong>par</strong>tie<br />

d'un même détachem<strong>en</strong>t, punir Ferrier <strong>par</strong> la viol<strong>en</strong>ce, puis-


ioS JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

qu'il n'avait pas assez de s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t et de coeur, pour se<br />

corriger ou se laver des mil<strong>le</strong> insultes qu'à tour de rô<strong>le</strong> nous<br />

lui disions pour son ignob<strong>le</strong> conduite. Il vit qu'il avait tout à<br />

perdre et ri<strong>en</strong> à'gagner, il jugea qu'il était temps de changer'<br />

et il changea ou du moins nous n'avons ri<strong>en</strong> appris de déloyal<br />

depuis cette époque.<br />

Le gouverneur de Téhéran, marié avec une des soeurs<br />

du Chah actuel, que nous fûmes voir à nôtre arrivée, se<br />

montra pourtant <strong>d'une</strong> dilig<strong>en</strong>ce sans <strong>par</strong>eil<strong>le</strong> d'autant<br />

plus surpr<strong>en</strong>ante-que <strong>le</strong>s Persans sont sans exception tous<br />

mous, <strong>par</strong>esseux .et nonchalants. Ce gouverneur, Baba<br />

Khan, nous fit promettre d'assister avec lui à une visite<br />

qu'il allait faire à l'ars<strong>en</strong>al. t1 nous montra tout <strong>le</strong> matériel,<br />

<strong>le</strong>s sal<strong>le</strong>s d'armes, et croyait pouvoir conquérir tout <strong>le</strong> monde<br />

avec quelques pièces de canons mal faites et mal montées,<br />

et 1500 fusils qu'ils avai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> réserve, <strong>en</strong>tassés <strong>le</strong>s uns sur<br />

<strong>le</strong>s autres, et la grande <strong>par</strong>tie manquait-el<strong>le</strong> <strong>en</strong>core de<br />

baïonnettes, de chi<strong>en</strong>s, ou de batteries. J'avoue pourtant que<br />

tout ce que nous y vîmes nous étonna, car nous n'avions<br />

jusque là ri<strong>en</strong> vu <strong>en</strong> <strong>Perse</strong> de moins mal que cela. Mais sa<br />

bi<strong>en</strong>veillance à notre égard dis<strong>par</strong>ut dès que nous fûmes lui<br />

demander nos appointem<strong>en</strong>ts. Il devint dès lors notre<br />

<strong>en</strong>nemi, et nous répondit qu'il ne pouvait nous payer; la<br />

garde que <strong>le</strong> Chah nous avait donnée <strong>par</strong>tit sans notre ordre,<br />

et comme sans el<strong>le</strong> nous étions exposés à de mauvais<br />

traitem<strong>en</strong>ts, nous nous <strong>en</strong> plaignîmes à ce gouverneur qui<br />

répondait qu'il ne pouvaitri<strong>en</strong> faire à but cela. «Eh bi<strong>en</strong>, lui<br />

dîmes-nous, nous allons <strong>par</strong>tir pour Hamadanoù se trouve <strong>le</strong><br />

Chah; il ti<strong>en</strong>dra sans doute à remplir plus exactem<strong>en</strong>t que<br />

vous <strong>le</strong> contrat que nous avons <strong>en</strong>tre nos mains >'.<br />

De retourchez nous decette visite, nous organisons une caravane,<br />

et nous nous dirigeons <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain vers Hamadan,<br />

l'anci<strong>en</strong>ne Echatane. Les chemins étai<strong>en</strong>t fortdangereux, nous<br />

disait tout <strong>le</strong> monde; vous serezinduhitab<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t plusieurs fois<br />

attaqués. Peu nous importai<strong>en</strong>t tous ces petits incid<strong>en</strong>ts de


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 109<br />

voyage chez des sauvages : nous voulions voir <strong>le</strong> Chah et<br />

nous <strong>par</strong>tîmes <strong>le</strong> 27juil<strong>le</strong>t <strong>par</strong> une route de traverse et <strong>en</strong> passant<strong>par</strong><br />

<strong>le</strong>s gîtes de Iravakerim, JÇanâbat, Qi asquel, Chamerin,<br />

Nougara, Zerat et Nerat, nous arrivâmes â Hamadan situé au<br />

pied <strong>d'une</strong> montagne, <strong>le</strong>; 3 août. Tout ce qui nous survint dans<br />

cette route, et ce dont nous fûmes témoins, fut une batail<strong>le</strong><br />

sanglante à Iravakerim <strong>en</strong>tre <strong>le</strong>s paysans et une compagnie<br />

de fantassins se r<strong>en</strong>dant à Téhéran ; nous étions neutres<br />

dans cette affaire, il ne devait ri<strong>en</strong> nous arriver, aussi ri<strong>en</strong> ne<br />

nous arriva-t-il. Le commandant de cette troupe, pour éviter<br />

toute poursuite de ses chefs, nous demanda un rapport de ce<br />

que nous avions vu; nous <strong>le</strong> fîmes sans <strong>par</strong>tialité, très-exact. A<br />

Quasquel, village situé au pied des montagnes dans un trou,<br />

l'Aga vint nous trouver sous nos t<strong>en</strong>tes, et nous avertit que<br />

<strong>le</strong> pays était très .dangereux, et de nous t<strong>en</strong>ir aussi sur nos<br />

gardes, pour veil<strong>le</strong>r p<strong>en</strong>dant la nuitsur nous, nos chevaux et<br />

nos bagages; il nous <strong>en</strong>voya un peloton d'hommes armés<br />

pour la faction p<strong>en</strong>dant la nuit. li ne nous arriva ri<strong>en</strong> de<br />

nouveau et après avoir remercié l'Aga de sa prévoyance,<br />

payé de quelque arg<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s hommes armés, nous re<strong>par</strong>tîmes.<br />

A Nougara, situé dans un ravin au milieu des montagnes,<br />

nous trouvâmes un tombeau à grande inscription; c'était,<br />

disait-on, celui de deux Anglais assassinés dans cet <strong>en</strong>droit<br />

sous Ahas Je Grand.<br />

Après avoir fort heureusem<strong>en</strong>t traversé un pays désagréab<strong>le</strong>,<br />

et où labonne foi ne sera jamais prise pour égide, nous<br />

arrivâmes â Hamadan; il y avait cinq camps occupés <strong>par</strong> <strong>le</strong>s<br />

soldats et <strong>le</strong>s g<strong>en</strong>s de la suite du Roi. Nous fûmes dresser nos<br />

t<strong>en</strong>tes dans un petit bosquet de peupliers, ayant à notre<br />

droite une source d'eau sulfureuse et â notre gauche une<br />

autre d'eau ferrugineuse; un ruisseau qui passait devant nos<br />

t<strong>en</strong>tes, <strong>par</strong> mom<strong>en</strong>t, nous raffraîcliissait, et cela était d'autant<br />

plus â appiécier que la cha<strong>le</strong>ur y était presque insupportab<strong>le</strong><br />

pour nous surtout, habitués â une température plus douce.<br />

Notre arrivée fut bi<strong>en</strong>tôt connue dans <strong>le</strong>s cinq camps, et<br />

=


110 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

Mirza Ah, Je ministre des affaires étrangères, nous pria de<br />

passer chez lui pour s'<strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ir avec nous sur <strong>le</strong>s motifs de<br />

ce voyage. Nous y fûmes et lui dîmes que <strong>le</strong> gouverneur de<br />

Téhéran n'ayant point d'ordre nousconcernant, nousv<strong>en</strong>ions -<br />

<strong>en</strong> chercher un qui put l'inviter â faires>on.devoir: « Nous vous<br />

<strong>le</strong> donnerons, cet ordre, reprit <strong>le</strong> ministre. -Nous v<strong>en</strong>ons<br />

<strong>en</strong>suite pour chercher nos deux mois d'appointem<strong>en</strong>ts, -<br />

Demain tous <strong>le</strong>s aurez ». Nous <strong>le</strong> primes <strong>en</strong>core, contre<br />

l'habitude des Persans, de dilig<strong>en</strong>ter un peu nos affaires, que<br />

nous désirions re<strong>par</strong>tir sous peu et nous <strong>le</strong> prévînmes que<br />

nous désirions voir <strong>le</strong> Chah, il nous <strong>le</strong> promit. De là, nous<br />

nous r<strong>en</strong>dîmes chez Hadji Mirza Agassi, <strong>le</strong> Grand Vizir, il<br />

nous promit de nous payer.<br />

Quatre jours s'écoulèr<strong>en</strong>t ainsi <strong>en</strong> nous disant qu'il nous<br />

paierait de jour <strong>en</strong> jour, lorsque <strong>le</strong> Chah appr<strong>en</strong>ant que -<br />

nous étions là, et que nous n'avions pas été payés. nous fit<br />

payer immédiatem<strong>en</strong>t sur sa cassette et nous inyita pour <strong>le</strong><br />

l<strong>en</strong>demain, jour de son dé<strong>par</strong>t pour Cashin, à marcher â —<br />

côté de lui; <strong>le</strong> plus grand des honneurs que <strong>le</strong> Chah peut"<br />

faire aux personnes qu'il considère, car <strong>le</strong>s ministres ne<br />

l'approch<strong>en</strong>t même pas, et se ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t constamm<strong>en</strong>t â une<br />

distance de 20 â 25 pas de Sa Majesté. Nous promîmes, bi<strong>en</strong><br />

<strong>en</strong>t<strong>en</strong>du, de nous r<strong>en</strong>dre à son invitation. Nous eûmes<br />

aussi occasion â Hamadan de voir M. <strong>le</strong> baron Baudiiîs,<br />

premier secrétaire de l'ambassade russe; il se montra plus<br />

aimab<strong>le</strong> qu'il ne l'avait jamais été pour •nous â Ispahan,<br />

nous <strong>en</strong> fûmes <strong>en</strong>chantés. M. Ba-udins, arrivé peu de jours<br />

avant nous â Hamadan, uva.it été <strong>en</strong>voyé<strong>par</strong> sou ambassadeur<br />

pour dire à Mahomet Chah que la Russie s'opposait à ce qu'il<br />

marchât sur Bagdad avec ses troupes, au sujet de la somme<br />

d'arg<strong>en</strong>t qu'il réclamait aux Turcs, et qu'on ne voulait pas<br />

lui payer. «Vous devez, disait M. <strong>le</strong> baron Baudins, vous<br />

arranger et vous <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre au<strong>par</strong>avant, si cela est possib<strong>le</strong>,<br />

avec l'ambassadeur turc qui se trouve à Téhéran. Si vous<br />

persistez dans vos desseins, ne.soyez pas surpris que nous<br />

-<br />

e<br />

-


s<br />

e<br />

1 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE III<br />

nous éloignions de vous». Le Chah promit sur Mahomet qu'il<br />

n'irait pas; <strong>le</strong> Pacha de Bagdad vint avec 80.000 hommes<br />

l'att<strong>en</strong>dre <strong>en</strong> avant de la vil<strong>le</strong>. Comme <strong>le</strong> Chah l'avait<br />

promis à N. <strong>le</strong> baron Baudins, ils ne poursuivir<strong>en</strong>t pas la<br />

marche de ce côtéet <strong>par</strong>tir<strong>en</strong>t <strong>le</strong> B août pour al<strong>le</strong>r vers -<br />

