Carte Boisvert.jpg - CRMT en Limousin

A la même époque j'ai enregistré également Mr Mazières, à Blesle, que m'avaient
indiqué John Wright et Catherine Perrier. Il me reçut chez lui au bord de la route nationale,
dans une cuisine enfumée par la cheminée qui tirait mal. Afin d'avoir un peu d'air il vivait la
porte ouverte, aussi l'enregistrement est-il ponctué par le passage des voitures. Son jeu était
plaisant, il montait parfois en 2ème position, mais dans l'ensemble son répertoire me parut
sans grande originalité.
L'année suivante je quittai définitivement la région. J'ignore si Albert Tavernier est
toujours en vie. J'en doute, il était malade. J'aurais aimé qu'il comprenne que les
enregistrements que j'ai faits de lui seront certainement archivés un jour, et que l'immortalité
grisâtre accordée par des chercheurs n'est pas forcément moins enrichissante que celle,
lumineuse, diffusée par la télévision. Mais peut-on en être certain?
- MISE AU POINT -
J'ai donc découvert le Folk en 1972 au festival de Vesdun. J'avais quinze ans. Je suis
allé pour la dernière fois dans un festival au Veurdre sept ans plus tard, trainé par Jean Michel
Renard, aprés deux années d'éloignement. Pour dire que mes souvenirs de ce mouvement sont
anciens, et sont exclusivement des images d'adolescent, marquées par le romantisme, le
lyrisme, voire la complaisance de cet âge et de cette période du Folk.
C'était d'abord pour moi une esthétique: je dessinais en marge de mes cours des
violoneux grands et minces, aux cheveux trés longs, barbus et/ou moustachus, qui, le violon
au creux du bras jouaient, extatiques, des complaintes de retour de croisades. Physiquement,
la copie conforme de John Wright ou de Michel Hindenoch à l'époque, qui me semblaient être
les deux Apollons du Folk
Voilà ce que je voulais être. Car il s'agissait avant tout d'appartenir à un mouvement, à
une famille d'élection, d'être dépositaire et réflecteur d'un code, et bien sûr il fallait que ce
mouvement, aussi vaste fût-il, revendique une relative marginalité. Le tour était joué: moi le
fils unique un peu solitaire, je me trouvais là de splendides grands fréres, magnifiques et
pertinents.
Car il y avait aussi le discours, l'éthique également, ausquels j'adhérais d'autant plus
profondément que ma perception en était superficielle et simpliste.
Qu'ils aient été musiciens à part entière ou éleveurs d'escargots dans une communauté de
Haute-Loire, mes amis folkeux s'accordaient tous sur la responsabilité qui nous incombait
naturellement de sauvegarder le patrimoine culturel des campagnes, menacé par la gangrène
des villes et de la société en général. Les désillusions d'aprés 68, la dénonciation croissante
des idéologies, la méfiance inavouée à l'égard du terrorisme, Pompidou et Giscard suscitaient
en nous la nostalgie d'un monde des origines, d'avant la chute, d'un Eden joyeux et musical,
volontairement innocent, où toutes les libertés se seraient mêlées en une fête absolue et
éternelle. Il y avait une mystique folk. Nous rêvions avec délice à l'équilibre précieux et
fugitif de ces quelques villages qui, au hasard de l'histoire, s'étaient soudain proclamés libres,
autonomes, magnifiquement anarchistes, en Espagne en 36 mais également dans l'Allier au
XVIIe siecle.
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