THÉRÈSE AUBERT - ADÈLE - Bibliothèque numérique romande
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il avait peu de supérieurs qui ne se fussent accoutumés à le regarder<br />
d’avance comme leur égal. Le hasard fit qu’une demoiselle<br />
de cette ville, qui appartenait à une famille très noble, le<br />
remarqua dans quelques occasions, et que, sans prendre garde à<br />
son penchant, elle se fit de le voir une habitude si douce que son<br />
cœur ne pouvait plus s’en passer. Elle sentit bientôt que ce besoin<br />
était de l’amour, mais il était trop tard pour y remédier ;<br />
elle le crut du moins, et mon père le crut comme elle. Que vous<br />
dirai-je, monsieur Gaston ? voilà de quelle erreur je fus le fruit.<br />
« Ma mère ne put dissimuler sa faute à ses parents ; mais,<br />
quoique tendres et bons, ils étaient trop fiers pour souffrir que<br />
Jacques Evrard la réparât. On se contenta de prendre les précautions<br />
nécessaires pour cacher ma naissance à tout le monde,<br />
et on envoya ma nourrice dans ce village éloigné, où je fus baptisée<br />
sous les auspices de madame la prieure. Vous devinez bien<br />
que cet asile ne m’avait pas été donné sans motif, et que ma<br />
mère se plaisait à penser que je grandirais sous les yeux d’un<br />
père attentif à tous mes besoins. Le temps de son service étant<br />
accompli depuis quelque temps, il sacrifia en effet sans peine<br />
ses espérances d’avancement au plaisir de ne me plus quitter, et<br />
de voir se développer peu à peu dans mes traits la ressemblance<br />
d’une personne qui lui était si chère. Sa tendresse alla plus loin.<br />
Se serait-il trouvé heureux s’il n’avait pas osé me nommer sa<br />
fille ? La nourrice qu’on m’avait donnée, jeune et malheureuse<br />
victime d’une inclination trompée, passa pour ma mère et pour<br />
son épouse. Madame Adélaïde seule était dans le secret, et portait<br />
une vive compassion à ses chagrins.<br />
« C’est ainsi que je fus élevée, et mon enfance ne fut pas<br />
sans plaisirs. L’amitié de ma bonne marraine, les soins attentifs<br />
et vraiment maternels de cette nourrice, à qui je croyais des<br />
titres encore plus sacrés à ma reconnaissance, et surtout<br />
l’affection de mon excellent père, embellirent tout. Seulement,<br />
quand il revenait des champs, je le sentais quelquefois me baigner<br />
de larmes mais je ne m’inquiétais point, pensant que c’était<br />
de joie qu’il pleurait.<br />
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