Casbin, anci<strong>en</strong>ne capita<strong>le</strong> de la <strong>Perse</strong> et située â tr<strong>en</strong>te lieues<br />

nord-ouest de Téhéran.<br />

Ce fut aussi à Hamadan que nous fîmes l'agréab<strong>le</strong><br />

connaissance de deux Anglais, Lord H<strong>en</strong>ry Laherte<br />

et Lord Milford. Lord H<strong>en</strong>ry Laherte devait nous, quitter<br />

à Ramadan Foù il devait <strong>par</strong>tir 'peu de jours après passer<br />

dans <strong>le</strong> Louristan, pays habité <strong>par</strong> <strong>le</strong>s Bactiarifs, peupie<br />

sauvage et plus cruel que <strong>le</strong>urs limitrophes. Lord<br />

H<strong>en</strong>ry Laherte était <strong>le</strong> premier europé<strong>en</strong> qui avait eu<br />

l'idée d'<strong>en</strong>trer dans un tel pays, att<strong>en</strong>du que la mort y est<br />

d'autant plus certaine pour nous que <strong>le</strong>s Persans, Turcs, etc.,<br />

et autres habitants de l'Ori<strong>en</strong>t n'<strong>en</strong> revi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t pas. Tout <strong>le</strong><br />

monde lui exposait ainsi la situation et ses moeurs barbares,<br />

il persista dans ses projets; nous n'aurons pas sans doute<br />

occasion dans aucune autre page de.notre petit récit de rev<strong>en</strong>ir<br />

â cet aimab<strong>le</strong> compagnon de voyage, puisqu'il estprobab<strong>le</strong><br />

que nous fie recevrons pas de ses nouvel<strong>le</strong>s. Nous lui fîmes<br />

nos adieux bi<strong>en</strong> sincères, et lui témoignâmes <strong>le</strong> désir de <strong>le</strong><br />

revoir. Quant à M. Mitfort, il poursuivit sa route avec<br />

nous jusqu'à Téhéran, devant., après quelques jours de repos<br />

dans cette vil<strong>le</strong>, se r<strong>en</strong>dre dans I'Tnde <strong>en</strong> passant <strong>par</strong><br />

Mesched, vil<strong>le</strong> sainte de <strong>Perse</strong>, capita<strong>le</strong> de la province du<br />

Korassan, puis <strong>par</strong> Hérat.<br />

Le jour du dé<strong>par</strong>t étant arrivé, chacun ayant déjà fait ses<br />

dispositions de voyage att<strong>en</strong>daitl'instant où <strong>le</strong> Roi se mettrait<br />

<strong>en</strong> marche. Voici une légère description du dé<strong>par</strong>t et de la<br />

manière de voyager.<br />

La veil<strong>le</strong>, <strong>le</strong> Roi fixe d'abord l'heure du dé<strong>par</strong>t pour <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain<br />

ettrois sonneries sont faites <strong>par</strong> <strong>le</strong>s clairons de sa<br />

garde, de demi-heure <strong>en</strong>.demi-heure, et la troisième se,fai-


n<br />

112 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

sant à l'heure de l'émoi général, à l'heure indiquée <strong>par</strong> <strong>le</strong><br />

Chah. Toutes <strong>le</strong>s sonneries sont répétées â l'instant même<br />

dans tout <strong>le</strong> camp, <strong>par</strong> <strong>le</strong>s tambours â défaut de ces preùières.<br />

Lorsqu'<strong>en</strong>fin l'heure est arrivée, <strong>le</strong>s chameaux d'an<br />

nombre presque infini et qui se trouv<strong>en</strong>t placés habituel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t<br />

<strong>en</strong> avant de la route, se mett<strong>en</strong>t <strong>en</strong> marche, chacun<br />

d'eux a fixé sur une <strong>par</strong>tie du bât un petit drapeau rouge<br />

et blanc. Sur la <strong>par</strong>tie du devant de ce même bât est<br />

fixé un gros tambour, de tel<strong>le</strong> sorte que <strong>le</strong> chamelier étant<br />

monté, il puisse tout à son aise frapper à grands coups<br />

redoublés, pour célébrer et annoncer 1'arrie du Chah;<br />

ceux d'<strong>en</strong>tr'eux qui n'ont pas un si agréab<strong>le</strong> instrum<strong>en</strong>t, ont<br />

<strong>le</strong>s uns des ifûtes très perçantes et de longs instrum<strong>en</strong>ts à<br />

v<strong>en</strong>t., qui font tremb<strong>le</strong>r tout au moins à 50 ou 100 pas à la<br />

ronde. Voilà ce qui pr<strong>en</strong>d la marche. Ce sont donc ces chameaux<br />

porteurs des bagages du Chah vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>en</strong>suite<br />

quelques ferraches du Roi, pour escorter <strong>le</strong> monde, et <strong>le</strong><br />

maint<strong>en</strong>ir sur la droite et la gauche de la route â une distance<br />

de fusil. Ces hommes, du reste, sont si nombreux, qu'ils<br />

se trouv<strong>en</strong>t sur tous <strong>le</strong>s points de la marche. Vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />

<strong>en</strong>suite <strong>le</strong>s femmes du Chah, voilées selon l'usage, gardées<br />

des eunuques.<br />

- Un quart d'heure après <strong>par</strong>aiss<strong>en</strong>t des g<strong>en</strong>s armés; à<br />

deux c<strong>en</strong>ts pas de là vi<strong>en</strong>t lé Roi, ayant à ses côtés (mais<br />

toujours un peu loin) des coureurs qu'il a assez habituel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t<br />

quand il sort. A quinze pas <strong>en</strong>viron derrière lui, sont<br />

<strong>le</strong> Grand Vizir et <strong>le</strong> ministre chargé des affaires étrangères<br />

derrière <strong>le</strong>s ministres se trouvait <strong>le</strong> fils du Roi, âgé de sept â<br />

huit ans, monté éga<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t comme <strong>le</strong>s autres personnes qui<br />

<strong>le</strong> précédai<strong>en</strong>t sur un joli cheval. Il avait à ses côtés deux de<br />

ses domestiques, assez loin de là à vingt pas â peu près,v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t<br />

pê<strong>le</strong>-mê<strong>le</strong> une infinité de domestiques, et la troupe<br />

<strong>en</strong>fin, placée <strong>en</strong> colonne, <strong>le</strong>s suivait deprès. Ainsi, se trouvait<br />

là toute la troupe avec laquel<strong>le</strong> Mahomet Chah avait voulu<br />

pr<strong>en</strong>dre Bagdad: el<strong>le</strong> se composait de,quelques escadrons de


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 113<br />

cava<strong>le</strong>rie d'hommes volontaires qui se retir<strong>en</strong>t chez eux <strong>en</strong><br />

temps de paix, et qui se réuniss<strong>en</strong>t pour la guerre; v<strong>en</strong>ait<br />

<strong>en</strong>suite l'infanterie, pauvre troupe mal habillée, mal nourrie,<br />

pas armée et munie, et ignorant comme <strong>le</strong>ur chef<br />

complètem<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s manoeuvres. Le total de ces troupes pouvait<br />

s'é<strong>le</strong>ver à 25.000 hommes, el<strong>le</strong>s aurai<strong>en</strong>t pu <strong>par</strong> rapport â ce<br />

nombre t<strong>en</strong>ir tête aux tr<strong>en</strong>te mil<strong>le</strong> Turcs sortis de Bagdad<br />

pour <strong>le</strong>s recevoir, mais el<strong>le</strong>s euss<strong>en</strong>t, je crois, cédé à ces<br />

dernières, qui, quoique bi<strong>en</strong> ignorantes <strong>en</strong>core sur l'art de la<br />

guerre, ont pourtant sur el<strong>le</strong>s l'avantage de la discipline.<br />

Après <strong>le</strong>s fantassins v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t tous <strong>le</strong>s grands de la <strong>Perse</strong>,<br />

Mirza, et autres personnes, et, derrière ces notab<strong>le</strong>s, v<strong>en</strong>ait<br />

<strong>le</strong> peup<strong>le</strong> et ces marchands ambulants qui fourniss<strong>en</strong>t<br />

quelques subsistances au camp. D'autres chameaux et bêtes<br />

de somme vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t après, et il est inuti<strong>le</strong> de dire que,<br />

p<strong>en</strong>dant toute la route, la route est couverte de personnes <strong>en</strong><br />

retard, et qui se r<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t <strong>le</strong> même soir au gîte ou à la station<br />

désigné <strong>par</strong> <strong>le</strong> Chah. Voici la marche du camp. A la grande<br />

<strong>en</strong>vie et au grand mécont<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t de tous <strong>le</strong>s grands, dés<br />

que <strong>le</strong> Chah se mit <strong>en</strong> marche, nous bous approchâmes pour<br />

répondre à l'invitation qu'il nous avait faite, et force nous fut<br />

donc faite de laisser là tous ces grands ambitieux pour al<strong>le</strong>r<br />

pr<strong>en</strong>dre notre place. Nous arrivâmes au grand galop auprès<br />

des ministres qui nous reçur<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong>. Le Chah, <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dant<br />

derrière lui du bruit, demanda (1) ce que c'était: ((Ce sont <strong>le</strong>s<br />

officiers français. - Dites-<strong>le</strong>ur de v<strong>en</strong>ir . Nous nous approchâmes,<br />

nous voulilmes, d'abord, rester derrière lui, il ne <strong>le</strong><br />

voulutpas, et nous fitmettre àses côtés. Le Chah futplusaimab<strong>le</strong><br />

que jamais; selon l'habitude des Persahs il nous promettait<br />

beaucoup pour <strong>le</strong> temps à v<strong>en</strong>ir, et nous promit, à son<br />

arrivée à Téhéran, de s'occuper lui-même de nos destinations<br />

et de nos appointem<strong>en</strong>ts. Enfin, après une demi-heure d'un<br />

(t) Je dis qu'il demanda, <strong>par</strong>ce que <strong>le</strong> Chah de <strong>Perse</strong> rie dôtourne<br />

jamais la tête lorsqu'il est <strong>en</strong> voyage, il regardé toujours <strong>en</strong> avant.


