Yerushalaim 23 2000-2.pdf - Chretiens-juifs.org
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entendu parler avant même d’avoir ouvert l’épître aux Romains…<br />
Paul, « fils d’Israël, pharisien, apocalypticien et mystique hellénistique » : c’est ainsi que Ben Chorin<br />
définit l’identité de Paul… Il n’a pas renié l’enseignement reçu aux pieds de Gamaliel, même quand se produisit<br />
son éloignement. Ben Chorin en juge ainsi, non pas tant parce que Paul l’a dit, mais sur la base de ses écrits et de<br />
sa pensée… Paul, explique Ben Chorin, « enseignait des contenus <strong>juifs</strong> en langue grecque », aussi devait-il<br />
nécessairement être mal compris…<br />
Martin Buber a estimé que la contradiction réside dans la foi même de Paul qui a tenté de faire cohabiter<br />
la foi-confiance abrahamique et l’assentiment rationnel de l’esprit propre aux grecs.<br />
Ben Chorin estime au contraire que la pensée de Paul est unifiée et tout entière tendue en permanence<br />
par la foi. Il croit en particulier que c’est ainsi qu’il faut comprendre la résurrection des morts, comme une<br />
espérance et une lutte permanentes, et non comme une croyance définitive et fixée.<br />
Quant à la Loi, Ben Chorin se sent proche de l’expérience que Paul en a eue « d’une façon que nul<br />
chrétien n’a pu connaître ». Il dit avoir lui aussi souffert par la Loi (chap. IV)… L’auteur (juif allemand) a<br />
parcouru la route de Berlin à Jérusalem tandis que Paul celle de Jérusalem à Damas, qui serait plutôt le chemin<br />
inverse. Mais entre ces deux cheminements éloignés de vingt siècles, Ben Chorin retrouve, en tant que juif, et<br />
indépendamment de toute idée de rapprochement judéo-chrétien, assez de passerelles, nous dit-il, pour retrouver<br />
son lointain ancêtre…<br />
L’isolement de Paul au milieu de ses frères, pharisiens d’abord et chrétiens ensuite, l’obligation de se<br />
faire entendre d’eux, la sensation de n’y pas parvenir, son sentiment d’être incompris, tout cela serait, selon Ben<br />
Chorin, une expérience foncièrement juive, absolument actuelle, et que le juif d’aujourd’hui ne saurait éviter. Et<br />
pourtant il ne lui paraît pas possible de faire le saut que Paul a accompli : « J’ai essayé de prendre sur moi la Loi<br />
dans son interprétation orthodoxe, et je n’ai pu trouver cette satisfaction, cette paix que Paul appelle la<br />
justification devant Dieu » (p. 11).<br />
Paul serait donc l’expression même du problème juif, bien plus que du problème chrétien, tandis que sa<br />
réponse serait le fondement même de la foi chrétienne, que le juif ne peut accepter. Ainsi se trouverait<br />
paradoxalement renouées, tout en demeurant historiquement et dialectiquement séparées, la « question juive et la<br />
réponse chrétienne face à la Loi, par rapport à la même Loi. »<br />
Mais d’autres conclusions étonnantes, qui pourraient surprendre plus d’un juif ou d’un chrétien, sont<br />
tirées encore par Ben Chorin du fait de son approche nouvelle. Paul, nous dit-il, remplit dans l’histoire tout court<br />
et dans l’histoire du salut une fonction que les <strong>juifs</strong> avaient négligée et que les chrétiens qui avaient lu Paul avant<br />
d’avoir lu la Bible devraient aujourd’hui comprendre. La mission que Paul a accomplie relevait bien, nous dit-il,<br />
d’une mission confiée par Dieu à Israël et qu’Israël n’aurait pu mener à bien sans lui. Elle portait sur le problème<br />
toujours pendant et jamais résolu du prosélytisme (p. 224). C’est seulement en rompant avec les règles et les<br />
contraintes spécifiques imposées à sa communauté ethnique que Paul a pu ouvrir la voie à la diffusion<br />
universelle dont Israël était porteur, celle qui le ferait devenir « lumière des nations ».<br />
Le message de Paul vient de la Bible. Il est inspiré par la parole de Dieu, mais il a été dès le départ<br />
l’objet d’un double rejet : l’apôtre des Gentils, qui était juif et le resta toute sa vie, ne cessa de rappeler aux <strong>juifs</strong><br />
leur identité et leur appartenance définitive, sans repentance, au Peuple de l’Alliance. Le juif Paul annonçait aux<br />
nations que c’est dans le juif Jésus et en lui seul qu’elles devaient trouver le salut. De ce qui faisait leur unité, ils<br />
ont tiré leur inimitié.<br />
Mais aujourd’hui les contradictions commencent tout juste d’être surmontées et les vérités les plus<br />
profondes sont perçues de nouveau. C’est Paul qui a affirmé le premier : « Dieu n’a pas rejeté son peuple que<br />
d’avance il a connu » (p. <strong>23</strong>0). Paul, nous dit Ben Chorin, apporte au Peuple d’Israël une caution théologique<br />
qu’il n’aurait pas obtenue sans lui …Paul a laissé son message marqué à son tour par la croix. Il avait sûrement<br />
conscience de sa double mise à l’écart. Mais «son propre personnage est dans une large mesure demeuré dans<br />
l’ombre ». (p. <strong>23</strong>1).<br />
Jusqu’à aujourd’hui, le message porté par Ben Chorin est aussi demeuré dans l’ombre. Quand ce livre<br />
parut en 1970, il fit peu de bruit en Allemagne, encore moins en Israël. Nous devons à Paul Kessler, qui nous<br />
livre cette traduction en langue française, d’avoir par sa persévérance, convaincu un éditeur et de nous faire<br />
accéder à une œuvre, qui est un acte de foi bien plus qu’un travail d’exégèse et qui devrait se révéler comme<br />
d’une portée majeure.<br />
<strong>Yerushalaim</strong> n°<strong>23</strong> - page 7