N° 252 - Recherche et Technologie
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Tailles comparées d'une vertèbre de Titanoboa (à droite) et de celle d'un anaconda de 5,20 mètres. Athena 252 / Juin 2009 Info-Bio Fatalité épigénétique Ce n'est pas neuf: les abuseurs d'enfants sont souvent des adultes qui ont euxmêmes été abusés dans l'enfance. Un lien existerait-il vraiment ? On serait tenté de le croire et le plus surprenant est que ce lien n’est pas uniquement comportemental, mais qu'il est - peut-être aussi - inscrit dans les gènes… Des expériences menées chez le rat ont consisté à priver des jeunes de l'attention maternelle. Résultat: un dépôt de radicaux méthyles à un endroit particulier du gène qui régule l'effet du stress. Ce dernier est lié au fonctionnement d'un axe neuroendocrinien qui, piloté par des centres cérébraux, contrôle la fonction des glandes surrénales, précisément productrices de l'«hormone de stress». Le plus long, le plus lourd aussi… Avec le Gigantophis garstini découvert il y a quelques années dans le Nord de l'Afrique, on pensait détenir le fossile du plus grand serpent qui n’ait jamais vécu sur notre Terre. Long de 9 à 10 mètres, il devait en effet faire figure d'épouvantail. Mais il vient tout de même d'être détrôné par plus grand et plus gros que lui. Titanoboa cerrejonensis, le bien nommé, dont une trentaine d'exemplaires ont été exhumés d'une strate fossilifère de Colombie, comptait en effet 120 vertèbres et mesurait 13 mètres de long. Poids évalué: 1 tonne… Proche des anacondas, pythons et boas contemporains, il vivait vraisemblablement dans l'eau des rivières, à l'ombre des forêts tropicales humides et ombrophiles. Autre réalité suspectée: la température devait être élevée pour permettre à ce géant d'assurer son métabolisme; une température vraisemblable de 30 °C, voire davantage. Qu'on se rassure: il vivait il y a 60 millions d'années sans doute; et s'il reste des anacondas de grande taille aujourd'hui, ceux-ci ne dépassent normalement pas 7 mètres. Ce qui, toute proportion gardée, n'est pas anodin non plus ! Nature 2009; 457: 715-718. 482 Soucieux de savoir si ce type de modification génique pouvait être retrouvé chez l'homme, des scientifiques ont sélectionné trois cohortes de patients; une première faite d'individus sexuellement abusés dans l'enfance et qui se sont suicidés, une seconde constituée d'individus non abusés mais également morts par suicide et une troisième, regroupant des individus décédés pour d'autres causes. Résultat de l'étude: les modifications retrouvées chez les ratons le sont aussi et de façon apparemment exclusive chez les hommes du premier groupe. Cette découverte, qui demande sans doute confirmation, est riche d'informations. La première est que l'abus dans l'enfance accroît l'état permanent de stress. Une deuxième est que cet accroissement est inscrit dans un gène au moins et qu'il peut l'être de façon durable; la troisième tient enfin au fait que cette modification est épigénétique, un mode d«'interprétation» de l'action des gènes dont il est tant question depuis quelques années et qui peut expliquer bien des choses dans notre fonctionnement, tant métabolique que psychique. Le gène reste inchangé; simplement, le dépôt à un ou l'autre endroit-clé de radicaux - souvent méthyles - peut en moduler la transcription par excès ou par défaut et de façon durable ou non. Voilà donc un comportement qui se trouve des racines épigénétiques; ce n'est pas le premier du genre. Mais à l'évidence, ce n'est certainement pas le dernier non plus… Science, 2009; 323: 1151. Jean-Michel DEBRY j.m.debry@skynet.be
