THÉRÈSE AUBERT - ADÈLE - Bibliothèque numérique romande
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que c’était à ses sages combinaisons de convenances que je devais<br />
ma mère. Je croyais ne la devoir qu’à l’amour et à la nature.<br />
Que te dirai-je ? les Valency sont moins riches que moi, Eudoxie<br />
est moins riche que moi ; mais elle est noble comme ma mère à<br />
qui elle a l’honneur d’appartenir. Tu devines le reste.<br />
Tout cela m’a frappé d’une surprise si vive et si douloureuse<br />
que j’ai été longtemps à chercher une idée, et plus longtemps<br />
encore à trouver une expression. Ce que je me rappelle<br />
bien imparfaitement des propos confus qui ont dû m’échapper<br />
dans cet instant de trouble et d’accablement, c’est qu’ils avaient<br />
pour but de solliciter, je crois, quelques mois de délai que je<br />
voulais donner à la réflexion, et j’ai sans doute ajouté qu’on<br />
n’obtiendrait rien de moi autrement, de manière à lever tout<br />
soupçon à cet égard, car ma mère est sortie en me lançant un<br />
regard plus sévère encore que de coutume. Il est cependant probable<br />
qu’elle n’a pas espéré gagner beaucoup à faire violence à<br />
mon cœur, puisqu’elle vient d’accéder à ma demande, avant que<br />
je me fusse trouvé la force de la renouveler. Au reste, elle attend<br />
ma résolution dans six semaines, et il n’est guère à supposer que<br />
j’en doive changer d’ici là.<br />
C’est te dire que ma résolution est prise à l’heure même, et<br />
qu’elle est invariable comme les principes qui ont, jusqu’à ce<br />
jour, dirigé ma vie. Non, je n’achèterai pas de mon bonheur, et<br />
je suis certain qu’Eudoxie ne me rendrait point heureux, je<br />
n’achèterai pas de mon repos, de ma liberté, de l’incertitude délicieuse<br />
de mes espérances, le ridicule honneur d’associer mon<br />
nom à celui d’une femme que je ne puis jamais aimer. Si<br />
j’attache quelque prix à ma fortune et à l’état que je tiens dans la<br />
société, c’est surtout à cause de l’indépendance qu’il me donne,<br />
et de l’immense latitude qu’il laisse à mes choix : car enfin…<br />
pourquoi ne le dirais-je pas ? J’aimerais mieux cent fois me mésallier<br />
pour quelqu’un, que de souffrir que personne se mésalliât<br />
pour moi. Je suis trop fier pour consentir à augmenter par un<br />
emprunt aussi lâche la somme de ma valeur personnelle, et<br />
pour donner cette prise-là sur moi à la vanité d’une femme. Plu-<br />
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