Grave%20sur%20Chrome%20-%20William%20Gibson.pdf
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étranglée par l’humiliation, « il faut que tu me… m’emmènes<br />
hors d’ici… »<br />
Raide, furieux, Cline vint derrière le fauteuil de son ami pour<br />
le pousser dans l’ombre.<br />
Deke rejeta la tête en arrière et il éclata de rire. Bon Dieu,<br />
comme il se sentait bien ! Il fourra la Max dans une poche de<br />
chemise où il la sentit peser, lourde et froide. L’argent, il en<br />
bourra son jean. Merde, il en aurait sauté en l’air, tant son<br />
triomphe bondissait en lui comme une bête sauvage, mince et<br />
forte comme les flancs du daim qu’il avait un jour aperçu dans<br />
les bois depuis la vitre d’un car, et durant cet instant unique, il<br />
lui sembla qu’en un sens tout cela en valait le coup, toute la<br />
douleur, toute la peine qu’il avait endurées jusqu’à la victoire<br />
finale.<br />
Mais la salle du Jackman était silencieuse. Personne pour<br />
pousser des vivats. Personne pour s’agglutiner autour de lui et le<br />
féliciter. Dégrisé, il vit les visages muets, hostiles, envahir son<br />
champ visuel. Pas un de ces ploucs n’était de son côté. Ils<br />
irradiaient le mépris, voire la haine. Durant un instant qui<br />
s’étira interminablement, l’air vibra d’une violence contenue…<br />
et puis quelqu’un se détourna, se racla la gorge, cracha par<br />
terre. La foule se dispersa et un par un, marmonnant, les<br />
spectateurs allèrent se perdre dans le noir.<br />
Deke ne bougea pas. Un muscle dans sa jambe se mit à<br />
tressauter, présage de la redescente imminente. Il avait le<br />
sommet du crâne engourdi et un goût affreux dans la bouche.<br />
Durant une seconde, il dut s’agripper des deux mains au bord de<br />
la table pour se retenir de basculer éternellement au fond du<br />
gouffre d’ombres vivantes qui s’ouvrait sous ses pieds, empalé<br />
au piège du regard mort du massacre sur la photo accrochée<br />
sous la pendule Dr Pepper.<br />
Un petit doigt d’adrénaline le sortirait de cette mauvaise<br />
passe. Il avait besoin de fêter ça. De se saouler, se défoncer,<br />
raconter ses exploits, revenir sur sa victoire encore et encore,<br />
quitte à se contredire, inventer des détails, rire et se vanter. Une<br />
superbe nuit étoilée comme celle-ci réclamait qu’on en parle<br />
d’abondance.<br />
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