114 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

<strong>en</strong>treti<strong>en</strong> semblab<strong>le</strong>, nous <strong>le</strong> quittâmes â. un embranchem<strong>en</strong>t<br />

de chemin qui devait, de cette route de —,<br />

Cashin, nous<br />

conduire sur cel<strong>le</strong> d'}iamadan à Téhéran; ce fut là que,nous<br />

nous arrêtâmes quelques instants pour voir défi<strong>le</strong>r tout ce<br />

peup<strong>le</strong> diversem<strong>en</strong>t divisé, comme je l'ai dit ci-dessus. Nous<br />

r<strong>en</strong>contrâmes, nous étant mis <strong>en</strong> Foute, quelques villages où,<br />

disait-on, on n'avait jamais vu d'Europé<strong>en</strong>s passer, ce qui<br />

est d'autant moins surpr<strong>en</strong>ant que «est dans une province<br />

peu fréqu<strong>en</strong>tée <strong>par</strong> <strong>le</strong>s voyageurs, et de plus dans un chemin<br />

de traverse. Nous <strong>en</strong>trâmes ce jour même dans la grande<br />

route qui conduit à Téhéran, où nous arrivâmes <strong>en</strong>fin après<br />

huit jours de bonne marche, <strong>le</strong> 16 août <strong>1840</strong>.<br />

Téhéran est situé sur une plaine se terminant non loin de<br />

là au pied de fortes montagnes. Au nord, est cel<strong>le</strong> dite<br />

Chimran, du nom d'un village situé \ son pied; cette montagne<br />

esttrès é<strong>le</strong>vée et a constamm<strong>en</strong>t de la neige, malgré <strong>le</strong>s<br />

fortes cha<strong>le</strong>urs qu'il fait dans ce pays. Au nord-est, se<br />

trouve <strong>le</strong> fameux pic du Démav<strong>en</strong>d.dont la cime se perd<br />

dans <strong>le</strong>snues,la neige, et<strong>en</strong> grande quantité,s'y trouve aussi<br />

p<strong>en</strong>dant toute l'année;' ce pic quoique <strong>par</strong>aissant être tout<br />

près de la vil<strong>le</strong> <strong>en</strong> est éloigné pourlant A quinze pharsangues<br />

<strong>en</strong>viron. La plaine de Téhéran est sèche et aride, el<strong>le</strong> l'est<br />

moins au pied du mont de Chimran; quelques sources qui<br />

s'y trouv<strong>en</strong>t rafraîchissant <strong>le</strong> sol permett<strong>en</strong>t de cultiver<br />

faci<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t la terre, et <strong>le</strong>s différ<strong>en</strong>ts petits villages qui, <strong>par</strong><br />

<strong>le</strong>ur <strong>en</strong>semb<strong>le</strong>, compos<strong>en</strong>t <strong>le</strong> gros village de Chimran est un<br />

séjour très agréab<strong>le</strong> où va camper <strong>le</strong> roi et sa suite p<strong>en</strong>dant<br />

<strong>le</strong>s fortes cha<strong>le</strong>urs4orsque quelque nuisib<strong>le</strong> intellig<strong>en</strong>ce dans<br />

quelques-unes de ses provinces n'exige pas son déplacem<strong>en</strong>t.<br />

La fraîcheur el<strong>le</strong>s saines eaux sont des causes majeures<br />

pouf abandonner la vil<strong>le</strong> de Téhéran p<strong>en</strong>dant <strong>le</strong>s cha<strong>le</strong>urs;<br />

mais la grande quantité de moustiques, qui y exist<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> es<br />

une aussi non-moins importante pour al<strong>le</strong>r dresser <strong>le</strong>ur<br />

t<strong>en</strong>te dès <strong>le</strong>s premiers jours d'avril.<br />

Ces moustiques sont réel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t un fléau, et <strong>le</strong>s premiers<br />

LI


- -*<br />

s<br />

JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE II<br />

Jours, n'ayant aucun moy<strong>en</strong> de nous <strong>en</strong> préserver p<strong>en</strong>dant<br />

la nuit, c'était réel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t chose comique et pénib<strong>le</strong> de nous<br />

voir tous, au l<strong>en</strong>demain, avec <strong>le</strong>s bras etia figure <strong>en</strong>llés;plus<br />

tard, â l'instar des g<strong>en</strong>s du pays, nous nous couvrîmes de<br />

moustiquière, et nous nous <strong>en</strong> débarrassâmes ainsi. Ces moucherons<br />

dis<strong>par</strong>aiss<strong>en</strong>t vers <strong>le</strong>s premiers jours de septembre.<br />

Un peu avant d'arriver à Chimran et sur la droite, est <strong>le</strong><br />

château royal dit Takhti Kadjar qui signifie trne des Kadjars<br />

(<strong>le</strong>s Kadjars sont de la tribu régnante). Le château est bâti<br />

sur une élévation pourtant peu s<strong>en</strong>sib<strong>le</strong>, sa forme est d'un<br />

rectang<strong>le</strong>, <strong>le</strong> plus long côté étant <strong>par</strong>allè<strong>le</strong> à la montagne; sur<br />

la terrasse et au milieu est un petit pavillon dit <strong>le</strong> Délice de<br />

Fatey-Ali-Chah, quelques arbres y sont aussi plantés, et<br />

offr<strong>en</strong>t un charmant coup' d'oeil. Sur l devant sont quatre<br />

superbes terrasses, <strong>le</strong>s unes plus basses que <strong>le</strong>s autres; et<br />

imitant <strong>le</strong>s degrés d'escaliers, au milieu passe une eau très<br />

claire et limpide, et dans sa chute de ses degrés, imitant la<br />

cascade, cette eau se perd un instant et va r<strong>en</strong>ouve<strong>le</strong>r l'eau<br />

d'un charmant bassin qui se trouve dans un grand jardin et<br />

bosquet tout à la fois qui est situé devant <strong>le</strong> château; c'est<br />

réel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t un agréab<strong>le</strong> séjour d'autant plus remarquab<strong>le</strong> que<br />

tout l'<strong>en</strong>semb<strong>le</strong> <strong>en</strong> est charmant et que ]a plaine aride<br />

contraste fortem<strong>en</strong>t avec <strong>le</strong> frais et verdoyant jardin.<br />

Téhéran, comme toutes <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>sde l'ori<strong>en</strong>t, est <strong>en</strong>vironnée<br />

de murs qui ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t lieu de rem<strong>par</strong>t et qui ne permett<strong>en</strong>t<br />

pas â l'oeil du voyageur fatigué de se reposer sur <strong>le</strong>s maisons<br />

qui la compos<strong>en</strong>t; ce n'est que lorsqu'on est <strong>en</strong>tré que l'on<br />

aperçoit quelques murs qui vous cach<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core des maisons.<br />

Les rues sont sa<strong>le</strong>s, étroites et couvertes de pierres et<br />

d'accid<strong>en</strong>ts de terrains; il existe une infinité de trous à peu<br />

de distance <strong>le</strong>s uns des autres et qui peuv<strong>en</strong>t occasionner<br />

beaucoup d'accid<strong>en</strong>ts surtout la nuit. Les bazars y sont grands<br />

etfournis de diverses marchandises; il ya, <strong>en</strong> outre,une infinité<br />

de caravanserails. A la <strong>par</strong>tie ori<strong>en</strong>ta<strong>le</strong> de la vil<strong>le</strong> se trouve<br />

la citadel<strong>le</strong>, selon <strong>le</strong>s Persans; mais qui n'est autre chose que


116 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRR EN PERSE<br />

<strong>le</strong> prolongem<strong>en</strong>t de la vil<strong>le</strong> coupé <strong>par</strong> un fossé et un mur <strong>en</strong><br />

terre semblab<strong>le</strong> à celui qui <strong>en</strong>vironne la,.vil<strong>le</strong>. C'est dans son<br />

intérieur que se trouve <strong>le</strong> palais du Chah, ayant, devant, une<br />

grande place <strong>en</strong>vironnée de canons. Un plus énorme que <strong>le</strong>s<br />

autres se trouve au milieu et sur son affut ; cette pièce est<br />

sacrée, et sert de refuge aux musulmans coupab<strong>le</strong>s. A un des<br />

ang<strong>le</strong>s de cette place existe la sal<strong>le</strong> d'armes et diagona<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t<br />

àlui la cour où sont quelques pièces d'artil<strong>le</strong>rie, sans pourtant<br />

que ce soit l'ars<strong>en</strong>al dont nous avons <strong>par</strong>lé. -Du reste <strong>le</strong><br />

peup<strong>le</strong> et <strong>le</strong>s grands habit<strong>en</strong>t dans cette citadel<strong>le</strong>, qui, â peu<br />

de chose près, est aussi grande que <strong>le</strong> reste de la vil<strong>le</strong> de<br />

Téhéran. Il est très inuti<strong>le</strong> de dire que <strong>le</strong>s murs de circonvallation,<br />

comme ceux des autres vil<strong>le</strong>s, sont <strong>en</strong> ruines, et<br />

que <strong>le</strong>s <strong>en</strong>fants se cramponnant tant soit peu desc<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t<br />

du rem<strong>par</strong>t au fossé, et remont<strong>en</strong>t vice versa.<br />

Ce fut peu de jours après l'arrivée du Chah â Téhéran que<br />

nous apprîmes la mort de Ivime deLamarinière, dont j'ai <strong>par</strong>lé<br />

précédemm<strong>en</strong>t; el<strong>le</strong> nous affecta d'autant plus vivem<strong>en</strong>t que<br />

quelques circonstances <strong>par</strong>ticulières l'occasionnèr<strong>en</strong>t, <strong>en</strong><br />

nécessitant un déplacem<strong>en</strong>t qui, à l'âge où était cette dame,<br />

faisait toujours appréh<strong>en</strong>der <strong>le</strong>s mil<strong>le</strong> désagrém<strong>en</strong>ts et accid<strong>en</strong>ts,<br />

dans un pays comme la <strong>Perse</strong>. Mme de Lamarinière<br />

était p<strong>en</strong>sionnaire du Chah pour des services r<strong>en</strong>dus antérieurem<strong>en</strong>t<br />

et ceux qu'el<strong>le</strong> r<strong>en</strong>dait <strong>en</strong>core; p<strong>en</strong>dant quelque<br />

temps, sa p<strong>en</strong>sion lui était payée assez régulièrem<strong>en</strong>t et avec<br />

très peu de peine, mais plus tard, comme toutes <strong>le</strong>s personnes<br />

employées dans <strong>le</strong> pays, el<strong>le</strong> éprouva du retard qui ne<br />

lui était payé qu'<strong>en</strong> <strong>par</strong>tie, â force de réclamations ; el<strong>le</strong><br />

savait fort bi<strong>en</strong> que ces retards étai<strong>en</strong>t un usagé adopté dans<br />

