N° 252 - Recherche et Technologie

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Circuit de l'imitation chez l'homme. Les inputs visuels atteignent le sulcus temporal supérieur (STS). L'information est donnée au cortex pariétal inférieur (IPL), concerné par les aspects moteurs de l'action. De là, l'information va au cortex frontal inférieur (IFG) davantage concerné par les buts de l'action. Les copies des commandes motrices d'imitation retournent vers le IFG et le STS, permettant ainsi la comparaison entre les prédictions sensorielles du plan moteur d'imitation et la description visuelle du comportement observé. Athena 252 / Juin 2009 Neurosciences Constant. De même, le niveau d'activation des neurones miroirs est supérieur lorsqu'un individu observe les actions d'un de ses congénères plutôt que celles d'un individu d'une autre espèce - un humain qui regarde agir un singe, ou vice-versa. Les voies de l'empathie Une autre sphère où les neurones miroirs semblent jouer un rôle déterminant est celle de l'empathie, c'est-à-dire la capacité de reconnaître et de ressentir les émotions d'autrui. Empathie à laquelle Antonio Damasio, du département de neurologie de l'Université de l'Iowa, attribue une origine sensorimotrice (3). En effet, qu'a-t-il écrit à ce sujet ? «Le système sensorimoteur intervient dans la reconstruction de ce que l'on ressentirait si l'on était dans la même émotion que celle observée, au moyen de la simulation des états corporels en rapport avec l'émotion en question.» Les neurones miroirs lui donnent raison. Ainsi, en 2003, une étude par IRMf publiée dans Neuron a montré que le dégoût éprouvé lors de l'exposition à des odeurs nauséabondes ou la vision de l'expression faciale d'une autre personne ressentant la même émotion active l'insula antérieure. Dans ce cas, une même région cérébrale sous-tend donc l'émotion, que celle-ci soit vécue à la première ou à la troisième personne. Un phénomène de nature analogue a été constaté avec les sensations douloureuses. Ce qui fait dire à Giacomo Rizzolatti, le découvreur des neurones miroirs: «Ces observations suggèrent en somme que l'empathie dépend de l'activation, 494 au cours de l'observation de l'autre en état émotionnel, de circuits qui élaborent les réponses émotionnelles correspondantes chez l'observateur.» Une nuance cependant. Si une expérience émotionnelle vécue à la troisième personne met en jeu les mêmes substrats neuronaux qu'une expérience similaire vécue à la première personne, il existerait néanmoins une différence de degré dans l'activation des neurones entre les deux situations - activation supérieure dans le second cas. Autre nuance: l'insula n'est pas réputée contenir des neurones miroirs, mais est plutôt considérée comme un nœud d'interconnexion entre le système des neurones miroirs et le système limbique (4). Comme l'énonce Éric Constant, éprouver de l'empathie nécessite l'«internalisation» des expressions faciales et postures corporelles d'autrui, mais aussi la mise en œuvre de processus émotionnels, donc le recrutement du système limbique. Se référant à l'interconnexion de ce dernier et du système des neurones miroirs, via l'insula, il indique qu'en s'activant, «un large réseau impliquant les neurones miroirs, l'insula et certaines régions limbiques (amygdale, cingulum antérieur (5), cortex orbitofrontal) permet d'empathiser avec autrui à travers la représentation et l'imitation interne (internalisation) des actions, des expressions faciales et des gestes corporels d'autrui (6).» Le vécu de l'autre C'est ici qu'il convient de mettre en exergue le concept de «simulation internalisée» (ou incorporée). De quoi s'agit-il ? D'un processus non conscient permettant de comprendre automatiquement les actions, intentions, émotions et sensations d'une autre personne. Il se fonde sur l'instauration d'une représentation interne des états corporels associés à l'expérience de l'autre et, partant, sur l'activation de mécanismes neuronaux partagés. «Tout se passe chez l'observateur comme s'il exécutait la même action ou expérimentait la même émotion, sensation ou intention», précise Éric Constant. Et c'est ce qui explique que nos muscles zygomatiques s'activent à la vue d'une personne joyeuse ou qu'une expression de tristesse s'inscrit sur notre visage quand notre regard se braque sur une personne triste. Il ressort des différentes données observationnelles et expérimentales disponibles que la simulation internalisée relève d'un mécanisme neuronal présent dès la naissance et qu'elle remplit un rôle crucial dans le développement des habiletés de mentalisation. Son caractère auto-
