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Quatre de ces œuvres – Der Geist hilft unsrer Schwacheit auf (L’esprit<br />
vient au secours de notre faiblesse), BWV 226, Jesu, meine Freude (Jésus,<br />
ma joie), BWV 227, Fürchte dich nicht, Ich bin bei dir (Ne crains rien,<br />
je suis près de toi), BWV 228 et Komm, Jesu, komm (Viens, Jésus, viens),<br />
BWV 229 – furent initialement écrites pour des services funèbres ou<br />
commémoratifs. Singet dem Herrn ein neues Lied (Chantez à l’Eternel<br />
un cantique nouveau), BWV 225 est une pièce de réjouissance destinée<br />
à célébrer l’anniversaire du Frédéric Auguste I, électeur de Saxe. Enfin,<br />
Lobet den Herrn alle Heiden (Louez le Seigneur, tous les peuples), BWV<br />
230 est probablement un fragment d’une cantate désormais perdue, et<br />
l’on ne connaît pas l’occasion pour laquelle la pièce fut conçue.<br />
Sans aucun doute, l’œuvre la plus complexe en termes de structure est<br />
Jesu, meine Freude (Jésus, ma joie), BWV 227. Pour ce motet, Bach a<br />
choisi deux différents versets de chorals d’une mélodie de Johannes<br />
Crüger, sur un texte de Johann Frank, en plus de quelques passages<br />
extraits de l’Epître de saint Paul aux Romains (VIII - et 9- ). Le<br />
premier texte traite de l’abandon du monde séculier, servant ainsi de<br />
commentaire au second texte qui exhorte l’humanité à vivre aux côtés<br />
de l’esprit et non pas dans la chair. Bach entremêle les textes en alternant<br />
les versets de l’un et l’autre. Par ailleurs, chaque section se voit accorder<br />
un traitement musical spécifique, de sorte que l’on perçoit clairement<br />
une structure symétrique axée autour d’une double fugue, dont le sujet<br />
reprend le thème accompagnant l’Epître de saint Paul aux Romains,<br />
chapitre VIII, verset 9.<br />
On sait que Bach s’intéressait de près aux liens entre musique, paroles et<br />
chiffres. Par ailleurs, il a souvent fait appel à deux systèmes numériques :<br />
la correspondance entre les notes et les lettres selon la solmisation<br />
allemande (A = la, B = si bémol, H = si bécarre, C = ut etc…) d’une<br />
part, et l’alphabet numérique selon lequel A = , B = , C = 3 etc. Selon<br />
ce dernier système, les mots pouvaient être transformés en chiffres<br />
que l’on utilisait ensuite dans tel ou tel aspect de la structure. Citons<br />
en exemple Fürchte dich nicht, BWV 228. Les lettres du titre ainsi<br />
additionnées donnent un total de 54 : le motet compte 54 mesures.<br />
Qui plus est, l’œuvre est divisée en deux parties rigoureusement égales<br />
de 77 mesures : la première en double chœur alterné, la seconde sous<br />
forme de deux phrases chorales chantées par les sopranos sur un<br />
contrepoint d’altos, de ténors et basses en imitation. Le motif principal<br />
de la seconde partie, caractérisé par de nombreux dessins chromatiques<br />
descendants sur le texte « Denn ich habe dich erlöst » (« Car je t’ai<br />
sauvé ») est répété 33 fois ; 33 ans, l’âge du Christ lorsqu’il fut crucifié.<br />
Singet dem Herrn ein neues Lied, BWV 225 se divise en trois parties<br />
principales ; la première met en musique le Psaume 149, vers à 3, dans<br />
un total de 5 mesures. La valeur numérique des mots « Singet dem<br />
Herrn » est précisément 5 .<br />
Considérant la quantité impressionnante de correspondances<br />
entre paroles et musique, nous nous bornerons à en exposer les<br />
plus remarquables. Les mots « Geist » (« esprit ») et « geistlich »<br />
(« spirituel ») du Motet Der Geist hilft unsrer Schwacheit auf, BWV 226<br />
sont soulignés par un mélisme en doubles-croches d’une éblouissante<br />
envolée lyrique ; dans le Motet Fürchte dich nicht, BWV 228, les mots<br />
« ich stärke dich » (« je te donne la force ») et « ich erhalte dich » (« je<br />
te sauvegarde ») se trouvent ornés d’une ample vocalise qui semble<br />
durer une éternité, en contraste marqué avec le reste de la réalisation<br />
musicale remarquablement homophonique et scandée. Des termes tels<br />
que « springe » (« sauter, exposer ») dans Jesu, meine Freude, BWV<br />
227 sont exprimés de manière quasiment visuelle par des bonds de<br />
sixte mineure au soprano et d’octaves à la basse puis, dans un second<br />
temps, par une octave descendante à toutes les voix. Dans la même<br />
œuvre, Bach met en valeur par d’étonnantes dissonances des mots<br />
comme « Hölle » (« enfer »), « Sünde » (« péché ») et naturellement<br />
« Tod » (« mort »).<br />
Le lien direct et organique unissant texte et musique est fondateur de la<br />
technique de Bach dans ces motets. Il n’est pas inutile de connaître les<br />
tenants et les aboutissants de cette approche si l’on souhaite se mettre à la<br />
place d’un auditeur de l’époque auquel la valeur spirituelle des paroles est<br />
ainsi restituée de manière vraiment perceptible. Par ailleurs, l’auditeur<br />
contemporain comprend mieux ainsi ce qui a animé Bach dans son<br />
processus créateur : pour les mélomanes, rien ne peut être plus satisfaisant<br />
que de se sentir ainsi en osmose avec l’esprit du compositeur.<br />
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