<strong>le</strong> pays, aussi celte bonne dame ne se résignait à demander<br />

que lorsqu'el<strong>le</strong> <strong>en</strong> était à ses derniers toumans. El<strong>le</strong> se trouvait<br />

dans cette position lorsqué <strong>le</strong> Chah effectua son dé<strong>par</strong>t<br />

pour marcher sur Ispahan, comme je l'ai déjà dit. El<strong>le</strong><br />

se détermina dans la pénib<strong>le</strong> position où el<strong>le</strong> se trouvait,<br />

à suivre <strong>le</strong> Roi, p<strong>en</strong>sant se faire payer <strong>par</strong> l'intermédiaire de


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE II<br />

ses femmes, dans <strong>le</strong> harem desquel<strong>le</strong>s el<strong>le</strong> avait accès. El<strong>le</strong><br />

obtint ainsi à son arrivée â Ispahan, non de l'arg<strong>en</strong>t, mais bi<strong>en</strong><br />

un barat (bil<strong>le</strong>t signé du Roi et du Vizir, <strong>par</strong> <strong>le</strong>quel on peut<br />

<strong>le</strong>ver des impositions), payab<strong>le</strong> à Chiras; el<strong>le</strong> n'<strong>en</strong> témoigna<br />

aucun mécont<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t extérieur, et <strong>le</strong> Roi étant <strong>par</strong>ti<br />

plus tard pour se r<strong>en</strong>dre à Hamadan, el<strong>le</strong> s'achemina vers<br />

Chiras. De semblab<strong>le</strong>s besoins, et des voyages si diffici<strong>le</strong>s <strong>par</strong><br />

des routes si pénib<strong>le</strong>s, affectèr<strong>en</strong>t Mme de Lamarinière aussi -<br />

éprouva-t-el<strong>le</strong> â son arrivée à Chiras une indisposition qui,<br />

dans deux jours, la m<strong>en</strong>a au tombeau. P<strong>en</strong>dant quelques<br />

instants, nous doutâmes d'abord de la fidélité de ses domestiques,<br />

nous conçûmes un soupçon d'empoisonnem<strong>en</strong>t sur une<br />

femme seu<strong>le</strong> et faib<strong>le</strong>, mais non, nous nous trompions:<br />

<strong>le</strong> chagrin seul et de son éloignem<strong>en</strong>t de la France et<br />

peut-être sans l'espérance, fur<strong>en</strong>t, je crois, <strong>le</strong>s véritab<strong>le</strong>s<br />

causes de sa mort.<br />

Ce fut aussi à Téhéran que nous eûmes occasion de connaître<br />

une autre Française, maint<strong>en</strong>ant mariée à un Persan,<br />

nommé Hadji Mas, qui fut faire <strong>en</strong> France, il y a vingt ans<br />

<strong>en</strong>viron, un voyage d'agrém<strong>en</strong>t. Parmi ses bonnes fortunes,<br />

une demoisel<strong>le</strong> <strong>le</strong> fixa plus <strong>par</strong>ticulièrem<strong>en</strong>t, ils se promir<strong>en</strong>t<br />

de faire un voyage, et ils arrivèr<strong>en</strong>t <strong>en</strong>fin <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>, patrie de<br />

Hadji Abas, qui nous a été d'un grand secours quelquefois, <strong>en</strong><br />

voulant bi<strong>en</strong> être notre interprète, car, dans un voyage<br />

de deux années <strong>en</strong> France, il avait appris un peu de français..<br />

Malgré la grande sévérité avec laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s maris ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t t<br />

<strong>le</strong>urs f<strong>en</strong>imes <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>, néanmoins Hadji Abus, un peu moins<br />

fanatique que <strong>le</strong>s autres, <strong>par</strong> conséqu<strong>en</strong>t un peu plus raisonnab<strong>le</strong>,<br />

et <strong>par</strong> suite plus instruit, nous recevait chez lui.<br />

Plus tard, sa dame, qui était notre compatriote, avait sa<br />

per<strong>mission</strong> pour se trouver dans notre société, toutefois étant<br />

comp1ètemnt voilée de la tête aux pieds. El<strong>le</strong> avait une<br />

charmante voix, et tout <strong>le</strong> monde doit bi<strong>en</strong> compr<strong>en</strong>dre que,<br />

<strong>par</strong> esprit de nationalité, nous la voyions avec plaisir ou plutôt,<br />

nous l'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dions avec plaisir. Cette dame s'était faite<br />

- 8


uS JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSÉ<br />

musulmane, bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du, et à cela se joignant son titre d'anci<strong>en</strong>ne<br />

française, Mahomet Chah la voyait avec complaisance<br />

et formait très souv<strong>en</strong>t la société de ses femmes, circonstances<br />

qui, comme on <strong>le</strong> verra plus tard, fur<strong>en</strong>t la cause<br />

de la connaissance que nous eûmes de bi<strong>en</strong> des intrigues nous<br />

concernant.<br />

M. Duhame], ambassadeur de Russie, et toute sa suite ne<br />

suivir<strong>en</strong>t pas<strong>le</strong> Chah dansson expédition àHamadan ; un séjour<br />

- si prolongé dans lavil<strong>le</strong> d'Ispahan ne futoccasionné que <strong>par</strong>la<br />

position de Madame ]'ambassadrice qui se trouvait <strong>en</strong>ceinte,<br />

et presque 'à l'époque des couches. Pourtant <strong>le</strong> dizièrne et<br />

onzième mois, cette aimab<strong>le</strong> dame frayant pas vu <strong>le</strong> fruit de<br />

son amour, <strong>le</strong> ihédecin de l'ambassade russe décida que lui<br />

Pt tout <strong>le</strong> monde s'était trompé, que ce n'était qu'une hydropisie.<br />

Mme l'ambassadrice désespéra, faillit <strong>en</strong> mourir, mais<br />

M. Duhamel, homme plus sévère, et diplomate ne gécartant<br />

jamais de sa voie, se mit <strong>en</strong> route pour Téhéran. Le jour de<br />

son arrivée <strong>en</strong> celte vil<strong>le</strong>, nous n'allâmespoint â. sa r<strong>en</strong>contre,<br />

comme pu <strong>le</strong>p<strong>en</strong>se bi<strong>en</strong>, mais comme il se trouve <strong>par</strong>tout des<br />

g<strong>en</strong>s qui font tout <strong>par</strong> l'appat de l'arg<strong>en</strong>t, il ne sera pas diffici<strong>le</strong><br />

de deviner queM. Ferrier, après avoir avalé3ou t.jaunes<br />

d'oeuf pour adoucir un peu plus'sa voix, dut s'y r<strong>en</strong>dre; mais<br />

nous, dont <strong>le</strong>s chevaux étai<strong>en</strong>t malades, nous ne pûmes<br />

décemm<strong>en</strong>t pas nous y r<strong>en</strong>dre à pied. M. Duhamel fit donc<br />

son <strong>en</strong>trée triomphante dans la vil<strong>le</strong> de Téhéran, et vint<br />

<strong>en</strong>core imposer de nouveaux ordres à Sa Majesté <strong>le</strong> Chah de<br />

<strong>Perse</strong>; nous devinâmes bi<strong>en</strong> que nous étions un sujet principal<br />

de ses demandes, de sa colère contre <strong>le</strong>s instructeurs<br />

français; mais n'anticipons pas sur la marche des événem<strong>en</strong>ts<br />

et cont<strong>en</strong>tons-nous de dire, pour <strong>le</strong> mom<strong>en</strong>t, - que nous<br />

dûnies avoir des peines p<strong>en</strong>dant dix jours, et des factions et<br />

m<strong>en</strong>aces continuel<strong>le</strong>s pour nous faire payer. Déjà <strong>le</strong> Vizir, <strong>le</strong><br />

tout-puissant de la <strong>Perse</strong>, nous avait dit que <strong>le</strong> trésorier allait<br />

nbus payer, et il savait positivem<strong>en</strong>t qu'il n'avait pas un seul<br />

ducat dans son trésor; mais <strong>le</strong> Chah; qui voulait <strong>le</strong> bi<strong>en</strong> de


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 119<br />

son pays, nous paya sur sa propre cassette; et <strong>en</strong>core avec <strong>le</strong>s<br />

toumans de son prédécesseur Fatey-Ali-Chah qu'il fut obligé<br />

- de pr<strong>en</strong>dre bi<strong>en</strong> au fond de son trésor. Il y avait ainsi plus<br />

d'un an que nS'us étions au service de la <strong>Perse</strong>, et <strong>en</strong>core<br />

aucun de nous n'avait été employé malgré <strong>le</strong>s nombreuses<br />

demandes que nous <strong>le</strong>ur faisions <strong>en</strong> conséqu<strong>en</strong>ce; mais il<br />

<strong>par</strong>ait que certains personnages <strong>en</strong> <strong>mission</strong> <strong>en</strong> <strong>Perse</strong> avai<strong>en</strong>t<br />

trouvé moy<strong>en</strong> de retarder constamm<strong>en</strong>t. Cep<strong>en</strong>dant <strong>le</strong> 15<br />

septembre, nous reçûmes l'ordre de nous r<strong>en</strong>dre chez Hussein<br />

Khan qui était chargé de la <strong>par</strong>t du Chah de bus<br />

désigner nos destinations. Cette ré<strong>par</strong>tition était conçue<br />

ainsi<br />

Infanterie. - MM. Chauvet, â Casbin.<br />

Pichon, â Téhéran.<br />

Boucherat, â Firouskou.<br />

Polino, â Demav<strong>en</strong>d.<br />

- Boissier, â Hamadan.<br />

Artil<strong>le</strong>rie. - MM. Delacroix, àTéhéran.<br />

Vergne, à Téhéran.<br />

Bussière, à Téhéran. -<br />

Cava<strong>le</strong>rie. - MM. Delamarre, â Téhéran.<br />

Ferrier, â Téhéran.<br />

Chacun se retira bi<strong>en</strong> cont<strong>en</strong>t de la désignation qui v<strong>en</strong>ait<br />

de lui être faite, et se disposa â <strong>par</strong>tir de jour <strong>en</strong> jour; mais<br />

<strong>le</strong>s Persans ne vouluitnt pas déroger à <strong>le</strong>urs habitudes pour<br />

des affaires surtout qui <strong>le</strong>ur étai<strong>en</strong>t de grand intérêt-, car<strong>le</strong>urs<br />

pitoyab<strong>le</strong>s troupes sans ordre, sans <strong>en</strong>semb<strong>le</strong>, sans <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dem<strong>en</strong>t,<br />

étai<strong>en</strong>t incapab<strong>le</strong>s d'<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>dre la moindre campagne.<br />

