24.06.2013 Views

THÉRÈSE AUBERT - ADÈLE - Bibliothèque numérique romande

THÉRÈSE AUBERT - ADÈLE - Bibliothèque numérique romande

THÉRÈSE AUBERT - ADÈLE - Bibliothèque numérique romande

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

me levai et je courus à elle, ses grands yeux s’arrêtèrent fixement<br />

sur moi ; elle resta debout sur le roc à la pointe duquel elle<br />

venait de s’élancer, en manifestant par son attitude immobile et<br />

réfléchie le désir de se rappeler quelque chose. Le rire qui venait<br />

d’instant en instant sur sa bouche ne s’effaça pas tout-à-fait,<br />

mais ses paupières se mouillèrent bientôt de pleurs abondants,<br />

et ce contraste avait quelque chose d’horrible ; à mesure que je<br />

l’avais vue de plus près, j’avais mieux remarqué l’égarement de<br />

ses traits, la bizarrerie de ses ajustements. Elle portait en<br />

écharpe un mouchoir rouge comme nos officiers ; ses longs cheveux<br />

bruns, qui retombaient de côté et d’autre devant elle,<br />

étaient semés de soucis et de ces fleurs d’un violet foncé qu’on<br />

appelle, je crois, des ancolies ; ses bras, fortement hâlés par le<br />

soleil, sortaient à nu des manches courtes de sa robe noire ; ils<br />

étaient déjà maigres et flétris comme si la mort les avait touchés.<br />

– Tu ne sais pas, Antoinette, me dit-elle, ces gens-là ont tué<br />

Mondyon, tué, tué… – Mondyon est mort ! m’écriai-je ; serait-il<br />

vrai ?<br />

Elle prit la position d’un homme qui en met un autre en<br />

joue : – Pas comme cela, reprit-elle ; puis elle leva la main et la<br />

laissa retomber le long de son cou avec un éclat de rire affreux ;<br />

je ne comprenais pas bien ce geste, elle éclaircit mon doute en le<br />

recommençant ; le domestique qui la suivait inclina la tête d’un<br />

air affirmatif.<br />

Mondyon ! mon pauvre Mondyon !… Je cherchais une<br />

épée, j’avais une robe, l’habit d’une femme !… Henriette ellemême<br />

n’était plus présente à ma pensée, mais elle s’occupait<br />

encore bien moins d’Antoinette et de tout ce qui restait au<br />

monde. Quand je relevai les yeux vers l’endroit où je l’avais vue,<br />

elle était déjà très loin. Elle avait repris le refrain monotone de<br />

sa chanson et sautillait de roc en roc au sommet de la montagne.<br />

Je tombai d’accablement sur celui qu’elle venait de quitter,<br />

et où ses pieds déchirés avaient laissé une trace de sang.<br />

– 47 –

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!