THÉRÈSE AUBERT - ADÈLE - Bibliothèque numérique romande
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votre oreille, la moindre chose suffit alors pour absorber toutes<br />
vos pensées, pour suspendre toute votre existence. Il y a des instants,<br />
des heures, des jours entiers où vous êtes distrait malgré<br />
vous par une image charmante qui vous appelle, qui vous poursuit,<br />
que vous évitez vainement, que vous retrouvez partout, et<br />
dont la perfection idéale se compose des traits qui appartiennent<br />
à mille femmes différentes, ou, tout au plus, à une femme<br />
inconnue que vous ne verrez jamais. Combien faut-il avoir vécu<br />
d’années, mon cher Édouard, pour sentir le néant de ces chimères<br />
?…<br />
Ô mon ami ! sois sûr qu’il y a dès le monde que nous habitons<br />
des âmes punies d’une faute ancienne, punies peut-être par<br />
anticipation d’une faute à venir indispensable, des âmes<br />
d’expiation qui portent pour une génération tout le poids des<br />
vengeances de Dieu, et qui sont condamnées à l’amour de<br />
l’impossible, comme si la suprême puissance, qui ne peut sans<br />
contrevenir à ses décrets leur ôter l’infini dans l’éternité, avait<br />
voulu leur donner le néant dans le présent ; qui ont la faculté<br />
déplorable de concevoir, d’embrasser en imagination des voluptés<br />
devant lesquelles toutes celles de la terre se dégradent et<br />
s’anéantissent ! Ainsi tout ce que je comprends maintenant de<br />
l’amour n’appartient pas au temps, à l’espace ou ma vie est enfermée.<br />
C’est en moi le goût prématuré d’un bonheur futur qui<br />
n’a rien de terrestre, rien de borné, qui remplira un jour le vide<br />
immense de mon cœur, qui comblera toute l’ambition de mes<br />
désirs. Que voulez-vous que je demande, grands dieux ! à la<br />
femme qui consentirait à m’aimer ; que pourrais-je attendre<br />
d’elle ? L’engagement de deux êtres si faibles, si passagers, qui<br />
ne connaissent, qui n’apprécient du moins de leurs facultés que<br />
l’instant dont ils jouissent, qui ne peuvent répondre de la plus<br />
prochaine de leurs émotions, qui s’étonneraient tous les jours<br />
d’eux-mêmes si tous les jours ils devinaient leur lendemain ?<br />
Une transaction, un bail de quelques années ou de quelques<br />
mois, qu’une circonstance imprévue, une jalousie, un dépit, une<br />
heure d’absence modifie, qui s’altère par sa durée, qui se dissout<br />
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