THÉRÈSE AUBERT - ADÈLE - Bibliothèque numérique romande
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tante la prieure, madame Adélaïde, femme d’un esprit sage et<br />
d’une haute vertu, dont ma plus tendre jeunesse a goûté les leçons,<br />
et à qui je suis peut-être redevable de ce fonds de piété qui<br />
m’a, sinon préservé de bien des erreurs, du moins consolé de<br />
bien des revers. Je n’avais pas appris sans la joie la plus vive que<br />
le ciel eût protégé son existence au milieu des funestes événements<br />
qui ont enlevé tous les siens.<br />
Eudoxie de Valency est d’une taille élevée et bien prise ;<br />
son port est plein de majesté, mais d’une majesté qui n’est pas<br />
sans affectation. Ses traits ont une expression remarquable,<br />
mais fixe, et qui ne parait pas sans étude. Le sourire, cet aimable<br />
indice du contentement de soi-même, s’arrête quelquefois sur<br />
ses lèvres ; mais il n’y figure presque jamais que le dédain. J’ai<br />
inutilement cherché, inutilement attendu dans sa conversation<br />
un mouvement, un geste, une inflexion qui révélât quelque pensée<br />
du cœur. Son abandon même, car elle a une sorte<br />
d’abandon, est si soigneusement négligé ; il y a tant de mesure<br />
dans sa liberté, tant de circonspection dans sa franchise, que tu<br />
éprouverais en la voyant le sentiment pénible qu’inspirent ces<br />
imitations trop exactes de la nature qui ne sont pas la nature, et<br />
qui choquent à force de lui ressembler. Je te demande si ses<br />
termes sont choisis, son élocution ornée, ses moindres discours<br />
brillants de citations et de traits ! Elle sait trois langues et fait<br />
des vers. Quand nous entrâmes, elle semblait méditer profondément<br />
je ne sais quel passage d’un livre ouvert sur son pupitre,<br />
et, en m’approchant, j’ai reconnu ce livre pour un des chefsd’œuvre<br />
de notre métaphysique moderne, chef-d’œuvre, en effet,<br />
de toute l’aridité du cœur alliée à toute la présomption de<br />
l’esprit. Je donnerais sur-le-champ une bonne partie de ma vie<br />
pour être persuadé qu’il n’y a point de femme qui lise Condillac,<br />
comme je suis convaincu qu’il n’y a point de femme qui<br />
l’entende, et je crois qu’il ne fallait plus que ce travers pour me<br />
brouiller irrévocablement avec tout le sexe.<br />
Ma mère a remarqué que mademoiselle de Valency avait<br />
changé d’appartement ; mais tu n’en devinerais jamais la rai-<br />
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