Ajoutons à cela qu'ils étai<strong>en</strong>t obligés de nous payer, et<br />

quand <strong>le</strong>s appointem<strong>en</strong>ts de dix instructeurs sont, à défaut de<br />

trésor, pris dans la cassette du Roi et donnés <strong>par</strong> lui, combi<strong>en</strong><br />

alors ne sont-ils pas coupab<strong>le</strong>s de laisser perdre un temps si<br />

précieux de cette époque où <strong>le</strong> pays est tout sur <strong>le</strong> p<strong>en</strong>chant<br />

de la ruine. Mais pourtant plus malheureux peup<strong>le</strong> que<br />

blâmab<strong>le</strong>, car tous hs efforts qu'il fait pour se re<strong>le</strong>ver sont<br />

e<br />

M


120 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

<strong>par</strong>alysés <strong>par</strong> la Russie, dont l'intérêt est de <strong>le</strong> laisser dans<br />

l'ignorance, dans l'oubli des choses pour que toujours ses<br />

coups soi<strong>en</strong>t plus sûrs, et ses intérêts plus <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dus et<br />

satisfaits. Ce fut â l'époque où nous apprîmes nos destinations<br />

que <strong>le</strong>urs. intrigues agir<strong>en</strong>t plus fortem<strong>en</strong>t que jamais, et<br />

quelquefois el<strong>le</strong>s nous étai<strong>en</strong>t connues; sur ces <strong>en</strong>trefaites<br />

quelques relations nous appelèr<strong>en</strong>t auprès du Vizir, et ce fut<br />

dans <strong>le</strong> courant de la conversation que Hussein Khan, qui<br />

faisait <strong>par</strong>tie du Divan Kané, me dit: «Monsieur, voilà votre<br />

général». Je <strong>le</strong> saluai et lorsqu'il me l'eut r<strong>en</strong>du, je crus que<br />

nous nous étions <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dus; et nous nous retirâmes lorsqu'il<br />

eut été bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du que dès <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain il me ferait<br />

appe<strong>le</strong>r pour me faire reconnaître â mon bataillon; <strong>le</strong> général<br />

crut sans doute que cet ordre reçu devant <strong>le</strong> Vizir n'était pais<br />

suffisant, c'est du moins ce que je crus ne recevant aucun de<br />

ses avertissem<strong>en</strong>ts; je me résignai donc à al<strong>le</strong>r chez lui pour<br />

lui demanderb explication de son peu d'exactitude. Il répondit<br />

qu'il était prêt â mettre ses soldats sous mes ordres quand je<br />

<strong>le</strong> voudrais. Je désire que ce soit demain. Tel que cela fut<br />

conv<strong>en</strong>u, <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain nous nous r<strong>en</strong>dîmes sur <strong>le</strong> terrain, je<br />

pris mon bataillon, et nous comm<strong>en</strong>çâmes <strong>le</strong>s manoeuvres à la<br />

française; p<strong>en</strong>dant trois jours je fus satisfait du bataillon, du<br />

colonel et du général. Mais je n'eus pas lieu de l'être lé<br />

quatrième; car <strong>le</strong> généra) s'y étant r<strong>en</strong>du, voulut m'<strong>en</strong>gager<br />

â <strong>le</strong>s faire manoeuvrer à la persane, désapprouvant nos<br />

manoeuvres. Je lui répondis que je ne voudrais jamais<br />

tromper s ce point <strong>le</strong> Chah.de <strong>Perse</strong>, qu'il m'avait fait v<strong>en</strong>ir<br />

de France pour l'ordre europé<strong>en</strong>, et que je ne dérogerais<br />

jamais. Comme il récidivait je <strong>le</strong> priai de se taire; comme il<br />

<strong>par</strong>lait <strong>en</strong>core, je lui fis de graves remontrances; il persistait<br />

toujours et voulut pr<strong>en</strong>dre <strong>le</strong> commandem<strong>en</strong>t, j'y cons<strong>en</strong>tis,<br />

toutefois; devant répéter tout ce que je v<strong>en</strong>ais de faire; mais<br />

il n'<strong>en</strong> fut pas ainsi, il faisait faire <strong>le</strong> contraire de tout avec<br />

mauvaise int<strong>en</strong>tion. Je <strong>le</strong> priai de remettre son sabre dans <strong>le</strong><br />

fourreau, et que j'<strong>en</strong> r<strong>en</strong>drais compte au Roi. Je fis rompre


JOURNAL D'UNE ?,iISSION MILITAIRE EN PERSE 121<br />

<strong>le</strong>s rangs au bataillon et <strong>le</strong> général resta seul sur la place.<br />

J'étais résigné de faire mon rapport au Roi, mais pour éviter<br />

toute grave punition, qui aurait pu retomber sur la tête du<br />

général, je résolus de ne ri<strong>en</strong> dire, et de m'expliquer lorsque<br />

<strong>le</strong> Vizir ou <strong>le</strong> Chah s'apercevrai<strong>en</strong>t de mon abs<strong>en</strong>ce, car<br />

jusqu'à nouvel ordre j'abandonnais mon bataillon. 15 jours<br />

se passèr<strong>en</strong>t ainsi, et cela ne devant pas tarder à être<br />

découvert, Méhémet Mi. Khan, ce général, s'excusa auprès<br />

de moi, et me fit promettre d'y retourner, mais ce ne fut<br />

toutefois qu'après dé sévères conditions que je lui imposai et<br />

auxquel<strong>le</strong>s il souscrivit. Je poursuivis donc l'instruction de<br />

ces troupes et je croyais être débarrassé de toute intrigue;<br />

mais quel fut mon étonnemelit]orsque, quelques jours après,<br />

<strong>le</strong> colonel qui, jusque là, avait témoigné un grand désir de<br />

s'instruire dans l'art de la guerre et se montrait très att<strong>en</strong>tif<br />

aux premières théories que je faisais, vint sur <strong>le</strong> terrain de<br />

manoeuvres. Mes douze compagnies, qui formai<strong>en</strong>t ce bataillon,<br />

exécutai<strong>en</strong>t ce jour, d'après l'ordre que je v<strong>en</strong>ais de donner4<br />

l'éco<strong>le</strong> de peloton, et, pour que je pusse <strong>le</strong>ur apporter mes<br />

soins â tour de rô<strong>le</strong>, je <strong>le</strong>s avais r<strong>en</strong>fermées dans un étroit<br />

espace se trouvant ainsi peu éloignées <strong>le</strong>s unes des autres.<br />

Le colonel vint donc sur <strong>le</strong> terrain de manoeuvres, eteut soin<br />

de se r<strong>en</strong>dre furtivem<strong>en</strong>t à la gauche de tout mon bataillon,<br />

tandis que je me trouvais â la droite ; il ordonna immédiatem<strong>en</strong>t<br />

de manoeuvrer selon <strong>le</strong>urs habitudes, et de laisser de<br />

côté <strong>le</strong>s démonstrations â la française. Peu d'instant après je<br />

m'<strong>en</strong> aperçus, et me portai au galop â ce peloton qui,<br />

activem<strong>en</strong>t, obéissait déjà au colonel. Je m'adrèssai d'abord<br />

au capitaine et lui administrant deux coups de cravache<br />

((Pourquoi changez-vous, lui dis-je, ce que je vous ai démontré,<br />

pourquoi ne m'obéissez-vous pas, quand, <strong>par</strong> ordre du Chah,<br />

j'ai ici tout pouvoir, et que l'instruction m'est seu<strong>le</strong> confiée <strong>en</strong><br />

mêmetemps que je suisresponsab<strong>le</strong> de ses progrès-- C'est <strong>le</strong><br />

colonel qui est là qui me l'a ordonné. -Je vous répète <strong>en</strong>core<br />

que je suis ici seul chef, et faites à l'instant exécuter ce que


122 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

moi seul ai<strong>le</strong> droit de commander et d'<strong>en</strong>seigner ici ». Le<br />

capitaine revint alors à mes observations, puis, m'adressant<br />

an colonel, la colère et la m<strong>en</strong>ace dans tous mes traits:<br />

«Pourquoi, colonel, détruisez-vous ainsi, <strong>par</strong> l'exécution de vos<br />

anci<strong>en</strong>nes manoeuvres, ce que j'ai eu tant de peine à <strong>le</strong>ur<br />

appr<strong>en</strong>dre? Vous, monsieur, qui n'avez point mérité <strong>le</strong><br />

commandem<strong>en</strong>t d'un bataillon, ni <strong>par</strong> votre âge, ni <strong>par</strong> votre<br />

instruction, appr<strong>en</strong>ez avant, et ne vous avisez jamais de<br />

donner ici un ordre concernant l'instruction jusqu'à ce que<br />

vous <strong>en</strong> ayez pris vous-même une certaine <strong>par</strong>t. Ignorez-vous<br />

ici nos fonctions, et l'ordre suprême qui m'a conféré votre<br />

bataillon ». Le colonel ne répondit mot. Je poursuivis. «Une<br />

scène semblab<strong>le</strong> eut lieu-dernièrem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre votre général,<br />

votre père, et moi; à sa prière je promis de ne point faire au<br />

Chah <strong>le</strong> rapport dont je l'avais m<strong>en</strong>acé et que méritait sa<br />

conduite, mais c'est <strong>en</strong> vain que vous m'<strong>en</strong> prieriez, <strong>le</strong> Roi<br />

<strong>en</strong> sera instruit, et lui qui connaît <strong>le</strong>s mil<strong>le</strong> machinations<br />

dont il est <strong>le</strong> jouet dans son royaume, <strong>en</strong> verra peut-être une<br />

des causes dans votre conduite, et dès lors gare à votre tête.<br />

Du reste, vous n'ignorez pas la bi<strong>en</strong>veillance qu'il témoigne<br />

à nous dix Français qui sommes ici, et <strong>le</strong> grand intérêt qu'il<br />

nous porte<br />

Je ifs réunir <strong>en</strong>suite tous <strong>le</strong>s chefs de compagnie au c<strong>en</strong>tre<br />

et iour mettre de mon côté toutes <strong>le</strong>s bonnes raisons, je lés<br />

• convoquai pour une théorie dans la même journée, puis je fis<br />

rompre <strong>le</strong>s rangs, et je me retirai. Il est inuti<strong>le</strong> de dire que,<br />

sans doute, d'après <strong>le</strong>s instigations du colonel, mes officiers<br />

ne vinr<strong>en</strong>t point au r<strong>en</strong>dez-vous.<br />

Mes camarades, MM. Delacroix eI.Vergne, employés depuis<br />

trois jours avec l'artil<strong>le</strong>rie, eur<strong>en</strong>t aussi de semblab<strong>le</strong>s mécon-<br />

t<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>ts. -<br />

Nous sûmes faci<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t que tout cela t<strong>en</strong>dait â nous faire<br />

r<strong>en</strong>voyer, et que c'était une machination de l'ambassade<br />

russe (lui nous occasionnait tant de tracas. Nous <strong>en</strong> eûmes<br />

• la certitude à peu près à la même époque; voici comm<strong>en</strong>t.


