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niveau d’écriture. Cet air « Mit Verlangen » s’adresse à Hyacinthe, l’un<br />
des favoris d’Apollon selon la mythologie grecque ; parmi les arias où<br />
Bach exprime une profonde mélancolie, celle-là est peut-être la plus<br />
extraordinaire. Suit l’air de Pan, une blague musicale débordante de<br />
subtilités cachées ou évidentes qui démontre que Bach ne considérait<br />
pas ses opposants comme incompétents, mais plutôt comme limités<br />
dans leur compréhension de la chose musicale. Quelques années plus<br />
tard, Bach devait réutiliser cette même aria dans sa Cantate paysanne.<br />
C’est maintenant au tour de Timolus de s’exprimer : il établit que<br />
Pan n’est que le chantre des forêts et des nymphes, et affirme que la<br />
délicate mélodie de Phoebus mérite toute les louanges. Dans la partie<br />
de hautbois, Bach inscrit un crescendo, le seul et unique exemple de<br />
cette indication dans tout son œuvre. Les premiers et seconds violons<br />
jouent ensemble dans l’aria de Midas ainsi que dans celle de Pan ; à<br />
l’instant où Midas chante « denn nach meinen beiden Ohren » (« car<br />
selon mes deux oreilles »), on entend l’âne braire aux cordes, en<br />
référence aux oreilles d’âne qui sont la punition de Midas, selon Ovide.<br />
Dans la cantate, la punition est administrée par Mercurius qui, dans<br />
son air, tire un parallèle évident entre Midas et les contemporains de<br />
Bach, musicalement ineptes, incapables de « juger sans la moindre<br />
considération ». Enfin, le chœur final est un hymne à la musique, dont<br />
les « tendres accents savent charmer les dieux eux-mêmes ».<br />
CD 11 : Cantates profanes, BWV 202 & 210<br />
Weichet nur, betrübte Schatten, BWV 0 , cantate nuptiale<br />
O holder Tag, erwünschte Zeit, BWV 0, cantate nuptiale<br />
Ce volume réunit les deux seules cantates de mariage de Bach qui<br />
nous sont parvenues : en effet, l’on en connaît au moins deux qui<br />
ont été perdues, « Auf ! Süss entzückende Gewalt » et « Vergnügte<br />
Pleissenstadt ». De la première œuvre perdue, toutefois, on connaît<br />
deux mouvements qui ont été réutilisés pour des arias de l’Oratorio<br />
d’Ascension.<br />
Il est évident que bien d’autres cantates de mariage ont été perdues : la<br />
coutume voulait que l’on offrît les partitions sous forme de manuscrit<br />
soigneusement copié. Il nous reste justement l’exemplaire de la main<br />
de Bach de la Cantate O holder Tag, erwünschte Zeit (Ô, jour propice,<br />
temps favorables), BWV 210, de loin le plus extraordinaire exemple de<br />
calligraphie musicale du Kantor. La musique elle-même est d’ailleurs<br />
d’une beauté irréelle. On ne connaît pas l’heureux couple, mais il devait<br />
sans doute accorder à la musique une place prépondérante. On sait que<br />
le mariage eut lieu en 740, mais la majeure partie de la cantate avait été<br />
écrite une dizaine d’années plus tôt, naturellement sur un autre texte.<br />
L’ouvrage prend exemple sur la cantate solo à l’italienne : en effet, elle<br />
ne fait appel qu’à une voix de soprano. Cette partie soliste est la plus<br />
extraordinairement diff<strong>ici</strong>le que Bach ait jamais écrite : des traits de<br />
colorature, des ornementations sans fin, des passages dans l’aigu – dont<br />
un contre-ut dièse – exigent une voix de tout premier ordre, ce qui ne<br />
devait pas se trouver si facilement à Leipzig si l’on considère que les<br />
solistes femme étaient encore exclues de l’église.<br />
La partition fait appel aux cordes, un hautbois, une flûte et le continuo.<br />
La partie de flûte elle-même ne manque pas de passages virtuoses ;<br />
probablement Bach a-t-il fait appel à de tels feux d’artifices vocaux et<br />
instrumentaux afin de créer suffisamment de variété dans une œuvre<br />
d’une longueur assez conséquente. À cette fin, il n’hésite pas à changer<br />
souvent les rythmes et les équilibres sonores, entre autres artifices.<br />
De même le texte, tout à fait dél<strong>ici</strong>eux, permet-il d’établir bien des liens<br />
entre l’amour et la musique. Cette dernière sait charmer l’esprit, parfois<br />
même provoquer des émois profonds, mais il lui arrive de s’égarer dans<br />
le domaine de la vanité alors que le couple devrait s’agenouiller devant<br />
l’autel de la gratitude. Après tout, la musique n’est pas une panacée pour<br />
un mariage heureux… Même la flûte, instrument plaintif, n’est pas<br />
vraiment à sa place dans un mariage. Mais la musique bénéf<strong>ici</strong>e de la<br />
protection divine : elle se hisse au niveau de l’amour et entraîne les sens<br />
vers les Cieux. Ainsi, l’amour peut tolérer la présence de la musique<br />
« au pied de son trône ». Le texte s’achève avec les meilleurs vœux de<br />
bonheur.<br />
On en sait encore moins sur l’origine de la Cantate Weichet nur,<br />
betrübte Schatten (Disparaissez, ombres affligées), BWV 202. Elle