N° 252 - Recherche et Technologie

Athena 252 / Juin 2009
Neurosciences
Jeux de miroirs
Mis en évidence il y a une douzaine d'années chez le singe, et peu après chez l'homme, les neurones
miroirs ont la propriété de s'activer non seulement quand nous exécutons une action, mais également
lorsque nous observons une autre personne accomplir une action similaire. Aujourd'hui, il est acquis
que les neurones miroirs sont impliqués dans l'imitation, l'apprentissage ou encore l'empathie et que,
suggérant alors des miroirs brisés, ils sont dysfonctionnels chez les autistes et les schizophrènes
Éric Constant,
professeur
de psychiatrie à
l'Université
catholique
de Louvain (UCL).
Courriel:
eric.constant@
uclouvain.be.
Il n'est pas rare que de grandes découvertes
se réalisent par hasard. Ce fut le cas de celle
des neurones miroirs, en 1996. Nous sommes
à Parme, dans le laboratoire du professeur
Giacomo Rizzolatti, où des travaux sont menés
sur l'excitabilité du cortex moteur chez le singe
macaque. Un primate est appareillé. Lorsque
l'expérimentateur en charge de l'animal revient
après l'heure du déjeuner et
porte à la bouche un cornet
de crème glacée qu'il vient
d'acheter, des neurones prémoteurs
du cortex frontal
inférieur (aire F5) du singe
s'activent, alors que ce dernier
demeure immobile.
Que se passe-t-il donc ? Il
deviendra vite clair qu'une
classe de neurones déchargent
aussi bien lorsque l'animal
effectue une action spécifique
que lorsqu'il observe
un autre individu, appartenant
ou non à son espèce,
en train d'exécuter la même
action. Tout se déroule comme
si les gestes perçus par
le témoin étaient, au niveau
de certaines zones cérébrales,
le reflet des gestes effectivement réalisés
par l'individu observé. D'où le terme de «neurones
miroirs».
Une seconde catégorie de neurones de ce type
ne tarda pas à être mise en évidence chez le
singe, dans la partie antérieure du cortex pariétal
inférieur, zone anatomiquement connectée à
l'aire frontale F5 et unie à elle par des échanges
réciproques d'informations. Fut ainsi identifié,
chez le singe macaque, le «système des neurones
miroirs fronto-pariétaux».
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Comme le souligne Éric Constant, professeur
de psychiatrie à l'Université catholique de
Louvain (UCL) et chef de clinique associé aux
Cliniques universitaires Saint-Luc, les neurones
situés au niveau de l'aire F5 indiquent le but
d'une action motrice donnée, telle la préhension
d'un objet, et non les mouvements requis pour
l'accomplir (1). D'une part, ils n'émettent pas
de potentiels d'action à la simple vue d'objets
préhensibles (une cacahuète sur une table, par
exemple) ni, à l'inverse, à la vue d'un mouvement
de préhension qui ne porterait sur aucun
objet. D'autre part, admettons maintenant que la
partie finale de l'action observée, c'est-à-dire
l'interaction entre la main et l'objet, soit cachée
- la main de l'expérimentateur a été masquée
dans sa portion distale. De deux choses l'une. Si
un objet préhensible est bel et bien présent, les
neurones miroirs de l'aire F5 s'activeront malgré
tout. En revanche, en l'absence d'objet, pas d'activation.
«Pourtant, explique Éric Constant,
l'input visuel des deux actions cachées est identique.
Par conséquent, il faut en déduire que les
neurones miroirs concernés peuvent coder des
aspects hautement abstraits des actions d'autrui,
à savoir leur intentionnalité.»
L'intention de l'acteur
La vue n'est pas le seul vecteur sensoriel capable
de susciter l'activation des neurones miroirs.
Au sein de l'aire F5, certains d'entre eux, qualifiés
d'audiovisuels, déchargent non seulement
lors de l'exécution ou de l'observation d'une
action, mais également en réponse au son produit
par cette dernière. L'existence d'inputs
auditifs à même d'influer sur le système des
neurones miroirs a conduit plusieurs auteurs à
formuler l'hypothèse que celui-ci est un précurseur
du système neuronal du langage.