3OURNÀL D'UNE MISSION MILITAiRE EN PERSE<br />

Une dame française dont j'ai déjà <strong>par</strong>lé et mariée, après<br />

avoir embrassé la religion musulmane, â un Persan nommé<br />

Hadji Abus, nous reçut avec bi<strong>en</strong>veillance dans <strong>le</strong>s visites que<br />

nous lui finies, d'aprèIa per<strong>mission</strong> de son mari. Cette<br />

dame avait accès â la cour, au harem, et se trouvait très souv<strong>en</strong>t<br />

<strong>en</strong> rapport avec <strong>le</strong>s femmes du Chah, mais plus<br />

<strong>par</strong>ticulièrem<strong>en</strong>t avec une princesse soeur deMéhémet Chah,<br />

roi actuel. Ces relations n'avai<strong>en</strong>t lieu qu'au harem, où se<br />

trouv<strong>en</strong>t constamm<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s dames comme il faut de la <strong>Perse</strong>.<br />

Cette bonne princesse qui n'ignorait pas lajalousie des Russes<br />

coutre notre arrivée <strong>en</strong> <strong>Perse</strong>, ni <strong>le</strong>urs intrigues qui t<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t,<br />

toujours sous <strong>le</strong> voi<strong>le</strong> de la bi<strong>en</strong>veillance, â écraser<br />

son malheureux pays, s'intéressa â nous, et el<strong>le</strong> fut naturel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t<br />

appe<strong>le</strong> à <strong>en</strong> <strong>par</strong>ier â W' Hadji Abus, qui était d'origine<br />

française. El<strong>le</strong> lui apprit donc, <strong>en</strong> grande confid<strong>en</strong>ce, que<br />

l'ambassade russe avait, peu de jours avant celui-là, conversé<br />

<strong>en</strong> grande confid<strong>en</strong>ce avec <strong>le</strong> Chah, après avoir, contre<br />

l'habitude du pays, fait retirer tous <strong>le</strong>s domestiques. « Qui,<br />

Madaifie, ajouta la princesse, je <strong>le</strong> ti<strong>en</strong>s de mon frère <strong>le</strong> Chah;<br />

la Russie, non cont<strong>en</strong>te de ses intrigues, agit maint<strong>en</strong>ant<br />

ouvertem<strong>en</strong>t pour faire <strong>par</strong>tir d'ici vos compatriotes, appelés<br />

pour l'intérêt commun de la <strong>Perse</strong>. Oui, ma chère dame)<br />

l'ambassadeur russe a demandé au Roi de <strong>le</strong>s r<strong>en</strong>voyer,<br />

et pour ne pas perdre l'arg<strong>en</strong>t qu'ils aurai<strong>en</strong>t déjà reçu â titre<br />

d'appointem<strong>en</strong>ts, il a invité mon frèro à réclamer cette somme<br />

au Roi de France et il a ajouté qu'on <strong>en</strong>verrait de la Russie,<br />

des officiers et des armes pour remplacer <strong>le</strong> but qu'on s'était<br />

promis dans notre détachem<strong>en</strong>t. Mais fort heureusem<strong>en</strong>t,<br />

poursuivit la princesse, que <strong>le</strong> Chah ne lui a point répondu,<br />

prév<strong>en</strong>ez-<strong>en</strong> <strong>en</strong> sil<strong>en</strong>ce vos compatriotes ». C'est ce que.flt<br />

Mme Hadji Ahas, et c'est ce qui justifia ainsi nos prév<strong>en</strong>tions -<br />

contre la Russie. Le hasard, comme on <strong>le</strong> voit, nous servait<br />

merveil<strong>le</strong>, et ce lut <strong>par</strong> cette voie que nous voulûmes faire<br />

connaître au Chah toutes nos réclamations, et lui appr<strong>en</strong>dre<br />

123<br />

e<br />

-


i<br />

JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

peut-être ce qu'il ignorait, que la plus grande <strong>par</strong>tie des<br />

instructeurs n'était pas employée.<br />

Peu de jours après nous adressâmes au Chah une <strong>le</strong>ttre<br />

concernant nos réc]alirntions, et <strong>par</strong>mi <strong>le</strong>s premières nous lui<br />

exposions surtout <strong>le</strong> peu de travail que nous avions fait<br />

jusque là. Nous lui demandions donc à être employés généra<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t.<br />

Madame Hadji Ahas, après avoir veillé à la traduction<br />

exacte de cette <strong>le</strong>ttre, voulut bi<strong>en</strong> se donner la peine de se<br />

r<strong>en</strong>dre au harem chez la princesse qui put après l'avoir lue la<br />

remettre, à l'insu de tout <strong>le</strong> monde, au Chah son frère. J'oubliai<br />

de dire que dans cette <strong>le</strong>ttre j'adressais une réclamation<br />

personnel<strong>le</strong> concernant <strong>le</strong> général et <strong>le</strong> colonel qui s'opposai<strong>en</strong>t<br />

tant à l'instruction qu'il m'était ordonné de donner aux<br />

troupes sous <strong>le</strong>urs ordres; mais ces deux personnages à<br />

l'avènem<strong>en</strong>t de Hadji Mina Agassi au grand Vizir fur<strong>en</strong>t,<br />

malgré <strong>le</strong>ur complète ignorance, é<strong>le</strong>vés aux charges qu'ils<br />

occup<strong>en</strong>t. :[ls se trouvai<strong>en</strong>t non-seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t protégés <strong>par</strong> <strong>le</strong><br />

Vizir, mais <strong>en</strong>core ses proches <strong>par</strong><strong>en</strong>ts. Ce fut ainsi que dans<br />

la crainte <strong>d'une</strong>punition grave pour eux, la princesse déchira<br />

de cette <strong>le</strong>ttre <strong>le</strong>s lignes qui <strong>le</strong>saccusai<strong>en</strong>t; <strong>le</strong> roi promit qu'il<br />

donnerait bonne suite à nos réclamations, et il nous tint<br />

<strong>par</strong>o<strong>le</strong>; quoi qu'il <strong>en</strong> fut, <strong>en</strong> att<strong>en</strong>dant de nouveaux ordres<br />

j'abandonnai <strong>le</strong> bataillon dont <strong>le</strong> vi<strong>en</strong>s de <strong>par</strong><strong>le</strong>r. Quelques<br />

jours après, <strong>le</strong> hasard me fit trouver , devant la garde du<br />

Vizir, et <strong>en</strong> sa propre prés<strong>en</strong>ce, il me reconnut pour celui<br />

qui avait eu à se plaindre du bataillon de son <strong>par</strong><strong>en</strong>t et crut<br />

me dédommager <strong>en</strong> me donnant sa garde à instruire, je ne<br />

l'<strong>en</strong>viais nul<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t, mais force me fut faite de faire bonne<br />

cont<strong>en</strong>ance. J'acceptai donc. Cette garde fut plus obéissante<br />

ainsi que ses chefs; mais un mois de carême, celui de ramazan,<br />

p<strong>en</strong>dant <strong>le</strong>quel <strong>le</strong>s musulmans ne font ri<strong>en</strong>, étant arrivé,<br />

je ne pus ri<strong>en</strong> faire, et pour l'époque à laquel<strong>le</strong> il se termina<br />

il était trop tard, la saison était trop avancée pour faire<br />

quelques manoeuvres puisque nous <strong>en</strong>trions <strong>en</strong> décembre.<br />

Maint<strong>en</strong>ant au coin de quelque petit foyer nous nous <strong>en</strong>tre -


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

- t<strong>en</strong>ons de la campagne que se propose de faire Mahomet<br />

Chah au printemps, et chacun a des rêves et des illusions<br />

de jeunesse,jouit des rêves de la gloire qui ne nous laisseront<br />

plus comme <strong>le</strong>s précéd<strong>en</strong>ts que tristes déceptions, et celui<br />

qui longtemps s'est trouvé loin de sa patrie, chez des peup<strong>le</strong>s<br />

barbares, sait que , là, plus qu'ail<strong>le</strong>urs, el<strong>le</strong>s sont cruel<strong>le</strong>s<br />

et que <strong>le</strong> réveil est pénib<strong>le</strong>.<br />

Un jour que <strong>le</strong> temps nous <strong>par</strong>ut favorab<strong>le</strong>, nousprojetâmes,<br />

pour faire une diversion à notre <strong>en</strong>nui et à notre monotonie,<br />

d'al<strong>le</strong>fvisiter <strong>le</strong>s ruines de l'anci<strong>en</strong>ne Rhey, la Rhagès des<br />

Grecs, célèbre <strong>par</strong> son antiquité, son anci<strong>en</strong>ne ét<strong>en</strong>due, et<strong>le</strong>s<br />

différ<strong>en</strong>tesscènes qui y eur<strong>en</strong>t lieu, èntr'a.utre cel<strong>le</strong> de Tobie.<br />

Après quelques légers pré<strong>par</strong>atifs que nous fîmes la veil<strong>le</strong>,<br />

montés sur nos chevaux, nous nous dirigeâmes <strong>le</strong> l<strong>en</strong>demain<br />

<strong>par</strong> un temps calme, vers <strong>le</strong>s 5 heures du matin, vers cette<br />

fameuse Rhey située à 2 lieues sud de Téhéran, au pied <strong>d'une</strong><br />

petite montagne de la chaîne de l'Elboirs, et où, d'après la<br />

mythologie des Persans, se trouvai<strong>en</strong>t anci<strong>en</strong>nem<strong>en</strong>t r<strong>en</strong>fermés<br />

<strong>le</strong>s Dives ou mauvais génies de la <strong>Perse</strong>. Tout est ruine:<br />

<strong>le</strong> génie de la destruction a tout détruit et <strong>en</strong>seveli, aussi.<br />

n'aperçoit-on maint<strong>en</strong>ant, <strong>par</strong>tout où se porte la vue, que<br />

monceaux de terre où s'é<strong>le</strong>vai<strong>en</strong>t, du temps de sa spl<strong>en</strong>deur,<br />

<strong>le</strong>s rem<strong>par</strong>ts et <strong>le</strong>s murs de circonvallation que j'ai.apetçus au<br />

nombre de deux Trois tours sont assez bi<strong>en</strong> conservées; une,<br />

pins remarquab<strong>le</strong> que <strong>le</strong>s autres <strong>par</strong> sa construction et son<br />

originalité, <strong>par</strong>aît vers <strong>le</strong> milieu des ruines; sa hauteur,<br />

quoique <strong>le</strong> temps ait fait écrou<strong>le</strong>r <strong>le</strong> tiers de son élévation,<br />

d'après<strong>le</strong> dire des g<strong>en</strong>s du pays, et <strong>en</strong>corede4o à 50mètres;<br />

