THÉRÈSE AUBERT - ADÈLE - Bibliothèque numérique romande
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Je me révoltais contre l’idée qu’elle ne me croyait pas digne de<br />
la regarder et de l’aimer dans la laideur de sa maladie.<br />
– Tu n’aimes plus ton Adolphe, lui dis-je à voix basse,<br />
puisque tu ne veux plus le voir. – Adolphe, dit-elle beaucoup<br />
plus bas, songe donc que tu te nommes… – Ils sont sortis, continuai-je.<br />
Il n’y a plus que toi et ton Adolphe que tu ne veux pas<br />
voir. Elle serra ma main, souleva sa tête et la laissa retomber<br />
sous ce drap qui la couvrait comme un linceul. Cette pensée me<br />
déplaisait. Je voulus l’arracher, elle le retint. – Que je ne veux<br />
pas voir ! murmura-t-elle avec un sanglot qui me brisa le cœur.<br />
Dis que je ne peux plus le voir et que je ne le verrai plus. Thérèse<br />
n’est plus rien pour Adolphe qu’un spectre, que la tête du<br />
squelette qui roule dans les cimetières. Elle n’a pas d’yeux ! –<br />
Tais-toi, lui dis-je en la rapprochant de moi ; ton pauvre esprit<br />
s’égare ; il est affaibli et troublé par ton mal. S’il ne t’abusait toimême,<br />
tu ne me tromperais pas si cruellement. Elle rejeta le<br />
drap et se tourna vers moi comme si elle m’avait regardé. Je ne<br />
lui vis pas d’yeux, mais je n’avais jamais remarqué les effets de<br />
la petite vérole, et je ne m’en formais qu’une idée vague. – C’est<br />
un accident commun, lui dis-je, qui ne dure qu’autant que la<br />
maladie et qui ne doit pas t’effrayer. Elle sourit, saisit mes<br />
doigts, les porta vers l’orbite de ses yeux et les appuya dans sa<br />
profondeur. Il était vide. Je tressaillis malgré moi, car j’aurais<br />
voulu lui dérober ce que j’éprouvais, mais j’avais les mains engagées<br />
dans les siennes ; elle les pressa vivement et puis les<br />
abandonna, comme si elle avait voulu me rendre la liberté. Je la<br />
devinai, je repris ses mains, je les retins avec force. Je pleurais<br />
amèrement. – Thérèse, m’écriai-je, que ceux qui aiment comme<br />
vous sont heureux ! Qu’ils ont des liens souples et faciles ! Vous<br />
auriez abandonné Adolphe aveugle ! Elle voulut m’interrompre.<br />
Je continuai. – Adolphe que vous avez recueilli, que vous avez<br />
nourri, que vous avez sauvé, je n’ose plus dire, hélas ! que vous<br />
avez aimé ! vous l’auriez abandonné pour un malheur de plus !<br />
votre pitié allait jusque là et pas plus loin ! Un coup de feu pouvait<br />
aussi m’enlever les yeux, et Adolphe alors n’avait personne<br />
qui l’aimât, qui le conduisît, qui reçût pour lui l’aumône de la<br />
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