matique n'asservit pas la cognition et ne présage donc pas obligatoirement une réponse «en miroir». Libre à chacun de décider de l'attitude qu'il veut adopter à l'égard de quelqu'un d'autre... En outre, il serait contre-productif, par exemple, qu'une mère voyant son enfant pleurer parce qu'il désire manger en vienne à pleurer elle-même. Il ne s'agit pas de mimer, mais d'apporter une réponse congruente. «Le même problème se pose en psychothérapie, commente le professeur Constant. Si le patient projette sur l'analyste un sentiment d'hostilité qui, en fait, s'adresse à une autre personne - un père pédophile, par exemple -, le processus de simulation internalisée induira initialement un sentiment d'hostilité chez le thérapeute également. Celuici doit cependant se garder d'embrayer en miroir sur l'attitude du patient mais, au contraire, corriger le tir en modulant et en tempérant sa propre réaction. Par l'adoption d'une attitude calme et pondérée, il peut espérer susciter chez le patient, par le jeu des neurones miroirs, une attitude nouvelle, plus sereine, dont il s'imprégnera pour évoluer. En quelque sorte, le patient voit à travers l'analyste une version plus acceptable, plus aménagée de ce qu'il éprouvait.» Dans les souliers d'autrui Une expérience très intéressante de l'équipe de Nicolas Danziger, du département de neurophysiologie clinique du CHU Pitié-Salpêtrière, à Paris, a fait l'objet d'une publication dans Neuron en 2009. Elle met en scène des patients présentant une insensibilité congénitale à la douleur (ICD) - ils ne ressentent pas la douleur physique. L'hypothèse était que, chez eux, l'activation de l'insula antérieure et du cortex cingulaire antérieur, régions impliquées dans la résonance automatique à la douleur, en lien avec le système des neurones miroirs, ne s'opère pas et, dès lors, que ces personnes ne peuvent percevoir la douleur d'autrui. Les images recueillies par IRMf ont battu cette hypothèse en brèche. Deux modalités expérimentales furent appliquées. Dans la première, de nature somato-sensorielle, des images de plaies étaient présentées tant à des patients ICD qu'à des sujets contrôles. Dans la seconde, de nature émotionnelle, les mêmes personnes étaient confrontées à des photos de faciès exprimant une sensation douloureuse. Que révéla l'IRMf ? Qu'il n'y avait pas moins d'activation de l'insula antérieure et du cortex cingulaire antérieur chez les patients ICD que chez les sujets contrôles. Fallait-il y voir pour autant l'empreinte de mécanismes sous-jacents identiques ? Non. Selon l'hypothèse émise par Danziger à la suite des résultats 495 Neurosciences fournis par IRMf, la simulation internalisée constituait l'élément moteur chez les sujets contrôles, tandis que chez les autres, était impliqué un phénomène d'apprentissage ressortissant à des mécanismes associatifs. En clair, les patients ICD savaient ce que souffrir psychiquement veut dire - ils avaient dû vivre des deuils, des séparations, des échecs... Or, que la douleur soit somatique ou psychique, elle fait intervenir les mêmes régions limbiques. Aussi, en extrapolant leurs connaissances de la douleur psychique, ils imaginaient ce que devait représenter la douleur physique. «Il s'agit d'un processus à dominante cognitive relevant de la “perspective taking”, la faculté de se placer cognitivement dans les “souliers” de l'autre», souligne Éric Constant. Encore fallait-il dégager des éléments de preuve. Les chercheurs les obtinrent. En effet, ils trouvèrent une corrélation entre les scores obtenus par les patients ICD à une échelle d'empathie émotionnelle et l'activation de deux régions cérébrales, le cortex préfrontal ventromédial et le cortex cingulaire postérieur, connues pour être activées dans la «perspective taking» émotionnelle. On peut aisément concevoir que des déficits dans le fonctionnement du système des neurones miroirs se répercutent sur le comportement social. Comme en témoignent de nombreux résultats expérimentaux, la réalité d'une telle dysfonction est aujourd'hui bien étayée dans l'autisme et commence à l'être dans la schizophrénie. Il convient aussi de généraliser le propos. Selon le professeur Constant, la découverte des neurones miroirs nous impose de revisiter toutes les pathologies psychiatriques en lien avec des problèmes de cognition sociale - ce sont les plus nombreuses. La route s'ouvre sur un «monde nouveau» fait de «jeux de miroirs» et sur de nouvelles thérapies potentielles. Philippe LAMBERT ph.lambert.ph@skynet.be Chez les autistes, on obsverve une minceur anormale de la substance grise au niveau des régions du système des neurones miroirs et d'autres régions impliquées dans la reconnaissance et l'imitation d'expressions faciales. (3) Qui relève à la fois des fonctions sensorielles et de l'activité motrice. (4) Le système limbique est communément appelé le cerveau des émotions. (5) Aussi dénommé cortex cingulaire antérieur. (6) Éric Constant et Kurt Audenaert, op.cit. Athena 252 / Juin 2009
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