1'inérieur, où l'on pénètre <strong>par</strong> <strong>le</strong> moy<strong>en</strong> de deux grandes<br />

portes et diamétra<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t opposées, est uni, et l'on remarque<br />

<strong>en</strong>core quelques arabesques. Quant à l'extérieur, el<strong>le</strong> prés<strong>en</strong>te<br />

des ang<strong>le</strong>s saillants et r<strong>en</strong>trants, et <strong>le</strong>s côtés de ces ang<strong>le</strong>s<br />

sont de I mètre <strong>en</strong>viron; tout est <strong>en</strong> brique, et comme je l'ai<br />

- déjà dit, assez bi<strong>en</strong> conservé; <strong>le</strong> diamètre de la tour est de 10<br />

à 12 mètres, la base de ce reste de la grandeur de Rhey ou<br />

125


126 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

Rhagès est sapé et miné, et la tour el<strong>le</strong>-même se res<strong>en</strong>t de —<br />

la destrution à 2 ou S mètres à<strong>par</strong>tir de sa base. On remarque<br />

<strong>en</strong>core â l'<strong>en</strong>trée des ruines <strong>en</strong> arrivant de Téhéran et taillé<br />

dans <strong>le</strong> roc, un tab<strong>le</strong>au représ<strong>en</strong>tant Fatey-Ali-Chah sur so'C<br />

trône, ayant à ses côtés, debout, ses Chah Adey ou princes,<br />

et ce tab<strong>le</strong>au royal, que termin<strong>en</strong>t deux colonnes toujours<br />

sculptées dans <strong>le</strong> roc, laisse <strong>en</strong>core apercevoir â côté de ces -<br />

colonnes deux personhages de chaque côté, l'un portant un<br />

épervier, l'autre un faucon, et <strong>le</strong>s autres port<strong>en</strong>t différ<strong>en</strong>tes<br />

choses nécessaires à multiplier <strong>le</strong>s plaisirs-du roi ; nais<br />

quoique j'aie <strong>par</strong>u, pour <strong>le</strong> tab<strong>le</strong>au de cesprsonnes, <strong>le</strong> diviser<br />

<strong>en</strong> deux, j'observerai pourtant qu'<strong>en</strong> supprimant <strong>le</strong>s colonnes<br />

<strong>en</strong> relief dont j'ai <strong>par</strong>lé, il n'<strong>en</strong> fait qu'un seul, ayantlOmètres<br />

de longueur et 8 de hauteur. Au-dessus sont <strong>le</strong>s''prolonge-'<br />

m<strong>en</strong>ts des rocs qui formai<strong>en</strong>t, à ce que je crois, un des prodigieux<br />

rem<strong>par</strong>ts de cette vil<strong>le</strong> antique; à son pied <strong>par</strong>àttune<br />

plateforme et â son pied passe un ruisseau v<strong>en</strong>ant sortir de<br />

dessous une arche. Cette eau est, dit-on, très bi<strong>en</strong>faisante, et<br />

guérit-el<strong>le</strong> de toute maladie; aussi <strong>le</strong>s Musulmans, qui l'ont —<br />

<strong>en</strong> vénération, y dépos<strong>en</strong>t-ils, <strong>en</strong> sign'è de reconnaissance, un<br />

petit morceau de <strong>le</strong>ur robe, on y aperçoit une branche <strong>en</strong><br />

travers de cette arche toute couverte de ces remerciem<strong>en</strong>ts<br />

au génie bi<strong>en</strong>heureux présid<strong>en</strong>t; tout â côté est établi maint<strong>en</strong>ant<br />

un kalianghi d'homme qui s'install<strong>en</strong>t sur <strong>le</strong>s routes,<br />

et moy<strong>en</strong>nant une faib<strong>le</strong> rétribution donn<strong>en</strong>t â fumer aux<br />

passants. Dans' <strong>le</strong> prolongem<strong>en</strong>t de la colline contre laquellé<br />

se trouve <strong>le</strong> tab<strong>le</strong>au dont je vi<strong>en</strong>s de <strong>par</strong><strong>le</strong>r, et <strong>en</strong> allant vers<br />

<strong>le</strong> nord, se trouve un autre tab<strong>le</strong>au représ<strong>en</strong>tant un Chah de<br />

<strong>Perse</strong> à cheval et à la chasse, la lance <strong>en</strong> main, perçant un<br />

]ion de son arme; du reste, je -<strong>le</strong> répèt tout est ruine et<br />

deuil, <strong>par</strong>tout on ne voit que <strong>le</strong> génie de la destruction, génie<br />

déplorab<strong>le</strong> qui efface tout et prive un malheureux pays <strong>d'une</strong><br />

vil<strong>le</strong> anci<strong>en</strong>ne, riche et opul<strong>en</strong>te, qui jadis re<strong>le</strong>vait un pays<br />

qui court maint<strong>en</strong>ant â grands pas vers sa ruine. Ce fut .vers - -<br />

<strong>le</strong> mois d'avril 1841 que nos camarades Vergne et Bussièr,<br />

D<br />

M<br />

I'<br />

n<br />

's


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

<strong>par</strong> suite des mécont<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>ts qu'ils éprouvèr<strong>en</strong>t, se r<strong>en</strong>dir<strong>en</strong>t<br />

<strong>en</strong> France où <strong>le</strong> maréchal <strong>le</strong>s employa comme officiers<br />

d'artil<strong>le</strong>rie.<br />

Nous emes,comme on doit bi<strong>en</strong> <strong>le</strong> p<strong>en</strong>ser, l'occasion de<br />

faire connaissance avec plusieurs princes et grands de l'Iran,<br />

ce qui fions permit de juger de <strong>le</strong>urs mœurs'et de <strong>le</strong>urs<br />

habitudes. Nous fûmes aussi admis au Salam, saIitation<br />

généra<strong>le</strong> que l'on fait au Chah, â certains jours de l'année.<br />

Le premier auquel nous assistâmes eut lieu dans la cour du<br />

palais près des sal<strong>le</strong>s <strong>par</strong>ticulières du Chah ; lorsque nous<br />

arrivâmes d'abord tous <strong>le</strong>s soldats étai<strong>en</strong>t placés autour du<br />

jardin, et devant une sal<strong>le</strong> richem<strong>en</strong>t décorée où se trouvai<strong>en</strong>t<br />

près de la f<strong>en</strong>être deux coussins couverts de diamants pour<br />

former <strong>le</strong> trône du roi, et rangés au dehors, plusieurs lignes<br />

de moustophin ou conseil<strong>le</strong>rs du roi; ils sont habillés de rouge,<br />

ayant une toque et <strong>le</strong>s bas de la même cou<strong>le</strong>ur. Lé chef<br />

d'audi<strong>en</strong>ce vint nous recevoir et nous plaça au milieu d'eux,<br />

<strong>le</strong> plus grand honneur qu'on ait fait â des europé<strong>en</strong>s jusquelà;<br />

v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t derrière<strong>le</strong>s lignes des maréchaux, des généraux,<br />

des colonels et autres officiers. Dés, nous étions là depuis<br />

quelques instants lorsqu'un certain bruit qui se fit dans la<br />

chambre du Roi vint nous annoncer son arrivée; et nous <strong>en</strong><br />

fûmes bi<strong>en</strong>tôt assurés,car après une première salve d'artil<strong>le</strong>rie,<br />

<strong>le</strong> Roi, couvert de diamants, vint s'asseoir à l'<strong>en</strong>droit<br />

désigné et sil<strong>en</strong>cieusem<strong>en</strong>t tout <strong>le</strong> monde att<strong>en</strong>dit que<br />

l'artil<strong>le</strong>rie cessât son feu. Quand il fut terminé, un grand<br />

prêtre s'avança et chanta <strong>le</strong>s louanges du Chah, et son<br />

discours fut suivi d'un autre pour la divinité ; après quoi <strong>le</strong><br />

Chah adressa quelques <strong>par</strong>o<strong>le</strong>s à ses conseil<strong>le</strong>rs, et l'ayant<br />

salué très respectueusem<strong>en</strong>t on se retira <strong>en</strong>suite. Cette fête<br />

était après <strong>le</strong> Mo<strong>par</strong>r<strong>en</strong>, mois de jeûne. Nous assistâmes<br />

<strong>en</strong>suite â un autre Salam, celui du 21 mars, premier de l'an<br />

des Persans. Celui-là se fait dans la grande sal<strong>le</strong> du trône du<br />

- Paon, ou du Mogol, que Nadir Chah, roi de l'Iran, apporta<br />

de l'Inde; cette cérémonie à laquel<strong>le</strong> assist<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s mêmes<br />

127


128 JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

personnes que <strong>le</strong>s précéd<strong>en</strong>tes, se fait pourtant plus majestueusem<strong>en</strong>t,<br />

car <strong>le</strong> Roi y a presque toutes ses richesses. La<br />

cérémonie comm<strong>en</strong>ce <strong>par</strong> offrir toute espèce de chose comme<br />

augure <strong>d'une</strong> bonne année, et ellé se termine <strong>par</strong> <strong>le</strong>s salutations<br />

que vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t faire dix énormes éléphants que nourrit<br />

la province. d'Hamadàn; après quoi, <strong>le</strong> Roi, après avoir été<br />

salué, se retire ainsi que tous <strong>le</strong>s assistants.<br />

Peu de jours après, <strong>le</strong> Roi nous employa et nous donna<br />

â instruire deux régim<strong>en</strong>ts, l'un de sa garde, l'autre de<br />

Cashin; ils témoignèr<strong>en</strong>t une grande volonté de s'instruire,<br />

et nous <strong>par</strong>vînmes après peu de temps à <strong>le</strong>s mettre <strong>en</strong> état<br />

de manoeuvrer passab<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t. Le Roi et son fils assistai<strong>en</strong>t<br />

souv<strong>en</strong>t à cette nouvel<strong>le</strong> instruction et <strong>par</strong>aissai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>chantés<br />

de ces premiers succès.<br />

Le Chah de <strong>Perse</strong> témoignait <strong>en</strong> général toute sa satisfaction<br />

ettoute sa bi<strong>en</strong>veillance, et une nouvel<strong>le</strong> marque <strong>en</strong>core de<br />

sa bonté fut la concession qu'il nous fit de son château J(asre<br />

Kadjar pour passer quelques temps à. la campagne.<br />

Kasre Kadjar est situé à une lieue <strong>en</strong>viron nord-est de la<br />

vil<strong>le</strong> de Téhéran et est bâti sur une légère émin<strong>en</strong>ce, <strong>le</strong>s<br />

ap<strong>par</strong>tem<strong>en</strong>ts ne sont qu'à l'intérieur du château autour d'un<br />

vastelardin où se trouve un bassin, au milieu. On<strong>par</strong>vi<strong>en</strong>t<strong>par</strong><br />

une route à la porte principa<strong>le</strong>, cel<strong>le</strong> de l'<strong>en</strong>trée, et après cinq<br />

ou six marches on se trouve sur une terrasse d'où l'on<br />

découvre une vue lointaine et délicieuse. De cel<strong>le</strong>-ci on desc<strong>en</strong>d<br />

dans une autre, et ainsi de suite, on passe <strong>par</strong> quatre -<br />

terrasses successives qui, de loin, imit<strong>en</strong>t <strong>par</strong>faitem<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s<br />

différ<strong>en</strong>ts étages <strong>d'une</strong> maison; vi<strong>en</strong>t, toujours <strong>en</strong> desc<strong>en</strong>dant<br />

de la quatrième terrasse, <strong>le</strong> jardin énorme de Kasre Nad jar.<br />

