Les Salons de 1928

188 L'Architecture VOL. XLI, N° 6.
jalon dans l'élaboration d'un type définitif? Je ne sais pas deront, demain, à être bien souvent sinon constamment
l'avis des ingénieurs, mais ou les apparences sont bien
trompeuses, ou nous sommes vraiment en présence d'une
rouvre solide et viable. Au fait, demanderont quelquesuns,
n'est-ce pas là plutôt le travail d'un ingénieur que
d'un architecte? La même question a pu se poser quand
est entré en pratique l'usage du ciment armé. Aucun
doute qu'elle ne se représente désormais devant les
réalités sans cesse modifiées par la science. Ingénieur.
architecte, ces noms, dont l'origine, d'ailleurs, est relativement
récente, ont pu être, hier, des étiquettes
commodes, Les deux fonctions et les deux esprits deman-
associés. De quel nom qu'on le qualifie, une chose me paraît
certaine, c'est que M. Defrasse a fait ceuvre d'artiste.
Je ne dis pas seulement dans l'aménagement des salons,
du bar ou des tennis de son hôtel, pour lesquels ses données
lui fournissaient de vastes espaces dont il a tiré un
grand parti. Je pense à ce hangar à la voûte impressionnante.
Je pense encore à la silhouette générale de l'île,
à ses proportions grandioses, aux grandes colonnes lumi-
neuses qu'elle projettent verticalement dans l'espace.
Je ne sais si M. Defrasse s'embarrasse d'esthétique
théorique, je crois que le choix des formes et le rapport
des volumes lui ont été, dans le cas
présent, dictés par le souci d'adaptation,
en dehors de toute idée préconçue.
Il n'en a pas moins réalisé
un ensemble harmonieux qui
répond à notre sensibilité présente,
ravie de découvrir la beauté des
machines et leur splendide nudité.
R
Photo Heori Manuel
VIII
Sculptures et peintures
Sur la route de Gavarnie s'érigera
un monument à la mémoire
de Franz Schrader, l'illustre géographe,
au cour de ces Pyrénées dont
il a renouvelé la connaissance scienti-
Photo Henri Manuel
J. DUCOLONER. - SAINT-JEAN-DE-LUZ fique. Monument très simple un
médaillon encastré dans un mur à
J. DUCDLONER. - SAINT-JEAN-DE-LUZ
gradins adossé aux rochers qui bordent le chemin. Il ne ait le sentiment de l'échelle et l'on conviendra qu'il est le
s'impose pas au regard, ne prétend pas lutter contre le premier intéressé à faire valoir sa figure. Certains parmi eux
site auquel il se subordonne et dont il épouse le carac- ont un instinct' architectural indéniable. M. MOREAUtère.
L'hommage n'en est pas moins digne, grandiose VAUTHIER nous offre un projet de monument d Fez, de noble
même, avec sa conception dépouillée et l'autorité des blocs envergure. Des escaliers amples donnent accès solennel
massifs.
à une plate-forme qu'épaulent, par ailleurs, des murs de
La sculpture, ici, s'est associée à l'architecture par les soutènement décorés de grands boucliers. L'artiste a été
soins d'un architecte. C'était, naguère, l'habitude normale. audacieux et cette audace lui a réussi. S'il n'était un
Depuis ces dernières années ont été prises des habitudes excellent sculpteur, il aurait certainement fait un bel
nouvelles. Regardons le hall de la sculpture. Quelques architecte. Ailleurs, il s'agit d'objets plus modestes.
sculpteurs font encore appel à l'architecte : ainsi M. LAN- M. BACQUÉ pose une figure de femme du goût le plus
DOwSKI, dont le puissant et pittoresque groupe aux morts délicat sur un socle très sobre, mais très étudié, qui
d'Alger sera présenté et mis en valeur par MM. GRAS et s'associe, très heureus ement, au sentiment de la figure. Le
MONESTÉS. M. VERMARE, pour le monument d Brillai- Dionyscs enfant, de M.PEYRONNET, est joliment campé sur
Savarin, a réclamé la collaboration de M. RoISIN. Mais, une colonnette.
