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rivalité musicale entre Johann Gottfried Walther, organiste à la cour<br />
de Weimar, cousin et excellent ami de Bach, et lui-même compositeur<br />
assidu d’œuvres d’orgue. De nombreux chorals de Walther présentent<br />
des similitudes avec ceux du Orgelbüchlein, particulièrement en termes<br />
de construction, mais sur un niveau artistique bien inférieur. Une des<br />
raisons principales pour lesquelles Bach peut avoir laissé de côté son<br />
ouvrage est qu’il était trop accaparé par ses tâches dans le domaine de la<br />
musique profane, qui occupait le plus clair de son temps à Köthen.<br />
Dans le Orgelbüchlein, Bach crée de toutes pièces un genre entièrement<br />
nouveau de choral pour orgue, comportant quatre caractéristiques<br />
principales :<br />
a) Le choral est d’abord exposé en entier sans interruption ;<br />
b) le thème est toujours confié à la partie soprano ;<br />
c) le choral comporte quatre voix dont une de pédalier<br />
d) les parties d’accompagnement gardent chacune une parfaite unité<br />
thématique et rythmique.<br />
Naturellement, on rencontre quelques exceptions, mais ces<br />
caractéristiques se vérifient dans la grande majorité des cas. Les<br />
canons ne manquent pas, en particulier dans les chorals du temps de<br />
la Passion, tandis que d’autres comportent un cantus firmus ornementé<br />
avec grande fantaisie. De plus, on remarque l’incroyable concision de<br />
forme : certains chorals ne comptent qu’une douzaine de mesures.<br />
Il convient d’insister sur les motifs qui donnent à chaque choral son<br />
caractère propre. Dans la majorité des cas, on trouve leur source dans<br />
les figures rhétoriques énoncées par les théories de l’époque ayant trait<br />
à la forme musicale (comme par exemple le Praecepta der musicalischen<br />
Composition de J. G. Walther, 708 : « Préceptes de la composition<br />
musicale »). Depuis la parution de la grande biographie de Bach par<br />
Philipp Spitta, le sujet a donné lieu à des spéculations sans fin, mais l’une<br />
des contributions majeures à la compréhension des codes a été fournie<br />
par Albert Schweitzer. Selon lui, le recueil est un véritable dictionnaire<br />
du langage de Bach, et l’une des plus extraordinaires créations musicales<br />
de tous les temps. Schweitzer attribue des noms spécifiques à des motifs<br />
précis, tels que le « motif de la joie », le « motif du salut » etc., des<br />
noms qui ne reprennent pas nécessairement les appellations des divers<br />
motifs selon la théorie des formes musicales, mais qui comportent la<br />
même signification, en fin de compte. Dans le sillon de Schweitzer,<br />
les spéculations allèrent bon train et certaines idées semblent, pour<br />
l’exprimer courtoisement, hautement fantaisistes. Autant de conclusions<br />
que d’analystes… On ne peut qu’en conclure à la multipl<strong>ici</strong>té de la<br />
mission que Bach s’était fixée ! La recherche contemporaine tend à<br />
comparer le Orgelbüchlein à un ensemble d’ouvrages théoriques, quand<br />
bien même associés au myst<strong>ici</strong>sme religieux de l’époque, sans même<br />
parler des correspondances numérologiques. Récemment, une étude<br />
de Peter Møller a tenté de démontrer que l’ouvrage, dans son intégralité,<br />
est une profession de foi de l’ordre des Rosicruciens, par un système très<br />
élaboré – alambiqué, selon d’autres – de comptabilité tenant compte<br />
des nombres de mesures, de notes, de signes etc. Comme on le voit, les<br />
discussions n’en finiront jamais.<br />
Mais pour nous, auditeurs, ces joutes intellectuelles n’ont aucune<br />
importance : il convient de considérer l’ouvrage comme une source<br />
d’expérience musicale et, pour ceux que cela concerne, d’expérience<br />
pédagogique. On trouve des exemples de presque tous les problèmes<br />
techniques rencontrés dans les œuvres pour orgue ultérieures, voire<br />
dans toute la musique baroque. Un organiste peut s’escrimer toute sa<br />
vie sur cette seule collection sans jamais résoudre tous ses problèmes.<br />
Le Orgelbüchlein s’ouvre sur quatre chorals de l’Avent et, dans la plus<br />
pure tradition allemande, le premier est naturellement Nun komm<br />
der Heiden Heiland (Viens à présent, Sauveur des païens), BWV<br />
599, réalisé <strong>ici</strong> dans une écriture soutenue, introvertie, sur une basse<br />
descendante (catabasis) typique des chorals de l’Avent et de Noël et<br />
qui figure probablement la descente du Christ sur terre. L’atmosphère<br />
méditative est représentative des arrangements baroques de ce thème<br />
dont le sujet est le miracle de la naissance virginale. Gott, durch deine<br />
Güte (Dieu, par ta bonté) – connu également sous le titre Gottes Sohn<br />
ist kommen (Le Fils de Dieu est venu) –, BWV 600 présente un canon<br />
entre soprano et ténor tandis que l’alto avance sur un motif de noires, le<br />
tout soutenu par une basse en forme de continuo. Dans ce cas précis, et