Au-dessus du château, tout <strong>en</strong> haut de la terrasse de la<br />

maison, se trouve une chambre, toute tapissée de glaces et<br />

que l'on appel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s délides des Kadjars.<br />

Nous passâmes <strong>en</strong>viron trois mois à Kasre Kadjar, d'où<br />

nous <strong>par</strong>ttmes pour al<strong>le</strong>r asseoir notre camp à Chimran qui<br />

se trouve situé au pied de la montagne de ce nom à la <strong>par</strong>tie.


JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN PERSE 129<br />

nord de la vil<strong>le</strong> de Téhéran et à une distance de trois lieues<br />

<strong>en</strong>viron. Tous <strong>le</strong>s ans, vers<strong>le</strong> mois de niai, la cour et toute la<br />

troupe quitt<strong>en</strong>t la vil<strong>le</strong> soit pour se garantir de la cha<strong>le</strong>ur,<br />

pour échapper aux maladies et aux moustiques, soit <strong>en</strong>core<br />

pour jouir â <strong>le</strong>ur aise de la fraîcheur de quelque <strong>en</strong>droit<br />

favorab<strong>le</strong>. Les lieux du campem<strong>en</strong>t ne sont pas fixés, ils sont<br />

subordonnés au caprice du Chah, lorsque quelque excursion<br />

hosti<strong>le</strong> ne l'oblige pas à marcher contre ses <strong>en</strong>nemis; cep<strong>en</strong>dant<br />

<strong>le</strong> plus souv<strong>en</strong>t c'est à Chimran que <strong>le</strong> Chah va passer<br />

l'époque des cha<strong>le</strong>urs. Il quitte ainsi Téhéran et va passer 8<br />

jours â Lalazar, propriété roya<strong>le</strong> située près de la porte<br />

flau<strong>le</strong>t, de là il se r<strong>en</strong>d â Négaristan, résid<strong>en</strong>ce roya<strong>le</strong> peu<br />

distante de la précéd<strong>en</strong>te; <strong>en</strong>fin, il monte <strong>en</strong> voiture et se<br />

r<strong>en</strong>d <strong>en</strong>fin à Chimran dans une bi<strong>en</strong> petite propriété roya<strong>le</strong>;<br />

<strong>le</strong>s troupes formées <strong>en</strong> régim<strong>en</strong>t <strong>par</strong> province plac<strong>en</strong>t <strong>le</strong>ur<br />

camp autour du Roi, et <strong>le</strong>s grands de sa cour plac<strong>en</strong>t <strong>le</strong>urs<br />

t<strong>en</strong>tes dans des jardins voisins. Nos camarades, Messieurs <strong>le</strong>s<br />

officiers français, fur<strong>en</strong>t campés dans un agréab<strong>le</strong> jardin aux<br />

<strong>en</strong>virons du Roi. M. Lacroix et moi, qui nous trouvions<br />

attachés auprès du général comte Damas <strong>en</strong> qualité d'aidede-camp<br />

et qui nous trouvions, <strong>par</strong> cela même qu'ils étai<strong>en</strong>t<br />

<strong>en</strong>nemis du général, éloignés d'eux, fûmes camper avec <strong>le</strong><br />

général et sa famil<strong>le</strong> dans un bouquet d'arbres assez avancé<br />

dans la montagne et se trouvant <strong>en</strong>tre deux montagnes. Cet<br />

<strong>en</strong>droit assez éloigné du camp fut ainsi choisi <strong>par</strong> <strong>le</strong> comte<br />

de Damas: 1° pour la tranquillité, et lacommodité des dames,<br />

<strong>en</strong>suite â cause de la bonté de l'eau qui jaillit de terre à 20<br />

pas <strong>en</strong>viron du camp lui-même. Quoique dans <strong>le</strong>s camps tout<br />

s'y trouve hors de prix, néanmoins <strong>le</strong>s Persans, dans ces<br />

déplacem<strong>en</strong>ts comme dans tous <strong>le</strong>s autres, ne manqu<strong>en</strong>t de<br />

ri<strong>en</strong>, du moins tout ce qu'ils trouv<strong>en</strong>t à la vil<strong>le</strong> s'y trouve-t-il<br />

aussi, des bazars suivant constamm<strong>en</strong>t <strong>le</strong> camp. Je continuai<br />

avec M. Lacroix l'instruction des troupes et nous étions<br />

déjà <strong>par</strong>v<strong>en</strong>us à des résultats satisfaisants qui attinr<strong>en</strong>t au<br />

camp de Chimran la perfection que l'on peut att<strong>en</strong>dre chez


i3o JOURNAL MISSION MILITAIRE EN PERSE<br />

des peup<strong>le</strong>s sans .discipline, sans officiérs, car ceux qu'ils ont<br />

sont aussi ignorants que <strong>le</strong>s soldats, cep<strong>en</strong>dant ces mêmes<br />

officiers nous <strong>le</strong>s dégrossimes. Le Chah assistait, comme il<br />

faisait du reste quand nous étions â Téhéran, souv<strong>en</strong>t aux<br />

manoeuvres, et il ne manquait pas, <strong>par</strong> des <strong>par</strong>o<strong>le</strong>s bi<strong>en</strong>veillantes,<br />

d<strong>en</strong>ous <strong>en</strong>térnoignertout son cont<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t. J'oubliais<br />

de dire que <strong>le</strong> général comte de Damas assistait toujours aux<br />

manoeuvres; ce n'était probab<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t pas pour <strong>le</strong> bi<strong>en</strong> et <strong>le</strong><br />

progrès, mais je p<strong>en</strong>se pour son intérêt propre, puisqu'il<br />

<strong>par</strong>aissait aux yeux du Roi; c'est ce but d'intérêt sans nul<br />

doute qui <strong>le</strong> faisait agir, car non seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t il ne pouvait<br />

ri<strong>en</strong> faire, puisqu'il ignorait la langue, mais c'est que c'est<br />

pourla <strong>par</strong>tie <strong>militaire</strong> l'homme <strong>le</strong>plusstupide que j'aie jamais<br />

connu; il ne savait faire qu'une seu<strong>le</strong> chose, c'était de répondre<br />

(étouffant dans sa peau) aux saluts <strong>militaire</strong>s que je lui faisais<br />

r<strong>en</strong>dre <strong>par</strong> <strong>le</strong>s troupes rangées, lorsqu'il arrivait. Puis, quand<br />

<strong>le</strong> Chah v<strong>en</strong>ait p<strong>en</strong>dant que je faisais cesser réco<strong>le</strong> du détail<br />

pour faire <strong>en</strong>trer <strong>le</strong>s bataillons <strong>en</strong> ligne, il dégainait son<br />

imm<strong>en</strong>se sabre et faisait <strong>en</strong> français des commandem<strong>en</strong>ts que<br />

j'étais c<strong>en</strong>sé répéter <strong>en</strong> persan, mais loin de répéter des<br />

commandem<strong>en</strong>tsqui n'avai<strong>en</strong>tni queue ni tête, je commandais<br />

<strong>en</strong> persan comme je l'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dais. Cep<strong>en</strong>dant comme il n'y avait<br />

ni gestes, ni discussions, Ies . Persans croyai<strong>en</strong>t que c'était <strong>le</strong><br />

général qui faisait tout agir; il trompe ainsi <strong>le</strong> Roi, la troupe<br />

et tous <strong>le</strong>s grands, mais plustard comme on s'<strong>en</strong> aperçut on<br />

<strong>en</strong> fitla risée généra<strong>le</strong>. Ce fut p<strong>en</strong>dant notre séjour à Chimran<br />

que <strong>le</strong> Roi me nomma avec M. de Lacroix, officier<br />

impérial de l'ordre du so<strong>le</strong>il et du lion, et lieut<strong>en</strong>ant-colonel;<br />

il trouvait que la peine que nous pr<strong>en</strong>ions, et <strong>le</strong>s succès<br />

obt<strong>en</strong>us méritai<strong>en</strong>t cette récomp<strong>en</strong>se. Comme on <strong>le</strong> p<strong>en</strong>se<br />

bi<strong>en</strong>, nous ne fûmes pas fâchés de sa bi<strong>en</strong>veillance qui nous<br />

donnait ces légers honneurs à <strong>par</strong>tir du jor juil<strong>le</strong>t 18 141. Nos<br />

camarades, nos amis de coeur, desquels comme je ]'ai déjà<br />

dit nous nous trouvions sé<strong>par</strong>és <strong>par</strong> <strong>le</strong>s circonstances, ne<br />

tardèr<strong>en</strong>t pas à avoir cette décoration aussi, malgré toutes


D<br />

=<br />

JOURNAL D'UNE MISSION MILITAIRE EN Î'ERSE II<br />

<strong>le</strong>s démarches que la jalousie de Damas occasionnait. Déja<br />

quelques mois s'écoulèr<strong>en</strong>t, depuis notre arrivée chez cet<br />

homme, déja aussi nous comm<strong>en</strong>cions à <strong>le</strong> connaître insupportab<strong>le</strong><br />

<strong>par</strong> tous <strong>le</strong>s mil<strong>le</strong> défauts de son caractère. Qu'arrivera-t-il?<br />

.Te n'<strong>en</strong> sais ri<strong>en</strong> ; je ne veux pas m'appuyer sur<br />

d'autres choses que je crois prév<strong>en</strong>tion. Suivons, marchons,<br />

<strong>par</strong>courons...<br />

(t) Le manuscrit original s'arrête ici et la fin du récit manque.


AUXERRE. - IMPRIMERIE ALBERT LAMER, 4.3, RUE DE PARIS.

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