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Grave%20sur%20Chrome%20-%20William%20Gibson.pdf

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Aucune lumière ne brillait dans la chambre, mais le halo pâle<br />

des néons de la cité qui filtrait à travers les stores vénitiens lui<br />

permit d’apercevoir les traits de la douzaine ou plus d’individus<br />

juchés sur le lit, le divan, les fauteuils et les tabourets du coincuisine.<br />

Au début, il crut qu’ils avaient les yeux ouverts, mais il<br />

se rendit compte que leurs pupilles ternes étaient cachées<br />

derrière des membranes nictitantes, ces troisièmes paupières<br />

qui reflétaient les pâles teintes des enseignes derrière la fenêtre.<br />

Tous portaient encore ce qu’avait exigé le dernier bar visité : les<br />

pèlerines informes de l’Armée du Salut côtoyaient la tenue de<br />

week-end du banlieusard, les robes du soir frôlaient le bleu de<br />

travail poussiéreux, le cuir de motard le tweed Harris brossé.<br />

Avec le sommeil, s’était évanoui tout semblant d’humanité.<br />

Ils étaient perchés.<br />

Son couple s’installa au bord du comptoir en Formica du<br />

coin-cuisine, et Coretti hésita, planté au milieu de la moquette<br />

vide. Des années-lumière de cette moquette semblaient le<br />

séparer des autres, mais quelque chose l’appelait malgré la<br />

distance, promesse de repos, de paix, d’intégration. Et pourtant,<br />

il hésitait, tremblant d’une indécision qui semblait naître du<br />

noyau génétique de chaque cellule de son corps.<br />

Jusqu’à ce que tous ouvrent les yeux, simultanément,<br />

glissement latéral des membranes qui révélaient le calme<br />

inhumain d’habitants des abysses océaniques.<br />

Coretti hurla et s’enfuit, dévalant des corridors et de<br />

résonnantes cages d’escalier en béton pour retrouver la pluie<br />

fraîche et les rues quasi vides.<br />

Coretti ne revint jamais à sa chambre au troisième étage de<br />

cet établissement. Un détective d’hôtel blasé récupéra les textes<br />

de linguistique, l’unique valise de vêtements et le tout finit<br />

vendu aux enchères. Coretti prit une chambre dans une pension<br />

de famille tenue par une propriétaire lugubre, baptiste et<br />

abstinente, qui faisait prier ses locataires au début de chaque<br />

dîner, régulièrement trop cuit. Elle ne se formalisa pas que<br />

Coretti ne se joignît jamais à ces repas ; il expliqua qu’il était<br />

nourri gratis sur son lieu de travail. Il mentait à présent sans<br />

gêne aucune et avec adresse. Il ne buvait jamais à la pension et<br />

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