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Maltraitance et cultures - Yapaka

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Le même auteur montre à quel point le poids de<br />

c<strong>et</strong>te culpabilité paralyse la soi-disant victime qui<br />

rétorque : « Vous nous forcez à vivre dans la certitude<br />

stérile d’être des victimes éternelles à<br />

plaindre. Et comme nous sommes des imbéciles<br />

qui se croient grandis par les blessures subies,<br />

nous tombons dans ce piège <strong>et</strong> passons notre<br />

existence à geindre au lieu d’oser nous regarder<br />

droits dans les yeux… » ( 2003, 188).<br />

En fait, « la peur du « Nègre » ou du « Nord-<br />

Africain », l’intolérance vis-à-vis de l’immigré ou<br />

du Tsigane – tout comme à l’opposé – l’affirmation<br />

que « black is beautiful » <strong>et</strong> l’immigré meilleur<br />

que nous – tout cela implique que l’obj<strong>et</strong>, qu’il<br />

soit d’amour ou de haine, n’a guère d’importance<br />

en fin de compte : on fait comme si on le connaissait<br />

puisque le sentiment supplée à la connaissance<br />

directe. » (La Cecla, 2002, 128).<br />

Le mythe du bon sauvage ne tient pas compte<br />

des modifications dans les sociétés traditionnelles<br />

<strong>et</strong> la manière dont la colonisation, la christianisation,<br />

l’urbanisation les ont profondément<br />

modifiées. Sans compter les aspects économiques<br />

(mondialisation des marchés de matières<br />

premières) ou de santé (le sida qui fauche des<br />

générations intermédiaires). Pour certains, on<br />

peut parler de phénomènes d’acculturation en<br />

chaîne : en deux ou trois générations, le passage<br />

du village à la ville, la christianisation…<br />

Bien sûr, il faut lire les anthropologues… Mais<br />

aussi les auteurs contemporains <strong>et</strong> compatriotes<br />

de nos patients. Ou se pencher sur le contenu de<br />

phénomènes tels le cinéma indien, les télénovelas<br />

brésiliennes ou la « home-vidéo » nigérienne,<br />

laquelle produit plus de 600 films par an <strong>et</strong> diffuse<br />

uniquement sous forme de K7 des longs<br />

métrages où s’entremêlent la tradition <strong>et</strong> les pro-<br />

– 88 –<br />

blématiques des mégapoles africaines : violence,<br />

corruption policière, sida, croqueuses de diamants<br />

<strong>et</strong> maris volages… (Libération, 7 juill<strong>et</strong> 2004).<br />

Par ailleurs, certaines modifications viennent du<br />

fait même de l’immigration. Un exemple parmi<br />

d’autres : dans le regroupement familial, on pourrait<br />

voir l’attitude classique de la femme qui suit<br />

son mari. Il y a cependant une modification fondamentale<br />

: dans la société traditionnelle, la<br />

femme se déplace vers la parenté patrilinéaire<br />

dans l’immigration, elle suit son mari en tant<br />

qu’individu.<br />

En fait, Devereux nous propose un prédicat<br />

séduisant quand il suggère « qu’un seul individu<br />

est un échantillon compl<strong>et</strong> de toute la culture, à<br />

condition qu’on pratique sur lui un recueil de<br />

données de type psychanalytique, toutefois croisées<br />

avec des données <strong>et</strong>hnologiques. » (Lioger<br />

R., 60). Cependant, c<strong>et</strong>te proposition s’avère<br />

inopérante dans nos situations d’immigration où<br />

le processus d’acculturation vient brouiller les<br />

pistes <strong>et</strong> où, de plus, le migrant se définit luimême<br />

comme suj<strong>et</strong> de la modernité <strong>et</strong> non plus<br />

membre d’une <strong>et</strong>hnie. « Je déteste qu’on me<br />

parle de la palabre, je suis un enfant de l’agora <strong>et</strong><br />

du lycée, un enfant de la civilisation de l’écriture,<br />

dont le mot dit puise sa force dans l’humus du<br />

mot écrit », revendique Camara Laye (cité par<br />

S. Tchak , 2003, 194).<br />

La clinique ne peut se fonder sur l’<strong>et</strong>hnologie, car<br />

celle-ci sera toujours un savoir « moyen » qui<br />

rabote l’individu, son histoire, le suj<strong>et</strong>. L’intervenant<br />

n’a pas devant lui un peuple ou un village,<br />

mais bien une famille ou une personne prise bien<br />

entendu dans sa culture mais plus encore dans<br />

son histoire singulière. Occulté, l’éclairage « <strong>et</strong>hno »<br />

empêche de penser. Trop puissant, il aveugle.<br />

– 89 –

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