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THÉRÈSE AUBERT - ADÈLE - Bibliothèque numérique romande

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voir. Je ne m’étais pas encore trouvé si faible et si mal au<br />

monde. Il y avait devant mes yeux comme un nuage de douleur<br />

qui obscurcissait jusqu’aux plus doux souvenirs de ma vie.<br />

L’incertitude où j’étais du sort à venir de M. Aubert, le doute où<br />

il m’avait laissé sur le véritable état de Thérèse, la crainte de la<br />

trouver dans une position dangereuse, l’ennui même de cet habit<br />

qui cachait mon sexe, qui commençait à le mal déguiser et<br />

qui devenait à charge à mon impatience et à mon courage ; je ne<br />

sais enfin quel besoin de mourir, qui est peut-être dans les<br />

hommes très malheureux le pressentiment des malheurs prêts à<br />

finir, tout cela agissait à la fois sur mon imagination et sur mon<br />

cœur. Il me semblait que j’arriverais toujours trop tôt où j’allais,<br />

et qu’il vaudrait mieux ne pas arriver.<br />

Je m’assis au-dessus de la montagne de la croix pour regarder<br />

la maison. Rien n’était changé. Il n’y avait là aucun mouvement<br />

inquiétant. Les cultivateurs étaient à leurs travaux ordinaires.<br />

L’air était calme et doux, et l’on s’imagine que si on avait<br />

des motifs réels de souffrance, la nature entière devrait y<br />

prendre part. Je contemplais cependant avec un effroi involontaire<br />

ce hameau qui m’avait vu si heureux, et je tremblais d’y<br />

rentrer.<br />

Dans ce moment, j’entendis quelque bruit derrière moi,<br />

dans le hallier ; je me détournai pour savoir d’où il provenait ;<br />

c’était une femme qui était encore éloignée, mais que je reconnus<br />

à travers un étrange désordre de physionomie pour Henriette<br />

de F… Au premier abord, je crus rêver ; ses cheveux<br />

étaient épars, sa robe déchirée, ses pieds nus ; elle montait avec<br />

l’agilité d’un fantôme sur les pointes aiguës des rochers, en<br />

chantant des refrains de romances, et en riant par accès ; un<br />

homme la suivait de loin, l’œil attentif à tous ses mouvements,<br />

l’air affligé et pensif, je le reconnus aussi pour un de ses domestiques.<br />

Il m’avait aperçu en même temps, ou plutôt il avait aperçu<br />

Antoinette, car je n’étais que cela pour lui. Il porta la main à<br />

son front avec un mouvement de tête qui exprimait la plus vive<br />

douleur, pour me faire comprendre qu’Henriette était folle. Je<br />

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