N° 252 - Recherche et Technologie

Les neurones du lobe pariétal inférieur, eux,
s'activent de façon différenciée en fonction du
but poursuivi par le primate. Prenons un exemple
concret: la préhension d'aliments. Il a été
montré que, quelle que soit la finalité ultime de
cet acte, manger la nourriture ou la jeter dans
une poubelle, un tiers de ces neurones émettent
des potentiels d'action durant sa réalisation. Et
les deux autres tiers ? Septante-cinq pour cent
d'entre eux déchargent lorsque le singe saisit les
aliments pour les manger et vingt-cinq pour
cent seulement quand il les destine à la poubelle.
Ce schéma d'activation vaut tant pour
l'exécution des actions décrites que pour leur
observation. Élément clé: dans le second cas,
nous sommes au royaume de l'anticipation des
actions d'autrui. Et dans ce cadre, le contexte
joue un rôle essentiel - en l'occurrence, la présence
ou l'absence d'une poubelle, notamment.
Royaume de l'anticipation, disions-nous, mais
aussi univers probabiliste. En effet, il peut y
avoir des erreurs d'interprétation, le système
prenant en compte ce qui, après la préhension
de l'objet (la nourriture), a statistiquement le
plus de chances de se produire en fonction des
éléments contextuels.
«L'activation différenciée s'opère avant le
terme de la seconde action (ingurgiter la nourriture
ou la jeter dans la poubelle), insiste Éric
Constant. Si tel n'était pas le cas, elle ne ferait
que refléter après coup l'action motrice finale
telle qu'elle a été exécutée.» En résumé, chez
l'observateur, les neurones miroirs du lobe
pariétal inférieur codent donc la même action
motrice de façon différente selon l'intention
attribuée à l'«acteur».
Danseur de salsa
Recherches en laboratoire à l'appui, on peut
affirmer par ailleurs que le système des neurones
miroirs est doté d'une certaine neuroplasticité,
propriété qui peut être exploitée chez
l'homme dans une perspective thérapeutique. Si
un singe voit pour la première fois un expérimentateur
prendre un aliment sur une table au
moyen d'une fourchette, ses neurones miroirs
resteront largement quiescents. Pourquoi ?
Parce que, ignorant ce qu'est une fourchette et
n'ayant aucune expertise de son emploi, il se
trouve plongé dans un contexte qui lui est étranger.
Par contre, à la vue répétée de la préhension
de nourriture au moyen d'une fourchette, ses
neurones miroirs vont finir par s'activer. «Cela
montre bien que le système peut être modulé par
l'expérience et l'apprentissage par l'observation
et l'imitation», écrivent le professeur Kurt
Audenaert, de l'Université de Gand, et le professeur
Constant (2).
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Neurosciences
Du singe à l'homme, il n'y avait qu'un pas. Il fut
franchi à son tour. Chez l'être humain, les régions
impliquées dans l'observation d'une action effectuée
par autrui sont homologues de celles identifiées
chez le singe macaque: d'une part, le pars
opercularis du gyrus frontal postéro-inférieur
(aire BA44), dans l'aire de Broca (aire BA44 +
BA45), et le cortex prémoteur ventral adjacent;
d'autre part, le lobe pariétal inférieur (aire
BA40). Une étude en imagerie par résonance
magnétique fonctionnelle (IRMf) a dévoilé que
les neurones miroirs du pars opercularis du
gyrus frontal inférieur gauche s'activaient à la
vue d'expressions faciales caractéristiques du
langage oral (ici, silencieux) humain. Or, comme
susmentionné, le pars opercularis est logé dans
l'aire de Broca, dont nul n'ignore l'importance
pour la production du langage verbal. Cette
découverte n'a fait qu'apporter de l'eau au moulin
de ceux qui, déjà à l'heure des recherches initiales
chez le singe, avaient émis l'hypothèse que le
système des neurones miroirs
est un précurseur du système
neuronal du langage. «Selon
certaines théories, la parole
se serait développée non à
partir des cris des animaux
mais au départ de leurs communications
gestuelles, précise
Éric Constant. Et l'on ne
peut s'empêcher de penser
ici, en cheminant sur les voies
de l'analogie, à la situation
des sourds, qui lisent sur les
lèvres.»
Il apparaît aujourd'hui que le
rôle des neurones miroirs
n'est pas circonscrit aux
fonctions de base précédemment
évoquées. Ainsi, ils
sont impliqués dans les processus
d'imitation et, par
ricochet, dans certains processus d'apprentissage.
Le circuit de l'imitation chez l'homme a
d'ailleurs été décrit (voir figure de la p. 494).
En outre, une étude par IRMf, dont les résultats
ont été publiés dans Plos Biology en 2005, semble
montrer que, chez l'homme, les neurones
miroirs interviennent dans la reconnaissance de
soi, ce qui a notamment éveillé l'idée d'un dysfonctionnement
du système chez les schizophrènes,
anomalie qui ferait le lit de leurs délires
et de leurs hallucinations. D'autres travaux
d'imagerie cérébrale fonctionnelle soulignent
l'impact de la familiarité sur le niveau d'activation
des neurones miroirs. «Ainsi, un danseur
de salsa les activera davantage face à un couple
en train de danser la salsa que face à un
autre qui s'adonne au tango», explique Éric
(1) Les neurones
miroirs et les bases
de l'empathie:
implications
en psychiatrie,
par Éric Constant
et Kurt Audenaert,
dans Neurone,
2009.
(2) Idem
Neurones miroirs
dans la zone
frontale F5.
Décharges
neuronales
dans l'aire F5
du macaque quand
il prend de
la nourriture
(en haut) et quand
il observe
l'expérimentateur
la prendre (en bas).
Athena 252 / Juin 2009