483 Dico-Bio Perturbateurs endocriniens, m. plur. Tous les êtres vivants, des plus simples aux plus complexes, sont obligatoirement confrontés à un environnement qui leur est propre. Ils entretiennent avec lui des interrelations parfois multiples grâce auxquelles - ou à cause desquelles - ils ont développé des systèmes métaboliques d’exploitation ou de défense. La régulation d’un être vivant - et en particulier celle des plus complexes - repose sur un subtil équilibre qui fait intervenir des systèmes très élaborés avec des réactions en cascades où des molécules souvent très spécialisées - hormones, enzymes, etc. - opèrent un contrôle multiple et réciproque. Cet équilibre peut évoluer dans le temps: la croissance, la maturation sexuelle sont des exemples que nous connaissons bien. Ils sont en principe bien régulés et génétiquement programmés. Ils peuvent aussi connaître des modifications volontaires et souhaitées - la prise de médicaments en est un exemple - ou non souhaitées, mais consenties: une cuite, un excès alimentaire, etc. Mais il existe aussi un nombre apparemment croissant de substances auxquelles les organismes vivants sont confrontés. Leur rôle est généralement sournois puisqu’on ignore leur existence et surtout leurs effets possibles. Cette réalité est renforcée par le fait qu’ils contribuent à un environnement auquel le vivant peut difficilement se soustraire comme l’eau pour un poisson ou l’air pour un humain. Ces substances peuvent être d’occurrence tout à fait naturelle; mais elles peuvent aussi être issues de l’activité humaine, quelle qu’elle soit: industrielle, agricole ou domestique au sens large. Beaucoup sont ignorées par les organismes vivants - à des degrés divers, toutefois, en fonction de leur complexité - qui ont développé des systèmes de défense ou qui n’ont pas de récepteurs adaptés à leur reconnaissance. En revanche, il s’en trouve qui, en raison de leur composition ou de leur structure moléculaire, peuvent interférer de façon spécifique avec l’un ou l’autre processus vivant. On les désigne par le terme générique d’exobiotiques. Parmi eux se trouve une gamme de produits d’origines et de natures très différentes qui ont la particularité de mimer l’action spécifique des hormones. Puisqu’ils peuvent en modifier la fonction de manière inattendue, on les appelle les perturbateurs - ou dérégulateurs - endocriniens (PE). De quels troubles s’agit-il ? Pour la simplicité, on peut ramener la problématique à l’humain; mais il est clair qu’elle a des répercussions chez tous les organismes qui ont une régulation endocrine. La presse rapporte du reste à termes réguliers des anomalies observées chez des poissons, des reptiles, des mammifères, confrontés bien malgré eux à ces PE. Puisqu’il existe un risque de perturbation de la régulation hormonale, voyons où celle-ci intervient. Globalement, c’est à tous les niveaux: en matière de croissance, de reproduction, de développement, de mise à disposition des ressources énergétiques, bref, de tout ce qui concerne l’«environnement interne». Les «cibles» de ces perturbateurs inattendus sont donc multiples. Mais ce n’est pas encore tout puisque leur action peut aller en sens divers. Il peut en effet aller dans celui d’un mimétisme de l’hormone, d’une inhibition ou d’une modulation de sa synthèse et Mouvement pour le droit et le respect des générations futures (FR). Plusieurs dossiers sur les pesticides dans l'alimentation. http://www.mdrgf. org/index.html Athena 252 / Juin 2009
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Tailles comparées<br />
d'une vertèbre<br />
de Titanoboa<br />
(à droite) <strong>et</strong> de celle<br />
d'un anaconda<br />
de 5,20 mètres.<br />
Athena <strong>252</strong> / Juin 2009<br />
Info-Bio<br />
Fatalité<br />
épigénétique<br />
Ce n'est pas neuf: les abuseurs d'enfants<br />
sont souvent des adultes qui ont euxmêmes<br />
été abusés dans l'enfance. Un lien<br />
existerait-il vraiment ? On serait tenté de le<br />
croire <strong>et</strong> le plus surprenant est que ce lien n’est<br />
pas uniquement comportemental, mais qu'il est<br />
- peut-être aussi - inscrit dans les gènes…<br />