d'ordinaire, c'est le sculpteur lui-même qui dessine le Mais il arrive que l'élément architectural, sans cesser
socle, le piédestal, la fontaine ou la vasque sur lesquels il d'être convenable, soit tellement dépourvu de tout inté-
érige groupe ou figure. Les idées de simplicité dépouillée rêt, réduit à si peu de chose, qu'il en résulte une vé'ritabl
qui règnent à l'heure présente, le goût pour les volumes et fâcheuse impression d'indigence. Aucun reproche, sans
élémentaires, la défiance contre toute mouluration, doute, à formuler contre la partie architecturale de la Bai-
facilitent cette entreprise. Dès lors il suffit que le sculpteur gneuse, de M. P. LENOIR, ou de la Source, par M. SPRANCK,
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mais rien,non plus, qui arrête ou qui retienne. Sans doute
le sculpteur a raison de repousser une collaboration
encombrante, mais le néant, aussi, lui fait du tort. Une
jolie vasque étudiée par un homme de métier respectueux
des inventions du statuaire, n'empêchera pas d'être
séduisante la nymphe qui viendra s'y mirer.
L'architecte s'est, pour trop peu de jours, arraché à
son cabinet et il essaye, en une région pittoresque, d'oublier
chantiers, châssis
et clientèle.
Pourtant, le
souci de son
art ne saurait
l'abandonner.
Il a emporté
son album et
prend, au hasard
de ses promenades,quelques
croquis
d'après les monuments
qui le
frappent. Ainsi
M. CHAUVIN,
dont les notes
archéologiques
sont, à la fois,
spirituelles
précises.
et
Le plus souvent
il se livre
aux joies de
l'aquarelle.
C'est un plaisir
et une revanche.
Il a,
l'année durant,
tracé des images
qui étaient des
documents, tiré
des lignes, lavé
des teintes qui
étaient des abstractions
et des conventions. Il a parlé avec sûreté un langage
qui ne laissait place à aucune fantaisie. Et voici
qu'il peut dire ce qui lui plaît, comme il lui plaît, faire
chanter la couleur et ne pas compter les pinceaux d'eau !
Plus d'élévations, de coupes, de géométral, mais les
véritables aspects et la splendeur de la vie. Il continue,
parce qu'il les aime, à regarder des maisons, mais il les
voit dans leur ambiance, dorées par le soleil, battues par
les vents, associées au sol, au paysage, mariées aux arbres
et aux fleurs, vivantes, usées aussi, chancelantes, ruinées.
L'été dernier fut pluvieux et morose, sauf dans le Midi ;
PIERRE-PAUL GUIDETTI, - PLAN
aussi est-ce le Midi que nous voyons surtout évoqué.
M. DUCOLONER a rapporté une vue caractéristique : la rue
du Midi, à Saint Jean-de-Luz ; M. ERNEST, une vue ensoleillée
de Saint-Bertrand-de-Comminges ; M. LAFON a
poussé jusqu'au Maroc et évoque une mederra â Fez.
Ai-je besoin de dire que ce sont des aquarelles pures?
L'architecte dédaigne la gouache, les artifices et s'en
tient à la tradition, orthodoxe
DES ABATTOIRS DE LA VILLETTE
et
lumineuse. Les pages
que je viens de
citer sont lavées
largement et
librement, en
dehors de toute
précision étroite,
pourquoi
lutter -àarmes
inégales -avec
la photographie?
Mais l'accent,
le style des
églises ou des
maisons, sont
préservés et
soulignés. Il
n'en est pas de
même, je le
regrette pour
d'autres aquarelles,
trop
nombreuses, où
l'artiste n'a accordé
à son motif
qu'une attention
distraite
et ne s'est, trop
visiblement,
appliqué qu'à
produire une
image agréable.
Il était en vacances,
je le sais;
il ne visait pas à
nous instruire,
d'accord. Mais je pense que la pochade eût été plus savoureuse
s'il avait moins complètement oublié qu'il était
architecte. Justement, en me promenant, à la Société
Nationale, hors de la section d'architecture, dans les salles
où sont rassemblés dessins et aquarelles, j'ai noté des études
qui tirent leur intérêt et leur valeur esthétique de l'émotion
éprouvée en face d'une ville ou simplement d'une demeure
originale. Un architecte regardera, avec plaisir, la vue de
Pont-en-Royans, par M. R. LEMONNI ER, l'évocation aérienne
de Venise, par Miss BAILEY, ou les les vieilles maisons
parisiennes de la rue Visconti, par Mlle TRÉMONT.