THÉRÈSE AUBERT - ADÈLE - Bibliothèque numérique romande
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Le 6 mai.<br />
La bienséance me prescrivait du moins de voir Eudoxie.<br />
Mon cœur m’entraînait vers sa tante. Je les ai vues. J’ai vu Adèle<br />
aussi. Que dis-je, hélas ! je n’ai vu qu’Adèle.<br />
Oui, mon Édouard, il serait superflu, il serait indigne de<br />
moi de dissimuler à toi ce sentiment qui me domine, qui remplit,<br />
qui absorbe mon existence. Enfer et paradis ! Qui aurait<br />
pensé qu’à vingt-huit ans la vue d’une jeune fille toute simple,<br />
toute bonne et presque sans éclat, me subjuguerait comme au<br />
temps de la faiblesse et de l’ignorance de mon cœur ? Qui pourrait<br />
exprimer ce que j’éprouve d’extase et de délire au seul souvenir<br />
de ses traits, au seul bruit de son nom ? Ce n’est déjà plus<br />
cela. Je nageais dans une si pure atmosphère de bonheur, mon<br />
sein était soulevé d’une joie si parfaite et si nouvelle… Car tout<br />
est devenu nouveau pour cette âme qui se réveille encore une<br />
fois des débris de ma vie, pour aimer et pour souffrir…<br />
– Pour souffrir. – Je sais combien une passion semblable<br />
peut faire tomber sur moi de honte et de malheur. Je ne<br />
m’aveugle pas sur cet étrange égarement de mon imagination,<br />
ou plutôt sur cette impitoyable contrariété de ma fortune qui me<br />
pousse obstinément vers tout ce que je devrais fuir, et qui me<br />
plonge d’autant plus profondément dans l’abîme de mes résolutions,<br />
que sa menaçante obscurité me laisse moins d’espoir de<br />
retour. Je maudis la folie de mes projets, l’incroyable faiblesse<br />
de ma raison, que le moindre prestige éblouit, dont le moindre<br />
caprice triomphe ; je m’indigne de moi-même, et je<br />
m’abandonne cependant au penchant qui m’entraîne sans essayer<br />
d’y résister. Il y a plus. Si je connaissais une puissance qui<br />
fût capable de m’en affranchir sans retour, et d’effacer de mon<br />
sein jusqu’à la trace d’un souvenir, je n’aurais pas la force de<br />
l’invoquer. Tout ce que les autres hommes y trouveront de vil et<br />
de haïssable sera précisément ce qui m’y attachera par des<br />
nœuds plus difficiles à rompre, et j’ai besoin de te dire que ce