THÉRÈSE AUBERT - ADÈLE - Bibliothèque numérique romande
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comme le suprême bonheur un délire non interrompu qui me<br />
délivrerait sans retour des souvenirs du passé.<br />
Le soleil se couchait ; je gravis le sentier de la Croix, et<br />
quand je fus au haut de la montagne, il n’y avait plus assez de<br />
jour pour que je distinguasse encore la maison, mais ses quatre<br />
cheminées blanches se dessinaient dans l’obscurité croissante<br />
de la nuit, et présentaient quelque image d’un monument funèbre.<br />
Je me tournai de ce côté, et je cherchai une longue suite<br />
de bancs de rochers que j’avais remarqués quelquefois et qui se<br />
projetaient en corniche saillante sur le précipice. Je me couchai<br />
en cet endroit les yeux fixés sur le lieu où devait être le corps de<br />
Thérèse, et je priai Dieu avec une vive abondance de cœur que je<br />
pusse tomber de là dans mon sommeil. Cependant je ne pleurai<br />
point. Je n’avais pas dormi la nuit précédente ; mes sens cédaient<br />
à un accablement invincible ; je m’y abandonnai ; mais le<br />
sommeil que je goûtai n’était pas un sommeil de repos. C’était<br />
une succession de pensées tumultueuses et fantastiques, de<br />
rêves pénibles et hideux. Je m’imagine que si la Providence accorde<br />
quelque relâche au supplice des damnés, c’est ainsi qu’ils<br />
doivent dormir. Quelquefois je me persuadais qu’on s’était<br />
trompé sur les apparences de la mort de Thérèse, et qu’elle<br />
n’était pas effectivement morte, mais qu’elle était malade et<br />
mourante, et pourtant cela me consolait. Je faisais un effort<br />
pour me réveiller afin de courir la rejoindre, et à peine j’y étais<br />
parvenu que l’horrible vérité se ressaisissait de mon cœur. Je<br />
criais, elle est morte, et je retombais dans mon assoupissement<br />
à défaut de forces suffisantes pour entretenir ma douleur dans<br />
toute sa puissance. Un instant après, des éclairs effleuraient<br />
mes paupières, j’entendais un bruit comme celui du tonnerre, et<br />
je voyais Thérèse qui s’envolait sur des ailes enflammées ; mais<br />
elle se détournait de moi, et je me réveillais en l’appelant ; c’est<br />
ainsi que je passai cette nuit. Quand le soleil fut levé, je m’assis<br />
sur le roc, et je regardai Sancy. Un peu plus d’une heure après,<br />
j’aperçus quelque mouvement, et je crus distinguer trois ou<br />
quatre hommes qui sortaient de la ferme et qui emportaient<br />
quelque chose. Alors je me levai, parce que je compris que tout<br />
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