Des expériences menées chez le rat ont consisté<br />
à priver des jeunes de l'attention maternelle.<br />
Résultat: un dépôt de radicaux méthyles à un<br />
endroit particulier du gène qui régule l'eff<strong>et</strong> du<br />
stress. Ce dernier est lié au fonctionnement d'un<br />
axe neuroendocrinien qui, piloté par des centres<br />
cérébraux, contrôle la fonction des glandes surrénales,<br />
précisément productrices de l'«hormone<br />
de stress».<br />
Le plus long,<br />
le plus lourd aussi…<br />
Avec le Gigantophis garstini découvert il y a quelques années dans le Nord de<br />
l'Afrique, on pensait détenir le fossile du plus grand serpent qui n’ait jamais vécu<br />
sur notre Terre. Long de 9 à 10 mètres, il devait en eff<strong>et</strong> faire figure d'épouvantail.<br />
Mais il vient tout de même d'être détrôné par plus grand <strong>et</strong> plus gros que lui. Titanoboa<br />
cerrejonensis, le bien nommé, dont une trentaine d'exemplaires ont été exhumés d'une<br />
strate fossilifère de Colombie, comptait en eff<strong>et</strong> 120 vertèbres <strong>et</strong> mesurait 13 mètres de<br />
long. Poids évalué: 1 tonne…<br />
Proche des anacondas, pythons <strong>et</strong><br />
boas contemporains, il vivait vraisemblablement<br />
dans l'eau des rivières,<br />
à l'ombre des forêts tropicales<br />
humides <strong>et</strong> ombrophiles. Autre<br />
réalité suspectée: la température<br />
devait être élevée pour perm<strong>et</strong>tre à<br />
ce géant d'assurer son métabolisme;<br />
une température vraisemblable de<br />
30 °C, voire davantage. Qu'on se rassure:<br />
il vivait il y a 60 millions d'années sans doute; <strong>et</strong> s'il reste des anacondas de<br />
grande taille aujourd'hui, ceux-ci ne dépassent normalement pas 7 mètres. Ce qui,<br />
toute proportion gardée, n'est pas anodin non plus ! Nature 2009; 457: 715-718.<br />
482<br />
Soucieux de savoir si ce type de modification<br />
génique pouvait être r<strong>et</strong>rouvé chez l'homme, des<br />
scientifiques ont sélectionné trois cohortes de<br />
patients; une première faite d'individus sexuellement<br />
abusés dans l'enfance <strong>et</strong> qui se sont suicidés,<br />
une seconde constituée d'individus non abusés<br />
mais également morts par suicide <strong>et</strong> une<br />
troisième, regroupant des individus décédés pour<br />
d'autres causes. Résultat de l'étude: les modifications<br />
r<strong>et</strong>rouvées chez les ratons le sont aussi <strong>et</strong> de<br />
façon apparemment exclusive chez les hommes<br />
du premier groupe.<br />
C<strong>et</strong>te découverte, qui demande sans doute<br />
confirmation, est riche d'informations. La première<br />
est que l'abus dans l'enfance accroît l'état<br />
permanent de stress. Une deuxième est que c<strong>et</strong><br />
accroissement est inscrit dans un gène au moins<br />
<strong>et</strong> qu'il peut l'être de façon durable; la troisième<br />
tient enfin au fait que c<strong>et</strong>te modification est épigénétique,<br />
un mode d«'interprétation» de l'action<br />
des gènes dont il est tant question depuis<br />
quelques années <strong>et</strong> qui peut expliquer bien des<br />
choses dans notre fonctionnement, tant métabolique<br />
que psychique. Le gène reste inchangé;<br />
simplement, le dépôt à un ou l'autre endroit-clé<br />
de radicaux - souvent méthyles - peut en moduler<br />
la transcription par excès ou par défaut <strong>et</strong> de<br />
façon durable ou non.<br />
Voilà donc un comportement qui se trouve des<br />
racines épigénétiques; ce n'est pas le premier du<br />
genre. Mais à l'évidence, ce n'est certainement<br />
pas le dernier non plus… Science, 2009; 323:<br />
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Jean-Michel DEBRY<br />
j.m.debry@skyn<strong>et</strong>.be