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Maltraitance et cultures - Yapaka

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p<strong>et</strong>its pots de crème qu’elle mangeait à la place<br />

de sa fille, qu’un curieux eff<strong>et</strong> de miroir entre<br />

Hatice <strong>et</strong> Gülay nous surprenait.<br />

Tiens, vous croyez, vous, que je lui en veux à<br />

cause de c<strong>et</strong>te « Française » ?<br />

Comment accueillir, en eff<strong>et</strong> un enfant dans le<br />

non-lieu ?<br />

C<strong>et</strong>te enfant aurait-elle un rapport à la langue différent<br />

pour la mère qu’il faille la nommer « à la<br />

française » ? Déjà, la langue turque était pour la<br />

mère très sommaire, une langue qui serait plutôt<br />

un pidgin ; une langue conservée mais lacunaire,<br />

colonisée en partie par un mauvais français.<br />

Comme toutes les rencontres racontées par les<br />

psychanalystes, ce non-lieu avait été préparé par<br />

un autre bien plus précoce.<br />

Le travail entre la mère <strong>et</strong> l’enfant Hatice était<br />

toujours aussi pauvre. Et pour cause : il était très<br />

peu question de la p<strong>et</strong>ite fille entre nous. Des<br />

quatre garçons bien, mais de la fille, non.<br />

On se mit un jour à regarder des photos : peu de<br />

photos d’Hatice, davantage des garçons <strong>et</strong> surtout<br />

des photos du mariage. De la famille en<br />

Turquie, aussi.<br />

Et puis une photo toute jaunie, une photo de la<br />

mère quand elle devait avoir quatre ans. Une<br />

toute p<strong>et</strong>ite fille à l’air fort triste devant une grande<br />

porte, celle du sanatorium, disait-elle, où on<br />

l’avait mise parce qu’elle devait se rem<strong>et</strong>tre. Elle<br />

était trop vite malade, mangeait peu <strong>et</strong> pleurait<br />

beaucoup.<br />

Sa mère était décédée un an auparavant. Son<br />

– 76 –<br />

père s’était remarié, trop vite. Avec une Française,<br />

une Belge, voulait-elle dire…<br />

Elle était très gentille mais elle ne l’aimait pas.<br />

Elle ne l’aimait plus depuis qu’elle avait poussé le<br />

père à m<strong>et</strong>tre c<strong>et</strong>te fille malingre en cure de plein<br />

air pour qu’elle se r<strong>et</strong>ape.<br />

Le mariage ne dura pas <strong>et</strong> le père r<strong>et</strong>ourna vivre<br />

en Turquie, prendre femme auprès de la mère de<br />

Monsieur qui était beaucoup plus âgé qu’elle…<br />

… qui vécut auprès d’elle comme un grand frère.<br />

Son père revint en Belgique avec les enfants plus<br />

jeunes <strong>et</strong> quelques années après, maria sa fille<br />

avec ce grand fils de sa troisième épouse.<br />

Comment donc mieux dire que c<strong>et</strong>te dépression,<br />

ce deuil de la mère demeurait pour notre Gülay<br />

ce qui décidément l’empêchait d’investir Hatice<br />

autrement que comme c<strong>et</strong>te fille miroir d’ellemême,<br />

miroir de sa dépression.<br />

Les événements, les signifiants pleurs, française,<br />

fille, l’abandon, <strong>et</strong>c., la renvoyaient à une absence<br />

non cicatrisée. Un deuil larvé. Comment donc<br />

investir une enfant qui renvoyait à tant de peine ?<br />

Une enfant qui faisait peur parce qu’elle réveillait<br />

la peur infantile de la mort, de la mort de sa<br />

propre mère.<br />

Progressivement, dès lors, l’intérêt porté à Gülay,<br />

p<strong>et</strong>ite fille-dans-la-mère, permit de porter de l’intérêt<br />

puis de l’étonnement à Hatice.<br />

N’allez pas croire que ce fut par le miracle du<br />

verbe, fût-il juste. Mais aussi, surtout ?, par de<br />

toutes p<strong>et</strong>ites choses : tel ce regard posé par la<br />

fille sur le métier à broder de la mère.<br />

– 77 –

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