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n’a rien d’inhabituel à l’époque baroque : Bach et ses contemporains<br />

n’avaient guère le temps d’attendre patiemment que l’inspiration les<br />

touche telle la foudre, ils étaient des « honnêtes artisans » qui devaient<br />

produire de la musique sur commande et à échéances fixes. Le principe<br />

de la parodie – la réutilisation de musique existante, avec de nouveaux<br />

textes – existait depuis la Renaissance et l’on y recourait non seulement<br />

lorsque le temps était compté, mais également dans le but de perpétuer<br />

certaines œuvres dont on avait lieu d’être satisfait et que l’on souhaitait<br />

entendre rejouer. L’originalité per se n’était en aucun cas un argument<br />

de jugement artistique au même titre qu’elle l’est de nos jours. Ainsi,<br />

une telle Messe ne représente pas un grossier compromis, mais plutôt,<br />

au contraire, comme une puissante affirmation de la parodie comme<br />

technique de composition à part entière.<br />

Mais pour quelle occasion Bach écrivit-il la Messe en si mineur ? En<br />

effet, une messe complète mise en musique n’avait pas sa place dans<br />

une ville luthérienne telle que Leipzig où l’on ne faisait appel qu’au<br />

Kyrie, Gloria et Sanctus, et encore, pas dans un même temps. Par<br />

ailleurs, l’œuvre ne pouvait s’inscrire dans une liturgie catholique :<br />

indépendamment du fait qu’elle était considérablement trop longue,<br />

elle s’éloigne par trop du texte latin autorisé (il manque le troisième<br />

terme de l’Agnus Dei, par exemple), et de surcroît le Sanctus est divisé<br />

en deux volets distincts, ce qui est inadmissible liturgiquement parlant.<br />

On imagine mal un compositeur de l’époque baroque écrire une œuvre<br />

d’une telle ampleur pour aucune occasion spécifique et sans la moindre<br />

perspective d’exécution, et pourtant il n’existe aucun document<br />

attestant que l’œuvre a jamais été jouée dans son intégralité du vivant de<br />

Bach, que ce soit dans un contexte liturgique ou même profane. Alors<br />

pourquoi une telle dépense d’énergie et de temps pour assembler cette<br />

œuvre monumentale ?<br />

L’aurait-il éventuellement écrite pour la postérité, au titre de<br />

récapitulation, de résumé, de legs de son art au cours des trois dernières<br />

décennies ? Il ne fait aucun doute que Bach était pertinemment<br />

conscient de la valeur de son héritage musical : deux siècles avant lui<br />

déjà, des membres de la famille Bach occupaient des positions enviées<br />

auprès des cours, des villes et des églises en Allemagne centrale, et dès<br />

son 50e anniversaire, il avait rassemblé tous les documents possibles<br />

et imaginables qui lui permettaient d’établir un arbre généalogique des<br />

Bach. Son intérêt pour ses ancêtres couvrait également leur production<br />

musicale : il avait hérité de son père – et complété de son propre chef<br />

– une assez étonnante collection des manuscrits musicaux de la famille,<br />

la « Alt-Bachisches Archiv », et il jouait régulièrement les motets de<br />

ses oncles Johann Christoph et Johann Michael. Dans cette optique, la<br />

Messe en si mineur était-elle son propre legs musical à sa descendance ?<br />

À ce titre, la Messe n’est pas un exemple isolé : au cours des dernières<br />

années de sa vie, alors qu’il avait depuis longtemps cessé d’investir autant<br />

de temps et d’énergie à sa charge de Kantor à Saint-Thomas, il semble<br />

avoir imaginé d’écrire une série d’ouvrages destinés à transcender son<br />

art dans de nombreux domaines. Le résultat devait être éblouissant : le<br />

second cahier du Clavier bien tempéré, les dix-huit Préludes de chorals<br />

BWV 651-667, L’Offrande musicale, les Variations Goldberg et, pour<br />

couronner le tout, L’Art de la fugue, on ne peut rêver mieux. La Messe<br />

partage avec le second cahier du Clavier bien tempéré et les Dix-huit<br />

préludes de chorals la caractéristique de comporter une grande quantité<br />

de matériaux plus anciens, révisés et ciselés avec le soin et la sagesse<br />

qui ne vient qu’avec le grand âge et l’expérience. Et au même titre que<br />

la Messe, toutes les œuvres mentionnées ci-dessus exposent un éventail<br />

encyclopédique et délibéré de styles, de techniques, d’approches tout<br />

à fait unique dans l’histoire de l’humanité. Mais la Messe présente<br />

une caractéristique unique : c’est le seul parmi ces monuments de la<br />

maturité de Bach à faire appel à la voix humaine.<br />

Bach semble avoir considéré la forme de la messe comme la plus<br />

durable historiquement : sans aucun doute dans son esprit, le texte<br />

latin traverserait les âges et résisterait aux tendances momentanées, à<br />

la différence de l’éphémère poésie de ses cantates. Peut-être imaginaitil<br />

également, à tort ou à raison, que la musique chorale était moins<br />

sujette aux fluctuations des modes que la musique pour instruments<br />

ou pour voix solos : la Messe reste une forme d’essence chorale et non<br />

pas soliste.<br />

Par ailleurs, Bach comprenait que la Messe perpétuait une vénérable<br />

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