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THÉRÈSE AUBERT - ADÈLE - Bibliothèque numérique romande

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charité ! C’est ainsi que tu m’aimais, c’est ainsi que vous aimez !<br />

Oh ! j’espère bien que vous n’êtes pas aveugle ; mais, si vous<br />

l’étiez, cesserai-je, moi, de te voir et de vivre pour toi ! Dis-moi,<br />

pourrais-je te quitter sans mourir ! L’aveugle a un chien qui le<br />

précède, qui le sert, qui sollicite pour lui de l’attitude et du regard<br />

la charité des passants, un chien dont il est aimé ; et ce<br />

qu’il attend d’une brute, vous ne le demanderiez pas au cœur<br />

que vous avez choisi ! Non, Thérèse, tu n’as pas besoin d’yeux<br />

tant qu’Adolphe en aura pour veiller sur toi ; et quant à lui, s’il<br />

avait besoin d’être vu de toi, de toi seule à jamais, tu le pardonneras<br />

aux vanités de l’amour, mais là, dans ton cœur, ne le voistu<br />

pas encore ? – Oh ! toujours, toujours, dit Thérèse. Oh ! je te<br />

vois mieux. Je ne t’ai jamais si bien vu : je vois jusqu’au pli de<br />

ton front, jusqu’au mouvement de ton sourcil, jusqu’à la petite<br />

cicatrice de ta lèvre supérieure, et je verrais cela plus longtemps<br />

que les autres femmes : mais pourquoi te lier à un cadavre ? Je<br />

te fais de la peine ! reprit-elle. Oh ! je connais bien mon<br />

Adolphe, et je ne renoncerais pas à lui sur la terre si je ne savais<br />

où le retrouver ! Mais je le retrouverai un jour pour ne m’en séparer<br />

jamais. Tu aurais beau faire, continua-t-elle en passant<br />

ses doigts dans mes cheveux, tu pourras vivre et aimer, c’est<br />

dans l’ordre ; mais ton éternité m’appartient tout entière.<br />

J’aurai alors, et pour toujours, ma beauté, ma jeunesse, mes<br />

yeux. En disant cela, elle couvrit de sa main la place où ils<br />

n’étaient plus. J’avais perdu la force de lui répondre. Je succombais<br />

sous le poids de ma douleur. Il me semblait que les<br />

larmes dont je mouillais sa main auraient dû parler pour moi ;<br />

mais ne pouvait-elle pas les prendre pour celles de la pitié,<br />

d’une pitié ordinaire et commode, comme celle qu’ont les autres<br />

hommes pour leurs semblables, et qui n’engage point la vie de<br />

celui qui l’éprouve ? Sa main d’ailleurs était si pâle et si froide !<br />

Elle pouvait être insensible à mes larmes. Je sentais qu’il me<br />

manquait un langage, que les signes perdus pour ses yeux,<br />

l’action de ma main peut-être perdue pour sa main qui lui répondait<br />

à peine, celle de mes paroles soutenue des exclamations<br />

vulgaires, des froids serments dont les amants se servent pour<br />

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