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quelques étonnants moments dont la tonalité semble entièrement<br />
gommée, dans une stupéfiante hardiesse harmonique. Les dernières<br />
mesures semblent évoquer une vision de l’avenir entourée de douces<br />
brumes d’incompréhension. Le choral doit normalement être joué la<br />
veille du Nouvel an ; le contraste avec le suivant, In dir ist Freude (Il<br />
y a de la joie en toi), BWV 615, est saisissant : ce choral de Nouvel an,<br />
débordant de joie avec sa partie de pédalier bondissante, est le plus<br />
« libre » de tous les morceaux du recueil.<br />
Le message de la Chandeleur est représenté par deux chorals : Mit Fried<br />
und Freud ich fahr dahin (En paix et dans la joie, je m’en vais), BWV<br />
616, dominé de bout en bout par la « figura corta » (une note longue,<br />
deux brèves) que Schweitzer appelle le « motif de la joie », déborde en<br />
effet de vitalité et de joie. Il en est de même pour le second choral de la<br />
Chandeleur, Herr Gott, nun schleuss den Himmel auf (Seigneur Dieu,<br />
ouvrez le ciel), BWV 617, écrit sur un rythme dansant évocateur de la<br />
gigue. Le cantus firmus, au clavier, se divise en deux voix – chose rare<br />
– tandis que le ténor égrène des doubles-croches contre les croches du<br />
pédalier.<br />
Suivent sept chorals du temps de la Passion, formant une sorte de<br />
pivot central du recueil. Il est également à remarquer que ce sont ces<br />
pièces qui offrent la plus grande variété en termes d’écriture. O Lamm<br />
Gottes (Toi, l’agneau de Dieu innocent), BWV 618 donne le thème en<br />
canon à la quinte entre le ténor et l’alto ; dans les chorals de la Passion,<br />
les canons sont généralement interprétés comme l’image du Christ<br />
exécutant les desseins de Dieu. L’écriture est dominée par le motif<br />
de soupir « suspiratio »), probablement le symbole de la souffrance.<br />
Christe, du Lamm Gottes (Christ, agneau de Dieu), BWV 619, présente<br />
cinq voix au lieu des quatre habituelles : le cantus firmus en canon<br />
entre soprano et ténor II, les autres parties distribuées entre clavier et<br />
pédalier. Bach aurait-t-il par hasard suivi le modèle de Nicolas Grigny<br />
et de ses fugues à cinq voix dans les Livres d’orgue ? Christus, der uns<br />
selig macht (Le Christ qui nous fait bienheureux), BWV 620 comporte le<br />
thème en canon entre soprano et basse, tandis que l’accompagnement<br />
énonce d’incisifs chromatismes et rampantes figures en doublescroches,<br />
peut-être afin de symboliser les chaînes entravant le Christ<br />
injustement accusé. Au centre des chorals de la Passion se trouve le<br />
lugubre Da Jesu an dem Kreuze stund (Jésus étant au pied de la croix),<br />
BWV621 ; plusieurs motifs peuvent être considérés comme des motifs<br />
de la croix (les notes se relient entre elles par des lignes qui forment<br />
la figure de la Croix !), tandis que l’interminable journée du Vendredi<br />
Saint serait symbolisée par l’absence totale de véritables cadences à la fin<br />
des phrases : la musique se poursuit sans la moindre pause. O Mensch<br />
bewein dein Sünde Gross (Homme, pleure ton grand péché), BWV 622<br />
reste probablement l’œuvre la plus célèbre de toute la littérature d’orgue.<br />
Sur un tempo marqué Adagio assai, Bach nous offre un cantus firmus<br />
merveilleusement ornementé dans une réalisation d’une extraordinaire<br />
chaleur intérieure. Il est probable qu’il est plus question <strong>ici</strong> d’invoquer<br />
l’esprit de la méditation pure plutôt que des images ou des paroles<br />
précises, mais de temps en temps on peut déceler quelques liens avec<br />
le texte : le mouvement ascendant « positif » pour « für uns geboren<br />
ward » (« né pour nous »), le brutal chromatisme sur des notes égales<br />
à « trug unser Sünder schwere Bürd » (« notre pécheur portait un<br />
lourd fardeau »), et surtout les harmonies glaciales de l’Adagissimo<br />
final soulignant « wohl an dem Kreuze lange » (« longtemps sur la<br />
Croix »). À l’opposé, Wir danken dir, Herr Jesu Christ (Nous te rendons<br />
grâces, Seigneur Jésus-Christ), BWV 623 dégage une douce chaleur et<br />
une sorte de gratitude ; le motif du pédalier n’est pas pour rien dans<br />
cette atmosphère. Enfin, le dernier des chorals du temps de la Passion,<br />
Hilf Gott, dass mir’s gelinge (Aide-moi, mon Dieu, à réussir), BWV 624<br />
énonce le cantus firmus en canon entre soprano et alto tandis que le<br />
ténor s’escrime sur d’incessantes petites gammes, exprimant ainsi le<br />
désir de l’humanité d’invoquer l’aide divine. Dans le manuscrit, Bach a<br />
couché la musique sur deux lignes seulement, alors que le morceau en<br />
exige trois ; par conséquent, la partie de pédalier est noté en tablature<br />
au milieu des autres voix.<br />
Le Orgelbüchlein compte six chorals de Pâques, à commencer par<br />
le très vif Christ lag in Todesbanden (Christ gisait dans les bras de<br />
la mort), BWV 625. Plus retenu, plus sobre, Jesus Christus, unser<br />
Heiland (Jésus-Christ notre Sauveur), BWV 626 cherche à cacher son<br />
aspect légèrement dansant (une sorte de gigue lente) jusqu’au Kyrie