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THÉRÈSE AUBERT - ADÈLE - Bibliothèque numérique romande

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vivre, et plus étonné d’être calme. Je me levai, je pris le mouchoir<br />

qui contenait mes habits vendéens ; je le mis à mon bras<br />

comme quand j’étais arrivé à Sancy, et je marchai d’un pas<br />

ferme vers la porte de la maison. Il fallait passer devant celle de<br />

Thérèse qui la touchait, mais elle n’était qu’entr’ouverte. Il y<br />

avait tout à l’entour des gens qui pleuraient et qui priaient. En<br />

dedans on voyait un peu de lumière. Ma première pensée fut<br />

d’entrer et de mourir là ; mais cet égarement ne dura qu’une<br />

minute. La présence d’un jeune homme caché pendant six mois<br />

sous des habits de femme dans la maison de Thérèse pouvait<br />

nuire à sa mémoire, et le nom de cet homme aurait perdu la famille<br />

de Thérèse, s’il était reconnu pour un proscrit. D’ailleurs le<br />

suicide, auquel je n’avais pas encore pensé, devait être un grand<br />

crime devant Dieu, et ce crime pouvait m’interdire jusqu’au seul<br />

bien dont l’espérance reste au chrétien dans ses malheurs, celui<br />

de revoir dans un autre monde les êtres chéris qu’il a perdus.<br />

Cette idée me fit tressaillir parce qu’elle se présentait à mon esprit<br />

pour la première fois, et que j’avais été près, en cédant à<br />

mon premier mouvement, de sacrifier tout mon avenir, et de<br />

perdre Thérèse dans l’éternité pour n’avoir pas eu la force de lui<br />

survivre quelques jours dans le temps. Pendant que je faisais ces<br />

réflexions, je franchissais la dernière porte de la ferme, poursuivi<br />

des cris et des gémissements qui s’élevaient au dedans : –<br />

Ah ! ma fille, ma belle Thérèse, ma bien-aimée, criait la<br />

grand’mère, je ne te verrai donc plus jamais, jamais !… – Et sa<br />

voix s’étouffait dans les sanglots. – Pourquoi jamais ? disais-je<br />

dans mon cœur. Ah ! moi, je te verrai bientôt, bientôt, je te verrai<br />

toujours, toujours !… et cette conviction me rendait je ne sais<br />

quelle force, parce que toutes mes facultés étaient absorbées en<br />

elle. Mes sens m’y confirmaient eux-mêmes tout enveloppés<br />

qu’ils étaient encore des ténèbres de la vie. Je suivais des yeux<br />

un fantôme brillant qui m’appelait à sa suite. J’entendais retentir<br />

une voix forte qui me répétait : Bientôt, bientôt, toujours,<br />

toujours. Et quand je lui demandais si elle ne me trompait pas,<br />

elle me répondait à cris multipliés comme une voix en colère.<br />

Cela ressemblait à un commencement de délire, et j’invoquais<br />

– 61 –

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